Enlèvements internationaux d'enfants par leurs mères japonaises

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Le Japon va enfin devenir partie à la Convention de La Haye sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants par l'un de leurs parents. Nous présentons quelques éléments de réflexion sur les raisons qui peuvent conduire des femmes japonaises à agir de cette manière, et sur les aménagements à prévoir une fois que le Japon signera cette Convention.

Le Parlement japonais a approuvé le 22 mai l'adhésion du Japon à la Convention sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants (ci-après la Convention de La Haye), un traité qui tente de résoudre le problème de l'enlèvement parental transfrontalier.

A partir de l'époque où l'économie japonaise est entrée dans une bulle spéculative, le nombre de mariages internationaux (entre une personne de nationalité japonaise et une personne d'une autre nationalité) a connu une croissance remarquable. Après l'éclatement de cette bulle, l'augmentation a surtout concerné les mariages célébrés hors du Japon entre des femmes japonaises et des hommes d'une autre nationalité, comme le montre le graphique ci-après. Ces dernières années, les troubles liés à la fin de ces mariages, et plus précisément le retour au Japon des ex-épouses japonaises avec leurs enfants, est fréquemment source de problèmes.La Convention de La Haye, rédigée en 1980 par la Conférence de La Haye de droit international privé, a été ratifiée à l'heure actuelle par 89 pays et territoires, mais en Asie, seuls la République de Corée, Hong Kong, Macao, Singapour, la Thaïlande, et le Sri Lanka y ont adhéré.

Depuis 2005 environ, plusieurs pays d'Amérique du Nord et d'Europe faisaient pression sur le Japon pour qu'il y adhère, en raison du nombre relativement élevés de mariages entre leurs ressortissants et des femmes japonaises. Une fois que le Japon aura complété le processus d'adhésion à la Convention de La Haye, elle s'appliquera aux enlèvements internationaux d'enfants issus non seulement de mariages internationaux mais aussi de mariages entre ressortissants japonais.

J'ai été invitée à participer pendant l'été 2012 à l'International Visitor Leadership Program (IVLP) du Département d'Etat américain. Le thème de mon séjour était la Convention de La Haye. Pour les Etats-Unis, le Japon et l'Inde sont les deux plus grands pays de la région Asie auteurs d'enlèvements internationaux. L'approbation par le Parlement japonais de l'adhésion à la Convention de La Haye représente à cet égard un progrès considérable et il faut dès à présent veiller à empêcher ces enlèvements et à lancer les aménagements juridiques qu'il nécessite.

Des Japonaises recherchées par le FBI

Qu'est-ce qui peut amener des femmes japonaises à se rendre coupables d'enlèvements internationaux ?

Premièrement, il est possible qu'une femme japonaise qui retourne chez ses parents au Japon avec son ou ses enfants sans en informer son mari n'ait pas conscience de commettre un enlèvement. Au Japon, le droit parental n'est pas partagé, alors qu'il l'est en Europe et en Amérique du Nord. Dans ces pays, on considère que même après un divorce, il est important pour le développement de l'enfant qu'il reste en contact avec ses deux parents.

Le site Internet du consulat du Japon à San Francisco avertit qu'emmener dans son pays son ou ses enfants sans l'accord de l'autre parent constitue un crime. Les Etats-Unis sont un pays fédéral où le droit de la famille diffère selon les Etats, et où tout crime ou délit impliquant plusieurs Etats relève de la compétence du FBI. Dans ce pays où le taux de divorce est élevé, on se lance dans une procédure de ce genre avec un avocat. Les « enlèvements » sont fréquents en cas de conflits entre les époux. Le FBI publie sur son site des listes des personnes recherchées, avec leurs photos et des informations à leur sujet. Dans la section intitulée « les enlèvements parentaux » apparaissent plusieurs visages de femmes japonaises, ainsi que des photos de leurs enfants, c'est-à-dire des victimes de ces enlèvements.

Au Japon, 90 % des divorces se font par consentement mutuel, sans passer par un tribunal, et la grande majorité des autres, par une procédure de conciliation au tribunal familial. Les divorces nécessitant une décision d'un tribunal ou les divorces par procès sont rares. Le droit parental est généralement attribué après un accord entre les époux. Depuis les années 1960, période de croissance rapide de l'économie japonaise, il revient majoritairement (dans près de 80 % des cas aujourd'hui) à la mère. Cela explique que des femmes qui ont grandi au Japon considèrent comme allant de soi l'idée de repartir chez leurs parents avec leur(s) enfant(s).

Une double minorité

Deuxièmement, une femme japonaise mariée à l'étranger peut avoir du mal à faire appel à un avocat pour négocier son divorce.

En Europe et en Amérique du Nord, avoir recours à un avocat au moment d'un divorce est fréquent. Il est difficile d'imaginer qu'une personne économiquement faible réussisse à trouver les fonds pour s'assurer les services coûteux d'un bon avocat.

Les épouses japonaises vivant à l'étranger font partie d'une double minorité : elles sont femmes et étrangères. Rares sont celles qui ont un vrai emploi dans le pays où elles ont immigré. Aux Etats-Unis par exemple, la probabilité qu'une femme originaire d'un pays d'Asie, y compris le Japon, soit dans une situation économique moins favorable qu'une femme américaine est élevée. Ces femmes qui sont nées et ont grandi dans des pays où la position de faiblesse des femmes est considérée normale ne se perçoivent pas comme faibles aux Etats-Unis, pays où la norme dans un couple est que les deux époux travaillent. Mais lorsque leur mariage s'effondre, elles souffrent d'un handicap économique dans un pays qui n'est pas le leur, tout en devant cependant assurer leur subsistance.

Troisièmement, il faut sans doute mentionner la fragilité des réseaux que ces femmes ont pu se constituer dans le pays où elles ont immigré. Ces Japonaises, issues de familles nucléaires de banlieue qui se sont généralisées pendant la période de croissance rapide de l'économie japonaise, ont souvent été élevées dans des familles centrées sur le rapport à la mère. Pour elles, recréer une famille de ce type à l'étranger, sans lien avec la communauté dans laquelle elles se trouvent, ne leur paraît nullement étrange, en tout cas pas au début. De plus, elles ont aussi souvent tendance à considérer leur(s) enfant(s) comme leur appartenant.

Beaucoup d'entre elles ont fait d'énormes efforts pour préserver leur famille malgré les violences conjugales qu'elles subissaient. Etablir rapidement un réseau d'entraide extra-familial est une manière de se protéger des risques. La capacité des femmes à le faire dépend de la personnalité et des compétences de chacune de ces immigrantes.

Des femmes qui ne savent où chercher de l'aide

« Même un chien ne trouverait à se nourrir d'une querelle entre époux », dit un proverbe japonais qui signifie que les querelles entre époux n'intéressent qu'eux. Parce qu'elles ont tendance à penser que les problèmes domestiques doivent se régler dans la sphère domestique, les femmes japonaises installées à l'étranger n'ont que peu recours aux services de médiation offerts par des organismes publics ou des associations. Mais dans le cadre de la Convention de La Haye, le fait d'avoir pris contact avec un organisme de ce genre, de lui avoir signalé un problème, ou d'avoir consulté un médecin à ce sujet constituent des preuves importantes.

Le site Internet du consulat du Japon à San Francisco recommande à ceux qui le consultent de faire appel à la police lorsqu'ils se sentent menacés dans leur intégrité physique et explique comment procéder. Mais dans des villes comme Los Angeles où les prisons et les maisons d'arrêt sont en permanence remplies au-delà de leur capacité, une personne n'ayant pas d'antécédents judiciaires sera rapidement libérée. Il faut aussi avoir conscience du risque élevé que ces personnes cherchent ensuite à se venger.

Quelqu'un qui ne maîtrise pas bien la langue du pays où il se trouve peut rechercher de l'aide auprès de « défenseurs », qui se feront son porte-parole, ou auprès de groupes de soutien formés par les associations, mais il semble que beaucoup de femmes japonaises ignorent l'existence de ces structures. A Seattle, une femme japonaise joue ce rôle de « défenseur ». Mariée à un Américain, elle est active dans une association qui protège des violences conjugales les femmes immigrées. Pour elle, il est important que ces femmes sachent qu'elles peuvent exiger la présence d'un interprète si elles ont du mal à comprendre ce que leur dit la police quand elles l'appellent.

Tous ces facteurs aident à comprendre pourquoi de nombreuses mères japonaises installées à l'étranger retournent au Japon avec leurs enfants sans prévenir leur époux. Cette liste ne saurait cependant être exhaustive. Il peut arriver que la sécurité de l'enfant ne puisse être garantie que de cette façon même si agir ainsi est commettre un crime. Dans ce cas, il est vital de laisser à la police, à un médecin, à une association d'aide, ou encore à un ami habitant à proximité, des preuves des violences conjugales subies.

Des maris qui ne jurent que par les règles de leur pays

Lorsqu'on considère les hommes qui sont ici les « victimes », les divorces les plus difficiles impliquent souvent des maris qui n'ont jamais mis les pieds dans le pays d'origine de leur épouse.

De la même manière que les femmes japonaises supposent que les règles japonaises ont une valeur universelle, les étrangers avec lesquels elles se sont mariées pensent que la loi de leur pays vaut partout. Selon une information diffusée en 2011 par la chaîne américaine de télévision ABC, « une centaine d'enfants américains ont été enlevés et emmenés au Japon ». La logique ici est qu'un enfant né dans ce pays d'une mère japonaise est considéré avant tout comme américain, parce que la nationalité américaine est attribuée à tout enfant né sur le sol des Etats-Unis.

Pendant mon séjour dans le cadre de l'IVLP, j'ai eu l'occasion de rencontrer des pères dont les enfants avaient été enlevés par leurs mères japonaises. Certains parlaient quelques mots de japonais, d'autres n'avaient jamais séjourné au Japon. Ils affirmaient tous n'avoir jamais porté la main sur leur épouse, et leur opinion du Japon était uniformément négative. On voit bien qu'à l'arrière-plan de ce problème, il y a l'absence d'échanges avec le Japon ou encore la communication quasi-inexistante avec la famille de leur femme japonaise.

Un système japonais rempli de défauts

Le Japon a décidé de ratifier la Convention de La Haye, mais il devra d'abord régler de nombreux problèmes. Aux Etats-Unis, où les enlèvements d'enfants sont nombreux, il existe un organisme indépendant pour s'occuper de ce problème, le National Center for Missing and Exploited Children, (NCMEC) créé en 1998. Cet organisme à but non lucratif rassemble et gère les informations relatives aux quelque 300 000 enfants qui ont disparu ou ont subi des sévices sexuels. Il a mis en place un numéro vert pour aider à la recherche de ces enfants. Les informations que l'organisme reçoit sur des délits ou des crimes commis aux Etats-Unis sont transmises aux polices des Etats ou des régions concernées. Le FBI, l'IRS (Internal Revenue Service, l'agence du gouvernement fédéral américain qui collecte notamment l'impôt sur le revenu), et l'USPIS (United States Postal Inspection Service, le Service américain d'inspection postale) ont accès à sa base de données.

Aux Etats-Unis, pays d'immigration, il n'est pas rare que des enfants soient victimes d'enlèvements internationaux sur le sol américain ou qu'ils soient enlevés à l'étranger et ensuite emmenés aux Etats-Unis. Le Centre international pour enfants disparus ou sexuellement exploités (ICMEC), la branche du NCMEC, s'occupe de ces cas.

De nombreuses entreprises soutiennent le NCMEC et l'ICMEC. Lorsque le NCMEC apprend qu'un enfant est enlevé, des informations à son sujet sont transmises aux compagnies de chemins de fer, de bus, et de transport aérien.

Si un tribunal japonais demande à l'ICMEC des informations sur un enfant enlevé au Japon et emmené aux Etats-Unis, l'ICMEC les lui fournira. Mais au Japon, quel organisme dispose de ces informations sur les enfants enlevés et emmenés au Japon et peut les fournir à l'étranger ?

Le ministère des Affaires étrangères et les tribunaux sauront-ils faire face ?

Le projet de loi relatif à la Convention de La Hague prévoit qu'au Japon, le ministère des Affaires étrangères sera l'autorité centrale du dispositif et localisera les enfants. La décision de renvoyer ou non les enfants sera prise par les tribunaux des affaires familiales de Tokyo et d'Osaka. La coopération entre les ministères et les agences gouvernementales, ainsi qu'entre les différents organismes des collectivités territoriales, jouera un rôle essentiel, mais il est à craindre que toutes ces différentes institutions se renvoient la responsabilité d'agir. La Convention de La Haye impose qu'après un enlèvement, la demande soit déposée dans l'année qui le suit, et cela nécessite une décision rapide sur l'approbation ou le refus du retour de l'enfant dans son pays d'origine. Après la fin de l'IVLP, j'ai contacté les tribunaux des affaires familiales pour savoir où ils en étaient dans leurs préparatifs à cet égard, mais partout, j'ai eu la même réponse : « nous ne pouvons pas vous donner de réponse ».

Dans le bureau du procureur du comté de Los Angeles. Au milieu Elaine Tumonis, procureur général adjoint, derrière elle, l'auteur.

Elaine Tumonis, procureur général adjoint du comté de Los Angeles, a renoncé à ses vacances d'été pour me recevoir pendant mon séjour ILVLP. J'ai aussi eu la possibilité de rencontrer un juge des affaires familiales de Los Angeles. Le parquet de Los Angeles comporte une section qui s'occupe des enlèvements d'enfants, avec des magistrats spécialistes de ce domaine ; il existe aussi des juristes et des avocats spécialisés dans ce domaine.

Un juge d'un tribunal fédéral américain m'a dit qu'il serait important, une fois que le Japon aura ratifié la Convention de La Haye, que des juges japonais participent à des rencontres internationales sur le sujet afin d'échanger des informations avec leurs collègues. Au Japon, les magistrats des tribunaux des affaires familiales sont fréquemment mutés, ce qui rend difficile leur spécialisation et leur participation à de tels échanges d'informations.

Le projet de loi prévoit aussi différentes dispositions, notamment sur le non-renvoi des enfants lorsque l'on peut craindre que le parent chez qui ils seraient renvoyés fasse preuve de violence. Le problème ici est de prouver ces violences. De nombreuses interrogations demeurent : comment faire pour établir le rôle des avocats et des enquêteurs du tribunal des affaires familiales ? Qui paiera pour les frais impliqués dans une conciliation y compris ceux des interprètes ? Le gouvernement et les tribunaux japonais ont le devoir de l'expliquer à leur peuple.

(Adapté d’un article rédigé le 2 mai 2013)

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