Les enjeux de l’énergie solaire au Japon

Économie Société

Après l’accident de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi, en mars 2011, les autorités japonaises ont réagi rapidement et commencé à appliquer, dès 2012, des tarifs de rachat subventionnés pour encourager les énergies renouvelables. Mais depuis, de nombreux problèmes sont apparus. On se demande notamment comment faire pour promouvoir de façon viable l’énergie solaire et d’autres formes d’énergies renouvelables.

L’adoption de tarifs de rachat subventionnés

Depuis l’accident de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi consécutif au terrible séisme du 11 mars 2011, le peuple japonais a montré à de multiples reprises qu’il souhaite que la politique énergétique du pays soit entièrement revue en donnant une plus grande importance aux énergies renouvelables. En août 2011, c’est-à-dire quelques mois à peine après l’accident de Fukushima, une nouvelle loi destinée à encourager le recours aux sources renouvelables et notamment les énergies solaire et éolienne a été promulguée. Ce texte, intitulé « Loi sur les mesures spéciales concernant l’achat par les sociétés productrices d’énergie d’électricité provenant de sources d’énergie renouvelables », a mis en place un système de tarifs de rachat subventionnés pour les énergies renouvelables.

Dans le cadre de ce système, qui est entré en application dès juillet 2012, les compagnies d’électricité sont tenues d’acheter à un prix (tarif) fixé pour une durée déterminée toute l’électricité produite par les utilisateurs de sources d’énergie renouvelables. Elles répercutent les surcoûts sur leurs clients sous la forme d’une majoration des factures d’électricité payées par les ménages et les entreprises.

Le système actuel de tarifs de rachat subventionnés, qui a pour vocation d’encourager l’emploi des énergies renouvelables, a posé des problèmes dès sa mise en place. Le prix initial de rachat étant relativement élevé, les majorations imposées à la clientèle des compagnies d’électricité risquent d’avoir un impact considérable. Beaucoup considérent que les tarifs de rachat élevés et la longueur de leur validité accordés à ceux qui produisent plus de 10 kilowatt-heures d’électricité solaire sont trop avantageux et qu’ils pourraient susciter une telle vague de mécontentement que l’on serait obligé d’y renoncer.

Le fonctionnement des tarifs de rachat subventionnés

Source : Le système des tarifs de rachat subventionnés au Japon, document établi en juillet 2012 par l’Agence pour les ressources naturelles et l’énergie du ministère de l’Économie, du commerce et de l’industrie, p.3, avec de légères modifications apportées par Nippon.com.

Les tarifs de rachat et leur durée de validité dans le système établi par le gouvernement (2014)

Source d’énergie

Catégorie

Tarif de rachat (¥/ kWh)Durée de validité (en années)
Taxes inclusesHors taxes

Solaire

10 kW et plus

34,56 32,00 20

Moins de 10 kW (achat de surplus d’électricité produite entre autres par des foyers)

37,00 37,00 10

Éolienne

20 kW et plus 23,76 22,00

20

Moins de 20kW 59,40 55,00
Éolienne en mer 20 kW et plus 38,88 36,00 20

Géothermique

15 000 kW et plus 28,08 26,00

15

Moins de 15 000 kW 43,20 40,00

Hydroélectrique de petite et moyenne puissance

1000 à 29 999 kW 25,92 24,00

20

200 à 999 kW 31,32 29,00
Moins de 200 kW 36,72 34,00

Hydroélectrique reliée à des barrages et des cours d’eau existant

1000 à 29 999 kW 15,12 14,00

20

200 à 999 kW 22,68 21,00
Moins de 200 kW 27,00 25,00
Biomasse Biogaz 42,12 39,00

20

Entretien des forêts 34,56 32,00
Bois et déchets agricoles 25,92 24,00
Déchets de chantier organiques (bois) 14,04 13,00
Déchets domestiques (déchets de jardin, papier, etc...) 18,36 17,00

D’après des données fournies par le site Internet de l’Agence pour les ressources naturelles et l’énergie du ministère de l’Économie, du commerce et de l’industrie japonais

Un changement de politique vis-à-vis de l’énergie solaire

En juin 2014, deux ans après la mise en place du système des tarifs de rachat subventionnés, le ministère de l’ Économie, du commerce et de l’industrie a créé une Sous-Commission des énergies nouvelles renouvelables placée sous le contrôle de la Commission pour l’efficience énergétique et les énergies renouvelables qui fait office de conseil consultatif pour les ressources naturelles et l’énergie. La nouvelle sous-commission a été chargée de reconsidérer le système en place. Lors de sa sixième réunion, le 5 novembre 2014, les fonctionnaires de son secrétariat ont présenté un rapport où l’on pouvait lire, entre autres, ce qui suit :
« Les diverses sortes d’énergies renouvelables ont chacune des caractéristiques très différentes. Au moment où l’on envisage l’expansion de ce type d’énergie, ne faudrait-il pas prendre en compte ces différences ?
Pour tirer le meilleur parti des énergies renouvelables, il est nécessaire de savoir quelle quantité d’électricité (en kilowatt-heure) chacune est capable de produire. Mais ne faudrait-il pas aussi s’assurer que leur exploitation est hautement rentable ? Et dans ce cas, ne faudrait-il pas adopter les énergies renouvelables d’une façon rationnelle en tenant compte des spécificités de chacune, par exemple, en privilégiant les sources d’énergie qui produisent plus d’électricité (en kilowatt-heures) tout en ayant une puissance inférieure (en kilowatts) ? »

Dans le langage alambiqué des fonctionnaires du gouvernement japonais, la formule interro-négative « Ne faudrait-il pas », répétée à diverses reprises, doit être interprétée comme une affirmation, c’est-à-dire « Il faut que... ». Le rapport du 5 novembre contenait par ailleurs les données suivantes concernant l’électricité produite (en millions de kilowatt-heures) par unité de puissance (en kilowatts) par diverses sortes d’énergies renouvelables pendant une année. Énergie solaire : 11 millions de kWh/kW. Energie éolienne : 18 millions de kWh/kW. Energie géothermique : 70 millions de kWh/kW. Energie hydroélectrique de petite et moyenne puissance : 53 millions de kWh/kW. Biomasse : 70 millions de kWh/kW. Si les énergies géothermique, hydroélectrique de petite et moyenne puissance et de biomasse étaient décrites comme des sources « stables », le soleil et le vent étaient considérés comme beaucoup moins fiables. En raison de son rendement faible et variable, l’énergie solaire risque donc d’être jugée sévèrement par la Sous-Commission sur les énergies nouvelles renouvelables, quand celle-ci donnera ses conclusions sur le système des tarifs de rachat subventionnés.

Un blocage malencontreux

Alors même que la Sous-Commision sur les énergies nouvelles renouvelables est encore en train de délibérer, un nouveau problème se pose. Depuis quelques temps, les entreprises qui ont l’intention de construire des méga centrales solaires ou ont déjà commencé à le faire, multiplient les demandes de raccordement auprès des monopoles régionaux d’électricité d’Hokkaidô, du Tôhoku, de Shikoku, de Kyûshû et d’Okinawa. Mais, pour éviter de semer la pagaille dans la gestion de l’approvisionnement en électricité, ceux-ci ont décidé de geler temporairement les nouvelles demandes de raccordement provenant d’opérateurs qui produisent de l’électricité avec des énergies renouvelables.

Ce que voyant, la Sous-Commission sur les énergies nouvelles renouvelables s’est hâtée de créer un Groupe de travail sur les systèmes, lors de sa quatrième réunion du 30 septembre 2014. Cependant, quelles que soient les conclusions auxquelles arrivera ce nouveau groupe, il est évident que l’allongement du délai de raccordement au réseau des nouvelles installations pourrait compromettre l’avenir de l’énergie solaire dans le système des tarifs de rachat subventionnés.

Laisser jouer les mécanismes du marché

Il ne faut pas oublier que le système des tarifs de rachat subventionnés n’est pas une panacée, même s’il a donné un coup de pouce à l’énergie solaire. Dans le numéro d’octobre 2014 de la revue spécialisée dans l’industrie solaire PVeye, il y a un article dont je suis l’auteur intitulé « Le recours aux tarifs de rachat subventionnés s’oppose complètement à l’avènement de l’ère des énergies renouvelables ». Voici, entre autres, ce qu’on peut y lire.

« Les tarifs de rachat subventionnés ont indéniablement marqué le coup d’envoi de l’énergie solaire. Mais au bout du compte, celle-ci ne pourra pas être considérée comme une énergie vraiment renouvelable tant qu’elle n’aura pas fait ses preuves dans un environnement soumis aux mécanismes du marché. Si nous voulons continuer à utiliser l’énergie solaire à l’avenir, nous devons admettre que pour qu’elle soit viable à long terme, il ne faut pas qu’elle constitue un poids pour la population. »

J’ai abondé dans le même sens dans un article du numéro de novembre de la revue Solar Journal intitulé « L’avenir des énergies renouvelables au Japon ». J’ai aussi donné un aperçu de la situation énergétique du Japon en 2030. D’après mes prévisions, les énergies renouvelables, y compris d’origine hydroélectrique, constitueront alors 30 % de l’énergie consommée au Japon.

Cela ne veut pas dire pour autant que je suis opposé aux tarifs de rachat subventionnés. Mais je pense que ce système ne peut pas se suffire à lui-même et qu’on doit envisager ce qui viendra après. Il ne faut surtout pas oublier le principe fondamental qui veut que, pour que l’énergie solaire soit une réussite, elle doit se développer en laissant jouer les mécanismes du marché.

Les problèmes spécifiques du réseau d’acheminement de l’électricité japonais

Nous essayons de promouvoir les énergies renouvelables en nous focalisant sur la politique des tarifs de rachat subventionnés qui est actuellement en vigueur en Allemagne et en Espagne. Mais il existe bien d’autres modèles que nous aurions tout intérêt à observer, par exemple ceux de l’Australie, de la Chine, des États-Unis et des pays scandinaves qui ont tous, sur une partie de leur territoire, réussi à développer l’emploi des énergies solaire et éolienne en faisant jouer les mécanismes du marché. On notera que tous les pays où ce système a fonctionné ont des réseaux d’acheminement de l’électricité régionaux bien développés.

Pour que les énergies renouvelables y compris l’énergie solaire se développent avec succès dans l’Archipel, le Japon doit non seulement résoudre les problèmes posés par les tarifs de rachat subventionnés mais aussi remédier aux défauts de son réseau d’acheminement de l’électricité. Voyons maintenant comment il doit s’y prendre pour y parvenir.

Recycler les installations électriques des centrales nucléaires hors service

En premier lieu, il convient de vérifier s’il y a effectivement un déficit en matière de capacité de transmission de l’électricité. Il faut commencer par considérer le cas des installations de transport et de transformation utilisées par les centrales nucléaires. En vertu de la révision de la Loi sur la réglementation des réacteurs nucléaires effectuée en 2012, les centrales nucléaires ne doivent pas rester actives plus de 40 ans. Si ce principe directeur est respecté, 30 des 48 centrales existant actuellement devraient arrêter de fonctionner d’ici décembre 2030. La compagnie d’électricité de Kyûshû devrait, quant à elle, fermer le premier et le second réacteurs – mis en service respectivement en 1975 et 1981 – de la centrale de Genkai, dans la préfecture de Saga, dans un avenir très proche, bien qu’aucune date n’ait encore été vraiment fixée à ce sujet. Outre les installations électriques des centrales qui annonceront leur mise hors service dans les années à venir, il y a aussi celles qui servaient pour les six réacteurs de la tristement célèbre centrale nucléaire de Fukushima Daiichi. Recycler des équipements qui ne serviront bientôt plus à rien devrait contribuer au développement des énergies renouvelables dans l’Archipel.

Augmenter le nombre des câbles de transmission

En second lieu, il faudrait installer davantage de câbles de transmission. À en croire certains, personne ne se lance dans ce genre de travaux, parce qu’ils ne sont pas assez lucratifs. Mais on est en droit de se demander si c’est vraiment le cas. Au Japon, il existe une forte demande non seulement pour une production décentralisée (des installations locales de petite capacité qui permettent de produire et de conserver de l’énergie là où c’est nécessaire) mais aussi pour une meilleure intégration supra-régionale entre les compagnies d’électricité. Dans ces conditions, le manque de câbles de transmission constitue un goulet d’étranglement. Et quand il y a blocage, ceux qui trouvent une solution font des profits considérables. Les profits générés par l’installation des câbles de transmission ne sont pas élevés en termes de taux de rendement mais ils sont assurément constants et stables. Quand on envisage d’installer de nouveaux câbles de transmission, il faut non seulement créer un système qui permette aux marchés financiers d’évaluer les éventuels profits qu’ils pourront en tirer mais aussi s’assurer du soutien des communautés où ces installations sont nécessaires. Il faut aussi obtenir l’appui des pouvoirs publics pour investir dans ce genre de chantier. N’oublions pas non plus que les compagnies d’électricité peuvent très bien augmenter la puissance de leur réseau en améliorant les performances des installations déjà existantes.

Recourir davantage à la production locale

En troisième lieu, il faut trouver des solutions pour éviter le transport de l’électricité sur de longues distances. Pour diminuer la pression qui pèse sur le réseau de transport, il suffit de multiplier à l’échelon national le nombre des « communautés intelligentes » qui produisent et consomment leur propre électricité. Une autre solution qui va dans le même sens consiste à augmenter la capacité de stockage des installations qui produisent de l’électricité à partir d’énergies renouvelables et des stations de transformation qui les raccordent au réseau. Sur le lieu de production, on peut utiliser les surplus d’électricité pour électrolyser de l’eau afin de pouvoir transporter de l’énergie là où on en a besoin sous forme d’hydrogène. C’est ce qu’envisage l’entreprise Chiyoda Corporation avec son Spera Hydrogen System, « l’hydrogène de l’espoir », spera venant du mot latin pour espoir. Chiyoda Corporation prévoit de transporter de l’hydrogène liquéfié à température et pression ambiantes, en toute sécurité, en le mélangeant avec du toluène. C’est bien la preuve qu’il existe des moyens d’utiliser des énergies renouvelables sans passer par l’installation massive de câbles de transmission.

Il va falloir beaucoup de temps pour mettre en œuvre une partie des solutions que je viens de proposer pour résoudre les problèmes du Japon en matière de transmission de l’électricité. Mais dans certains cas, les choses devraient aller beaucoup plus vite. Pour que le Japon utilise pleinement les énergies renouvelables, il doit adopter en même temps des mesures à long et à court terme et surmonter les problèmes de transmission de l’électricité en faisant jouer les mécanismes du marché.

(D’après un texte en japonais du 1er décembre 2014. Photo de titre : les panneaux solaires d’une installation fonctionnant avec l’énergie solaire. Jiji Press)

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