L’enfer des bourses d’études du système japonais

Société

En 2013, 1,77 million d’étudiants japonais, c’est-à-dire un sur deux, se voyaient accorder une bourse d’étude avec obligation de remboursement. Mais alors que ce système présuppose que les bénéficiaires trouveront à la fin de leurs études un emploi avec hausse de salaire régulière, l’instabilité actuelle du monde du travail au Japon entraîne de nombreuses difficultés. Une révision du système pour l’adapter aux besoins d’aujourd’hui s’impose.

Un recouvrement cruel

Les bourses d’études sur lesquelles les jeunes japonais se sont appuyés pour fréquenter l’université correspondent en fait à des emprunts étudiants. Aujourd’hui, elles sont souvent à l’origine de graves difficultés pour ceux qui en ont bénéficié, puisqu’elles peuvent les priver de choix de vie essentiels, comme le mariage ou la décision de fonder une famille, et porter gravement atteinte à leur amour-propre et leur dignité. Ce cercle vicieux affecte les bénéficiaires des bourses d’études publiques de la Japan Student Services Organization (JASSO), une institution administrative indépendante établie sous le ministère de l’Éducation, de la Culture, des Sports, de la Science et des Technologies.

La hausse du coût des études universitaires et les difficultés économiques que connaissent les familles japonaises conduisent un nombre croissant de jeunes à emprunter à la JASSO pour financer leurs études. De nombreux jeunes diplômés entament leur vie active avec un passif important d’une dette de plusieurs millions de yens. Dans le même temps, le bas niveau des salaires et l’instabilité croissante de l’emploi, notamment sous forme de contrats précaires, crée une situation dans laquelle les jeunes sont incapables de rembourser leur emprunt. En dépit de ce contexte, la JASSO ne cesse de renforcer les pressions qu’elle exerce sur eux, notamment par la création de listes noires, le recours à des sociétés de recouvrement de prêt, ou encore par le lancement de poursuites légales. Il n’y a rien d’étrange à ce que beaucoup de jeunes ne s’en sortent pas malgré tous leurs efforts.

Un dispositif d’assistance limitatif

Une bourse d’étude sous forme de prêt diffère d’un autre prêt car il est contracté à un moment où l’emprunteur ne sait rien ni du travail, ni des revenus qu’il aura plus tard. Le risque de retard de remboursement y est donc inhérent. Bien sûr, la logique voudrait qu’un des fondements d’un tel système soit l’assistance aux personnes incapables de faire face aux échéances de remboursement. Mais force est de reconnaître que le dispositif d’aide actuel est extrêmement insuffisant.

La JASSO prévoit certes un sursis de remboursement pour les personnes qui ont des difficultés économiques et dont le revenu annuel est inférieur à trois millions de yens (environ 22 500 euros), mais ce sursis est limité à une durée de dix ans. Autrement dit, un emprunteur ne peut s’en servir plus de dix ans, même si ses revenus n’ont pas augmenté. Mais un autre point pose problème : les personnes en retard de remboursements ne peuvent pas tous recevoir un sursis. En effet, seuls ceux qui ont remboursés totalement leurs retards de paiements y ont droit, alors même qu’ils sont en retard parce qu’ils n’ont pas les moyens de rembourser… Une contradiction évidente !

Comme cette gestion était critiquée depuis longtemps, la JASSO a commencé en avril 2014 à accorder, dans de rares cas spécifiques, notamment lorsque les revenus annuels de l’emprunteur sont inférieurs à deux millions de yens (environ 15 000 euros), des sursis de remboursement même s’il a déjà du retard. Mais huit mois à peine après la mise en place de cette mesure, elle a introduit de nouvelles limites à son utilisation. Les personnes ayant lancé une action en justice ou celles qui ont demandé une prescription pour une partie de leur obligation de remboursement n’y ont pas accès. Que cette mesure ne s’applique pas à ceux qui ont utilisé leur juste droit de faire appel ou de souligner qu’il y avait prescription est injuste. La JASSO l’explique en affirmant qu’elle peut se permettre de décider si elle offre cette assistance ou non, car ce n’est pas un droit pour l’emprunteur. Mais si elle peut refuser une décision de l’emprunteur, le système d’assistance me paraît n’avoir aucun sens.

Les bourses d’études de la JASSO n’ont de valeur que leur nom, et derrière lequel se cachent en fait des prêts étudiants. Voici la réalité. La plupart des personnes souffrant du fardeau de ce système en sont de fait les victimes contre lequel elles ne peuvent rien.

Un bénéficiaire d’une telle bourse d’étude ne peut se protéger seul des dommages qu’elle lui cause. Il faut changer ce système pour qu’il offre une véritable assistance. Selon moi, les réformes suivantes s’imposent :

  • Baisse des frais de scolarité, qui sont très élevés par rapport au reste du monde.
  • Mise à disposition de véritables bourses d’études, sans obligation de remboursement pour le bénéficiaire.
  • Introduction totale du prêt à taux zéro.
  • Mise en place d’un dispositif de remboursement souple, adapté aux capacités de remboursement des emprunteurs.

Le système actuel très critiqué semble enfin se diriger vers une réforme. De nombreux problèmes demeurent néanmoins.

Les réformes et leurs limites

Première réforme : la mise en place de bourses d’études sans remboursement. À partir de l’exercice 2017, l’État a pour la première fois instauré ce système destinées aux personnes ayant grandi dans des foyers de protection de l’enfance, ainsi qu’à celles issues de familles non soumises à l’impôt (avec des revenus si faibles qu’elles sont exemptées de taxe d’habitation). Mais comme ce système ne concerne chaque année qu’environ 20 000 personnes et que les montants versés sont très faibles, de 20 000 à 40 000 yens par mois, les bénéficiaires sont dans l’obligation de les associer à des emprunts. Le système définit aussi des critères d’attribution exigeant des bénéficiaires qu’ils aient d’excellents résultats, alors que les enfants élevés dans des familles déshéritées vivent souvent dans un environnement qui n’est guère propice à l’étude. Ces critères d’obtention privent donc ces bourses de leur efficacité. De plus, en cas de mauvais résultats, il pourra leur être demandé de rembourser la bourse. L’opacité de ces critères est telle qu’il est probable que certaines personnes n'en demanderont pas une, de peur de devoir soudain s’en acquitter. Certes, elles constituent un premier pas, mais la manière dont elles sont conçues n’est pas sans poser problème.

Deuxième réforme : l’évolution des bourses existantes vers un système à taux zéro. La JASSO verse des bourses avec intérêt, et d’autres sans. Ces dernières étaient jusqu’à présent réservées à certains étudiants. Pourtant, même en répondant aux critères fixés, certains ne les obtenaient pas. Le ministère de l’Éducation a alors indiqué qu’à partir de l’exercice 2017, toutes les personnes sollicitant ces bourses-prêts à taux zéro et remplissant les critères exigés pourront les recevoir. D’après les estimations du ministère, 24 000 étudiants seront concernés, un chiffre déjà critiqué comme insuffisant. En dépit de cela, les critères de résultats et de revenus exigés pour bénéficier de ces prêts à taux zéro ont été renforcés.

Troisième réforme : l’établissement d’un système de remboursement adapté aux revenus. Un dispositif de bourse-prêt dans lequel le montant des remboursements est adapté aux revenus a été introduit cette année. Mais en réalité, sous prétexte que le budget prévu était insuffisant, le résultat n’est pas à la hauteur des attentes. Soulignons par exemple que même les personnes à faibles revenus doivent rembourser 2 000 yens par mois. La JASSO souligne que le système offre un sursis de remboursement aux personnes à faibles revenus. Cependant, rien n’a été fait pour remédier aux problèmes du dispositif d’assistance que nous avons évoqués plus haut. En outre, de faibles remboursements mensuels ne peuvent que prolonger la durée du remboursement. Rien n’a été prévu à cet égard. Le fait que les revenus qui servent de base pour déterminer le montant de chaque remboursement ne soient pas seulement ceux de l’emprunteur mais de ses soutiens (parents ou partenaire conjugal) constitue un problème supplémentaire.

L’ensemble de la société doit soutenir les études

Le ministère de l’Éducation affirme ne pas avoir le budget nécessaire. Rétorquons-leur que la part consacrée par l’État à l’éducation est faible. Le pourcentage du PIB affecté aux dépenses publiques pour l’éducation est en moyenne de 5,4 % dans les pays de l’OCDE, mais de seulement 3,6 % au Japon, et de 0,5 % pour l’enseignement supérieur, le pourcentage le plus bas de ces pays industrialisés. La théorie erronée qui veut que les bénéficiaires de l’enseignement supérieur doivent en assumer les coûts est à l’origine de cette situation. Loin d’être profitable seulement à celui qui en bénéficie, l’éducation constitue un des fondements de la société, qui en profite globalement. La situation qui impose à certains, en fonction des revenus de leurs parents, de contracter des dettes massives pour étudier est injuste, et elle n’est pas non plus conforme à la Constitution japonaise qui reconnaît à chacun « le droit de recevoir une éducation égale ».

Il est urgent d’avoir un débat national à ce sujet, pour que le Japon accorde à l’éducation un budget semblable à celui des autres pays de l’OCDE et progresse vers un système dans lequel l’ensemble de la société soutienne l’éducation des enfants et des jeunes.

(D’après un original en japonais du 6 octobre 2017. Photo de titre : Reuters/Aflo)

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