Quelle relation pour le Japon avec le gouvernement Trump ?

Politique

L’élection présidentielle américaine aura été un match haletant qui s’est refermé sur la victoire du candidat républicain, Donald Trump, face à sa rivale démocrate Hillary Clinton. Teshima Ryûichi, spécialiste des relations nippo-américaines, se livre ici à un plaidoyer pour le maintien de l’alliance nippo-américaine, mise à mal par les déclarations de Donald Trump au fil de la campagne.

L’alliance nippo-américaine, garantie d’un bon départ pour le nouveau gouvernement

Les soutiens de Hillary Clinton ne sont pas les seuls à avoir été ébranlés par la victoire de Donald Trump. Au Japon aussi, pays allié des États-Unis depuis plus d’un demi-siècle, cette onde de choc s’est fait sentir.

La Chine, nation émergente et puissance militaire qui ambitionne de devenir un empire maritime, cherche à se positionner en mer de Chine méridionale et orientale. Confrontés aux ambitions chinoises, les Japonais ont une conscience accrue de l’importance de l’alliance nippo-américaine.

Cependant, au cours de la campagne présidentielle, M. Trump a remis en cause cette alliance, suscitant de fortes inquiétudes dans l’Archipel.

« Si les États-Unis sont attaqués, le Japon ne fera rien. Nous devons donc renégocier le traité de sécurité nippo-américain. » Cette déclaration de M. Trump remet en question le traité bilatéral ; il est même allé jusqu’à suggérer son éventuel abandon dans d’autres discours. Personne, sur la scène politique américaine, n’avait jamais critiqué aussi ouvertement l’alliance nippo-américaine.

Cette alliance bilatérale permet de désamorcer d’éventuels conflits régionaux en Asie de l’est, et elle possède également un pouvoir dissuasif vis-à-vis de la Chine et de la Corée du Nord en matière d’armement nucléaire. Enfin, les bases militaires américaines au Japon ont joué un rôle crucial dans la stratégie américaine dans la région Asie-Pacifique. Toutes ces justifications risquent pourtant de ne pas suffire à convaincre M. Trump dans l’immédiat.

Ces déclarations reflètent la volonté des États-Unis de renoncer à leur rôle de leader de l’alliance occidentale et de gendarme du monde. Il en découlerait un énorme vide stratégique en Asie de l’Est, une brèche à combler source de conflits potentiels.

La Chine, profitant des tensions entre les États-Unis et la Russie, a construit sept îles artificielles en mer de Chine méridionale, où elle revendique la souveraineté de la zone comprise à l’intérieur de la « ligne en neuf traits ». De plus, elle a doté l’une de ces îles artificielles d’une piste d’atterrissage de 3 kilomètres de long, la transformant ainsi en base militaire. Affaiblir l’alliance nippo-américaine dans ce contexte ferait du XXIe siècle une période d’instabilité.

Ce ne sont pas les scandales de mœurs de M. Trump qui écornent le prestige de la puissance américaine. C’est sa volonté de protéger à tout prix les intérêts américains, son protectionnisme affiché, qui ont sérieusement ébranlé notre confiance dans les États-Unis. Ses appels à faire passer les intérêts nationaux avant toute autre chose ne peuvent que nourrir la tentation du repli qui habite aujourd’hui l’Amérique et réveiller un nationalisme malsain. Il s’agit là d’un pari terriblement dangereux.

« Le Japon et la Corée du Sud doivent se protéger par leurs propres moyens. S’ils veulent contrer la menace nucléaire nord-coréenne, qu’ils se dotent de l’arme nucléaire. » Cette autre déclaration de M. Trump laisse entendre qu’à ses yeux, le Japon ne consacre pas suffisamment d’argent à sa propre défense, qu’il dépend trop de l’allié américain.

Dans les États-Unis d’après-guerre, certaines orientations diplomatiques et sécuritaires ont perduré indépendamment de l’arrivée au pouvoir des Républicains ou des Démocrates. Il s’agissait, entre autres, de ne permettre ni au Japon ni à l’Allemagne de se doter de l’arme nucléaire. Car en offrant cette possibilité à ces deux pays capables de développer un armement nucléaire dans les plus brefs délais, les États-Unis auraient dû renoncer à leur statut de première puissance mondiale.

Cependant, M. Trump s’est montré prêt à accepter que le Japon, la Corée du Sud et l’Arabie saoudite se dotent de l’arme nucléaire, ravivant ainsi le débat dans ces nations. En particulier, l’entrée de l’Arabie saoudite dans le cercle des pays détenteurs de l’arme atomique reviendrait à officialiser la détention de cette arme par Israël, et à la banaliser dans d’autres pays du Proche et Moyen-Orient. Le risque existerait alors qu’elle tombe entre les mains du groupe État Islamique. Les positions de M. Trump ont sans doute joué un rôle dans la visite à Hiroshima de Barack Obama, partisan d’un monde sans armes nucléaires, la première d’un président américain en exercice.

M. Trump a mené sa campagne sur un slogan : « rendre sa grandeur à l’Amérique ». Mais pour être grand, un pays doit être un leader respecté dans le monde. Pour rendre sa grandeur à l’Amérique, la coopération avec les pays qui partagent les mêmes valeurs de liberté est cruciale. L’alliance nippo-américaine est la garantie d’un bon départ pour le gouvernement de M. Trump.

Le mécontentement qui a porté Trump au pouvoir

« De l’autre côté de la frontière avec le Mexique, la Chine construit des usines modernes à tour de bras, et les produits chinois envahissent les États-Unis en échappant aux barrières tarifaires. Voilà comment nos ouvriers perdent leur emploi. » Avec ces mots, M. Trump a ravivé la colère des Américains contre les entreprises qui délocalisent hors des États-Unis dans le cadre de l’accord de libre-échange nord-américain (NAFTA), mettant de nombreux travailleurs au chômage.

C’est la classe ouvrière blanche, ceux qu’on appelle les « poor white », qui ont fait de Donald Trump, magnat de l’immobilier, le candidat républicain à l’élection présidentielle. Beaucoup d’entre eux n’ont pas fait d’études supérieures. Ils ont vu en lui l’espoir d’un changement. C’est grâce à leur vote que M. Trump est devenu le 45e président des États-Unis, déjouant tous les sondages.

Dans les États clés du scrutin, comme l’Ohio fortement industrialisé ou le Michigan qui était autrefois le poumon de l’industrie automobile, les ouvriers blancs ont massivement soutenu sa candidature. Les anciens fiefs démocrates se sont effondrés. Espérons que le président Trump, qui s’installera à la Maison Blanche le 20 janvier, s’attachera à construire une solide classe moyenne. Les réductions d’impôts pour les plus riches ne peuvent suffire à redynamiser l’économie. S’il ne parvient pas à s’assurer le soutien de la classe moyenne, M. Trump n’effectuera qu’un seul mandat à la tête du pays. Une solide politique économique ne profitera pas seulement aux États-Unis, elle est également indispensable à l’équilibre de la communauté internationale.

Mais pourquoi la candidate démocrate Hillary Clinton, malgré une notoriété, des ressources financières et une organisation plus importantes, ainsi qu’une solide expérience politique, a-t-elle été aussi facilement vaincue par l’homme d’affaires, alors que son élection semblait acquise ?

La campagne électorale, sur la fin, laissait entrevoir un retournement de situation ; je n’ai cessé d’alerter sur ce point dans les médias, au vu du déroulement de la campagne. La base électorale de Mme Clinton, trop fragile, était déstabilisée par la moindre attaque du camp républicain.

Le directeur du FBI, James Comey, a annoncé vers la fin de la campagne que l’enquête sur les mails de Mme Clinton, lorsqu’elle était secrétaire d’État, n’était pas terminée. Pour les médias, cette annonce a porté un coup à la campagne de la candidate, et le camp républicain s’est engouffré dans la brèche. Mais ce n’est pas vrai. Dans une campagne électorale, tous les coups sont permis. Ce n’était pas un simple soupçon qui pouvait changer la donne dans les États acquis aux Démocrates.

Dans les derniers jours de la campagne, l’Ohio, la Floride, la Caroline du Nord et la Pennsylvanie ont été les principaux théâtres de l’affrontement entre les deux candidats. Deux États de Nouvelle-Angleterre qui semblaient acquis à Mme Clinton, le New Hampshire et le Maine, ont aussi sombré dans l’incertitude. Le dépouillement des votes a montré que la grande majorité de ces États indécis étaient tombés entre les mains de M. Trump.

Hillary Clinton, qui avait déjà échoué à obtenir l’investiture du Parti démocrate face à Barack Obama en 2008, est une femme politique à qui les élections ne réussissent pas. Je le pense depuis que j’ai eu l’occasion de la suivre de près à Washington, autrefois ; le retour sur le devant de la scène de l’affaire des mails en est un bon exemple. Mais ce n’est que l’une des causes de sa défaite. La désaffection de l’électorat envers le Parti démocrate et les personnalités politiques en place a pesé beaucoup plus lourd. Barack Obama, jeune président issu d’une minorité, semblait apte à changer les choses – mais les électeurs ont compris que ce n’était qu’une illusion. La défaite des Démocrates est la réponse des Américains à ce rêve envolé.

Certains signes avant-coureurs ne trompaient pas. Mme Clinton a eu fort à faire pour décrocher l’investiture démocrate. Les jeunes qui manquent des ressources nécessaires pour intégrer une université publique lui préféraient Bernie Sanders, le candidat de l’aile gauche du parti. Mme Clinton a multiplié les appels en leur direction, mais sans jamais parvenir à réellement les toucher. Elle a certainement constaté au plus près, au fil d’une campagne électorale qui aura duré un an, à quel point le mécontentement sous-tendait la société américaine du XXIe siècle.

Mme Clinton a invité les électeurs à briser le « plafond de verre » pesant sur les carrières des femmes, à porter une femme à la présidence, pour la première fois. J’ai conscience des difficultés rencontrées par les femmes dans leur vie professionnelle, même aux États-Unis ; mais on peut se demander si cette stratégie n’était pas déjà dépassée. Peut-être Mme Clinton, habituée de longue date des arcanes du pouvoir, appartient-elle déjà au passé.

Pour un Japon leader en Asie de l’Est

Revenons-en à la future présidence de Donald Trump. Son mandat sera-t-il une chance pour le Japon, ou annonce-t-il au contraire des temps difficiles ? Les médias japonais débordent de prévisions à ce sujet. Mais cette attitude passive qui consiste à s’en remettre à la météo de demain est préjudiciable à la solidité de l’alliance nippo-américaine. Le Japon est la troisième économie mondiale, le premier partenaire des États-Unis en Asie de l’Est. Il doit donc faire preuve de leadership dans cette région, se porter garant de l’ordre international sur place. Si le Japon affirme sa place de leader en Asie de l’Est, le gouvernement Trump n’aura d’autre choix que d’aligner sa politique diplomatique dans la région, en s’appuyant sur l’alliance nippo-américaine.

(Photo de titre : discours de victoire de Donald Trump après le scrutin présidentiel, le 9 novembre 2016 à New York. AP/Aflo)

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