Les ambitions politiques de Koike Yuriko, première femme à la tête de Tokyo

Politique

Koike Yuriko a été élue gouverneur de Tokyo le 31 juillet 2016. Une première pour une femme. Depuis, le monde politique japonais a les yeux braqués sur elle. Lors des élections au poste de gouverneur de Tokyo, Mme Koike s’est présentée sous l’étiquette « indépendant » face au candidat du Parti libéral-démocrate (PLD) – la formation politique au pouvoir – et ce, bien qu’elle soit elle-même affiliée à ce parti.

Le 23 janvier 2017, Koike Yuriko a créé son propre groupe politique, le Tomin first no kai (TFK, Les citoyens de Tokyo d’abord). Et deux mois plus tard, elle a fondé une « association de recherches sur la politique nationale » (Kokusei kenkyûkai) pour former des candidats aux élections. Dans les rangs du PLD et des collaborateurs du gouverneur de Tokyo, beaucoup se demandent si Koike Yuriko n’est pas en train de préparer discrètement son retour sur la scène politique nationale, et même de convoiter le poste de Premier ministre.

Le Parti libéral-démocrate en difficulté à Tokyo

Vers la fin du mois de février, des prévisions concernant les résultats des élections de l’Assemblée métropolitaine de Tokyo, prévues le 2 juillet 2017, ont circulé dans le milieu de la presse. Ces estimations, fondées selon toute vraisemblance sur une enquête effectuée à la demande du gouverneur de Tokyo, annonçaient un bouleversement complet de la situation politique de la capitale japonaise à la suite d’une victoire écrasante du TFK. Voici en détail en quoi elles consistaient : TFK 59 sièges ; Kômeitô 23 sièges ; PLD 23 sièges ; Parti démocrate du Japon (PDJ) 6 sièges ; Parti communiste du Japon (PCJ) 15 sièges.

L’Assemblée métropolitaine de Tokyo se compose de 127 sièges. À la date du 20 février 2017, la répartition des sièges entre les différents partis était la suivante : PLD 57 sièges, Kômeitô 22, PDJ et affiliés 18, PCJ 17 et TFK à peine 5. Si les prévisions mentionnées plus haut s’avèrent exactes, le parti de Mme Koike passerait d’un nombre de sièges très proche de la majorité tandis que le PLD, jusque-là en position de force, s’effondrerait en obtenant moins de la moitié des sièges qu’il occupe actuellement.

Si Mme Koike réussit à conserver le niveau d’approbation dont elle jouit à l’heure actuelle jusqu’aux élections de juillet 2017, son groupe devrait devenir pratiquement à coup sûr la formation politique la plus importante de l’Assemblée métropolitaine de Tokyo.

Le pronostic des partisans est très optimiste. « Nos sondages montrent que même dans les circonscriptions qui éliront par exemple trois représentants, le TFK, le Kômeitô et le PCJ devraient arriver en tête. Le PLD ne figure même pas dans les trois premiers. Dans certaines circonscriptions à scrutin binominal, nous pensons avoir de bonnes chances de remporter tous les sièges pour peu que nous arrivions à présenter deux candidats. Si les partis de l’opposition réussissent à faire campagne ensemble, le Parti libéral-démocrate risque d’avoir du mal à remporter ne serait-ce que 20 sièges. »

Pour le PLD, se retrouver avec à peine 19 sièges, voire moins, serait un résultat catastrophique. Un tel effondrement serait une première depuis l’arrivée d’Abe Shinzô au pouvoir. En effet, durant toute cette période, le PLD a dominé sans partage la vie politique du Japon. Mais en juillet 2016, Koike Yuriko a réussi à battre une coalition menée par des candidats du PLD et du Kômeitô lors des élections au poste de gouverneur de Tokyo. Et en février 2017, le candidat du PLD pour l’élection du maire de la municipalité de Chiyoda, un des arrondissements du centre de Tokyo, a été largement vaincu par celui soutenu par Mme Koike. D’après des proches du gouverneur de Tokyo, si la tendance actuelle se confirme, le PLD doit s’attendre à voir voler en éclats la puissante organisation dont il disposait jusqu’à présent dans la capitale japonaise.

Une alliance avec le Kômeitô

Il est vrai que Koike Yuriko ne s’est pas montrée particulièrement hostile vis-à-vis des partis représentés à l’Assemblée métropolitaine de Tokyo. Le PLD est la seule formation à laquelle elle s’est opposée. Pour le contrer, Mme Koike est en train de mettre en place une stratégie d’union entre le TFK et un autre parti de l’assemblée, le Kômeitô.

En décembre 2016, le Kômeitô a abandonné le PLD pour rejoindre le groupe de Mme Koike au sein de l’Assemblée métropolitaine de Tokyo. Le 10 mars 2017, il a annoncé qu’il se rallierait avec le TFK dans les circonscriptions lors des élections. Les deux formations vont signer un accord de politique commune et d’échanges réciproques. Le Kômeitô se retrouve donc dans une situation pour le moins embarrassante : il fait partie de la coalition du PLD à la Diète nationale tout en combattant ce même parti dans le cadre de l’Assemblée métropolitaine de Tokyo. Toutefois ses dirigeants semblent convaincus que le parti n’a pas d’autre choix s’il veut survivre au sein de l’assemblée de Tokyo.

Le groupe de Koike Yuriko pense que certaines circonscriptions à scrutin plurinominal risquent de jouer un rôle capital lors des élections. Sa stratégie gagnante réside dans l’alliance avec le Kômeitô. Mme Koike souhaite également collaborer, dans la mesure du possible, avec des candidats d’autres partis à l’exception, bien entendu, du PLD. Il semble d’ailleurs que des tractations soient déjà en cours dans les coulisses. D’après une personne proche du gouverneur de Tokyo, « il est fort possible qu’à l’issue des élections, la formation dirigée par Koike Yuriko dispose de plus de 100 des 127 sièges de l’Assemblée métropolitaine de Tokyo. En tout cas, il y a de grandes chances pour que les partis autres que le PLD remportent au moins 100 sièges. »

Koike Yuriko

Née en 1952 dans la préfecture de Hyôgo. Gouverneur de Tokyo depuis juillet 2016. Titulaire d’un diplôme du département de sociologie de l’Université du Caire, obtenu en 1976. Parle couramment l’anglais et l’arabe. A commencé par travailler en tant qu’interprète. A continué sa carrière à la télévision, notamment en tant que présentatrice du programme d’informations World Business Satellite de la chaîne TV Tokyo. En 1992, Koike Yuriko a rejoint les rangs du Nouveau parti du Japon fondé par l’ex-Premier ministre Hosokawa Morihiro et elle a été élue à la proportionnelle à la Chambre des conseillers de la Diète. L’année suivante, elle a obtenu un siège à la Chambre des représentants en tant qu’élue de la préfecture de Hyôgo. Elle a ensuite représenté successivement le Parti nouvelle frontière (NFP), le Parti libéral (PL) et le Nouveau parti conservateur (NPC) avant de s’affilier au Parti libéral-démocrate (PLD) en 2002. Koike Yuriko a été élue huit fois à la Chambre des représentants, la dernière à Tokyo. En tant que membre du PLD, Koike Yuriko a occupé les postes de ministre de l’Environnement, de ministre chargé des Affaires d’Okinawa et des Territoires du Nord, de ministre de la Défense, de conseiller pour la Sécurité nationale et de président du Conseil général du PLD.

La volonté de revanche des dirigeants du PLD

Au départ pourtant, Koike Yuriko n’avait pas spécialement l’intention de partir ouvertement en guerre contre le PLD. Le 10 janvier 2017, elle a rencontré Abe Shinzô à la résidence officielle du Premier ministre et à cette occasion, dit-on, elle lui aurait promis, elle et son groupe, de soutenir les candidats du PLD pour les élections de la Chambre des représentants. Sur ce point au moins, le PLD aurait considéré que même si son antenne locale de la capitale était en opposition avec Mme Koike dans le cadre de l’Assemblée métropolitaine de Tokyo, la direction du parti à l’échelle nationale n’entrerait pas en conflit avec le gouverneur de Tokyo.

Une grande partie des membres du gouvernement n’ont cependant toujours pas pardonné à Koike Yuriko sa « trahison » envers le Premier ministre, au moment de l’élection du président du Parti libéral-démocrate de 2012. Après avoir commencé par apporter son soutien à Abe Shinzô, Mme Koike a changé brusquement d’avis et décidé d’appuyer la candidature de son rival, Ishiba Shigeru. En réalité, la plupart des proches du Premier ministre sont très hostiles envers Koike Yuriko, notamment Suga Yoshihide, secrétaire en chef du Cabinet et bras droit de M. Abe. Le gouverneur de Tokyo et ses partisans doivent sans nul doute être au courant de ces sentiments malveillants, mais voici comment ils se justifient : « Nous n’avions absolument pas l’intention de déclencher une guerre avec le Bureau du cabinet ou la direction du PLD. Mais ils n’arrêtent pas de nous mettre des bâtons dans les roues dès que nous essayons de faire quelque chose. Nous aussi on peut jouer à ce petit jeu ! »

La perspective des prochaines élections législatives

Si le TFK, la formation de Mme Koike, veut vraiment s’impliquer dans la politique au niveau national, il faudra qu’il tienne compte de la date où le Premier ministre dissoudra la Chambre des représentants élue jusqu’en décembre 2018. D’après un membre de longue date du Kômeitô, si M. Abe conserve son statut de leader incontesté du monde politique japonais et que son gouvernement continue à jouir du soutien de l’opinion, ce sera le moment idéal pour régler des questions lui tenant particulièrement à cœur, notamment la révision de la Constitution.

En supposant que les choses se déroulent ainsi, Koike Yuriko et ses partisans disposeront de temps pour préparer des candidats en vue des prochaines élections à la Chambre basse. « L’École de l’espoir » (Kibô no juku), le centre de formation politique de Koike Yuriko, a déjà enregistré 4 000 inscriptions. Ses partisans sont donc convaincus de pouvoir recruter rapidement les candidats nécessaires.

Afin d’étendre son influence politique au niveau national, le TFK va commencer par lancer un groupe de recherches politiques, et il choisira des personnes ayant suivi les cours de son école en donnant la priorité à ceux qui auront une formation en matière de stratégie politique et électorale.

L’après Abe Shinzô

Les partis au pouvoir et ceux de l’opposition s’attendent à un retour politique de Koike Yuriko au niveau national, à un moment ou à un autre. À quel moment aura-t-il lieu ?

D'après un proche, quelle que soit l’évolution de la situation, il ne coïncidera sans doute pas avec les prochaines élections générales. « Tout simplement car elle n’a pas encore fait ses preuves en tant que gouverneur de Tokyo », affirme-t-il. Il est vrai que Mme Koike est confrontée à différents problèmes n’ayant guère de chances de se résoudre dans un avenir proche. À commencer par la controverse suscitée par le transfert du marché aux poissons de Tsukiji sur le nouveau site problématique de Toyosu. Tout reste encore à faire dans ce domaine, et Koike Yuriko serait sans aucun doute vertement critiquée si, sous prétexte de revenir sur la scène politique nationale, elle laissait à quelqu’un d’autre le soin de résoudre ce dossier épineux. Par ailleurs, le gouverneur de Tokyo doit s’assurer du déroulement des préparatifs des Jeux olympiques et paralympiques de 2020 dans les meilleures conditions.

Selon toute vraisemblance, Koike Yuriko cherchera à faire son retour politique au niveau national lors des élections de la Chambre des représentants qui feront suite à celles qui vont se dérouler d’ici 2018. Si Abe Shinzô est élu pour la troisième fois à la présidence du PLD, son ultime mandat prendra fin en 2021. Mme Koike, qui aura 69 ans, pourrait vouloir profiter de l’occasion. Au sein du PLD, si certains se disent : « elle ne réussira pas à garder le soutien du public aussi longtemps », d’autres affirment : « elle n’attend qu’une chose pour se manifester, à savoir une vacance du pouvoir qui pourrait se produire au sein du PLD, au moment où M. Abe se retirera ou qu’il sera moins influent. »

Une des raisons pour lesquelles Koike Yuriko fait l’objet d’une si grande attention est le manque de candidats crédibles à la succession d’Abe Shinzô, étant donné l’autorité incontestable dont celui-ci jouit à l’heure actuelle. Au sein du PLD, certains considèrent Ishiba Shigeru, secrétaire général du PLD entre 2012 et 2014, Kishida Fumio, ministre des Affaires étrangères, Inada Tomomi, ministre de la Défense, et Noda Seiko, ancien ministre des Postes et des Télécommunications comme autant de successeurs possibles.

Mais à vrai dire, aucun de ces politiciens n’a réussi à s’attirer les faveurs du public. Dans les milieux proches du gouvernement, nombreux sont ceux qui considèrent Mme Koike comme disposant des atouts nécessaires pour pouvoir accéder un jour au poste de Premier ministre, grâce à sa forte personnalité et son charisme.

Que va faire Koike Yuriko ? Pour l’instant, tout dépend des résultats des élections à l’Assemblée métropolitaine de Tokyo. De toute évidence, Mme Koike essaie de garder les mains libres et se prépare à toutes les éventualités. La création de son groupe d’études sur la politique nationale en est la preuve.

La riposte du PLD

Dans les rangs du PLD, on est à la fois confiant et inquiet. Au début du mois de mars 2017, l’antenne locale du PLD de Tokyo a demandé à la direction nationale du parti de lui apporter son soutien, et a commencé à se préparer sérieusement pour les élections de l’Assemblée métropolitaine de Tokyo. Le parti semble prêt à utiliser tous les moyens disponibles pour conserver son nombre de sièges actuels.

Dans le même temps, Mme Koike doit faire face à une vive opposition au sein de l’Assemblée métropolitaine, opposition suscitée par son idée d’une « grande réforme de Tokyo ». L’objectif semble être de tenir bon, d’éviter les frictions avec le gouverneur et d’attendre que les choses se tassent d’elles-mêmes. Mais jusqu’à présent, cette tactique ne paraît guère avoir d’effet.

Certains membres du PLD voudraient que les élections de l’Assemblée métropolitaine de Tokyo et celles de la Chambre des représentants aient lieu le même jour de manière à minimiser l’influence de Koike Yuriko. D’après un des leaders du PLD à l’Assemblée métropolitaine, « c’est évidemment une possibilité que nous allons examiner de près ». Dans ce cas de figure, Mme Koike n’aurait pas le temps de se préparer pour les élections de la Chambre des représentants et elle serait donc contrainte de renoncer momentanément à ses ambitions de retour sur la scène politique nationale. Cette tactique aurait aussi le mérite de rappeler à l’ordre le Kômeitô et de le dissuader de tout rapprochement avec le groupe de Koike Yuriko.

À l’occasion de la conférence de presse du 10 mars 2017, Nikai Toshihiro, le secrétaire général du PLD, s’est exprimé au sujet de Mme Koike, qui cherche à étendre son pouvoir et son influence personnels tout en restant officiellement affiliée au PLD. Il a affirmé que certaines mesures disciplinaires étaient envisageables. « Le parti risque d’être forcé de réagir avec fermeté si elle continue à avoir des comportements aussi flagrants. »

Pour d’autres, il faut absolument mettre un terme à l’influence du résultat des élections de de Tokyo sur la politique nationale. Un député du PLD a lancé un appel aux dirigeants du parti en ces termes : « La direction devrait cesser le plus vite possible de s’impliquer dans les élections de l’Assemblée métropolitaine de Tokyo. Dans l’état actuel des choses, la responsabilité d’une défaite majeure retomberait non seulement sur le PLD local mais aussi sur la direction nationale du parti. Un échec cinglant pourrait même nuire facilement à l’autorité du Premier ministre. » Mais cette proposition pleine de bon sens n’a pas apparemment été accueillie avec un grand enthousiasme.

(Extrait d’un article en japonais du 28 mars 2017. Photo de titre : Koike Yuriko avant une réunion de l’Assemblée métropolitaine de Tokyo, dans l’arrondissement de Shinjuku, le 28 février 2017. Jiji Press)

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