Élections législatives 2014 : M. Abe au pouvoir pour longtemps

Société

La coalition entre le Parti libéral démocrate (PLD) et le Kômeitô a remporté les deux tiers des sièges lors des élections à la Chambre basse tenues le 14 décembre 2014. Le premier ministre Abe Shinzô est confirmé dans ses fonctions, mais il va avoir à confronter des questions extrêmement importantes et très diverses.

Le 14 décembre, le Parti libéral démocrate (PLD) a remporté de manière écrasante les 47èmes élections à la Chambre des représentants, obtenant 290 sièges, presque autant que les 295 qu’il avait précédemment. Le ralliement d’un candidat qui avait fait campagne comme indépendant porte ce total à 291. Le Kômeitô, son allié, a conquis quatre nouveaux sièges, pour un total de 35, ce qui en donne 326 à la coalition qui conserve ainsi la majorité des deux tiers à la Chambre basse (475 sièges).

Avec 73 sièges, le Parti démocrate progresse légèrement sans atteindre son objectif de 100 sièges. L’opposition ne sort pas renforcée de ce scrutin. Le Parti de la restauration qui perd un siège ne réussit pas à progresser. Le Parti communiste a eu plus de succès, avec 21 élus, plus du double que ce qu’il avait précédemment.

La victoire de M. Abe signifie que les Japonais souhaitent pour la plupart la continuation de sa politique économique baptisée « Abenomics ». Il a affermi les bases de son pouvoir et dispose du temps nécessaire à la réalisation de ses autres projets.

La faiblesse frappante de l’opposition

La dissolution soudaine qui a provoqué ces élections a pris au dépourvu les partis d’opposition. Ils n’étaient absolument pas prêts et ont critiqué un scrutin qui n’avait à leurs yeux pas de raison d’être, mais si l’on pose que la base de la politique est la lutte pour le pouvoir, cette initiative constituait une attaque frontale.

La faiblesse des partis d’opposition a été mise en évidence. Le Parti démocrate (PD) souffre encore des séquelles de la défaite qui lui a fait perdre le pouvoir qu’il avait eu pendant trois ans et trois mois, et les autres partis, loin de constituer une troisième force comme on l’espérait, n’ont pas brillé. Le bond en avant du Parti communiste est remarquable, mais il est dû à l’absence d’un parti d’opposition capable de jouer un rôle moteur. L’opposition doit se repositionner d’urgence comme le souligne la défaite du président du PD, Kaieda Banri, qui n’a pas été réélu.

Les électeurs choisissent le PLD par élimination

M. Abe, qui avait déjà remanié son cabinet une fois, est aujourd’hui à la tête du gouvernement depuis plus de mille jours, une durée qui le classe au septième rang parmi les premiers ministres qui se sont succédé au pouvoir depuis la fin de la guerre. S’il s’y maintient pendant les quatre ans du mandat des membres de la Chambre basse, il dépassera les 1 980 jours de Koizumi Junichirô et se rapprochera des deux premiers ministres restés le plus longtemps au pouvoir depuis 1945, Yoshida Shigeru, avec 2 616 jours, et le grand-père de M. Abe, Satô Eisaku, recordman de la longévité avec 2 798 jours.

Il est aussi à noter que lors des vingt élections générales qui ont eu lieu entre la naissance du PLD en 1955 par la fusion du Parti libéral et du Parti démocrate et 2014, il n’avait dépassé la barre des 290 sièges qu’en quatre occasions : en 1960, avec à sa tête Ikeda Hayato (296 sièges), en 1986, avec Nakasone Yasuhiro (300 sièges), en 2005 avec Koizumi Junichirô (296 sièges), et enfin en 2012 avec Abe Shinzô (294 sièges). Le résultat obtenu par M. Abe, 291 sièges, constitue une deuxième victoire éclatante, une performance qui marque l’histoire du parti.

Il serait cependant imprudent de se réjouir ouvertement de ce succès qui est dû avant tout à la faiblesse des autres partis. Les partis d’opposition n’ont à aucun moment agité le drapeau de la reconquête, et les électeurs ont exprimé leur confiance au PLD par élimination, en posant que le parti au pouvoir était préférable à l’opposition, et cela d’autant plus que les problèmes à résoudre sont difficiles : retrouver la croissance, rétablir les finances publiques, renforcer le système de sécurité, ou encore remettre en route les centrales nucléaires. La coalition au pouvoir affirme avoir obtenu une confiance renouvelée des électeurs mais en remportant des élections qui n’ont pas donné lieu à un débat sur la politique à suivre, elle n’a certainement pas reçu un chèque en blanc pour les mesures qu’elle prône.

Okinawa deviendra-t-il un autre Taïwan ou Hong Kong ?

Parmi les sujets de préoccupation figure la défaite de tous les candidats du PLD dans les quatre circonscriptions électorales de la préfecture d’Okinawa. Le Parti communiste y a remporté pour la première fois depuis 1996 un siège au scrutin uninominal. Le gouvernement de M. Abe s’efforce de minimiser cette mauvaise passe, mais lors de l’élection du gouverneur d’Okinawa en novembre dernier, le PLD avait aussi été battu par un candidat opposé au transfert de la base américaine de Futenma. Ces deux défaites auront nécessairement un impact considérable sur le système de défense japonais, et les relations avec son allié, les États-Unis.

2015 marquera le 70ème anniversaire de la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Okinawa qui a longtemps été occupé par les États-Unis est depuis son retour au Japon au cœur de sa stratégie fondamentale de défense. Tel est le contexte historique dans lequel les habitants d’Okinawa ont adressé au gouvernement de M. Abe un « non » retentissant à sa vision d’une cohabitation entre les bases américaines et la population d’Okinawa. Aujourd’hui l’emprise territoriale des bases américaines au Japon est supportée à 73,9 % par Okinawa (ce calcul exclut les bases militaires partagées avec les Forces d’autodéfense, comme Misawa, Yokota, Atsuki, Yokosuka, Iwakuni ou Sasebo. Si l’on en tient compte, le pourcentage redescend à 22,6 %).

L’ancien gouverneur d’Okinawa, Nakaima Hirokazu, avait accepté la création d’une nouvelle zone récupérée sur la mer à Henoko dans la ville de Nago afin d’y déplacer la base de Futenma. Sur le plan juridique, les démarches sont terminées, et il ne reste plus qu’à passer à la construction. Mais le résultat des élections générales remet cela en question. Personne ne peut dire si les travaux vont pouvoir se faire. L’opposition locale à la construction de centrales nucléaires dans d’autres préfectures japonaises a conduit à des impasses pendant dix, voire vingt ans, et il n’est pas impossible que cela soit le cas à Okinawa.

Dans certains cercles, on commence à évoquer tout bas l’indépendance d’Okinawa. Elle semble très peu probable, mais la situation actuelle d’Okinawa peut conduire à penser que sa relation avec le Japon n’est pas si différente de celle qu’ont Taïwan ou Hong Kong avec la Chine. La plus grande circonspection est de mise.

Le gouvernement japonais n’aurait-il pas réagi à la question d’Okinawa d’une manière trop épidermique ? Cela n’est pas simplement dû aux complications engendrées par l’engagement du gouvernement Hatoyama de déplacer la base de Futenma en dehors d’Okinawa, dans le but de s’attirer les grâces de la population locale. Le résultat des dernières élections là-bas le prouve.

Le rétablissement des finances publiques est le prochain problème

La mesure qui a provoqué ces élections, à savoir la décision de repousser la deuxième augmentation de la taxe sur la consommation d’un an, jusqu’à avril 2017, était inévitable pour poursuivre les « Abenomics ».

Mais cette décision ne fait que souligner la gravité de la question de l’assainissement des finances publiques. Le montant de la dette publique japonaise, sous forme de bons d’État et autres, atteint aujourd’hui le niveau dangereux de 220 % du PIB. Repousser de dix-huit mois la hausse de la taxe sur la consommation signifie un manque à gagner fiscal de 7 500 milliards de yens. Même si la conjoncture s’améliore, il est difficile d’envisager que les ressources fiscales puissent augmenter au point de combler ce déficit. Ce problème doit être résolut au plus vite.

Le PLD et le Kômeitô sont au moins d’accord pour introduire un taux réduit de la taxe sur la consommation une fois qu’elle sera passée à 10 %, mais cela ne sera pas simple à mettre en place. Au sein du PLD, la discipline financière comme au ministère des Finances compte de nombreux partisans. Répondant à une question sur l’absence de signification de ces élections que lui a posée un journaliste lors du débat organisé pendant la campagne entre les huit chefs de partis, M. Abe a avoué avoir voulu la dissolution afin de sortir de l’impasse avec les partisans de la discipline financière du parti ou du ministère des Finances.

Il est vraisemblable que le Kômeitô adoptera vis-à-vis de la question du taux réduit une position proche de celle de l’opposition. L’alliance entre les deux partis dure depuis quinze ans, et ils vivent actuellement une période de lune de miel. Mais lorsqu’ils feront face au difficile problème de l’assainissement des finances publiques, leurs relations ne seront probablement pas aussi bonnes.

(D’après un article en japonais du 16 décembre 2014. Photo de titre : Abe Shinzô en conférence de presse au siège de son parti à Tokyo, le 15 décembre 2014, Jiji Press.)

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