Le rugby japonais au sommet

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Le Japon, qui était considéré comme un pays sans grande envergure dans le domaine du rugby, a extraordinairement brillé lors de la dernière coupe du monde en Angleterre, donnant dès à présent l’impulsion de la prochaine édition de la Coupe du monde de rugby en 2019 au Japon. Derrière cette performance, il y a l’incomparable talent du sélectionneur Eddie Jones.

L’intérêt pour le rugby s’en trouve multiplié

Bien que l’équipe japonaise ait participé à la totalité des 7 dernières Coupes du monde de rugby, elle n’avait jusqu’à présent gagné qu’un seul de ses matches, contre le Zimbabwe en 1991. Et pourtant, lors de cette Coupe du monde en Angleterre en 2015, elle a réussi l’exploit de vaincre la superpuissante équipe sud-africaine sur le score de 34 à 32. Et si elle s’est inclinée contre l’Écosse lors de la rencontre suivante, elle a ensuite gagné contre les Samoans théoriquement supérieurs avant de vaincre les États-Unis, terminant le tournoi sur 3 victoires pour 1 défaite.

Si l’entraîneur Eddie Jones, né en Australie, n’a pas réalisé son objectif de mener l’équipe en quart de finale, il a indéniablement bouleversé le niveau d’attention porté au rugby japonais et son contexte.

L’arrière de la sélection japonaise, Gorômaru Ayumu, est devenu célèbre pour la précision incomparable de ses coups de pieds placés dans un style qui ne tient qu’à lui, et s’est retrouvé propulsé d’un seul coup le « visage du Japon » de cette année. Les reporters spécialisés des émissions de stars s’étaient précipités à la conférence de presse lors de laquelle il a annoncé qu’il jouerait la saison prochaine chez les Queensland Reds, une équipe australienne disputant le Super Rugby.

Eddie Jones, en fin de contrat, a quitté la sélection nationale japonaise pour l’Afrique du Sud où il va diriger les Stormers, équipe sud-africaine du Super Rugby(*1), mais d’ores et déjà, la question de savoir quel sera le prochain sélectionneur japonais attire autant les regards que celle de l’entraîneur national de l’équipe de football.

Eddie Jones l’avais dit : « Si l’équipe japonaise gagne ses matches de Coupe du monde, l’histoire du rugby japonais en sera changée ». Sa prophétie s’est réalisée.

Un entraîneur qui connaît le Japon

Le sélectionneur de l’ équipe du Japon Eddie Jones à l'entraînement de la veille du match contre les États-Unis. Gloucester, Angleterre, 10 octobre 2015. (Jiji Press)

D’où est venu le succès d’Eddie Jones en tant qu’entraîneur de la sélection japonaise ?

Au cours de la première moitié de 2015, j’ai interviewé Eddie Jones durant plus de 10 heures. Je me souviens parfaitement, quand il m’a parlé de deux conditions absolues pour devenir entraîneur d’une équipe nationale : « avoir déjà une expérience d’entraîneur dans ce pays », et « avoir déjà gagné un championnat en tant qu’entraîneur ». Ce à quoi il ajoutait la capacité de répondre rapidement à une demande d’adaptation dans un nouveau contexte étranger.

Jones a une épouse japonaise et est lui-même d’ascendance japonaise par sa mère nippo-américaine. Il a commencé sa carrière en 1996 en devenant conseiller pour le rugby de l’équipe japonaise de l’Université Tôkai. En 2001, il est nommé entraîneur de l’équipe australienne qu’il mène deux ans plus tard en finale de la Coupe du monde, accumulant les succès au sommet du rugby mondial. C’est en 2009 qu’il revient au Japon, conduisant l’équipe de Suntory à deux reprises consécutives à la victoire en top league, avant de prendre les commandes de l’équipe nationale japonaise en 2012.

« Il est essentiel pour assurer les fonctions d’entraîneur national, de connaître la situation du rugby dans ce pays, grâce à une expérience d’entraîneur de club de championnat », m’a déclaré Eddie Jones.

L’équipe japonaise a déjà eu un entraîneur étranger : John Kirwan, le joueur légendaire des All Black, qui entraînait la sélection japonaise en 2011 pour la Coupe du monde. Malheureusement, alors que Kirwan avait précédemment réussi à faire de l’Italie une grande nation de rugby en Europe en 4 ans à compter de 2002, il n’aura pas réussi à obtenir une seule victoire de l’équipe japonaise.

La différence de profils des deux entraîneurs a de ce point de vue certainement joué. Mais pour ma part, je pense que la différence essentielle de Jones par rapport à Kirwan a résidé dans sa vision très pertinente des Japonais.

Les Japonais sont plus forts sous la pression

À l’époque où il entraînait l’Université Tôkai, en 1996, Jones a aussi été entraîneur temporaire de l’équipe nationale, mais au cours des championnats du Pacifique, le Japon s’était fait éreinté 74 à 5 contre les États-Unis, pourtant considérés comme de niveau équivalent, et alors même que, quelques semaines auparavant, le Japon avait vaincu la même équipe 24 à 18. Un résultat inexplicable.

Eddie Jones, qui avait 36 ans à cette époque, attribue cette contre-performance à la façon dont l’équipe a vécu la semaine précédent la rencontre.

« En général, la semaine avant un match en équipe nationale, on n’impose pas un entraînement trop dur aux joueurs. Cette fois-là, comme pour les autres pays, j’avais un peu laissé décompresser l’équipe japonaise. Et ça a été fatal. Les joueurs ont perdu leur concentration vers la performance et ont joué un match indigne d’une rencontre internationale. »

De cette expérience, Jones a appris que « les Japonais développent une plus grande force quand ils sont soumis à la pression ». Quand il est devenu entraîneur principal de la sélection nationale japonaise en 2012, il a complètement changé son approche des joueurs et n’a pas relâché un seul instant la pression.

Il a toujours demandé à ses joueurs de donner leur maximum, en permanence, même à l’approche d’un match, même à l’entraînement avant une rencontre à l’étranger. Et les joueurs qui ne pouvaient pas suivre se faisaient recevoir sans ménagement : « Si tu es là pour faire du jogging, tu rentres au Japon ! »

« Vous avez dit que vous alliez changer. Ce n’est pas moi qui vais vous changer, c’est vous qui devez changer par vous-même. » Jones savait que les joueurs japonais possédaient la puissance mentale de ne pas craquer sous ce type de discours.

(*1) ^ Le 20 novembre 2015, Eddie Jones a été nommé sélectionneur de l'Angleterre.— N.D.L.R

Endurance et coopération

« Les Japonais possèdent de grandes capacités d’endurance. Leur volonté de réussir dur est très forte même dans la difficulté. Moi, je soumets mes joueurs à un entraînement sévère, mais si je fais la même chose avec l’équipe australienne, je ne suis pas sûr qu’ils supportent. Disons plutôt que j’aurais appliqué une autre approche. Alors pourquoi les Japonais supportent-ils cette façon ? Parce qu’ils se sentent obligés de faire les mêmes efforts que leur camarades, parce qu’ils ne veulent pas se sentir tenus à l’écart. »

Les gens détestent que l’harmonie de l’équipe soit détruite. Ou pour dire les choses autrement, leur esprit de coopération est très fort. C’est caractéristique de la société japonaise. On est mieux considéré quand à la capacité de faire son travail tout en se fondant comme il faut dans l’ensemble. Or, pour Eddie Jones, un esprit de coopération trop fort peut avoir un effet négatif au rugby.

« Par exemple, admettons que le ballon sorte sur les côtés et qu’on ait une touche. Les avants doivent immédiatement décider quel type de jeu ils veulent faire et le signaler aux autres. Mais les Japonais, au lieu de décider tout seul, commencent d’abord à demander l’avis des autres. »

Coupe du monde de rugby Poule 1, Afrique du Sud – Japon. En deuxième mi-temps, Leitch Michael attaque (le plus à droite). Brighton, Angleterre, 19 septembre 2015. (Jiji Press)

Pour Eddie Jones, ne pas décider tout seul, c’est fuir habilement sa responsabilité.

« Le rugby est un aussi un sport de décision. Pendant un match l’action se déroule à une vitesse extraordinaire, il n’y a pas de place pour l’indécision. Si les joueurs ne mobilisent pas toute leur expérience et leur intelligence du jeu, c’est la défaite assurée. »

Si les Japonais, qui ont été éduqués à mettre en valeur l’esprit de coopération, veulent jouer au rugby, il y a certains points à améliorer. Certes, la morale japonaise de l’endurance est devenue une arme efficace de soutien pour cette équipe japonaise grâce à Eddie, mais il ne faut pas qu’elle soit un prétexte à se reposer sur une absence de décision. Il faut considérer les deux faces d’une médaille si on veut avoir un résultat optimal.

Un exploit qui donne courage

En serrant les dents devant la rude direction de l’entraîneur Eddie Jones, les joueurs japonais ont développé leur capacité de décision et leur esprit d’indépendance. C’est exactement ce qui leur a permis de réaliser l’exploit, à la toute fin du match contre l’Afrique du Sud.

À quelques secondes de la fin du match, le Japon était encore mené de 3 points, 32 à 29. Le Japon obtient une pénalité en face des poteaux adverses. S’ils avaient choisi de tirer cette pénalité, ils obtenaient l’égalité, ce qui aurait déjà été un résultat historique, une page de l’histoire du rugby. Tout ce que pouvait déjà souhaiter l’entraîneur.

Mais le capitaine de l’équipe, Leitch Michael, prend la décision de jouer la pénalité à la main, c’est à dire de viser l’essai et la victoire. Après un jeu d’une intensité à couper le souffle, Karne Hesketh marque l’essai de la victoire. Une des plus belle scène de l’histoire du rugby, non, de l’histoire du sport vient de se jouer.

Les joueurs ont bien retenu la leçon de leur entraîneur, ils ont fait preuve d’un esprit de décision et d’indépendance au point de prendre le revers de sa consigne. Jones, qui a été très surpris de la décision des joueurs de demander la mêlée, a déclaré à l’issue du match : « Il fallait du courage pour prendre cette décision. Respect ! » Que pouvait-on rêver de mieux comme commentaire, en épilogue d’un match qui restera gravé comme le plus glorieux du rugby japonais ?

(Adapté d’un article en japonais du 18 novembre 2015. Photo de titre : Gorômaru Ayumu [à gauche] et ses coéquipiers célèbrent leur essai lors du match de la Coupe du monde de rugby contre Afrique du Sud. Brighton, Angleterre, 19 septembre 2015. Jiji Press)

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