Pour les enfants privés de repas dans leurs foyers

Société

Au Japon, certains enfants, issus souvent de familles monoparentales, ne bénéficient pas d'une alimentation suffisante dans leurs foyers. Les établissements leur offrant des repas gratuits ou à bas prix sont de plus en plus nombreux à travers le pays. L’auteur nous présente les mesures d’assistance établies envers ces enfants pauvres ou mangeant seuls malgré eux.

La pauvreté des enfants, telle qu’on l’observe dans les écoles

Depuis avril 2005, en tant qu’assistante sociale scolaire, je m’occupe des préoccupations des enfants. Je suis chargée d’analyser les relations entre les obstacles rencontrés dans leur scolarité et le milieu dans lequel ils vivent, afin de leur garantir une meilleure éducation et un meilleur quotidien.

Les enfants d’aujourd’hui sont touchés par différents problèmes dont je parle ci-dessous. Il ne s’agit pas de cas limités à une région particulière.

En rendant visite à des familles d'enfants déscolarisés, je tombe sur un véritable capharnaüm. L’enfant s’occupe de ses jeunes frères et sœurs et ne prend pas de repas convenable. Le logement sent mauvais, et laisse redouter le pire sur le plan sanitaire et hygiénique. Je vois des enfants avec des dents en mauvais état suite à des caries non soignées depuis des années, et qui se voient privés de leçons de natation à l’école car ils n’ont pas complété leurs examens ORL obligatoires.

Il m’arrive d’être confrontée à des situations plus inquiétantes, lorsque je rencontre dans ces logements des groupes de collégiens multipliant les larcins. Ces enfants-là ne sont pas en mesure de poursuivre convenablement leur scolarité.

L’école, de son côté, demande aux parents leur coopération pour améliorer la situation de leurs enfants, mais peine souvent à les contacter. Pourquoi en est-il ainsi ? Une analyse approfondie des conditions de vie de ces familles m’a permis de mettre à jour les difficultés et la pauvreté auxquelles elles font face.

Pauvreté et neglect

Dans un cas, un parent atteint de handicap mental avait du mal à gérer ses finances et son foyer. Il n’avait jamais appris à préparer un repas, ni à manipuler un couteau de cuisine. Il emmenait par conséquent ses enfants manger à l’extérieur, et dépensait en quinze jours ses minima sociaux. Dans un autre cas, un parent célibataire travaillait depuis tôt le matin jusque tard le soir, et n’avait ainsi pas le temps d’aller acheter ce dont ses enfants avaient besoin pour l’école, ni de veiller à ce que les devoirs soient faits. Aux difficultés financières s’ajoutait également le manque de temps passé avec ses enfants.

Il n’est pas rare de rencontrer des parents souffrant de problèmes mentaux. Autrefois capables de tenir leur ménage, ils n’en ont aujourd’hui plus la force. Ce sont les aînés qui en ont la charge, tout en veillant sur leurs jeunes frères et sœurs.

De ce fait, les enfants sont exposés au « neglect ». En d’autres termes, ils ne reçoivent pas les besoins indispensables à leur quotidien (vêtements, nourriture et logement, regards et paroles affectueuses). Ce mot est traduit en japonais par refus d’éduquer, ou abandon parental, et peut alors conduire à penser que les parents priveraient intentionnellement leurs enfants du minimum vital.

Mais en réalité, ces parents, alors qu’ils se trouvent dans une situation où ils ont eux-mêmes besoin d’assistance, n’utilisent pas le système d’aide sociale, ou en ignorent l’existence. Ils ne parviennent pas, malgré leurs efforts, à mener une vie saine. Ils ont en commun de n’avoir ni famille ou amis sur lesquels s’appuyer, et d’être même isolés de la population locale. Cette triste réalité où se rejoignent pauvreté et neglect est complexe, et de ce fait difficile à comprendre par le reste de la société.

Un écart qui se creuse dès l’entrée à l’école élémentaire

Un des facteurs aggravant de surcroît cette réalité est que la scolarité obligatoire au Japon n’est pas gratuite, mais s’appuie sur le fardeau financier des parents. De nombreux exemples l’illustrent : en entrant à l’école élémentaire, les enfants ont besoin de vêtements spécifiques aux activités sportives entre autres, de chaussons pour l’école, d’une trousse et d’un cartable.

À cela viennent s’ajouter d’innombrables dépenses une fois les élèves scolarisés, à savoir les frais de cantine, d’excursions et de voyages scolaires, de cahiers d’exercice, de nécessaire de couture, de matériel pour les expériences et les exercices pratiques, ou encore de participation aux activités des clubs. Certes, il existe un système d’allocation de rentrée, mais certaines familles ne peuvent accorder la priorité aux dépenses scolaires lorsqu’elles sont en difficulté financière. Il ne faut pas nous contenter de leur faire des reproches.

Cette tendance n’est plus si rare au Japon. Mais un sentiment de honte empêche ces parents de demander une assistance lorsque leur enfant arrive à l’âge d'entrée en école primaire. Dès le début de leur scolarité obligatoire, il y a ainsi des enfants pour qui l’égalité des chances dans l’éducation ne sera pas garantie, tout comme la promesse d’un inestimable épanouissement personnel.

 

De l’importance des espaces d’aide aux « enfants du soir »

Aujourd’hui, dans le but d’alléger un tant soit peu ces problèmes structurels où l’on rejette toute la responsabilité sur les parents, des initiatives sont prises par les assistants scolaires et les soutiens locaux afin de créer des lieux dits d’aide aux « enfants du soir ». Après les cours et les activités pour enfants, ainsi que les jours de congé scolaire, ces espaces leur permettent de passer du temps dans un cadre rassurant et sûr.

Ces endroits ont en commun de laisser les enfants partager avec des adultes des repas et des jeux. Ce sont des lieux où ils peuvent se disputer, où on leur pose des règles à respecter, et où ils peuvent parler de leurs problèmes. Ceci dit le plus essentiel repose sur la valeur accordée au repas pris avec les autres.

Par exemple, après l’école quand les enfants se rendent en ces lieux, ils y prononcent en arrivant la formule « Tada ima » [une formule utilisée en japonais lorsque l’on rentre chez soi]. Le personnel leur répond alors « Okaeri » [les mots avec lesquels on est accueilli par la personne déjà présente à la maison ]. Certains enfants commencent à jouer avec les adultes, d’autres font leur devoir avec l’aide de bénévoles. D’autres encore lisent des livres tranquillement. Chacun y passe le temps à sa manière. Il peut y avoir des disputes entre eux, mais elles se font sous le regard de plusieurs adultes. Si ces disputes deviennent violentes, ces adultes sont là pour les gronder avec justesse. C’est ensemble qu’ils réfléchissent à la bonne façon de présenter des excuses. Lorsque l’heure du repas approche, les enfants le préparent avec le personnel. Après la formule « Itadakimasu», le dîner est partagé tous ensemble. D’ordinaire, ces enfants mangent tous seuls, mais ce jour-là, ils le font en parlant avec leurs voisins de table. Et certains d’entre eux en viennent naturellement à parler d’eux-mêmes.

En d’autres termes, c’est dans ces environnements que ce dont ils n’avaient pas accès sont tout naturellement mis à leur disposition : passer du temps dans un environnement sûr, ne pas manger seul malgré soi, se faire aider par des adultes dans ses devoirs. Ce qu’ils vivent en ces lieux les aide à déployer leur potentiel latent. Ils prennent conscience des souffrances de leurs camarades, et voient que les adultes présents sont là pour les soutenir, faisant naître en eux la force de penser qu’ils peuvent avoir confiance en l’autre. Ces enfants retrouvent la possibilité de s’épanouir et de se développer. Leurs parents également développent avec eux de nouveaux rapports quand ils voient leurs enfants évoluer ainsi sous le regard des gens qui les soutiennent.

Vers un système de soutien direct aux enfants

Réfléchir à la pauvreté des enfants, c’est aussi réfléchir à la pauvreté des adultes. Les exemples que j’ai présentés traduisent une triste réalité : à la pauvreté des parents s’ajoute la position défavorable dans laquelle ils sont mis, et si la situation ne s’améliore pas, la génération suivante tombera dans la même misère. Afin d’interrompre ce cycle, il faut mettre en place, en parallèle au soutien économique offert aux parents, un système et des lieux de soutien direct aux enfants.

Dans la pratique, cela signifie la gratuité des repas scolaires et des frais liées aux activités (excursions, voyages scolaires), la mise en place d’un système d’accompagnement après l’école, et d’un régime de bourse par allocations. Sans oublier non plus un plan d’aide aux enfants placés dans des foyers de protection afin qu’ils puissent poursuivre leurs scolarité, tout comme un soutien scolaire pour les enfants arrêtant leurs études à la fin du collège ou abandonnant le lycée en cours de route, et enfin la gratuité des soins médicaux. Procurer directement à ces enfants la force de vivre pleinement leur vie évitera de retomber dans la pauvreté.

Réflexion autour du développement des « cantines pour les enfants ».

La loi relative à la promotion des mesures de lutte contre la pauvreté qui touche les enfants a été adoptée en 2013, et de plus en plus d’initiatives sont prises dans le Japon pour leur offrir de nouveaux espaces de vie. Outre ces mesures nationales, il existe aussi des actions locales et privées autour des « cantines pour les enfants ».

Ces cantines sont gérées par des restaurateurs, des moines, et des groupes de bénévoles qui ont des objectifs très divers, allant de la lutte contre la pauvreté, à l’éducation alimentaire, ou le contact avec la population locale. La plupart de ces groupes cependant cherchent avant tout à offrir à un enfant même seul la possibilité de venir prendre un repas.

Par ce système, il faut surtout apprécier le mérite de pouvoir rassembler non seulement les personnes prêtant directement assistance aux enfants, mais aussi des adultes de différentes professions et positions, générations et nationalités, et qui se sont tous engagés à affronter de face cette crise touchant les enfants du Japon.

Grâce à ces cantines, beaucoup d’adultes se mettent à retrousser leurs manches et à se solidariser, prenant conscience que cette crise auxquels les enfants sont exposés sont surtout d’ordre alimentaire et ne se limite pas aux difficultés financières des parents.

Ces cantines ont fait la une d’un grand quotidien national, démontrant ainsi que la société au sens large commence à faire part de son intérêt pour ces initiatives. Il est nécessaire que ces questions de pauvreté soient encore plus largement connues, qu’elles deviennent une sensibilité commune à tous, afin de pouvoir réfléchir ensemble à ces problèmes.

(Photo de titre : des personnes de tout âge sont assises autour d’une table d’une « cantine pour les enfants », à Kanazawa, le 21 juillet 2016. Yomiuri Shimbun/Aflo)

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