La vraie nature du fiasco du nouveau stade olympique

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Le projet du nouveau stade olympique a été annulé suite aux vives critiques concernant le coût gigantesque de sa construction. Les multiples questions relatives à ce stade destiné à être au premier plan pendant les Jeux olympiques de 2020 symbolisent la structure d’irresponsabilité qui affecte la politique et la bureaucratie au Japon.

Les Jeux olympiques de 2020 ont été attribués à Tokyo et le stade olympique construit pour les Jeux olympiques de 1964 a été démoli. La construction d’un nouveau stade est prévue sur le site, mais ce projet a fait surgir de nombreuses questions liées au bâtiment, aux techniques de construction, au coût ou encore à la durée des travaux.

L’opinion publique s’est soulevée contre le projet lorsque Shimomura Hakubun, le ministre de l’Éducation, de la culture, des sports, des sciences et de la technologie, a déclaré qu’en raison de contraintes budgétaires et temporelles, le toit rétractable qui devait recouvrir la partie centrale du stade ainsi que les sièges amovibles de spectateurs ne seraient pas construits, en précisant que le coût de la construction dépasserait le budget originel de 100 milliards et il atteindrait vraisemblablement 252 milliards de yens.

Depuis la sélection du projet de Zaha Hadid, des experts de différents domaines ont indiqué à plusieurs reprises que ces divers problèmes se posaient. Le sujet a même fait l’objet d’un débat au Parlement. Le ministre et le directeur du service responsable du projet au sein du ministère ont toujours soutenu que ces problèmes n’existaient pas. Aucune mesure n’a été prise pendant deux ans. Cela n’a pas seulement été une perte de temps. En dépit des propositions de plusieurs architectes de rénover le stade olympique existant sans en reconstruire un nouveau, la démolition de l’ancien stade a été réalisée très rapidement, comme pour exclure définitivement cette possibilité. De plus, pendant ces deux ans, les milieux sportifs impliqués au premier chef dans ce projet ne se sont jamais exprimés à ce sujet. Le silence des médias à ce propos a été tout aussi étonnant.

Tout ceci révèle de graves problèmes qui, loin de se limiter aux Jeux olympiques, affectent la politique et la manière dont le Japon est gouverné.

Au centre à droite le stade olympique avant sa démolition, et les installations sportives de Jingû Gaien. La zone de verdure en haut à droite est celle du sanctuaire Meiji. (Jiji Press)

Un coût de construction total supérieur à 300 milliards de yens ?

Commençons par le coût de construction. Au moment du projet retenu par le jury du concours international en juillet 2012, il était chiffré à 130 milliards de yens, plus du double des 64 milliards du stade olympique de Sydney. Suite au tollé suscité par l’annonce du ministre au Parlement que les devis des entreprises du bâtiment aboutissaient à un montant de 300 milliards, le devis a été revu à la baisse, avec 170 milliards. Dans le plan directeur de mai 2014, il apparaissait à 162,5 milliards de yens. Le projet avait déjà subi de substantielles modifications au niveau de son apparence, et de sa surface utile qui avait diminué de 20 %. Un an plus tard, le ministre a annoncé que le stade olympique coûterait 252 milliards, même sans toit rétractable.

Pourquoi ces estimations ont-elles varié à ce point ? Cela tient tout d’abord à l’architecture du projet avec deux énormes arches d’une longueur de près de 400 mètres au-dessus du stade lui-même. D’où les commentaires selon lesquels, ce stade n’était pas sur le plan structurel un bâtiment, mais un pont. Il devait de plus être construit sur un site de dimension réduite au cœur de Tokyo et présentait de nombreuses difficultés techniques, concernant notamment les fondations. Les sociétés d’ingénierie de structures et de construction ont donc eu beaucoup de mal à fournir des devis précis.

Le 7 juillet, le Japan Sports Council (JSC), une institution administrative japonaise indépendante, a annoncé sa décision de reporter la construction du toit rétractable et des sièges amovibles (une économie de 26 milliards), un objectif de 252 milliards pour le coût des travaux, un démarrage du chantier en octobre prochain, et la livraison pour mai 2019. Un journal sportif japonais a fait remarquer que ce montant dépassait le total des coûts de construction des stades olympiques des quatre derniers Jeux (environ 240 milliards de yens au taux de change actuel).

Cette augmentation par rapport à la première estimation est attribuée à l’inflation du prix des matériaux et du coût du travail, une explication insuffisante pour cet écart de 110 milliards de yens, y compris les éléments éliminés. De plus, la nouvelle estimation ne comprend pas le coût des fondations des arches de forme sinusoïdale. Selon certains, le total atteindrait alors 400 milliards de yens.

Une grande partie des installations sans rapport avec le sport

Ce qui a fait augmenter le coût du nouveau stade est à la fois sa structure et son envergure. Le stade lui-même couvre un total de 11,5 hectares (2,4 hectares pour les aires sportives, 8,5 hectares pour les tribunes, et le reste pour les installations auxiliaires). Mais il y a aussi les fonctions annexes : 4 hectares pour les espaces liés à sa gestion et son entretien (bureaux, salles de conférence et locaux techniques), 2,5 hectares pour les parkings, 2 hectares pour les espaces d’accueil (salons VIP, loges de spectateurs, restaurants et autres), 1,4 hectare pour les zones consacrées à la promotion des sports (espaces d’exposition et de documentation, bibliothèque, magasins). Les espaces annexes occupent, en d’autres termes, presque la moitié de la surface du complexe du stade olympique.

Les espaces liés à sa gestion et son entretien occupent une surface plus vaste que les aires sportives, et plus importante que ce qui était prévu dans le règlement du concours d’architecture. À l’étranger, ces espaces dans les stades ayant une capacité de 80 000 personnes couvrent généralement autour de 0,5 hectare. La surface qui leur est consacrée dépasse de loin leur équivalent au stade Nissan (le stade international de Yokohama qui compte 70 000 places) sans qu’aucune explication détaillée à leur sujet ne soit fournie.

Les zones pour la promotion des sports (espaces d’exposition, de documentation, bibliothèque, magasins), qui occupent 1,4 hectare, n’ont pas de rapport direct avec la fonction principale du stade. Ne pourraient-elles pas être bâties ailleurs ? Les espaces d’accueil, VIP et autres, couvrent une surface extraordinairement importante, puisqu’elle correspond à presque un quart de celle consacrée au public général. Il est permis de douter que ces espaces soient véritablement nécessaires lors de compétitions sportives, qu’il s’agisse d’athlétisme ou de football, ou lors de manifestations culturelles.

Un stade qui ne sera plus utilisé pour l’athlétisme après les JO ?

Comparons maintenant la taille de l’ensemble aux principaux stades existants ailleurs qu’au Japon.

Le plan général de départ prévoyait que le stade puisse accueillir 80 000 personnes, sur un site de 11,3 hectares avec une surface utile totale de 22,2 hectares. La capacité des stades olympiques de Londres, Athènes et Sydney était de 80 à 100 000 spectateurs, la surface des sites respectivement de 16,2, 13 et 20,7 hectares, et les surfaces utiles variaient entre 8 et 12 hectares. Il s’agissait dans tous les cas de stades aux dimensions plus réduites, bâtis sur des sites plus grands. Le projet de Tokyo prévoyait une surface utile équivalente à environ deux fois celle du stade olympique londonien, sur un site qui ne représentait que 70 % de celui de Londres. C’était probablement demander l’impossible sur le plan technique. Il ne semble pas que depuis le concours une attention suffisante ait été accordée à l’accès fluide des 80 000 spectateurs, à la prévention des accidents, et à l’éventualité d’un tremblement de terre.

Le plan général du JSC ne comprend pas non plus un aspect essentiel, à savoir les pistes d’entraînement indispensables dans le cadre de compétitions officielles d’athlétisme. Le stade occupant tout l’espace disponible, il n’y avait plus de place pour les pistes d’entraînement sur le site. Le JSC a expliqué que des pistes provisoires seraient créées à proximité pendant les Jeux. Une fois qu’ils seront terminés, le stade olympique ne pourra donc plus servir à des compétitions officielles d’athlétisme.

Un public de 80 000 personnes pour de l’athlétisme est envisageable uniquement pendant les Jeux. On considère que les autres compétitions de ce sport attirent autour de 10 000 personnes. Avec des dimensions semblables à celles de l’ancien stade olympique, l’installation de pistes d’entraînement permanentes était possible. Cet argument a d’ailleurs été mis très tôt en avant par des spécialistes de l’athlétisme.

Les arches faisaient partie du projet de Zaha Hadid mais l’architecte n’a pas supervisé directement la conception des installations sportives. On peut se demander quel était l’objectif de ce projet, et qui était le véritable responsable, le véritable promoteur.

Un équipement polyvalent à contrepied des tendances mondiales

Les autres pays qui ont construit des stades olympiques ont d’abord mené une réflexion exhaustive sur l’usage futur de ces installations après les Jeux olympiques et paralympiques qui ne durent qu’un mois environ. L’important est de réfléchir à la manière dont un stade pourra être utilisé pendant les cinquante ou les cent années à venir. La majorité des stades conçus ces dernières années l’ont été à partir d’une telle réflexion (avec notamment l’installation de sièges démontables). Étant donné qu’il il existe déjà dans les pays avancés des stades à usage spécifique, notamment pour le football, cette approche est indispensable afin de définir clairement l’objectif du nouvel équipement pour éviter qu’il ne devienne inutile.

Le stade olympique d’Atlanta a été par exemple reconverti en arène de base-ball, et celui de Sydney en stade de football, après que ses dimensions ont été réduites. Le gigantesque stade olympique de Beijing, le célèbre « nid d’oiseau » a par contre été construit sans vision précise de son usage futur et il n’a quasiment pas servi depuis les Jeux de Beijing. Son entretien coûte tellement cher que sa démolition est actuellement envisagée.

Alors que les principaux stades olympiques construits ces dernières années dans le monde ont été reconvertis en stade de football ou autres, le nouveau stade olympique de Tokyo a vocation à être polyvalent, puisqu’il doit par la suite être utilisé pour des compétitions d’athlétisme, de football ou de rugby, ainsi que pour des manifestations culturelles. D’où non seulement ses dimensions, mais aussi ses sièges amovibles et son toit rétractable (qui servirait à l’isolation phonique lors des concerts), deux éléments qui ont été éliminés dans la nouvelle version. C’est ainsi que le coût de sa construction est devenu gigantesque.

4 milliards de yens de frais de maintenance annuel pour 48 jours d’utilisation

La construction n’est pas le seul coût. Des installations aussi diverses impliquent naturellement d’énormes frais d’entretien. Selon le JSC, ils s’élèveront au moins à quatre milliards par an, huit fois ceux de l’ancien stade démoli. Il a aussi été dit que cela ne suffirait pas à empêcher au bout de plusieurs années des rénovations de grande ampleur nécessitant des dépenses de l’ordre de 100 milliards de yens. Si le stade devait être équipé d’un toit rétractable, celui-ci devrait être changé tous les dix ans.

Le projet du JSC prévoit qu’après les Jeux olympiques, le stade sera utilisé 20 jours par an pour le football, 5 pour le rugby, 11 pour des compétitions d’athlétisme, et 12 pour des manifestations culturelles, soit un total de 48 jours, des prévisions au demeurant jugées optimistes par certains. Le stade pourrait être utilisé pour une Coupe du monde de football, mais la présence de la piste d’athlétisme ferait que les spectateurs seraient plus loin du terrain qu’ils ne le sont normalement dans un stade de football. Et le Japon dispose déjà, depuis la Coupe du monde de football Corée-Japon de 2002, de stades de football dont il ne sait que faire.

Pour le JSC, les revenus procurés par les seules manifestations sportives ne suffiront pas à rendre le stade profitable, et le stade sera utilisé pour des événements culturels et plus particulièrement des concerts. D’où la nécessité d’un toit, indispensable à l’isolation phonique. Même avec un toit, le JSC ne prévoit que 12 jours de concerts par an. Il n’y a au Japon chaque année que très peu de concerts susceptibles d’attirer 80 000 spectateurs.

La construction et l’entretien d’un stade gigantesque nécessitant des frais énormes, il faut donc y organiser des manifestations diverses pour couvrir ces frais. Ces manifestations imposent un toit rétractable pour l’isolation phonique ainsi que des sièges amovibles, ce qui coûte encore plus cher. Voilà le résultat auquel on aboutit lorsqu’on ne définit pas clairement l’objectif de l’équipement à construire.

Pourquoi faudrait-il qu’il y ait dans l’enceinte du nouveau stade olympique un centre commercial comme il y en a partout à Tokyo ? Comment le JSC qui n’a aucune expertise dans ce domaine peut-il compter sur le succès d’un tel équipement ? Depuis deux ans que le JSC est responsable du projet, il n’a fourni aucune explication convaincante à ce sujet. À l’époque de la bulle de l’économie japonaise, on a construit partout au Japon, dans toutes les villes, les bourgs et les villages, des salles polyvalentes qui se sont transformés en salles qui ne servent à rien. Aujourd’hui, leur entretien pose de graves problèmes. Le poids que ferait peser sur les générations futures un stade qui ne sert à rien est beaucoup trop lourd.

Une structure dans laquelle personne n’est responsable

L’annonce de l’énorme coût de construction du stade a suscité une tempête au sein de l’opinion publique. Andô Tadao, l’architecte président du jury du concours d’architecture est devenu la cible de toutes les critiques et il a alors déclaré que son implication dans le projet se limitait à la sélection du projet, mais ne s’était pas occupé de la suite.

L’organisme responsable de « la suite » est le JSC, qui comme nous l’avons vu est l’institution administrative japonaise indépendante chargée de la gestion du stade olympique. Le JSC a créé en janvier 2012 un conseil consultatif chargé de discuter de la construction du stade olympique et de ses utilisations futures. Le jury du concours placé sous l’autorité de ce conseil a sélectionné le projet de Zaha Hadid. Un comité consultatif a approuvé les spécifications du concours et le résultat de l’examen des soumissions. De plus, le directeur du bureau des sports et de la jeunesse du ministère de l’Éducation, de la culture, des sports, des sciences et de la technologie, ainsi que le vice-ministre ont participé à ces délibérations.

La subvention du JSC est attribuée par le bureau des sports et de la jeunesse de ce ministère, et prélevée sur son budget. Le ministre est chargé de superviser le tout. Toutes les personnes placées sous son autorité sont proportionnellement responsables. Mais chacune d’entre elles cherche à rejeter la responsabilité sur quelqu’un d’autre. Malgré ce manque de définition claire de la part des responsabilités, c’est le JSC qui dispose d’un important pouvoir de décision.

Le JSC, un rassemblement d’amateurs disposant d’un pouvoir discrétionnaire

Bien qu’il n’y ait au JSC aucun spécialiste d’architecture ou de sports, c’est à cette entité qu’a été confié le choix de déterminer la manière dont le stade serait construit. De plus, le coût du remplacement du siège du JSC et de celui de la Nihon Seinen-kan (Maison de la jeunesse du Japon), un complexe alliant un hôtel et une salle de concert géré par une organisation auxiliaire du ministère, soit 13 milliards de yens, ont été inclus dans le budget de la démolition de l’ancien stade (20 milliards de yens). On voit que le ministère de l’Éducation, de la culture, des sports, des sciences et de la technologie et l’organisme qui lui est lié utilisent à leur profit l’argent du contribuable sans aucun contrôle parlementaire. Cela se comprend aussi en lisant le contrat passé entre le JSC et Zaha Hadid.

Le concours portait uniquement sur l’architecture, et l’architecte sélectionné est missionné pour diriger sa conception (avec une commission de 1,3 milliard de yens). C’est le JSC qui était soumis au choix du maître d’œuvre, et il pouvait même modifier l’ouvrage de manière significative, s’il le pensait nécessaire. C’est une des causes de l’importante modification du coût de la construction. Ces décisions sont ensuite approuvées par le comité consultatif formellement composé d’experts représentant tous les domaines, qui ne sont pas des spécialistes. C’est ainsi que l’on arrive à des décisions prises par des gens qui n’en assument pas la responsabilité.

Le résultat, c’est que les membres du comité consultatif affirment : « cela a été décidé par le JSC qui est le secrétariat du projet », et que le JSC pour sa part déclare : « le conseil consultatif a pris la décision », et « les instructions sont venues du ministère de l’Éducation, de la culture, des sports, des sciences et de la technologie ». Les cadres du ministère et le ministre lui-même changent d’attitude et de ligne directrice en fonction de la manière dont les choses évoluent. La conscience d’avoir la mission de gérer des milliards fournis par les contribuables devrait les faire trembler, mais aucun d’entre eux n’a fait preuve de sérieux ou de sens des responsabilités.

Un concours fermé aux architectes de la génération montante

Le concours affirmait que son ambition était d’attirer des soumissions du monde entier, mais comme il n’était ouvert qu’aux lauréats du Prix Pritzker, de la médaille d’or de l’UIA (Union internationale des architectes) et de trois autres récompenses internationales, il était par conséquent fermé à la génération montante. Les projets ayant passé la première étape devaient être étudiés par les huit membres du jury de celle-ci, rejoints par deux architectes non-japonais de renommée internationale, qui ne se sont même pas déplacés au Japon. Le jury n’a fourni aucune explication sur ses travaux, et l’ensemble du processus a été extrêmement opaque.

L’opacité des procédures relatives aux normes de construction a été telle qu’il est difficile de croire que le concours a eu lieu dans un pays régi par la loi. Les consignes du concours ont été annoncées en juillet 2012. À l’époque, la hauteur des bâtiments des alentours était limitée à 20 mètres. De plus, le site se trouvant dans une zone de protection naturelle en raison de la proximité du sanctuaire Meiji, la hauteur des bâtiments était encore plus sévèrement limitée et ne devait pas excéder 15 mètres.

Les consignes du concours indiquaient cependant que la hauteur du bâtiment pouvait aller jusqu’à 70 mètres. Le concours a donc été organisé sur la base d’un non-respect des normes de construction existantes et des lois d’urbanisme. Les participants en avaient-ils été informés ?

En juin 2013, six mois après la sélection du projet, les normes locales d’urbanisme ont été modifiées. Le conseil de planification urbaine de la préfecture de Tokyo a assoupli celle s’appliquant à la hauteur des constructions, la faisant passer de 15 à 75 mètres, a porté le coefficient d’occupation des sols de 300 % à 600 % afin de reconstruire le siège du JSC et le complexe Nihon Seinen-kan, et a aussi inclus dans la zone de réaménagement urbain les parcelles privées attenantes au parc Jingû Gaien et situées le long de l’avenue Aoyama-dôri. La préfecture de Tokyo affirme que cela ne posait pas de problème de procédure, mais il n’existe aucune trace de communication à ce sujet ni de réunion d’informations alors qu’il s’agissait d’une décision de première importance puisqu’elle modifiait une zone de protection naturelle.

Les consignes du concours indiquaient aussi que les dix bâtiments d’habitation de Kasumigaoka de la municipalité de Tokyo « seraient déplacés en liaison avec la réalisation du nouveau stade olympique, que le site qu’ils occupaient ne serait pas construit mais utilisé pour un espace public », mais les quelques quatre cents habitants de ces bâtiments n’en ont pas été informés ni avertis avant leur publication.

La direction de l’urbanisation de Tokyo, qui gère les logements municipaux n’a pas non plus organisé de réunions d’informations au sujet du déplacement et du remplacement de ces logements avant l’ouverture du concours. Elle a organisé une réunion d’explication pour la mairie de l’arrondissement de Shinjuku un mois après celle-ci, et une autre à l’intention des habitants, quatre mois plus tard. Le Japon proclame que les Jeux olympiques et paralympiques sont une fête pour le peuple japonais, mais cette manière de déloger des habitants sans aucune explication n’est pas celle d’un pays démocratique.

Le contexte historique du parc Jingû Gaien et son environnement ignorés

Le parc Jingû Gaien, créé avec l’aide de généreux bienfaiteurs comme Shibusawa Eiichi(*1) et Sakatani Yoshirô(*2) et conçu dans le cadre de la création du sanctuaire Meiji qui rendait hommage à l’empereur Meiji, a été le premier espace vert à bénéficier de la désignation de zone de protection naturelle à Tokyo. C’est un espace vert urbain représentatif du Japon, un endroit respectueux de l’histoire et de la nature, où se trouvent non seulement le petit musée Seitoku consacrée à la vie de l’empereur Meiji, mais aussi de belles allées bordées de ginkgo.

Le projet du nouveau stade ne tient aucun compte de ce contexte historique, ignore la limite de 15 mètres imposée aux constructions afin de le protéger, et va construire un stade géant qui occupera tout le site qui lui est accordé en sacrifiant des arbres. Cela n’endommagera pas seulement la nature du parc, mais pose aussi de nombreux problèmes liés à la sécurité des déplacements des dizaines de milliers de spectateurs qui s’y rendront lorsque des manifestations y seront organisées, ainsi qu’à la prévention des accidents.

C’est aussi ici qu’eut lieu en octobre 1943 la manifestation organisée à l’occasion de départ pour la guerre des étudiants qui étaient jusqu’alors exemptés de l’obligation militaire. Elle aurait rassemblé plus de 80 000 personnes, les partants et les familles. Nombreux furent les étudiants qui ne revinrent pas. Enfin, c’est ici que 21 ans plus tard, en octobre 1964, ont été ouverts les Jeux olympiques de Tokyo, qui symbolisaient la reconstruction du Japon. Ce lieu qui concentre l’histoire du siècle pendant lequel se modernisa le Japon est devenu aujourd’hui un espace apprécié par les habitants de Tokyo qui viennent ici aujourd’hui avant tout faire du sport. Les politiciens et les bureaucrates du ministère de l’Éducation, de la culture, des sports, des sciences et de la technologie ne devraient-ils pas être les plus conscients de ce passé ?

(*1) ^ Shibusawa Eiichi (1840-1931), industriel et philanthrope japonais.

(*2) ^ Sakatani Yoshirô (1863-1941), diplomate et politicien japonais, maire de Tokyo au moment de la création du sanctuaire Meiji Jingû.

Une « politique de la canonnière » qui se trompe d’époque

Pour conclure, faisons la liste des sérieux problèmes parfaitement illustrés par la question du nouveau stade, que posent la politique japonaise, ses politiciens et son exécutif.

Tout d’abord, elle résulte d’un empilement de procédés douteux du point de vue de la loi, complètement opaques, alors qu’il s’agit d’un projet énorme sur le plan financier et sur le plan historique. Alors qu’il a été lancé il y a déjà trois ans, on ne dispose toujours pas d’explications ou d’informations suffisantes à son sujet. Cela prouve que le mot « démocratie » est aujourd’hui vide de sens. Une légitimité exclusivement formelle et vide de contenu pose un grand danger.

Deuxièmement, on ne peut pas laisser passer sans protester cette politique de la canonnière qui n’a rien à faire à notre époque, qui ne sert ni les intérêts de la population ni ceux du pays, et qui ne profite en réalité à personne. Il est même permis de douter que ce projet serve les intérêts du ministère de l’Éducation, de la culture, des sports, des sciences et de la technologie ou du JSC. Des centaines de milliards de yens seront-ils dépensés pour satisfaire leur envie de gloire ? Il ne faut pas oublier qu’en perdant de vue la vraie nature du projet, son objectif, en faisant gonfler son budget et ses dimensions pour servir leurs objectifs personnels, ces gens ont ajouté des centaines de milliards de yens à la dette publique japonaise qui est déjà immense.

Troisièmement, cette question montre qu’une chose décidée ne peut être changée même lorsque 70 à 90 % de l’opinion publique (selon des sondages d’opinion des plus grands journaux), c’est-à-dire de la population et donc des contribuables qui paient ces sommes, y sont opposés. Il s’agit d’un manque d’imagination, d’une absence de sens des responsabilités. Car cette irresponsabilité pourra bien infliger aux Japonais de la prochaine génération des pertes immenses, voire des conséquences tragiques. Et cela à cause du simple désir d’éviter la colère des parties impliquées en cas de changement d’orientation. Regrettablement, tout cela rejoint l’analyse des historiens du processus qui a mené à la Seconde Guerre mondiale.

J’ajouterai qu’il existe un autre bâtiment historique dont la destruction est prévue en vue des Jeux olympiques de 2020 : l’hôtel Ôkura. Cet hôtel de l’architecte Taniguchi Yoshirô, bâti en prévision des Jeux olympiques de 1964, par Ôkura Kishichirô, est un des symboles de l’architecture japonaise moderne, et de la reconstruction du Japon de l’après-guerre.

Aimé de John Lennon et de nombreuses personnalités mondiales, il est aujourd’hui l’objet d’une pétition mondiale contre sa reconstruction. C’est un bâtiment qui fait partie du patrimoine mondial, mais ses gérants et ses actionnaires (parmi lesquels il y a de nombreuses entreprises du BTP et de l’immobilier), ne donnent pas signe de changer d’avis dans leur recherche d’un profit à court terme. Taisei Kensetsu, le principal actionnaire, est aussi un des principaux acteurs de la construction du nouveau stade, ce qui suggère peut-être ce qui arrivera dans le Japon post-olympique.

Deux ans plus tard, on entend enfin aujourd’hui des voix exiger une révision du projet du stade(*3). Mais la réduction des coûts du projet n’est qu’une partie du problème. Des gens qui se sont trompés d’objectif, qui ont décidé des choses en fonction de l’atmosphère de leurs proches, entraîne la société dans son ensemble au bord du gouffre. Il faut saisir ce problème comme l’occasion de briser ce cycle. Maki Fumihiko, l’architecte qui n’a cessé depuis deux ans de s’y opposer, a déclaré à ce sujet : « C’est un drame pour les Japonais, mais une comédie vue de l’étranger ». Pour ma part, je suis persuadé que la seule façon de ne pas en faire un drame est que chacun d’entre nous s’exprime à ce sujet comme s’il le concernait directement.

(D’après un article original en japonais du 16 juillet 2015. Photo de titre : Jiji Press)

(*3) ^ Le gouvernement a annoncé le 17 juillet que le projet de construction du grand stade était annulé, et le 14 août que le nouveau concours s'ouvrirait au début du mois de septembre. —N.D.L.R.

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