L’avenir préoccupant de la lignée impériale japonaise

Politique

Le mariage de la princesse Noriko, la deuxième fille du prince Takamado, aura lieu cet automne, le 5 octobre. C’est une excellente nouvelle. Mais la famille impériale n’en reste pas moins confrontée à un problème préoccupant, celui de la diminution constante du nombre de ses membres. Et il ne semble pas y avoir de solution en vue pour résoudre cette « crise ». 

Une famille impériale limitée à cinq membres d’ici trente ans ?

À la fin du mois de mai 2014, la princesse Noriko a annoncé ses fiançailles avec Senge Kunimaro, le fils aîné du desservant principal du grand sanctuaire shintô d’Izumo, situé dans la préfecture de Shimane. Le mariage aura lieu le 5 octobre 2014 et ce jour-là, la jeune femme cessera de faire partie de la famille impériale en vertu de la Loi de la maison impériale. La princesse Noriko, 25 ans, est la deuxième fille du prince Takamado (alias Norihito) — le plus jeune des trois fils du prince Mikasa, un frère de l’empereur Shôwa — qui est décédé en 2002, à l’âge de 47 ans, sans laisser d’héritier de sexe masculin, comme ses deux frères. Le fils aîné du prince Mikasa, le prince Tomohito est mort dix ans plus tard, en 2012, à l’âge de 66 ans. Et le prince Katsura, le second fils du prince Mikasa est décédé, lui aussi à l’âge de 66 ans, douze jours après l’annonce des fiançailles de la princesse Noriko. Au Japon, la loi limite l’accès au trône aux membres de sexe mâle de la famille impériale dont le père ou le grand-père était empereur, si bien que la survie de la lignée impériale est menacée à cause de l’âge avancé, de l’absence de descendance mâle ou du décès prématuré des princes concernés ainsi que du mariage des princesses qui, ce faisant, perdent leur statut.

Après le mariage de la princesse Noriko, la maison impériale ne comptera plus que vingt membres, l’empereur Akihito y compris. Cinq d’entre eux sont susceptibles de succéder au souverain actuel dans l’ordre suivant : (1) le prince héritier Naruhito (54 ans, fils aîné de l’empereur Akihito) ; (2) le prince Akishino (appelé aussi Fumihito, 48 ans, fils cadet de l’empereur Akihito) ; (3) le prince Hisahito (7 ans, fils du prince Akishino et petit-fils de l’empereur Akihito) ; (4) le prince Hitachi (appelé aussi Masahito, 78 ans, fils cadet de l’empereur Shôwa et frère de l’empereur Akihito) ; (5) le prince Mikasa (appelé aussi Takahito, 98 ans, quatrième fils de l’empereur Taishô, le père de l’empereur Shôwa, et frère cadet de ce dernier).

Le prince Hitachi et le prince Mikasa devraient selon toute vraisemblance disparaître sans avoir l’occasion de régner. En raison de leur âge, les deux couples formés d’une part par le prince héritier et la princesse héritière, et de l’autre par le prince Akishino et la princesse Kiko ne sont guère susceptibles d’avoir d’autres enfants. Le seul espoir pour que la lignée se perpétue, c’est que le prince Hisahito se marie et qu’il ait des descendants de sexe masculin. La moitié des quatorze membres féminins de la famille impériale sont encore ou bien mineures ou bien célibataires et il est fort probable qu’elles finiront par se marier et par perdre leur statut de princesse impériale. D’ici dix à trente ans, la maison impériale risque donc de ne plus compter que cinq membres à savoir, le prince héritier Naruhito et la princesse héritière Masako, le Prince Akishino et son épouse la princesse Kiko, et le prince Hisahito.

Un empereur très préoccupé par l’avenir

L’empereur Akihito, sur le trône depuis le 7 janvier 1989, est le premier à redouter que la lignée impériale japonaise ne s’éteigne. « La question de la pérennité de la lignée impériale a toujours été un sujet qui a retenu toute son attention », explique Watanabe Makoto, grand chambellan de la maison impériale pendant plus de dix ans, jusqu’en 2007. « Sa Majesté est si préoccupée par ce problème que certaines nuits, il lui arrive de ne pas trouver le sommeil. »

L’Article 4 de la Constitution de 1946 stipule que l’empereur « n’a pas de pouvoirs de gouvernement » ce qui lui interdit de changer comme il le souhaiterait les lois régissant la maison impériale. L’empereur Akihito en est donc réduit à continuer à supporter la crise qui affecte sa propre famille sans pouvoir faire quoi que ce soit.

Le rôle important des concubines

L’empereur Akihito est le descendant direct à la sixième génération par filiation patrilinéaire de l’empereur Kôkaku (r. 1780-1816) qui a régné à la fin de l’époque d’Edo (1603-1868). L’empereur Ninkô (r. 1817-1846), qui a succédé à l’empereur Kôkaku, était le fils que celui-ci avait eu non pas avec l’impératrice mais avec une concubine (sokushitsu). Les trois empereurs suivants Kômei (r. 1846-1867), Meiji (r. 1867-1912) et Taishô (r. 1912-1926) ont eux aussi été conçus avec des concubines. L’épouse principale de l’empereur Meiji ne lui a en effet donné aucun enfant. Et d’après l’Agence de la maison impériale, près de la moitié des cent vingt-cinq empereurs qui se sont succédés sur le trône du Japon sont le fruit d’une union avec une concubine.

L’empereur Meiji, qui est souvent décrit comme un « homme fort », a eu cinq fils et dix filles avec ses cinq concubines. Mais deux de ces enfants étaient mort-nés et huit autres sont décédés quelques mois après leur naissance. Le seul des cinq fils du souverain qui a atteint l’âge adulte lui a succédé sous le nom d’empereur Taishô. La lignée a donc survécu de justesse.

Si l’empereur Meiji n’avait eu aucun descendant mâle, on peut toutefois supposer qu’on lui aurait sans doute trouvé un successeur dans les maisons princières collatérales, comme cela s’était fait auparavant. Dans l’histoire du Japon, il existe des exemples de précédents où le nouvel empereur a été choisi dans une branche collatérale avec un lien de parenté au huitième ou au dixième degré. Jusqu’à la fin de l’ère Meiji, les concubines et les maisons collatérales ont joué le rôle d’un « filet de sécurité » qui a permis d’assurer la continuité d’une lignée fondée sur les descendants mâles de filiation patrilinéaire.

L’exemple des empereurs Taishô et Shôwa

L’empereur Taishô qui passait pour un lettré a décidé de ne pas avoir de concubines. De santé fragile depuis son plus jeune âge, il n’est resté sur le trône que quinze ans. Il a eu quatre enfants avec son épouse, l’impératrice Sadako, qui étaient tous des garçons, à savoir le prince Hirohito (le futur empereur Shôwa), le prince Chichibu, le prince Takamatsu et le prince Mikasa dont il a été question plus haut. La survie de la lignée impériale a paru assurée pour un temps.

L’empereur Shôwa (r. 1926-1989) était très attaché à sa vie de famille et il a lui aussi refusé de prendre des concubines. Il a eu d’abord quatre filles, puis un premier fils, né en 1933, qui lui a succédé sous le nom d’empereur Akihito, et un second, le prince Hitachi.

La Loi de la maison impériale entrée en vigueur en 1947 exclut les enfants illégitimes de la maison impériale et ne les autorise pas à monter sur le trône. En même temps, elle réaffirme le principe déjà en vigueur durant l’ère Meiji (1868-1912) que seuls les descendants de sexe mâle et de filiation patrilinéaire peuvent devenir empereur. À l’époque, l’empereur Shôwa avait trois frères plus jeunes que lui ainsi que deux fils si bien que l’avenir de la lignée impériale n’était pas un sujet de préoccupation.

Un principe de succession au trône très rigoureux

Pour comprendre à quel point le principe qui limite la lignée impériale aux seuls descendants mâles de filiation patrilinéaire est contraignant, il suffit de consulter des données démographiques et en particulier celles qui concernent le taux de fécondité. Supposons que pour une génération donnée, la famille impériale compte cinq membres remplissant ces conditions, que le taux de fécondité soit de 1,29 enfant par femme et que le sex-ratio soit de 100 à 100. La génération suivante aurait 3,23 enfants mâles de filiation patrilinéaire. À la troisième génération, ce chiffre ne serait plus que 2,08, et il descendrait jusqu’à 1,34 à la quatrième. On voit donc que dans ces conditions, le nombre des membres susceptibles de monter sur le trône diminue inexorablement au fil des générations.

Même si le taux de fécondité était de 1,5 enfant par femme, il n’y aurait que 2,11 enfants mâles de filiation patrilinéaire à la quatrième génération, c’est-à-dire moins de la moitié du nombre de la première génération. En revanche, si les femmes n’étaient plus écartées de la succession et que la filiation matrilinéaire n’était pas non plus exclue, les cinq membres de sexe mâle et de filiation patrilinéaire de la première génération auraient 6,45 enfants, 8,32 petits-enfants et 10,73 arrière-petits-enfants. Et les perspectives d’avenir de la lignée impériale seraient tout autres.

L’Article 2 de la Constitution de 1946 dit seulement que « le trône impérial est héréditaire » et que « la succession se fait conformément à la loi adoptée par la Diète ». Il ne contient aucune indication concernant le sexe de l’empereur. Il suffirait donc de réviser le passage de la Loi de la maison impériale limitant l’accession au trône « aux descendants mâles de filiation patrilinéaire » pour que la pérennité de la lignée impériale soit nettement plus facile à assurer.

L’absence de précédent d’empereur de filiation matrilinéaire

En 2005, durant le mandat du premier ministre Koizumi Junichirô, le Comité consultatif pour la Loi de la maison impériale a proposé d’adopter le principe de primogéniture sans distinction de sexe en ce qui concerne la succession du trône. Ce qui reviendrait à accepter l’idée que des empereurs féminins ou des empereurs (homme ou femme) de filiation matrilinéaire puissent accéder au trône. Un sondage d’opinion réalisé à l’époque montre que 80 % des habitants de l’Archipel interrogés étaient favorables à ce que leur pays puisse avoir un empereur féminin.

Mais certains Japonais sont très attachés au principe de transmission exclusive du trône à des descendants de sexe masculin et de filiation patrilinéaire. D’après eux, l’autorité et la dignité de la famille impériale reposent sur le fait que cette lignée s’est constituée au fil des siècles à travers une filiation uniquement patrilinéaire, et ils considèrent que leurs contemporains ne doivent pas remettre en question cette tradition historique.

L’examen de la lignée impériale révèle toutefois que le Japon a eu huit empereurs féminins (deux d’entre eux ayant régné à deux reprises) dont la totalité étaient des filles d’empereur. Les partisans d’une lignée impériale exclusivement masculine soulignent que ces femmes ont toujours accédé au trône dans des circonstances exceptionnelles et de façon temporaire, en raison de troubles politiques particulièrement graves ou du très jeune âge de l’héritier masculin en titre. Elles sont toutes restées célibataires pendant la durée de leur règne et les enfants qu’elles ont pu avoir ne sont jamais montés sur le trône. Ce qui revient à dire qu’il n’y a jamais eu d’empereur de filiation matrilinéaire au Japon.

Le prince Akishino, la princesse Kiko son épouse et leur fils, le prince Hisahito, visitent le parc du Mémorial de la paix d’Itoman, dans la préfecture d’Okinawa, le 10 décembre 2013. (photo : Jiji Press)

Un débat clos par la naissance d’un prince

Peu après la publication du rapport du Comité consultatif pour la Loi de la maison impériale, en 2005, l’épouse du prince Akishino est tombée enceinte pour la troisième fois. Étant donné que cet enfant pouvait être un garçon, le gouvernement a remis à plus tard la révision de la loi et classé le dossier. En 2006, la princesse Kiko a donné naissance au prince Hisahito, le premier enfant de sexe masculin né dans la famille impériale depuis quarante et un ans. Après quoi, le débat sur la succession au trône a pris fin rapidement.

Depuis quelques années, on entend parler d’un nouveau projet qui consisterait à permettre aux membres féminins de la famille impériale non seulement de continuer à en faire partie après leur mariage mais aussi de fonder une nouvelle branche collatérale (miyake). Alors que le problème de la succession est moins préoccupant depuis la naissance du prince Hisahito, la création de branches collatérales contribuerait à éviter, au moins pour un temps, que la maison impériale voie le nombre de ses membres continuer à diminuer.

En 2012, le gouvernement de Noda Yoshihiko — premier ministre et président du Parti démocratique du Japon (PDJ) — a fait le point sur les problèmes posés par la création de branches collatérales de la maison impériale, après avoir consulté des spécialistes et des partenaires sociaux. À l’époque, la solution qui paraissait la plus réaliste et la plus populaire était que les trois petites filles de l’empereur Akihito — la princesse Aiko, fille du prince héritier Naruhito et les princesses Mako et Kako, filles du prince Akishino — continuent à faire partie de la maison impériale même après leur mariage et qu’elles fondent chacune une branche collatérale qui conserverait son statut impérial pendant une seule génération.

Mais à la fin de l’année, le PDJ a perdu les élections et le Parti libéral-démocrate (PLD) a repris le pouvoir. Le premier ministre Abe Shinzô, qui ne cache pas son opposition à l’accession des femmes au trône et à la filiation matrilinéaire, ne s’est absolument pas intéressé à cette question. Tant et si bien que les inquiétudes de l’empereur Akihito se semblent pas prêtes de prendre fin.

Le manque d’intérêt du public pour la succession au trône

L’Article 1 de la Constitution de 1946 stipule que « L’empereur est le symbole de l’État et de l’unité du peuple ; il doit ses fonctions à la volonté du peuple, en qui réside le pouvoir souverain. » Mais le peuple japonais ne montre pas beaucoup d’intérêt pour les problèmes de succession au trône et de branches collatérales de la maison impériale. Et les hommes politiques ne semblent pas vraiment conscients de la crise que traverse la lignée impériale. D’après les sondages, 80 % des Japonais seraient favorables à l’accession au trône d’empereurs féminins, mais si l’on examine ce résultat de plus près, on s’aperçoit que les personnes interrogées n’avaient qu’une vague idée du problème et qu’elles ont simplement voulu dire qu’elles ne voyaient pas particulièrement d’objections à l’existence d’empereurs féminins.

La plupart des habitants de l’Archipel ignorent tout des angoisses de l’empereur Akihito. Mais pour que le système de la maison impériale change, il faut que le peuple japonais fasse savoir sans détours ce que représente pour lui la famille impériale, qu’il manifeste plus d’intérêt pour cette question et que les instances politiques fassent preuve de détermination et d’esprit de décision. Il serait également souhaitable que le prince héritier Naruhito et son frère cadet le prince Akishino s’expriment clairement sur ce sujet. Faute de quoi, ils risquent fort d’assister à la disparition de leur propre famille.

Si la majorité des Japonais estimaient que la maison impériale n’a aucune raison d’être, les choses seraient différentes. Mais le maintien de la lignée impériale tout au long de son histoire fait partie intégrante de l’identité de la nation japonaise et les habitants de l’Archipel doivent faire appel à toute leur sagesse pour trouver le moyen de permettre à la maison impériale de continuer à exister.

(D’après un texte original en japonais. Photographie du titre : Jiji Press. La princesse Noriko, deuxième fille du Prince Takamado, et Senge Kunimaro, assistant du desservant principal du sanctuaire d’Izumo, au cours de la conférence de presse organisée le 27 mai 2014 par l’Agence de la maison impériale, à l’occasion de l’annonce de leurs fiançailles.)

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