Entre adultes consentants : surprenants scandales sexuels au Japon

Société

Au cours des premiers mois de 2016, les magazines hebdomadaires de la presse à scandale japonaise ont dévoilé les affaires extraconjugales de plusieurs personnalités très en vue, les contraignant à se retirer de la vie publique. Sechiyama Kaku, spécialiste en sociologie comparée, s’interroge sur cette humiliation publique rituelle pour des comportements relevant, aux yeux de la loi, de la sphère privée.

Tout a commencé avec le scandale Becky, début janvier 2016. La vedette de la télévision japonaise Rebecca Eri Ray Vaughan, mieux connue sous le surnom de Becky, pouvait s’enorgueillir d’une brillante carrière au Japon jusqu’à ce qu’un magazine s’empare des preuves d’une aventure avec le chanteur-compositeur Kawatani Enon, un homme marié. Ce scoop a déclenché une véritable frénésie dans les médias, qui a débouché pour Becky sur la rupture de ses nombreux contrats publicitaires et l’annulation de ses apparitions à la télévision. Elle s’est retirée du show-business pour une durée indéterminée.

La victime suivante a été le député Miyazaki Kensuke, étoile montante du Parti libéral-démocrate qui s’était trouvé sous le feu des projecteurs fin 2015 en annonçant son intention de prendre un congé paternité, une première pour un membre du Parlement. Début février, un magazine a rapporté qu’il avait passé la nuit avec un mannequin, quelques jours à peine avant que sa femme (également députée PLD) donne naissance à leur premier enfant. Démissionner du parti n’a pas été une punition suffisante ; le 12 février, M. Miyazaki a renoncé à son mandat à la Chambre basse.

Ototake Hirotada, écrivain, journaliste et défenseur des personnes handicapées réputé, a connu un sort similaire. Au mois de mars, un autre magazine hebdomadaire l’a accusé d’infidélité ; M. Ototake a publié ses excuses sur son site internet et pris congé de la vie publique pour une durée indéterminée. Sa femme a nourri la controverse en assumant une part de responsabilité dans les errements de son époux et en s’excusant d’avoir « provoqué un scandale ». Se pose ici une question centrale : si le couple s’est réconcilié, sur quoi portait donc le scandale ?

Les affaires extraconjugales existent dans toutes les sociétés. Mais la façon dont elles sont considérées et traitées apporte un éclairage important sur la société et ses mœurs. Examinons donc les réactions actuelles dans un contexte historique et international, dans une tentative de décrypter l’intérêt actuel des médias japonais pour les affaires extraconjugales.

L’adultère, un crime dans le Japon d’avant-guerre

Avant la Seconde Guerre mondiale, l’adultère ou kantsûzai, parfois traduit par « conversation criminelle », constituait un crime. Il s’appliquait uniquement à une femme mariée qui entretenait des relations sexuelles hors des liens du mariage, ou à son amant ; la seule personne habilitée à porter plainte était le mari trompé.

Dans le contexte du rigide système patriarcal du Japon d’avant-guerre, l’adultère commis par une femme était considéré comme un crime grave, parce qu’il risquait de mettre un enfant adultérin à la tête d’un patrimoine et d’une famille qui n’auraient pas dû lui revenir. Cela explique l’importance démesurée accordée à la chasteté féminine. Pour un homme, en revanche, avoir plusieurs partenaires féminines, concubines ou maîtresses, était l’assurance de perpétuer sa lignée. De ce fait, les relations extraconjugales entre un homme marié et une femme célibataire n’ont jamais été considérées comme un crime, ni même comme une véritable faute morale. Le système patriarcal a ainsi nourri une mentalité conservatrice en matière de sexualité féminine, portant un jugement différent sur des comportements similaires en fonction du sexe de la personne.

Après-guerre, cette clause clairement discriminatoire du Code pénal a été considérée comme inacceptable. Deux options s’offraient pour redresser cette injustice : faire de l’adultère un crime pour toutes les personnes mariées, mari et femme, ou purement et simplement le supprimer du Code pénal. Le Japon a choisi cette dernière solution. Inversement, la Corée du Sud et Taïwan (anciennes colonies du Japon) ont préféré la première, ajoutant une clause faisant de l’adultère un crime pour le mari comme pour la femme. Ces lois ont été vivement critiquées au motif que l’Etat n’a pas à interférer dans des relations mutuellement consenties.

Le 26 février 2015, la Cour constitutionnelle sud-coréenne a définitivement résolu la question en jugeant inconstitutionnelles les lois anti-adultère du pays. La majorité des citoyens et des observateurs ont favorablement accueilli cette décision, mais certaines voix ont manifesté leur désaccord – une opinion largement diffusée sur internet avançait qu’avec tant de personnes qui se réjouissaient, la Corée du Sud allait bientôt devenir une « république de l’adultère ».

Le Code civil japonais, pour sa part, voit dans l’infidélité une rupture de la confiance et un motif de divorce unilatéral. Contrairement à l’adultère dans le Japon d’avant-guerre, cette clause s’applique aux femmes comme aux hommes ; elle incarne la norme familiale moderne qui repose sur la fidélité mutuelle entre époux. L’infidélité ouvre aussi le droit à des dédommagements en cas de divorce.

Tensions dans une ère nouvelle de diversité

Après la Seconde Guerre mondiale, avec l’augmentation des mariages d’amour, le Japon a fait de la monogamie l’un des principes directeurs de la famille moderne. Avec elle se sont imposées des mœurs sociales – applicables aux hommes comme aux femmes – limitant les relations sexuelles au cadre du mariage. De ce point de vue, les aventures extraconjugales d’une femme mariée, mais aussi d’un homme marié avec une femme célibataire (prostituées y compris), sont jugées inconvenantes, en dehors de toute considération légale.

Bien entendu, les mœurs sexuelles ne changent pas du jour au lendemain, et le double standard du système patriarcal, qui tolérait l’infidélité masculine mais pas féminine, persiste dans certains secteurs de la société. La condamnation des relations adultères au Japon a ainsi été vue comme une manifestation des privilèges masculins et de la soumission féminine, une idée encore assez répandue au Japon comme à l’étranger.

Dans un article du 8 février de l’édition en ligne du quotidien britannique The Guardian, Justin McCurry voit dans la chute de Becky un exemple de « la sévérité du traitement réservé par le Japon à ses artistes féminines ». Cette interprétation est difficilement justifiable au vu du traitement tout aussi dur dont Miyazaki Kensuke a fait l’objet. (Il est vrai que Becky a attiré davantage d’attention et de critiques que son amant, mais elle est plus connue que lui.) Il n’est plus possible de considérer, dans le Japon contemporain, l’infidélité comme un privilège masculin et une violation des droits des femmes.

La société japonaise a dépassé le système patriarcal, et est bien partie pour transcender la norme monogame de la famille moderne. Durant les 18 dernières années, le ratio de divorces par rapport aux mariages a dépassé les 30 %. Cela signifie qu’à tout moment, de nombreux couples sont en pleine procédure de divorce, une phase du mariage pendant laquelle les relations extraconjugales sont loin d’être rares.

En 1999, la chaîne de radio-télévision publique NHK a procédé à un sondage national sur les comportements sexuels. Cette enquête a déjà plus de 15 ans, mais c’est le seul sondage japonais fiable sur la question, effectué à partir d’échantillonnages aléatoires.

Parmi les personnes sondées affirmant avoir eu des relations sexuelles durant l’année écoulée, 13 % de femmes âgées de 20 à 30 ans ont indiqué avoir eu des rapports avec quelqu’un d’autre que leur partenaire. Pour les trentenaires, la proportion était de 10 % ; elle atteignait 25 % pour les hommes dans la vingtaine et 15 % pour ceux dans la trentaine. Environ 70 % des sondés affirmaient ne pas avoir eu de rapports avec quelqu’un d’autre que leur partenaire, tandis que le reste préférait ne pas répondre. Il s’agit des chiffres fiables les plus récents à notre disposition, et on peut sans doute estimer sans se tromper que l’infidélité au Japon a progressé depuis 1999.

La famille moderne s’est construite sur l’idéal d’une relation mutuellement contraignante, à la sexualité confinée au sein du couple. Mais ces fondations chancellent aujourd’hui, et le signe le plus éclatant de leur déclin est la fréquence des aventures extraconjugales.

L’adultère dans d’autres cultures

L’enquête Global Attitudes 2013 (Comportements mondiaux) du Pew Research Center a interrogé des adultes de 40 pays sur l’acceptabilité morale des aventures extraconjugales. Parmi les pays sondés, les Français affichaient une tolérance remarquable avec seulement 47 % de personnes jugeant l’adultère inacceptable. L’Allemagne arrivait en deuxième position, avec 60 %. Plus de 90 % des personnes interrogées dans chaque pays musulman jugeaient l’adultère parfaitement inacceptable (seule l’Égypte est mentionnée dans le tableau ci-dessous). Parmi les Américains, ils étaient 84 %.

Au Japon, c’était le cas de seulement 69 % des sondés (contre 81 % en Corée du Sud). On pourrait considérer cette proportion élevée, vu le nombre de mariages japonais qui survivent à des infidélités de l’un ou l’autre des partenaires. Mais à l’aune de la réaction de l’opinion publique aux scandales sexuels impliquant des célébrités, ce chiffre est étonnamment bas.

L’acceptabilité morale des aventures extraconjugales

« Moralement inacceptable. » « Moralement acceptable. » « Pas une question de moralité. »
Égypte 93 % 2 % 4 %
États-Unis 84 % 4 % 10 %
Corée du Sud 81 % 8 % 8 %
Chine 74 % 8 % 12 %
Russie 69 % 7 % 9 %
Japon 69 % 12 % 14 %
Espagne 64 % 8 % 27 %
Allemagne 60 % 11 % 26 %
France 47 % 12 % 40 %

Source : Pew Research Center, Global Attitudes survey, 2013.

Une question de choix personnel

Bien que le Code civil japonais fasse de l’infidélité un motif de divorce et de dédommagement, le code criminel s’en tient au respect du choix personnel en matière de sexualité. Cela suggère que le critère principal pour évaluer l’acceptabilité d’une relation sexuelle est le consentement des parties concernées, et non leur statut conjugal.

Une application cohérente de ce principe devrait faire du sexe imposé un viol – c’est-à-dire un crime –, même au sein du couple. De la même façon, si l’infidélité n’est ni illégale ni une violation des droits fondamentaux de la femme, les personnes coupables d’adultère ne devraient pas être contraintes de démissionner, bannies des plateaux de télévision ou publiquement ostracisées et humiliées.

Pour autant, il ne s’agit pas d’assurer l’impunité à tout un chacun. L’adultère peut avoir des conséquences négatives. Le comportement de Miyazaki Kensuke est particulièrement fâcheux dans la mesure où il a décrédibilisé le congé parental pour un homme. (Les lois japonaises ont beau garantir l’équité du congé parental entre hommes et femmes, il est très rare que les hommes en bénéficient et les députés n’y ont pas droit car ils ne sont pas salariés.) Le point crucial est que l’infidélité est un problème personnel, qui doit être réglé par les personnes concernées et non pas faire l’objet de sanctions sociales ou d’interférences extérieures.

Savoir si le mariage ou une autre forme de relation doit s’accompagner d’une fidélité sexuelle exclusive est une décision qui revient au couple. Les gens peuvent continuer à entretenir une relation basée sur la fidélité s’ils le souhaitent. Mais ils n’ont pas plus le droit d’imposer leurs valeurs sexuelles à autrui qu’ils n’ont le droit d’imposer leurs interdits alimentaires religieux à des personnes d’autres confessions.

La préférence sexuelle est un droit fondamental, de même que l’intimité sexuelle. C’est pourquoi il est impossible d’accepter que des personnages publics soient contraints à se retirer du devant de la scène ou à démissionner de leur poste à cause de leur comportement privé.

Dans le cas de Miyazaki Kensuke, la personne qui souffrira le plus des ragots colportés par la presse à scandale est l’enfant du couple, dont le nom sera pour toujours associé à cet incident sordide, simplement parce qu’il a eu la malchance de naître dans le foyer de deux personnages publics. De quel droit les médias assombrissent-ils ainsi la vie d’un enfant innocent, en transformant volontairement un problème marital en rite d’humiliation publique ? C’est parfaitement irresponsable.

Nous devons apprendre à respecter la diversité des comportements sexuels, sans quoi des gens continueront à souffrir inutilement de sanctions sociales enracinées dans des normes dépassées.

(D’après un article en japonais du 4 avril 2016. Photo de titre : Miyazaki Kensuke annonce sa démission lors de la conférence de presse du 12 février 2016. Jiji Press)
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