Louange aux femmes qui se relèvent en silence

Culture

La 30e édition du Festival international du film de Tokyo s’est déroulée du 25 octobre au 3 novembre 2017. Pour fêter dignement cette occasion, la section « Japan Now », une sélection des meilleurs films japonais sortis durant ces dernières années à présenter fièrement au monde entier, avait préparé un événement spécial : « Les muses du grand écran ». Parrainé par quatre actrices japonaises, il propose un programme constitué principalement des films dans lesquels elles ont joué. Ces vedettes au faîte de leur renommée aujourd’hui sont toutes nées dans les années 1980, au moment où le Festival international du film de Tokyo connaissait ses premières éditions.

Quatre actrices parrainent l’événement spécial « Les muses du grand écran » de la section Japan Now de la 30e édition du Festival international du film de Tokyo. De gauche à droite : Aoi Yû, Andô Sakura, Miyazaki Aoi, Mitsushima Hikari. ©TIFF

15 films étaient cette année en compétition, sélectionnés parmi 1 500 entrées provenant de 88 pays et régions. De toutes les œuvres projetées, l’une en particulier met en vedette une actrice de la même génération que les quatre actrices japonaises éclairées par la section Japan Now. Il s’agit du film français Maryline, de Guillaume Gallienne, dont l’actrice principale, Adeline d’Hermy, a obtenu le Prix d’interprétation féminine.

Des ténèbres à la lumière

Maryline a 20 ans. Elle a grandi dans un petit village, avec une mère alcoolique et un père violent. C’est une jeune femme silencieuse, délicate, peu sociale, mais passionnée par le jeu d’acteur. Elle décide de monter à Paris pour devenir actrice. Elle obtient un rôle dans un film important, mais, chavirée par les humiliations et les chausse-trappes qu’on lui fait subir sur le tournage, elle s’enfuit. Plusieurs années plus tard, alors qu’elle est tombée dans l’alcoolisme et travaille à trier des documents dans une usine, une nouvelle chance s’offre à elle. Le jour du tournage, considérée comme une incompétente par les membres de l’équipe, sur le point de perdre tout contrôle d’elle-même comme cela lui est déjà arrivé, un mot d’une actrice plus âgée, Jeanne, vient tout changer…

Le film est basé sur l’histoire réelle d’une femme que Guillaume Gallienne a entendue il y a une quinzaine d’années. « Les taiseux m’impressionnent », dit-il, pour expliquer la raison qui lui a fait choisir cette femme, qui ne possédait pas les mots pour se défendre, comme l’héroïne du film. Des gens qui ne savent pas s’affirmer sont parfois obligés de faire jaillir leurs passions intérieures pour exprimer leurs émotions. Et ceux qui ne les comprennent pas réagissent violemment en paroles et en actes. Mais parfois, la « magie Cendrillon », de petits mots tendres venant d'une personne chère peuvent faire passer une vie des ténèbres à la lumière...

Un regard doux porté sur les femmes

Quand Guillaume Gallienne décrit une héroïne dont le rayonnement augmente quand elle joue, attirant les gens dans son monde, on pourrait presque entendre en écho la voix de ce dernier, lui-même un très grand acteur, dire « voilà pourquoi nous restons comédiens ! » Et il fait lancer à Jeanne, une actrice expérimentée, des mots profondément significatifs à propos de ce métier, qui n’appartiendraient qu’à ceux qui se sont résolus à aller jusqu’au bout. Elle dit à Maryline : réciter un texte n’est pas tout ; le talent d’une actrice, c’est aussi une capacité innée et mystérieuse, mélange d’obscurité et d’inconscience ; une comédienne, c’est également un destin auquel on ne peut pas échapper, pas plus qu’à celui d’être une femme...

Dans ce film apparaît aussi partout la grande douceur du regard que Gallienne porte sur les femmes, déjà flagrante dans son travail précédent, Les garçons et Guillaume, à table !, qui racontait sa propre adolescence, éduquée comme une fille aux côtés d’une mère pour qui il vouait un profond respect.

La vie de Maryline est remplie d’expériences douloureuses : elle cherche de toutes ses forces à se donner une contenance pour cacher que ses règles viennent brusquement d’arriver au moment crucial ; une collègue à l’usine lui reproche de « se prendre pour une actrice » lorsqu’elle fait une boulette au travail ; jeune et jolie, on la prend pour une fille facile... Quant à Jeanne, libre et indépendante, qui a réussi socialement, elle ne peut que se moquer d'elle-même à cause de sa vie pleine d’échecs en amour... Le réalisateur décrit avec une sensibilité et une délicatesse formidables ces souffrances pouvant être vécues tous les jours par n’importe quelle femme.

Des femmes qui souffrent

Quand, dans le café de sa mère, un homme âgé jète un regard vicieux sur le corps de Maryline en disant exprès à haute voix à son ami en face : « la voilà devenue une vraie femme, hein », quand un grand metteur en scène, peut-être avec l’intention de lui remonter le moral, car elle ne parvient pas à s’ouvrir et s’épanouir pour jouer, vient l’embrasser par surprise dans le cou et lui chuchoter « Je t’aime » à l’oreille, on sent flotter dans la scène quelque chose de très réel : le sentiment de mal à l’aise désagréable que tant de femmes ont éprouvé dans les mêmes situations.

Or, dans le même temps, de nombreuses actrices, artistes et femmes anonymes dans de nombreux pays ont déclaré avoir été victimes de viols, d’agressions sexuelles ou de harassement sur les réseaux sociaux, à travers le hashtag #MeToo (#BalanceTonPorc en France), suite aux affaires impliquant un célèbre producteur hollywoodien. Plus d’un mois après le début de ce mouvement, la tendance n’est toujours pas retombée. Le hashtag #MeTooMen fait entendre la voix d’hommes ayant vécu des expériences similaires.

En France, des actrices populaires comme Léa Seydoux ou Mélanie Laurent ont témoigné avoir été victimes d’agressions sexuelles et ont obtenu un large soutien. De son côté, Catherine Deneuve, 73 ans, a dit des déballages de conflits personnels et de souffrances que « cela ne résout aucun problème », déclarant à propos de ces mouvements sur les réseaux sociaux : « il y a un déferlement qui est assez ignoble ». Ici et là, les débats sont brûlants autour du sujet.

Au Japon, à l’heure actuelle, aucun témoignage de ce genre émanant d’une personnalité célèbre n’est signalé. Cependant, en mai de cette année, une femme, dont la plainte pénale pour viol contre un journaliste de l’entourage immédiat du Premier ministre Abe Shinzô s’est conclue sur un non-lieu, a osé prendre la parole en public.

La victime, Itô Shiori, elle-même journaliste, lors d’une nouvelle conférence de presse organisée en octobre à l’occasion de la publication de son livre Black Box (éd. Bungei Shunjû), a déclaré que le système pénal aussi bien que social qui devrait défendre les victimes de crimes sexuels au Japon ne fonctionnait pas. Son exemple est extrêmement rare au Japon, où le fait de dénoncer de tels actes sur les réseaux sociaux fait craindre que le seul résultat soit de réjouir les curieux, ou d’attirer les insultes accusant les victimes de prononcer des insanités. Les Japonais craignent la honte. Ce qui explique leurs attitudes passives.

Sympathie pour une taiseuse

Guillaume Gallienne a su parfaitement exprimer comment des hommes, souvent de l’entourage, offensent et blessent profondément le cœur des femmes avec des mots « de tous les jours », en mettant en lumière les émotions et le comportement de Maryline qui n’a pas de mots pour riposter. Et si le féminisme n’est pas le thème central de son film, il me semble révélateur que cette description de la situation des femmes vienne de la part d’un homme qui a lui-même été élevé comme une fille et les observait avec beaucoup d'attention.

Il est possible que le personnage de Maryline, peu douée pour les joutes verbales, ne représente qu’une minorité dans la société française, mais, en tant que Japonaise qui a tendance à se taire plutôt qu’à élever la voix, je voudrais dire que cela m’a grandement fait éprouver de la sympathie pour elle.

Guillaume Galienne est né en 1972. Sociétaire de la Comédie-Française, il est acteur, scénariste et réalisateur, mais également actif au cinéma, à la télévision, à la radio et sur scène. Maryline est son deuxième film en tant que réalisateur, après Les garçons et Guillaume, à table !, sorti en 2013.

Le personnage de son film est interprété par Adeline d’Hermy, née en 1987, également sociétaire de la Comédie-Française qu’elle a intégrée en 2010. Elle a joué dans de nombreuses pièces de théâtre, ainsi qu’à la télévision et au cinéma, où Maryline est son premier rôle principal.

Adeline d’Hermy (à gauche) et Vanessa Paradis dans Maryline © Gaumont Distribution - photo Thierry Valletoux

Le rôle du metteur en scène qui offre à Maryline une seconde chance est interprété par Xavier Beauvois, et celui de l’actrice dont les quelques mots changent complètement la vie de Maryline est interprété par Vanessa Paradis.

D’autre part, Vanessa Paradis interprète Cette blessure de Léo Ferré en générique de fin du film. Cette chanson exprime un message qui est un parfait résumé de la vie de l’héroïne : quelle que soit la profondeur de la blessure subie, elle n’éteint pas la lumière de l’espoir que l’on porte en nous.

Maryline sort en salles en France le 15 novembre 2017. La date de sortie au Japon n’a pas encore été fixée.

(D’après un original en japonais. Photo de titre avec l’aimable autorisation de TIFF)

France actrice