La société japonaise et les LGBT

Société

On commence à parler au Japon des droits des minorités sexuelles, comme le montre notamment l’arrêté pris par l’arrondissement de Shibuya à Tokyo en avril 2015, qui reconnaît officiellement que la relation existant au sein des couples de même sexe qui partagent leur vie équivaut au mariage.

5 % de la population appartient aux minorités sexuelles

Il n’existe pas de statistiques précises sur le poids démographique des LGBT (Lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres) mais sur la base de diverses enquêtes, ces personnes représenteraient environ 5 % de la population. La différence entre homosexualité et dysphorie du genre n’est pas bien comprise au Japon qui est en retard dans ce domaine.

Il n’est pas le seul à cet égard. La discrimination vis-à-vis de l’orientation sexuelle, ne figure, à la différence de la discrimination raciale et sexuelle, dans la Constitution d’aucun pays comme un droit qui doit être traité de la même manière que les autres, à la seule exception du Portugal.

Il n’existe pas non plus aujourd’hui de consensus à ce sujet au sein de l’ONU. Certains pays continuent à faire des actes homosexuels entre parties consentantes un crime passible de la peine de mort. Si l’on considère que la liberté de pensée et de conscience comme un droit humain du XIXe siècle, et le « droit à la vie » caractérisé par l’article 25 de la Constitution du Japon (Toute personne a droit au maintien d’un niveau minimum de vie matérielle et culturelle), comme un droit humain du XXe siècle, on peut affirmer que l’orientation sexuelle devrait être appelée « droit humain du XXIe siècle » et reconnu comme tel.

Le Japon historiquement ouvert à l’homosexualité masculine

Jusqu’au milieu de l’ère Meiji (1868-1912), la société japonaise était très tolérante vis-à-vis de l’homosexualité masculine, et les relations homosexuelles entre samouraïs et moines généralement admises. Elle différait en cela largement de l’Europe où l’homosexualité était considérée, dans le contexte de la religion chrétienne, comme un péché sur le plan religieux, et un délit sur le plan pénal.

Des œuvres littéraires comme Vita sexualis de Mori Ôgai montrent que les dortoirs des universités à l’ère Meiji abritaient des amours homosexuelles entre étudiants, qui suivaient en cela l’exemple des guerriers et des moines. Mais avec le processus de modernisation qui s’est mis en place à partir de la seconde moitié de cette période, s’est imposée l’idée que l’homosexualité était une anormalité. En effet, la médecine occidentale qui a été introduite alors la considérait comme une « maladie ».

Le premier procès japonais contre l’homosexualité

Si « l’émeute de Stonewall » qui a eu lieu aux États-Unis en 1969 constitue le départ du mouvement pour les droits des homosexuels dans le monde, au Japon, l’affaire de l’auberge de jeunesse de Fuchû en 1990 a marqué un tournant. Elle n’est pas très connue mais elle constitue un point de départ essentiel pour réfléchir à la question des minorités sexuelles au Japon.

Tout a commencé lorsqu’une association d’homosexuels, le Groupe des lesbiennes et gays en mouvement (OCCUR) a logé dans cette auberge de jeunesse publique de la métropole de Tokyo. OCCUR l’avait utilisée jusque là en dissimulant le fait qu’elle était une association homosexuelle, mais certains de ses membres pensaient qu’il ne fallait plus continuer à le faire et s’afficher afin d’être mieux compris.

Cela a conduit les membres d’OCCUR à se présenter comme une « association qui réfléchit aux droits humains des homosexuels » lors de la session de présentation organisée en fin de journée. À la suite de cette déclaration, ses membres ont été harcelés par d’autres résidants de l’auberge, qui s’exclamaient par exemple en les croisant : « Oh, encore un gay ! » ou épiaient le bain public de l’auberge en commentant : « Ces mecs-là sont des homos ! ». Les membres d’OCCUR souhaitaient dissiper les malentendus, mais cela n’a pas été compris. Bien au contraire, l’auberge de jeunesse a refusé d’accepter une réservation d’OCCUR pour une autre rencontre.

Le comité de l’instruction publique de Tokyo, gestionnaire des auberges de jeunesse de la prèfecture de Tokyo, a motivé son refus en disant que les chambres dans cette auberge n’étant pas mixtes, conformément au règlement de ces établissements, les homosexuels pourraient y avoir des relations sexuelles, et cela nuirait à l’éducation saine de la jeunesse. OCCUR a alors porté l’affaire devant le tribunal de district de Tokyo.

En 1994, celui-ci lui a donné globalement raison en affirmant que cette possibilité n’existait pas pour OCCUR et en posant que « s’il n’y pas de possibilité concrète d’avoir des rapports sexuels, on ne peut refuser l’utilisation de l’auberge de jeunesse ». La définition neutre de l’homosexualité formulée par ce jugement, à savoir « une des orientations sexuelles des êtres humains, dans laquelle la conscience sexuelle est orientée vers le même sexe », a retenu l’attention, ainsi que le fait que sur la base de ce point de vue, il y avait discrimination et répression.

Se justifier par l’ignorance est inacceptable

La préfecture de Tokyo a cependant fait appel, affirmant que la décision de refuser était « inévitable puisqu’en 1990, elle n’avait pas de connaissances précises ». La cour d’appel de Tokyo a cependant confirmé en 1997 la décision du tribunal de district de Tokyo. Non contente de donner entièrement raison au plaignant, elle affirmait dans son jugement : « Les autorités exécutives doivent être particulièrement attentives à une minorité, en l’occurence aux homosexuels, et doivent réfléchir aux droits et aux intérêts de ceux-ci. Le manque d’intérêt ou de connaissances pour ce genre de sujets était et demeure inacceptable de la part d’agents de la puissance publique. »

Le message de ce jugement est qu’il est inacceptable de se justifier par l’ignorance et c’est pour cela que les tenants et les aboutissants de cette affaire devraient être enseignés dans les matières obligatoires jusqu’au lycée. De la même façon qu’il n’est pas juste de discriminer sur la base du sexe ou de la race, on ne peut justifier la discrimination vis-à-vis des homosexuels par l’ignorance. Ce jugement constitue une critique sévère de la société japonaise actuelle. Pourquoi beaucoup de gens n’ont-ils même pas eu l’opportunité d’apprendre cela, alors même que cette décision judiciaire, qui remonte à 1997, proclame que se justifier par l’ignorance est inacceptable ?

La dysphorie du genre de plus en plus reconnue

Nous avons jusqu’à présent traité de points relevant des LGB (lesbiennes, gays, bisexuels). Intéressons-nous à présent à la dernière lettre du sigle, le T pour « trans », ou plutôt la question de la dysphorie du genre. Au Japon, un rapport du comité d’éthique de l’Université de médecine de Saitama publié en juillet 1996 a marqué un tournant à cet égard. Le rapport reconnaissait tout d’abord l’existence d’un syndrome baptisé alors « syndrome transsexuel », et deuxièmement qu’une opération était un traitement approprié à ce syndrome.

L’année suivante, en 1997, la Société japonaise de psychologie et de neurologie a formulé des directives pour le diagnostic de ce syndrome. En 2001, un téléfilm dans lequel une actrice très populaire jouait le rôle d’une collégienne souffrant de dysphorie sexuelle a contribué à mieux faire connaître cette question. Puis en 2003, la loi sur la dysphorie sexuelle a été adoptée : elle permet aux personnes remplissant diverses conditions (être majeur – plus de vingt ans au Japon, ne pas être marié, avoir été reconnu par un psychiatre comme souffrant de dysphorie sexuelle) de changer de sexe pour l’état civil.

Si l’affaire de l’auberge de jeunesse de Fuchû a constitué un tournant dans la question de l’homosexualité au Japon, celle-ci était reconnue depuis l’ère Meiji, et les années 1970 ont vu la naissance de magazines destinés aux hommes homosexuels, comme la revue Barazoku (tribu de roses). La perception de la dysphorie sexuelle, par contre, est plus récente : on peut la faire remonter à l’opération de changement de sexe subie par Torai Masae, le modèle de l’héroïne dudit téléfilm, qui a fait de lui une femme aux États-Unis en 1988.  

Malgré cette date récente, la dysphorie sexuelle est très rapidement devenue un problème connu de tous, dépassant même l’homosexualité en visibilité. Si le droit a progressé si vite à cet égard, c’est probablement parce que la dysphorie sexuelle a été reconnue comme un syndrome médical, qu’il fallait donc « traiter ». L’homosexualité, par contre, est une « orientation », dont on peut affirmer qu’elle a été perçue comme une question individuelle.

Garantir d’abord les bases de la vie

L’arrêté pris par l’arrondissement de Shibuya à Tokyo en avril 2015, qui reconnaît les unions entre homosexuels, est le premier au Japon. Les lois reconnaissant les unions entre personnes du même sexe n’ont aujourd’hui rien d’extraordinaire dans les pays d’Europe du Nord et de l’Ouest, et plusieurs pays scandinaves ou les Pays-Bas accorde au mariage homosexuel les mêmes effets que les autres mariages.

Au Japon, c’est la cohérence avec le passage de l’article 24 de la Constitution (Le mariage est fondé uniquement sur le consentement mutuel des deux sexes) qui pose problème. Mais les juristes favorables au mariage entre personnes du même sexe soulignent que cet article a été établi pour garantir que le mariage soit décidé par les deux époux et non par les chefs de famille, et qu’il n’empêche pas d’interprêter ces « deux sexes » comme deux sexes masculins ou deux sexes féminins.

Imaginer que le Japon autorise le mariage entre personnes du même sexe est difficile, mais il est urgent que les liens entre personnes du même sexe soient reconnus de la même manière que le sont ceux entre les personnes vivant dans des « unions de fait », qui leur permettent d’accompagner leur partenaire à l’hôpital, de donner leur consentement à une opération, de signer un bail ensemble, d’hériter de leur partenaire, ou d’être le bénéficiaire de son assurance.

(D’après un article en japonais du 30 avril 2015. Photo de titre : Ichinose Ayaka et Sugimori Akane, deux comédiennes japonaises, s’embrassent lors de la conférence de presse qu’elles ont donnée à l’issue de leur cérémonie de mariage le 19 avril 2015 à Tokyo, qui n’a cependant pas été officiellement reconnu. Jiji Press)

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