Les onomatopées japonaises : des sons, des images, des sensations…

Culture Le japonais

Potsu potsu (ploc ploc). Des gouttes commencent à tomber. Une petite pluie fine s’installe shito shito et aussitôt, les passants ouvrent leur parapluie. Ils pressent ensuite le pas quand il se met franchement à pleuvoir para para (flip-flip). Avant de se précipiter pour trouver un abri, dès que l’averse tourne au déluge zaa zaa.

Le japonais dispose d’un nombre très important de termes pour décrire les sons, et en particulier d’une quantité d’onomatopées beaucoup plus grande que bien des langues, entre autres l’anglais. « Onomatopée » vient du grec onomatopoiia qui signifie littéralement « mot créé pour imiter des sons produits par des êtres animés ou des objets ». Au Japon, l’usage des onomatopées va bien au-delà de la reproduction de sons (giongo, 擬音語), puisque certaines d’entre elles font référence à un état physique ou émotionnel (gitaigo, 擬態語).

Les onomatopées japonaises se présentent sous la forme de kana tirés d’un des deux syllabaires composés chacun de quarante-six signes phonétiques qui sont utilisés en complément des idéogrammes (kanji) pour transcrire la langue nippone. De ce fait, ceux qui apprennent le japonais, qu’ils soient originaires de l’Archipel ou du reste du monde, ne leur accordent en général pas autant d’attention qu’aux kanji. Au Japon, les enfants sont tenus de mémoriser un certain nombre d’idéogrammes chaque année, tout au long de leur scolarité. Et les adultes mesurent volontiers l’étendue de leurs connaissances en la matière à l’aide du « test d’aptitude pour les idéogrammes japonais » (kanji kentei) qui porte sur six mille caractères. Quant aux étudiants étrangers, ils évaluent souvent leur progrès linguistiques en fonction du nombre de kanji qu’ils ont réussi à assimiler.

Si les onomatopées jouissent d’un moindre prestige – qu’elles décrivent des sons ou des états –, c’est semble-t-il en partie parce que les habitants de l’Archipel apprennent beaucoup d’entre elles dès leur plus jeune âge. Mais cela ne veut pas dire pour autant qu’il s’agit d’un vocabulaire enfantin. Au Japon, les giongo mentionnés ci-dessus à propos de la pluie – potsu potsu et para para – ont parfaitement leur place dans une conversation normale entre adultes, contrairement à leurs équivalents français « ploc ploc » ou « flip-flip ». La même remarque vaut pour quantité d’autres expressions en apparence simples mais dont le sens peut sembler difficile à saisir en l’absence des précieuses indications qu’apportent les idéogrammes.

L’expression des sons dans la langue japonaise

Le terme utilisé le plus fréquemment au Japon pour désigner les onomatopées est giongo. Certains font toutefois une distinction entre giongo, limité aux bruits produits par des objets, et giseigo (擬声語), réservé aux sons émis par les êtres humains et les animaux. Quand les Japonais parlent d’animaux à de très jeunes enfants, ils utilisent souvent les onomatopées spécifiques correspondant à leurs cris. Wan wan (ouah ouah) signifie alors à la fois « aboiement » et « chien », et nyan nyan (miaou), « miaulement » et « chat ».

Bien qu’elles diffèrent à bien des égards de leurs équivalents dans les autres langues, les onomatopées japonaises obéissent à des règles facilement vérifiables quand on les rencontre pour la première fois. Les giongo qui contiennent les voyelles i et e font en général référence à des sons appartenant au registre du faible ou de l’aigu. En revanche, les onomatopées où figurent les lettres o, oo, u, et aa correspondent normalement à des sons plus forts et plus graves. Shito shito désigne ainsi une pluie fine et zaa zaa une grosse averse. De même shiku shiku signifie pleurer à bas bruit, en silence, alors que waa waa veut dire sangloter, pleurer à chaudes larmes.

On observe des constantes du même ordre en ce qui concerne les consonnes. Les onomatopées qui commencent par des consonnes sourdes comme k, s et t imitent des sons plus faibles que celles dont la première lettre est une consonne sonore telle que g, z ou d. Ton ton (toc toc) qualifie des petits coups discrets frappés sur une porte, tandis que don don (boum boum) témoigne d’un bruit nettement plus violent. De même, kasa kasa (crac crac) fait allusion au craquement léger des feuilles sèches sous les pas, alors que gasa gasa s’applique au frémissement des branches dans une forêt secouée par le vent.

Le sens des giongo est plus facile à comprendre quand on tient compte de ce type de constantes qui se vérifient d’ailleurs dans une certaine mesure dans les autres langues, en particulier en ce qui concerne les voyelles. En français « flic » indique par exemple un son plus faible que « flac » ou « floc ».

Des onomatopées qui décrivent des états physiques et émotionnels

Les giongo, loin de se limiter à la reproduction de sons par mimétisme, comprennent aussi des mots qui font davantage référence à des états physiques ou émotionnels (gitaigo). Waku waku correspond à une émotion intense, qu’il s’agisse de la joie ou de l’angoisse. Pika pika signifie « étincelant », « flambant neuf ». Kossori qualifie une action qui se fait secrètement, en toute discrétion, en douce. On trouve aussi des exemples d’onomatopées sans relation directe avec un son dans d’autres langues – par exemple bling bling, ric-rac, rikiki en français –, mais ils sont nettement plus rares qu’en japonais. C’est ce que les linguistes appellent des « idéophones » dont Claude Hagège donne la définition suivante dans son Dictionnaire amoureux des langues, paru aux Éditions Odile Jacob en 2009 : « Beaucoup de langues, mais non toutes, possèdent [...] des idéophones, ou mots qui, comme le dit ce terme, offrent une peinture sonore d'une idée, pour symboliser un état, une impression sensorielle, une manière d'être ou de se mouvoir, une action qui n'est pas nécessairement elle-même reproductrice d'un bruit. »

Parfois la distinction entre giongo et gitaigo est difficile à établir, comme pour doki doki qui signifie avoir le trac, c’est-à-dire l’angoisse irraisonnée que l’on éprouve avant de passer un entretien ou d’entrer sur scène. Si doki doki évoque indéniablement le bruit du cœur (toc toc) qui se met à battre la chamade, ce mot fait surtout référence à l’état émotionnel suscité par le trac. Un grand nombre d’autres onomatopées japonaises font en même temps allusion à un mouvement et au son qui l’accompagne. Mais ceux qui sont en train d’apprendre la langue de l’Archipel n’ont pas besoin de se préoccuper de distinctions aussi subtiles.

Certaines onomatopées japonaises ont un sens différent suivant qu’elles font office de giongo ou de gitaigo. Comme nous l’avons vu plus haut, don don évoque le son de coups violents frappés sur une porte (boum boum) ou le roulement d’un tambour (rantaplan). Toutefois cette onomatopée peut signifier aussi « sans cesse » ou « de façon continue » dans le cas d’une action ou d’un mouvement. Gata gata (criii) correspond non seulement à un grincement mais aussi à l’état d’un édifice « branlant » ou « instable ». Une astuce qui permet de s’y retrouver, c’est que les giongo sont en général transcrits à l’aide de katakana alors que les gitaigo sont le plus souvent écrits en hiragana. Mais il ne faut jamais oublier qu’il n’existe aucune règle établie en la matière.

Un vocabulaire d’une grande richesse

Quand on les traduit dans une autre langue, les giongo prennent fréquemment la forme d’un adverbe ou d’un adjectif. Les onomatopées accolées à un verbe comme warau (rire), naku (pleurer) ou taberu (manger) ont un rôle similaire à celui qui leur est assigné en français par exemple. Kusu kusu warau signifie « rire sous cape », « avoir un rire étouffé » alors que gera gera warau veut dire « rire à gorge déployée » ou « bruyamment ». Gatsu gatsu taberu se traduit par « manger goulûment » ou « se goinfrer », et mogu mogu taberu par « mâchonner » ou « mordiller ».

Les giongo et les gitaigo comportent beaucoup d’autres nuances de sens très subtiles qui n’ont pas toujours un équivalent dans les autres langues. C’est pourquoi ces mots qui sont pourtant d’un usage courant dans la vie de tous les jours ne sont pas toujours faciles à maîtriser. Mais les onomatopées font partie intégrante de la langue de l’Archipel. Et même si on ne leur accorde pas autant d’importance qu’aux kanji, elles ne doivent en aucun cas être négligées par ceux qui apprennent le japonais et veulent le parler « couramment » (pera pera) et le lire « sans peine » (sura sura).

Exemples d’onomatopées évoquant des sons (giongo) ou des états physiques et émotionnels (gitaigo)

Sons produits par des êtres humains
Gohon (kof kof !) toux
Wai wai (brouhaha) discussion animée, cris, bruit de jeux
Cris émis par des animaux
Mô mô (meuh !) meuglement de la vache
Kaa kaa (crôa crôa !) croassement du corbeau
Sons produits par un phénomène naturel
Hyû hyû (whou-ou-ou-ou) bruit du vent
Goro goro (baoumbadaboum !) grondement du tonnerre
Autres sons
Rin rin (drelin-drelin) tintement de la sonnette d’une bicyclette
Saku saku (crac crac !) craquement produit quand on marche sur la neige ou que l’on mord dans un fruit
Description d’un mouvement
Guru guru tourner, mouvement de rotation
Yukkuri sans hâte, sans se presser, lentement, à loisir
Évocation d’un état, d’une consistance
Bisshori suer à grosse gouttes, être trempé de sueur
Fuwa fuwa évoque quelque chose de léger, de délicat, par exemple une texture moelleuse ; ou encore quelque chose qui s’envole ou qui flotte, comme les nuages
Description d’une sensation physique
Kuta kuta se sentir épuisé, sans énergie
Muka muka avoir la nausée, avoir mal au cœur
Évocation d’une émotion
Ira ira irritation, colère, hargne, impatience
Kuyo kuyo tristesse, mélancolie, inquiétude

(Adapté d’un texte original en anglais du 13 octobre 2015. Photo de titre, avec l’aimable autorisation de Shinichi Higashi)

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