La justice japonaise face aux erreurs judiciaires

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Depuis la découverte récente de plusieurs erreurs judiciaires, le système judiciaire japonais est fortement remis en question. Un Népalais a, entre autres exemples, été emprisonné pendant quinze ans pour un meurtre qu’il n’a pas commis. Sano Shinichi, qui a suivi l’affaire en tant que journaliste, explique comment cet homme a été condamné à tort et en quoi son histoire est emblématique de la crise que traverse le système judiciaire japonais.

Le 7 juin 2012, la Haute cour de Tokyo a statué sur le cas de Govinda Prasad Mainali en lui accordant un nouveau procès. En 1997, cet homme originaire du Népal avait été condamné à la prison à vie pour le meurtre d’une employée de la Compagnie d’électricité de Tokyo (Tepco) et il purgeait sa peine dans une prison de Yokohama. La Haute cour a aussi décidé de mettre fin à sa détention le jour même. Govinda Prasad Mainali a alors été transféré de sa cellule au bureau de l’immigration du district de Yokohama puis renvoyé au Népal le 15 juin, où il n’était pas rentré depuis dix-huit ans.

Au Japon, bénéficier d’un nouveau procès est déjà quelque chose de tout à fait inhabituel. Mais ce qui est vraiment extraordinaire dans l’affaire du meurtre de l’employée de Tepco, c’est que Govinda Prasad Mainali est sorti de prison le jour même et qu’il a été renvoyé presque aussitôt après dans son pays natal.

Un nouveau procès justifié par des tests ADN

On ne peut que se réjouir que Govinda Prasad Mainali soit retourné au Népal où il a retrouvé sa famille après avoir passé quinze ans derrière les barreaux pour un crime qu’il n’a pas commis. Mais avant d’en arriver là, il a fallu des efforts gigantesques pour venir à bout des énormes obstacles qui s’opposaient à un nouveau procès, et déclencher une remise en question du système judiciaire japonais et de sa capacité à se réformer.

La décision inattendue de la Haute cour de Tokyo est survenue au beau milieu d’une série d’affaires qui ont ébranlé la confiance du public dans le système judiciaire et provoqué une crise au sein du Ministère de la justice japonais. Rappelons pour mémoire le cas de Sugaya Toshikazu, condamné en 1990 pour le meurtre d’une fillette de quatre ans et acquitté en 2010 à la suite de nouveaux tests ADN. Ou celui de Sugiyama Takao et de Sakurai Shôji accusés de vol avec assassinat et mis en liberté conditionnelle en 1996 après être restés vingt-neuf ans en prison. Ou encore les accusations non fondées de falsification de documents formulées en 2009 contre Muraki Atsuko, ancien directeur général du Bureau de la famille, de l’enfant et de l’égalité devant l’emploi qui dépend du Ministère de la santé, du travail et des affaires sociales.

La décision prise par la justice dans l’affaire Govinda Prasad témoigne d’une volonté courageuse de redonner confiance dans le système judiciaire, et à ce titre elle mérite d’être saluée. Le facteur décisif qui est directement à l’origine de la réouverture du dossier, ce sont de nouveaux tests ADN qui ont démontré que les poils pubiens trouvés sur le lieu du crime et le sperme découvert sur le corps de la victime n’appartenaient pas à l’accusé. La preuve irréfutable de l’innocence de Govinda Prasad Mainali a été apportée en 2011, l’année où l’Archipel a été frappé par un désastre sans précédent provoqué par un gigantesque tsunami et l’accident nucléaire de Fukushima qui en a résulté. La façon dont les choses se sont passées dans le monde judiciaire au moment même où se produisait un cataclysme naturel pourrait être interprétée comme une coïncidence historique.

La catastrophe nucléaire de Fukushima a mis fin au mythe de la sécurité de l’énergie nucléaire dans lequel croyaient les Japonais. Et dans le même temps, les scandales judiciaires récents ont ébranlé la confiance du peuple japonais dans la justice. Mais peut-on dire pour autant que le mythe de l’infaillibilité de la justice n’a plus cours ?

Quand on a annoncé que Govinda Prasad Mainali serait rejugé, le Bureau des procureurs du ministère public de Tokyo a immédiatement fait opposition et le procureur en chef adjoint a qualifié la décision d’« absolument inacceptable ». Une pareille réaction à ce stade de l’affaire est tout simplement ridicule. Si les procureurs veulent s’épargner de nouvelles humiliations, ils feraient mieux d’annuler leur démarche, qui n’a pas d’autre objectif que de les protéger, eux et leur corporation. Tenter de faire obstruction pour sauvegarder ses intérêts au moment précis où la décision de la Haute cour de Tokyo redonne confiance dans le système judiciaire japonais, c’est une attitude complètement infantile.

Un système favorable au ministère public

Les êtres humains commettent parfois des erreurs. Quand cela se produit, la personne qui s’est trompée est d’autant plus crédible qu’elle sait reconnaître ses torts et s’excuser. C’est une chose dont nous avons eu l’occasion de prendre particulièrement conscience en 2011, après la catastrophe du 11 mars.

Pourquoi y a-t-il toujours autant d’accusations injustifiées dans le système judiciaire japonais ? La première raison, c’est le manque de transparence dans la communication des preuves et des témoignages. Prenons pour exemple l’affaire Mainali sur laquelle j’ai enquêté en tant que journaliste. Le conflit qui a opposé l’accusation et la défense à propos de la communication des pièces du dossier fait penser au jeu de Reversi, dans lequel chaque joueur retourne les choses à sa façon et transforme la vérité en mensonge et inversement. Ceux qui ne connaissent pas bien le monde de la justice doivent penser que les procureurs et les avocats de la défense sont sur un pied d’égalité. Or ce n’est absolument pas le cas. Si la défense cherche à se faire communiquer une pièce qui est défavorable au ministère public, celui-ci peut faire obstruction. Certains seront sans doute choqués de l’apprendre, mais c’est ce qui s’est passé pour Govinda Prasad Mainali.

Dans cette affaire, les tests ADN prouvaient dès le début que la salive trouvée sur le corps de la femme assassinée quinze ans plus tôt n’était pas celle de l’accusé. La défense a demandé à ce que ces tests soient considérés comme une nouvelle preuve, mais les procureurs ont freiné des quatre fers et n’ont donné leur accord qu’en juillet 2011.

Depuis le mois de mai 2009 et l’instauration de procès avec jury, toutes les pièces que demande la défense à l’accusation doivent lui être communiquées pendant les procédures préliminaires. Mais jusque-là, la bataille entre les deux camps ne se déroulait pas de façon équitable. Pour reprendre l’exemple de Reversi, seule l’accusation pouvait "obtenir les coins", les emplacements décisifs sur le plateau du jeu. Dans ces conditions, il n’y a rien d’étonnant à ce qu’un innocent ait été condamné à tort.

Remettre en question les hypothèses : une nécessité absolue

Un autre point sur lequel il faut insister, c’est la tendance de la police à ne pas vouloir revenir sur ses premières hypothèses dans une enquête.

Quand la décision d’accorder un nouveau procès à Govinda Prasad Mainali a été annoncée, un fonctionnaire du département de la police métropolitaine à qui l’enquête sur le meurtre avait été confiée a déclaré qu’« il n’y avait eu absolument aucune erreur au cours de l’enquête ». Je suis resté stupéfait quand j’ai entendu ce même policier affirmer qu’il était convaincu que l’accusé était le meurtrier parce qu’il l’avait vu sourire durant l’enquête !

Mener une enquête de cette façon, c’est faire preuve d’un manque total de responsabilité. Comment la police et le ministère public peuvent-ils dédommager Govinda Prasad Mainali pour les précieuses années qu’il a perdues uniquement à cause de leur comportement inadmissible ? Rien que de penser à la façon dont les choses se sont passées, je sens la colère monter en moi.

Les accusations mensongères portées contre cet homme originaire du Népal sont aussi le reflet du racisme des Japonais vis-à-vis des minorités ethniques. Le tribunal n’aurait pas condamné l’accusé à la prison à perpétuité s’il avait été originaire d’un pays d’Europe, des Etats-Unis, de la Corée du Sud ou de la Chine, et ce tout simplement à cause des réactions politiques que cela aurait provoquées. Parce qu’il n’était qu’un simple ouvrier journalier venu du Népal, une nation pauvre de l’Asie, Govinda Prasad Mainali a été considéré comme un suspect pendant l’enquête et déclaré coupable à l’issue d’un procès bâclé. D’ailleurs au moment où le meurtre a eu lieu, le Népal était le pays qui bénéficiait le plus de l’aide publique au développement dispensée par le gouvernement japonais. Pourtant le premier venu aurait compris qu’il ne pouvait pas être le meurtrier rien qu’en se rendant sur les lieux du crime. Le corps de la femme assassinée a été découvert à moins d’un mètre de la pièce où vivait le présumé coupable. La victime a été tuée en pleine nuit, le 8 mars 1997, mais son corps a été seulement retrouvé onze jours plus tard, le 19 mars. Si Govinda Prasad Mainali avait été l’auteur de ce crime, il aurait eu largement le temps de prendre la fuite. Or loin de chercher à quitter l’Archipel, il s’est présenté spontanément à la police parce qu’il avait dépassé la date limite de son autorisation de séjour au Japon. On voit mal comment quelqu’un — mis à part Hannibal Lecter, le tueur en série de Dragon rouge, le roman de Thomas Harris — aurait pu rester près de deux semaines à proximité du cadavre d’une femme qu’il avait assassinée.

Faire la lumière sur les méthodes de la police

Aussitôt après le meurtre de l’affaire Tepco, je me suis rendu au Népal pour rencontrer les hommes qui vivaient dans le même logement que Govinda Prasad Mainali, à Tokyo. Durant ce voyage, j’ai découvert la preuve irréfutable que ce dernier avait été accusé à tort de ce crime.

Un de ses colocataires m’a en effet démontré que Govinda Prasad Mainali avait un alibi. Un autre m’a raconté qu’il avait été frappé par la police et que celle-ci lui avait trouvé un bon emploi en échange d’une déclaration accusant Govinda Prasad Mainali. Voilà comment la police a manié la carotte et le bâton pour faire du Népalais un meurtrier. J’ai vérifié les témoignages de ces hommes à mon retour au Japon. Celui qui affirmait avoir été frappé par la police pendant l’enquête m’avait confié les feuilles de soins qu’on lui avait remis à l’hôpital où il avait été soigné. Une visite m’a permis de confirmer qu’on l’avait bien traité pour des blessures dans cet établissement hospitalier. Je suis resté encore plus stupéfait quand j’ai découvert que, pour le faire taire, la police lui avait effectivement trouvé un travail chez un prêteur sur gages dont le patron était un ancien policier. La vérité est ainsi apparue au grand jour. La police a fait embaucher un Népalais en situation irrégulière bien qu’elle sache que, ce faisant, elle violait la Loi sur le contrôle de l’immigration et le droit des réfugiés.

J’ai contacté le prêteur sur gages en question en me faisant passer pour un client, mais curieusement il a mis la clef sous la porte sans laisser de traces dès le lendemain, peut-être parce qu’il se doutait que j’étais journaliste. En poursuivant cette enquête, j’ai parfois même eu peur pour ma vie.

La seule façon pour le Japon de mettre fin aux condamnations d’innocents par la justice, c’est de rendre les enquêtes de la police complètement transparentes et de donner entièrement accès aux pièces du dossier.

L’affaire du meurtre de l’employée de Tepco

Le 19 mars 1997, le corps sans vie d’une femme de 39 ans employée de l’entreprise Tepco a été découvert dans un appartement vide situé au rez-de-chaussée d’un immeuble de Maruyamachô, dans le quartier de Shibuya. La victime était morte étranglée dans la nuit du 8 mars, et 40 000 yens avaient été dérobés dans son sac. Un Népalais de 37 ans qui vivait dans l’appartement voisin et répondait au nom de Govinda Prasad Mainali a quitté les lieux pour éviter d’avoir des ennuis en tant qu’immigré en situation illégale. Mais dès qu’il a su qu’il était soupçonné du meurtre, il s’est présenté de lui-même à la police. Il a été inculpé une première pour violation de la Loi sur le contrôle de l’immigration et les droits des réfugiés, et une seconde pour meurtre et vol. Govinda Prasad Mainali a toujours clamé son innocence ce qui ne l’a pas empêché d’être condamné à la prison à vie sous prétexte qu’il était la seule personne susceptible d’être présente sur les lieux du crime et que ses déclarations n’étaient pas crédibles. Le jugement a été confirmé par la Cour suprême qui a rejeté l’appel du condamné.

Le 24 mars 2005, Govinda Prasad Mainali a interjeté appel et demandé un nouveau procès à la Haute cour de Tokyo. Le 7 juin 2012, cette même cour a annoncé qu’il y aurait un nouveau procès et décidé de le libérer. Dès sa sortie de la prison de Yokohama où il était incarcéré, Govinda Prasad Mainali a été emmené au Bureau de l’immigration du district de Yokohama puis expulsé du Japon pour infraction à la Loi sur le contrôle de l’immigration et les droits des réfugiés. Il est rentré au Népal le 16 juin.

(D’après un article en japonais du 11 juillet 2012. Photographie de titre : Govinda Prasad Mainali au moment de son retour au Népal, Jiji Press)

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