Les hydrates de méthane : une nouvelle source potentielle d’énergie sur la sellette

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En mars 2013, des chercheurs japonais ont réussi à extraire du gaz d’hydrates de méthane de sédiments sous-marins proches de l’Archipel, ce qui constituait une première mondiale. Mais ce gaz ne pourra devenir une ressource énergétique fiable qu’une fois qu’un certain nombre de problèmes techniques auront été résolus.

Le 1er avril 2013, le bureau de la politique maritime du gouvernement japonais a présenté les grandes lignes de son programme pour les cinq années à venir, où les hydrates de méthane tiennent une place tout à fait remarquable. Le nouveau Plan cadre sur la politique maritime prévoit une évaluation de l’étendue des gisements d’hydrates de méthane contenus dans les sédiments des fonds marins qui entourent le Japon ainsi que le développement des techniques nécessaires pour extraire de façon rentable le méthane qu’ils contiennent.(*1)

L’intérêt pour cette nouvelle source d’énergie naturelle ne cesse de croître depuis le 12 mars dernier, date à laquelle on a réussi pour la première fois à extraire du gaz de dépôts sous-marins d’hydrates de méthane situés dans la fosse de Nankai, au large de la préfecture d’Aichi. Mais les perspectives offertes par le gaz d’hydrates de méthane sont encore floues. Si les medias l’ont présenté comme une ressource énergétique locale susceptible de résoudre le casse-tête énergétique du Japon, certains chercheurs sont beaucoup plus sceptiques et considèrent qu’il n’a aucun avenir.

Dans les lignes qui suivent, j’ai essayé d’évaluer le potentiel réel des hydrates de méthane en tant que ressource énergétique en m’appuyant uniquement sur des informations de première main.

Gaz d’hydrates de méthane versus gaz naturel conventionnel

La majorité des scientifiques considèrent que les gisements sous-marins de gaz naturel conventionnel, qui est constitué pour l’essentiel de méthane, se forment dans l’écorce terrestre à partir de débris animaux et végétaux décomposés, en particulier de plancton, et dans des conditions de température et de pression atmosphérique élevées. Les hydrates de méthane, en revanche, apparaissent dans des sédiments situés soit sous le plancher océanique, soit à une profondeur d’enfouissement relativement faible dans les zones où le sol est gelé en permanence (pergélisol). 

Le graphique ci-dessous (figure 1) met en évidence le type d’environnement dans lequel le méthane est susceptible de se trouver, à savoir quand il y a décomposition de matière organique par des bactéries anaérobies (dans un milieu dépourvu d’oxygène), ou quand la température et la pression sont élevées, dans la mesure où il y a présence d’eau (même à l’intérieur de l’écorce terrestre). Dans les conditions d’environnement qui correspondent au bas de la partie gauche du graphique, ces éléments se combinent pour former un composé solide constitué de molécules de gaz emprisonnées dans un réseau de molécules d’eau disposées en cage (voir figure 2).

Figure 1.   Zone sous-marine de stabilité potentielle des hydrates de méthane

Source : Consortium de recherches sur les ressources en hydrates de méthane du Japon (EN)

Les conditions de formation des hydrates de méthane dans les fonds marins sont réunies à partir d’une profondeur de 500 mètres, où la température de l’eau est souvent inférieure à 5°C. C’est pourquoi les réserves marines de gaz d’hydrates de méthane pourraient être beaucoup plus importantes que celles de gaz conventionnel. Mais les hydrates de méthane sont nettement moins fréquents sur les continents puisqu’on en a découvert seulement dans le sol gelé en permanence (pergélisol) des hautes latitudes de pays tels que le Canada et la Russie.

Figure 2. La structure des hydrates de méthane : les molécules de gaz (en vert) sont emprisonnées dans des molécules d’eau (en rouge) formant des cristaux de glace. (Avec l’aimable autorisation du Consortium de recherches sur les ressources en hydrates de méthane du Japon)

Les recherches menées depuis des années par le Japon ont permis de montrer que les fonds sous-marins qui entourent l’Archipel contiennent des gisements importants d’hydrates de méthane. Et on a tout lieu de supposer qu’il en va de même pour le plateau continental qui borde les rivages de toute la planète. Du fait de sa situation le long du continent eurasiatique, l’archipel japonais est environné de nombreux fonds propices à la formation d’hydrates de méthane.

A en croire les médias, la quantité de gaz d’hydrates de méthane contenue dans le périmètre des eaux territoriales japonaises équivaudrait à celle du gaz naturel conventionnel consommé pendant un siècle au Japon. Mais ce chiffre, tiré d’une étude effectuée en 1996, ne semble pas très fiable à en juger ne serait-ce que par l’étendue limitée des gisements repérés jusqu’à présent. Les estimations proposées à partir des résultats des tentatives d’extraction de la fosse de Nankai, par exemple, évaluent la quantité de gaz contenue dans cette zone à onze fois celle du gaz naturel liquéfié (GNL) importé par le Japon en 2011.

(*1) ^ Le 26 avril 2013, le cabinet du Premier Ministre Abe Shinzô a approuvé officiellement le nouveau Plan cadre sur la politique maritime du Japon. — N.D.L.R.

Des techniques d’extraction complexes et coûteuses

Les sédiments des fonds marins sont probablement très riches en hydrates de méthane, mais l’extraction du gaz qu’ils contiennent est extrêmement compliquée, d’où le développement très lent de cette nouvelle source d’énergie. Une fois que le gaz contenu dans les hydrates de méthane est extrait et isolé, il peut être traité et utilisé comme n’importe quel autre type de gaz naturel, qu’il s’agisse du GNL ou du gaz de schiste qui connaît un essor économique remarquable depuis quelques temps.

Le premier obstacle à l’exploitation du gaz d’hydrates de méthane en tant que source potentielle d’énergie, c’est qu’il n’existe pas encore de techniques efficaces pour extraire les molécules de méthane des « cages » constituées de molécules d’eau qui les retiennent prisonnières. Comme on le voit sur le graphique ci-dessus (figure 1), pour déstabiliser les hydrates de méthane et dissocier l’eau du méthane, il faut qu’il y ait une augmentation de la chaleur ou une diminution de la pression environnante (dépressurisation). Mais si l’on veut obtenir une quantité relativement importante de gaz, cette opération doit se faire sur une zone étendue.

Les premières tentatives japonaises d’extraction de gaz d’hydrates de méthane, qui se sont déroulées entre 2001 et 2008, ont été  effectuées sur des gisements canadiens situés sous le pergélisol, ce qui avait le mérite d’éviter les complications inhérentes au travail en eau profonde. La technique utilisée a été celle de l’extraction par injection thermique qui consiste à envoyer de la vapeur ou de l’eau chaude dans la zone où se trouvent les hydrates pour élever la température et provoquer la séparation des molécules de gaz et d’eau. Mais les réactions chimiques survenues durant cette phase de dissociation ont absorbé la chaleur nécessaire pour faire fondre les hydrates de méthane  et séparer l’eau du méthane, tant et si bien que la production de gaz s’est arrêtée après l’exploitation d’une zone très limitée. La tentative suivante a débuté en 2007, après une étude approfondie. La technique de l’injection thermique a été remplacée par celle de la dépressurisation qui consiste à forer un puits à travers la couche d’hydrates où est emprisonné le méthane. L’extraction du gaz engendre une diminution de la pression qui a pour effet de dissocier la couche d’hydrates et de libérer le méthane. Le recours à cette méthode a permis de produire du méthane pendant six jours consécutifs. Quand cette expérience a pris fin, les techniciens qui étaient présents sur place étaient convaincus qu’elle aurait pu durer encore plus longtemps. Le succès de cette seconde tentative continentale a démontré que la méthode d’extraction du gaz d’hydrates de méthane par la dépressurisation est plus rentable que celle de la stimulation thermique.

La seconde difficulté posée par l’extraction du gaz d’hydrates de méthane c’est que ceux qui sont contenus dans les fonds sous-marins sont en général intercalés entre des couches de sédiments instables et que la dépressurisation a tendance à provoquer un afflux de sédiments dans le puits de forage ou à solidifier à nouveau la couche d’hydrates de méthane, du fait de la pression exercée par la couche de sédiments. Durant la seconde phase des essais, qui a débuté en 2009, plusieurs techniques permettant de résoudre ces problèmes ont été mises au point, et en mars 2013, ces avancées ont porté leurs fruits. Les chercheurs ont en effet réussi pour la première fois à produire du gaz à partir d’hydrates de méthane situés dans des sédiments sous-marins et, ce faisant, ils ont surmonté un obstacle majeur à la commercialisation de cette source d’énergie.

La controverse sur les hydrates de méthane

Ishii Yoshinori, professeur émérite de l’Université de Tokyo et ex-directeur de l’Institut national des études sur l’environnement a toujours été opposé aux programmes de développement du gaz d’hydrates de méthane. Quand le Japon s’est lancé sérieusement dans des recherches sur l’exploitation de cette source d’énergie, au début des années 1990, il présidait un comité de recherches très important, ce qui a donné d’autant plus de poids aux critiques qu’il a formulées par la suite. Il y a vingt ans, on pensait qu’il y avait des gisements de gaz libre produit par l’énergie géothermique sous les couches d’hydrates de méthane et que ce gaz pouvait être facilement extrait du sol. Mais Ishii Yoshinori est arrivé à la conclusion que l’existence de ce gaz est improbable, que le coût de l’exploitation des hydrates de méthane est prohibitif et qu’ils ne constituent pas vraiment une ressource énergétique fiable.

Jusqu’à une date récente, un grand nombre de chercheurs considéraient eux aussi que l’extraction du gaz d’hydrates de méthane n’était pas rentable du point de vue économique. Mais les progrès techniques plus rapides que prévu auxquels on a assisté depuis et l’extraction de gaz de gisements considérés jusque-là comme inexploitables en raison des frais prohibitifs que cela impliquait — entre autres de gaz de schiste, de pétrole de schiste, de sables bitumeux ou en offshore profond — ont mis les hydrates de méthane dans une position nettement plus favorable. Par ailleurs la flambée des prix du pétrole brut, qui ont été multipliés par seize entre 1999 et 2008, a rendu caduque la conception traditionnelle du rapport coût-efficacité si bien que les hydrates de méthane sont à présent considérés comme une ressource énergétique potentielle, même si les coûts de production sont encore relativement élevés.

Il n’en reste pas moins que certains obstacles importants devront être surmontés avant que le gaz d’hydrates de méthane puisse être commercialisable. Les tentatives récentes d’extraction de méthane de gisements d’hydrates sous-marins ont été interrompues par un afflux de sédiments plus important que prévu dans les puits de forage. Qui plus est, la dissociation du méthane et de l’eau n’a été effective que dans un rayon de vingt mètres autour des puits de forage. Et à supposer que ces problèmes techniques soient résolus, la commercialisation du gaz d’hydrates de méthane ne sera envisageable que si son prix est compétitif par rapport à ceux du gaz de schiste ou des autres types de gaz présents sur le marché.

Une nouvelle série de tentatives d’extraction de gaz d’hydrates de méthane en eau profonde devrait prendre fin en 2015. Elle sera suivie d’une dernière phase d’évaluation qui durera de 2016 à 2018. Le Plan cadre sur la politique maritime, dont il a été question au début de cet article, prévoit la mise au point des techniques nécessaires pour la commercialisation de ce type de gaz d’ici l’année fiscale 2018 (avril 2018-mars 2019), puis une évaluation de la situation internationale et des progrès techniques accomplis dans ce domaine qui devrait déboucher sur une exploitation commerciale privée du gaz d’hydrates de méthane entre 2023 et 2027.

Malheureusement, les objectifs de ce plan cadre ont été si mal interprétés par les medias qu’on a pu croire que cette nouvelle source d’énergie serait disponible dès 2018, soit d’ici cinq ans. Les medias avaient sans doute l’intention méritoire d’attirer l’attention du public sur le gaz d’hydrates de méthane mais ils n’en ont pas moins sous estimé les problèmes que son exploitation pose encore.

Les hydrates de méthane : une source d’énergie encore expérimentale

Pour évaluer l’importance d’un produit, y compris les méthodes de production de l’énergie, on utilise une échelle composée de cinq niveaux :

Niveau 0 : aucune valeur de production
Niveau 1 : production scientifiquement possible (production expérimentale)
Niveau 2 : production techniquement possible (pré-production)
Niveau 3 : Production rentable (production commerciale)
Niveau 4 : révolution industrielle

La production de gaz d’hydrates de méthane en est actuellement au niveau 1. Ishii Yoshinori dirait sans doute qu’elle ne dépassera jamais le niveau 0, mais les tentatives d’extraction sous-marines sont déjà proches du niveau 2. A titre de comparaison, les voitures hybrides sont restées pendant longtemps au niveau 0 et il a fallu attendre que Toyota et Honda fassent de gros efforts pour qu’elles s’élèvent jusqu’au niveau 3. Mais elles n’ont jusqu’à présent jamais atteint le niveau 4, en raison de la part de marché peu importante qu’elles occupent.

Quitte à se faire traiter de pessimiste, on doit admettre que l’idée de résoudre le casse-tête énergétique du Japon avec le gaz d’hydrates de méthane est tout simplement hors de question. Avant d’envisager la commercialisation de cette nouvelle source d’énergie, il faut disposer des moyens techniques adéquats pour permettre une production continue. Dans le meilleur des cas, le gaz naturel ne constituera au maximum que 20 % de la consommation énergétique du Japon, soit la moitié du pétrole. En raisons de problèmes liés à un usage stable, les gaz naturels comprimés ne semblent guère susceptibles de remplacer le pétrole en tant que carburant pour automobiles dans un avenir proche.

Les fonds sous-marins situés dans la limite des eaux territoriales japonaises contiennent indéniablement des gisements importants de gaz d’hydrates de méthane exploitables, mais ce type de source potentielle d’énergie ne pourra au mieux répondre qu’à une partie des besoins énergétiques de l’Archipel. La meilleure chose à faire pour le moment, c’est d’observer calmement l’évolution de la situation dans le domaine des ressources énergétiques de l’avenir. 

(D’après un article en japonais du 8 avril 2013. Photo du titre : hydrate de méthane en train de brûler, avec l’aimable autorisation du Consortium de recherches sur les ressources en hydrates de méthane du Japon.)

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