Revenir à une vision « internationaliste » de la politique de défense

Politique

En mai 2014, le Comité consultatif sur la reconstruction de la base juridique de la sécurité a présenté son rapport final au premier ministre. Hosoya Yûichi, membre du comité, examine ici les questions auxquelles celui-ci s’est intéressé, et notamment celle de la constitutionnalité de la légitime défense collective.

Le 15 mai 2014, le Comité consultatif sur la reconstruction de la base juridique de la sécurité s’est réuni au Kantei (le bureau du premier ministre) et son président, Yanai Shunji, a remis au premier ministre Abe Shinzô le rapport rédigé par le comité. Ce fut un événement historique à deux égards. Tout d’abord, la fondation du comité remontant au mois d’avril 2007, sous le premier gouvernement Abe, il aura fallu attendre sept longues années pour que la rédaction du rapport soit menée à terme. Ensuite, le rapport se prononce en faveur d’un exercice limité du droit de légitime défense collective, totalement prohibé si l’on s’en tient à l’interprétation de la Constitution qui prévaut au Bureau de la législation du cabinet ; si cette recommandation est appliquée, la coopération internationale va connaître une avancée spectaculaire dans la politique japonaise de défense. 

Je suis devenu membre du comité en septembre 2013, quelques mois après sa réactivation sous le second gouvernement Abe. En tant que spécialiste de la diplomatie et de la politique de défense de la Grande-Bretagne, j’ai le sentiment que la législation japonaise relative à la sécurité nationale n’est pas vraiment adéquate et qu’il faut l’améliorer, et c’est avec ce point de vue en tête que j’ai participé à la rédaction du rapport du comité.

Le premier ministre Abe Shinzô reçoit le rapport des mains du président du comité, Yanai Shunji, au Kantei le 15 mai 2014.

Ausculter le dispositif juridique de sécurité

En avril 2007, quand il a inauguré le Comité consultatif sur la reconstruction de la base juridique de la sécurité, le premier ministre Abe a expliqué en ces mots quelle en serait la mission : « Compte tenu des changements qui affectent l’environnement sécuritaire du Japon, il est nécessaire de reconstruire la base juridique de la sécurité, dans l’optique d’un gain d’efficacité et d’une meilleure adéquation à la nouvelle situation. Le comité sera réuni sous l’autorité du premier ministre en vue d’examiner, à travers des cas spécifiques, des questions liées à la Constitution, y compris celles qui concernent le droit de légitime défense collective. »

Et en février 2013, lors de la réactivation du comité sous le second gouvernement Abe, le premier ministre a déclaré : « Compte tenu de la sévérité croissante de l’environnement sécuritaire du Japon, il est nécessaire de reconstruire la base juridique de la sécurité de façon à ce que le Japon puisse réagir comme il convient à ces changements. » Les deux déclarations mentionnaient le besoin d’un dispositif juridique de sécurité adapté aux grands changements survenus dans l’environnement sécuritaire.

La recherche des éventuelles failles du dispositif juridique qui régit la sécurité du Japon constitue elle aussi une tâche prioritaire. Le droit de légitime défense collective faisait partie des questions qui se posaient à cet égard, mais il ne constituait pas l’unique sujet de délibération du comité. Si le dispositif juridique de sécurité du Japon présente des failles ou des lacunes, il n’est pas possible de protéger comme il convient la vie et la sécurité de la population, pas plus que de contribuer à faire avancer la cause de la paix. Il n’est pas juste de faire de l’exercice du droit de légitime défense collective l’unique préoccupation du comité.

L’adhésion rigide à la légitime défense individuelle entrave la coopération internationale

Quels genres de problèmes le dispositif juridique régissant la sécurité au Japon présentait-il donc ? Je pense que le plus grave de tous réside dans les obstacles qu’a générés l’adhésion inopportune du Bureau de la législation du cabinet au cadre rigide du droit de légitime défense individuelle. Mais il faut y ajouter l’écart entre la conception du droit de légitime défense collective qui prévaut au bureau et celle que partage l’ensemble de la communauté internationale. Ce point mérite quelques explications.

L’excès de rigidité dans l’adhésion exclusive au droit de légitime défense individuelle laisse très peu de place au Japon pour coopérer avec les autres pays. Or à notre époque, où la mondialisation avance à grands pas et les activités de réseaux terroristes internationaux comme Al-Qaïda ignorent les frontières nationales, la coopération internationale doit impérativement prendre de l’extension. Cet impératif s’applique aussi à la lutte contre le cyberterrorisme. En outre, compte tenu du développement de la technologie militaire et de la prolifération des armes de destruction massive, il est devenu extrêmement difficile pour quelque pays que ce soit de se défendre tout seul. C’est pourquoi l’engagement en faveur de la coopération internationale dans le domaine de la sécurité est généralisé parmi les pays démocratiques, comme on peut le constater dans l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord ou dans l’Union européenne.

Depuis la fin de la guerre froide, on assiste également à une intensification des opérations de maintien de la paix de l’ONU ainsi que des activités humanitaires internationales menées au nom de la « sécurité humaine » et de la « responsabilité de protéger ». Le Japon ne peut pas se permettre de faire cavalier seul et de se tenir à l’écart de cet élan de solidarité. Et pourtant, le dispositif juridique qui régit actuellement la sécurité au Japon, influencé, nous l’avons vu plus haut, par l’interprétation rigide que le Bureau de la législation du cabinet fait de la Constitution, n’autorise pas le pays à s’engager dans des activités de coopération internationale sortant du cadre de la légitime défense individuelle à seule fin de se protéger lui-même. Cette attitude a créé des obstacles dans bien des domaines.

Qui plus est, le concept d’« assimilation au recours à la force », apparu à l’occasion d’une réponse faite par Ômori Masasuke, le directeur général du Bureau de la législation du cabinet, à une question posée en 1997 à la Diète, a encore aggravé les difficultés de la coopération internationale. Ce concept fait référence aux cas où le Japon, sans avoir lui-même recours à la force, se livrerait à des activités de soutien si étroitement liées à l’usage de la force par d’autres que lui que ces activités seraient assimilables à un recours à la force. Dans cette interprétation pernicieuse du droit, le directeur général du Bureau de la législation du cabinet considère que, même quand le Japon n’emploie pas la force, toute forme de soutien logistique qu’il pourrait apporter, par exemple sous forme de transport ou de soins médicaux, peut-être considérée comme un recours à la force, et par voie de conséquence interdite.

Cette interprétation pernicieuse du droit est l’apanage du Japon et s’écarte de l’interprétation généralement admise dans la communauté internationale. Si les forces américaines stationnées dans l’Archipel intervenaient pour défendre la Corée du Sud en cas de crise sur la péninsule coréenne, toute forme de soutien logistique fourni par le Japon à l’armée américaine, qu’il s’agisse de carburant, de médicaments ou de produits similaires, serait assimilée à un « exercice du droit de légitime défense collective » et constituerait donc une violation de la Constitution japonaise, qui interdit le recours à la force. J’ai du mal à comprendre comment la fourniture de carburant et de produits médicaux aux États-Unis, qui sont notre allié, peut constituer un « recours à la force par le Japon ».

La volte-face du Bureau de la législation du cabinet à propos des opérations de maintien de la paix

À cause de cette interprétation rigide du droit par le Bureau de la législation du cabinet, le Japon s’est trouvé dans l’impossibilité de coopérer efficacement avec l’OTAN, de s’impliquer davantage dans les opérations de maintien de la paix de l’ONU ou d’apporter un soutien logistique aux activités menées par les États-Unis en vue de restaurer la paix. Cette position, qui interdit de faire appel aux Forces d’autodéfense du Japon à d’autres fins que la défense propre du pays, est la marque d’un excès d’égocentrisme.

Elle n’est certainement pas conforme aux idéaux exprimés par notre constitution, dont le préambule déclare : « Nous croyons qu’aucune nation n’est responsable uniquement envers elle-même. » Et, dans un avis complémentaire annexé à la décision de 1959 de la Cour suprême relative à l’affaire Sunagawa, le président Tanaka Kôtarô déclarait : « que ce soit à des fins de légitime défense ou de coopération à la défense d’un partenaire, c’est désormais un fait admis que toutes les nations ont le devoir d’assumer leur part de responsabilité. » C’est ce qu’entandait le président Tanaka lorsqu’il parlait d’« esprit de coopération internationale conforme au préambule de la Constitution ».

Si l’on se réfère à cet « esprit de coopération internationale », le moins qu’on puisse dire est que l’attachement immodéré à la légitime défense individuelle que le Bureau de la législation du cabinet manifeste depuis 1981 dans son interprétation de la Constitution s’écarte de l’esprit originel de celle-ci. La Constitution a pour ambition la poursuite simultanée de deux idéaux : le pacifisme et la coopération internationale. Une politique de défense égocentrique qui considère que le Japon « est responsable uniquement envers lui-même » et l’exempte de toute responsabilité en termes de coopération à la défense d’autres pays est contraire à l’esprit de coopération internationale affirmé dans le préambule.

Dans les années 1960, même le Bureau de la législation du cabinet était imprégné de cet esprit de coopération internationale et jugeait que la participation des FAD à des opérations de maintien de la paix de l’ONU ne posait aucun problème constitutionnel. Des recherches menées sur des documents récemment divulgués par le ministère des Affaires étrangères établissent clairement quelle était la position du bureau : l’interdiction formulée dans l’Article 9 visait l’emploi de la force par le Japon lui-même, et non pas le recours à la force à la demande des Nations Unies, si bien que la participation du Japon à une opération armée de l’ONU en conformité avec la Charte de l’organisation ne violait pas la Constitution. Le bureau jugeait également que la participation à des opérations de maintien de la paix impliquant le recours à la force ne poserait pas de problèmes pourvu que certaines conditions soient réunies, telles que l’approbation par une résolution de l’ONU. Mais l’évolution de la situation politique a eu raison des tentatives du gouvernement en vue d’envoyer les FAD à des fins de maintien de la paix. Après quoi le bureau s’est orienté vers la prohibition totale de l’envoi des FAD outre-mer et, en 1981, il a accouché de son interprétation interdisant purement et simplement l’exercice du droit de légitime défense collective. 

Le « bon sens » va de pair avec le respect du droit

Le rapport du comité identifie la « coopération internationale » et le « pacifisme » comme les principes fondamentaux de la Constitution. Cette position reflète la volonté de réintroduire la coopération internationale dans la politique de défense, où les dirigeants du Japon l’ont intégrée jusqu’aux années 1960. Comme l’a souligné le premier ministre Abe en se référant à diverses reprises à la « contribution proactive à la paix », le Japon doit désormais s’engager plus ouvertement en faveur de la paix au sein de la communauté internationale.

Divers secteurs de l’opinion continuent d’ignorer les principes qui sont explicitement affirmés dans le rapport du comité et l’inquiétude se répand que la reconnaissance du droit de légitime défense collective autorise le Japon à faire la guerre. Mais l’entrée en guerre est interdite au titre de la Constitution du Japon (Article 9, paragraphe 1) comme de la Charte de l’ONU (Article 2, paragraphe 4). Le Japon est un pays attaché à la légalité, telle qu’elle est formulée dans sa Constitution et dans le droit international. Il est donc inconcevable qu’il aille au-delà du droit de légitime défense et se lance dans une guerre. Notre volonté de mettre en place un dispositif juridique de sécurité n’a pas d’autre objectif que de prévenir les conflits et d’instaurer la paix.

Le bon sens est un élément indispensable dans le débat sur la sécurité nationale. J’espère que le rapport du comité sera largement diffusé, que les principes fondamentaux qui y sont exprimés seront bien appréhendés et que le peuple japonais approfondira sa compréhension de l’initiative visant à forger un meilleur dispositif de sécurité.

D’après un original en japonais du 27 mai 2014.
Photographie de titre : Conseil de sécurité de l'ONU (Nations Unies / AP / Aflo)

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