Murakami Haruki : artiste immortel ou star en déclin ?

Culture

Un écrivain bientôt immortel ?

Murakami Haruki a aujourd'hui 69 ans. Trente-neuf ans se sont écoulés depuis la publication de son premier roman Écoute le chant du vent et 29 depuis sa percée au niveau mondial avec La Course au mouton sauvage. Alors que son dernier livre Le Meurtre du Commandeur vient d’être publié le 11 octobre 2018 (sorti au Japon le 24 février 2017), le plus célèbre auteur japonais vivant est clairement sur le point d'entreprendre quelque chose de nouveau. Mais il est difficile de dire exactement quoi.

Le battage médiatique presque fanatique qui l'entoure suggère qu'il va bientôt atteindre l'immortalité littéraire. Une conférence universitaire internationale consacrée à ses œuvres a été tenue à Newcastle au Royaume-Uni, apportant une légitimité nouvelle au domaine en plein essor des études « murakamiennes ». Récemment, il a demandé le retrait de son nom de la liste des écrivains sélectionnés pour le « nouveau prix de littérature », une alternative au prix Nobel de littérature en raison d’un scandale sexuel au sein de l'Académie suédoise, laissant penser qu'il a remporté tellement de récompenses qu'il peut se permettre de renoncer à d’autres. L'immense succès aussi bien commercial que critique de Murakami est indéniable : ses romans sont traduits dans plus de 50 langues et arrivent en tête des ventes de nombreux pays à travers le monde.

Toutefois, Murakami n'a pas encore atteint cette immortalité. Comme il l’a exprimé à plusieurs reprises dans des interviews, ses années d'écriture sont comptées. Au Japon, l'opinion générale sur son travail tend à penser que la qualité de ses œuvres est en baisse constante. De plus, bien qu'il soit pressenti chaque année pour le Nobel de littérature, il ne l'a toujours pas remporté. Ces rumeurs ne sont peut-être qu’un bon moyen de faire parler de lui, mais sa renommée pourrait souffrir avec la publication à l’étranger de son dernier roman Le Meurtre du Commandeur, car l’original en japonais a jusqu'ici reçu un accueil inhabituellement mitigé.

Chaque année vers cette période, les spéculations sur l'attribution du prix Nobel de littérature à Murakami (ou s'il le mérite) sont à foison sur Internet. L'annulation du prestigieux prix pour 2018 nous donne donc l'opportunité de mettre cette question de côté et de tenter de deviner ce que l'écrivain a en réserve pour ses lecteurs au cours des années à venir. Alors qu'il entame sa 40e année en tant qu'auteur, 30e en tant que phénomène mondial de la littérature et 70e en tant qu'être humain, est-il prêt à nous émerveiller avec un nouveau chef-d'œuvre, ou bien nous souviendrons-nous de lui uniquement pour sa gloire passée ?

Un homme de lettres à la vie spartiate

Murakami est connu pour sa routine quotidienne d'écriture que l'on pourrait qualifier de spartiate. Il se lève au plus tard à 4 heures du matin, écrit pendant cinq ou six heures, traduit l'après-midi, puis fait du jogging ou de la natation une heure pour s'entraîner aux marathons et triathlons auxquels il participe chaque année. Murakami a produit un flux important et régulier de publications littéraires grâce à ces habitudes qu'il a maintenues des dizaines d'années durant. Actuellement, il a publié 14 romans et 14 recueils de nouvelles, ainsi que de nombreuses collections d'essais et plusieurs livres de photographies et textes documentaires.

En ne comptant que ses œuvres originales, il n'égale pas des auteurs prolifiques tels que Charles Dickens ou Stephen King. Mais ce que peu de personnes savent en dehors du Japon, c’est que Murakami est également un grand traducteur de fiction principalement américaine, avec plus de 60 livres à son actif. Raymond Chandler, Elmore Leonard, F. Scott Fitzgerald ou encore Raymond Carver figurent parmi les auteurs célèbres traduits en japonais par Murakami. Même en laissant de côté les nombreux essais reprenant des sujets similaires ou les nouvelles qui figurent dans plusieurs collections différentes, la bibliographie de Murakami demeure impressionnante à tout point de vue. S'il continue d’écrire au même rythme, sa contribution à la littérature atteindra sans doute un niveau rarement dépassé.

Cependant, certaines rumeurs suggèrent que l'écrivain, célèbre pour sa discrétion, commence à assouplir sa routine et à s'ouvrir à l'intérêt que lui portent les médias. Bien qu’il n’ait fait aucune déclaration à ce sujet, les récents développements dans la vie de Murakami semblent aller dans ce sens.

Passion automobile

Cet été, Murakami a été interviewé par le magazine automobile japonais « Engine ». Même s’il n’en avait pas parlé ouvertement jusqu’à récemment, il s’avère être un passionné d’automobile qui a possédé un nombre considérable de voitures différentes au fil des années. Les cabriolets et les SUV sont ses modèles préférés.

La rédaction d'Engine avait prêté une Renault Kangoo à Murakami, après que son SUV est tombé en panne. L'entretien se concentre sur l'avis de l'écrivain, qui a parcouru 100 000 kilomètres avec le véhicule. La majeure partie de cet article est en quelque sorte un bon moyen de faire sur 14 pages la publicité pour la Kangoo… Et Murakami ne tarit pas d'éloges à propos du véhicule ; il démontre au passage des connaissances et une appréciation pointues de nombreux autres modèles, tout en plaçant la Kangoo au-dessus d'eux.

« La Kangoo est idéale pour la conduite urbaine, elle se montre parfaitement à la hauteur pour aller de mon domicile à Kanagawa à mon bureau de Tokyo en empruntant l'autoroute. C'est aussi une voiture agréable à conduire et qui offre une très bonne maniabilité. »

Sa passion pour les voitures transparaît aussi dans ses œuvres. Les automobiles sont souvent présentes dans ses romans, mais dans son dernier livre, Le Meurtre du Commandeur, il va encore plus loin. Non seulement un des personnages secondaires est surnommé d'après une Subaru Forester blanche, mais il y a aussi un passage où deux personnages principaux discutent en long et en large des différents modèles de Jaguar et de Toyota Prius.

Plus loin dans l'interview, Murakami reconnaît que la Kangoo consomme relativement beaucoup de carburant, quoiqu'il estime que ce soit un point positif.

« L’efficacité énergétique est devenue une sorte de cause juste, c’est un facteur qui domine progressivement les autres. Cette tendance est vraiment ennuyeuse. De plus en plus de nouvelles voitures ne procurent pas de plaisir de conduite. Une voiture comme la Kangoo est difficile à trouver ces jours-ci. »

On ne peut s'empêcher de se demander s'il ne ressent pas une certaine responsabilité, en tant que personnalité connue, d’aborder le problème urgent du réchauffement climatique. En faisant l'éloge d'un véhicule à fortes émissions, il semble au contraire prendre la question à la légère. De tels propos font aussi réfléchir à ce que l’Académie suédoise, qui évalue les candidats au prix Nobel sur leur importance politique, pourrait penser de telles déclarations lorsqu’elle se réunira à nouveau.

Une nouvelle carrière à la radio

Le deuxième point suggérant que Murakami est en train de ralentir son rythme tout en s’ouvrant aux médias se trouve dans la nouvelle casquette d’animateur radio qu’il vient récemment d’endosser. En effet, il est aux commandes de l'émission « Murakami Radio », diffusée pour la première fois sur Tokyo FM et 38 autres stations le 5 août dernier. Annoncée à l'origine comme une émission unique, deux autres épisodes ont par la suite été programmés. Le thème du premier épisode était la musique qu’il écoute sur son iPod quand il court. Sa programmation musicale s’étendait de « Heigh-Ho » de Disney à des reprises de célèbres titres de jazz, blues et de rock, qu’il accompagnait de commentaires et de réflexions sur sa vie personnelle. Il expliquait entre autres aimer écouter la chanson « Sky Pilot » du groupe The Animals lorsqu’il conduit sa décapotable.

Pour ceux qui connaissent bien ses œuvres, ses commentaires ressemblaient à une sélection soignée de citations de ses essais et interviews, issues d'ouvrages tels qu’Autoportrait de l'auteur en coureur de fond et Shokugyô toshite no shôsetsuka (« Profession : romancier », pas de traduction française).

Le concept de l'émission rappelle celui du site de conseils en ligne qu'il a temporairement ouvert en 2015, Murakami-san no tokoro (« Chez M. Murakami »), qui permettait aux internautes de poser des questions auxquelles il répondait en direct. Ces sessions de questions-réponses ont ensuite été compilées puis publiées sous forme d'une série de huit volumes. On peut donc penser que l’émission de radio sera aussi commercialisée en format MP3 ou CD, ou peut-être même en vinyle, le support préféré de Murakami.

En août dernier, il a également commencé à rédiger régulièrement des chroniques pour le magazine de mode « Popeye », qui ont pour thème sa collection personnelle de t-shirts. La question semble incongrue, mais aurait-il également l'intention de créer sa propre ligne de vêtements ?

Seul le temps nous dira si Murakami profitera de ces différentes opportunités pour vendre des produits dérivés. Quoi qu'il en soit, les chansons et les t-shirts préférés de l'auteur seront sans aucun doute écoutées et portés par ses fans dévoués (les « Harukistes ») au cours de futurs rassemblements, pendant lesquels ils dégusteront des plats délicieusement décrits dans ses romans, comme les hot cakes au Coca-Cola que mange le Rat dans Écoute le chant du vent.

Fin de carrière ou début d'une nouvelle étape créative ?

L'écrivain explique qu'il ne souhaite plus concourir pour le nouveau prix de littérature car il veut « se concentrer sur l'écriture, loin de l'attention des médias ». C'est une déclaration qui semble correspondre au Murakami que nous connaissons depuis ses débuts. Cependant, ces propos ne vont pas dans le sens de ses récentes activités centrées sur ses passions pour l'automobile ou les vêtements, ou encore son intérêt croissant pour les médias et le merchandising. Une raison plus vraisemblable de son retrait serait qu'il ne veut pas laisser passer la chance de se voir décerner le prestigieux Nobel de littérature, parce qu’il a remporté une récompense organisée en guise de protestation des récents déboires de l'Académie suédoise. Ou alors, ce changement est peut-être tout simplement un signe qu'il entre dans une nouvelle étape de créativité. Alors, que Murakami cherche activement à capitaliser sur sa renommée ou qu'il se prépare pour un épanouissement artistique en dernière partie de carrière, une chose est sûre : son statut de popstar littéraire mondiale lui garantira de continuer à vendre pendant encore un long moment beaucoup de livres et de produits dérivés.

(Texte écrit à l’origine en anglais. Photo de titre : Murakami Haruki au Danemark en août 2010. © Polfoto/Jiji Press Photo)

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