Réintégrer les anciens yakuza dans la société japonaise

Société

Alors que les organisations mafieuses japonaises ne cessent de voir leurs effectifs diminuer, leurs ex-membres continuent à avoir beaucoup de mal à réintégrer la société. Acculés, cela les conduit dans certains cas à commettre des crimes et délits. Et si l’on essayait de porter un autre regard sur eux et de mettre en place des structures d’accueil ?

Des effectifs en baisse, pour une raison

Selon un rapport de mars 2017 de l’Agence nationale de la police, les organisations mafieuses (Bôryokudan) comptaient 18 100 membres à la fin 2016, une baisse de 10 % sur le chiffre de l’année précédente, 20 100. C’était la première fois depuis 1958 que leurs effectifs passaient sous la barre des 20 000.

Depuis la mise en place des arrêtés municipaux d’exclusion des organisations mafieuses dans tout le pays en 2010, 4 170 personnes ont quitté leurs rangs, notamment grâce au soutien que leur a offert la police. Ces arrêtés ne constituent pas une législation, mais agissent de la même manière, car ils ont été introduits dans toutes les préfectures. Elles limitent les activités des Bôryokudan à se procurer des fonds, et leurs membres ont par conséquent de grandes difficultés à en vivre. (Voir notre article lié : Les yakuza ne seraient-ils plus que l’ombre d’eux-mêmes ?)

Entre 2014 et 2015, j’ai mené, pendant environ un an, une enquête sous forme d’entretiens au sujet de 11 anciens yakuza de l’ouest du Japon. Cela m’a permis d’apprendre qu’il est beaucoup plus facile pour eux de les quitter qu’autrefois, et ce, pour une raison simple. Ceux qui partent ne sont plus soumis à des représailles. Ces ex-membres avec qui je me suis entretenu m’ont souvent expliqué qu’ils avaient pris cette décision parce qu’ils avaient eu un enfant, ou parce que le chef de leur bande avait pris sa retraite…

Mais en arrière-plan se cachait une même motivation : la difficulté de joindre les deux bouts. Depuis la mise en place des arrêtés, ces personnes ne bénéficient plus du droit garanti aux citoyens par l’article 25 de la Constitution japonaise, « un niveau minimum de vie matérielle et culturelle ». Il n’y a rien d’étonnant à ce que leurs rangs se dépeuplent puisque leurs membres ne gagnent plus de quoi assurer la subsistance de leur famille.

Une réintégration difficile dans la société

Parmi les 4 170 personnes ayant bénéficié pendant les sept dernières années d’une aide à quitter les organisations mafieuses, seules 90, c’est-à-dire environ 2 %, avaient retrouvé un emploi. Toutefois, il n’existe aucune information sur la durée pendant laquelle ces personnes l’avaient occupé.

Le Comité de promotion de la lutte antiviolence de la ville de Kita-Kyûshû a mené en juillet 2016 une enquête auprès des entreprises locales, à laquelle environ 60 % d’entre elles n’ont pas répondu. Et 80 % de celles qui s’y sont soumis déclaraient ne pas souhaiter employer des ex-membres d’organisations criminelles. Cela a le mérite d’être clair.

Cependant, même si ceux-ci réussissent à trouver un travail, il est à craindre qu’ils soient mis à l’écart par leurs collègues. Cela peut constituer un obstacle important à leur retour dans la société.

M. Oyama est une des personnes que j’ai interviewées. Il a obtenu un diplôme d’aide-soignant depuis qu’il a quitté le clan mafieux. Pendant sa formation, il a fait l’objet de menaces de la part de ses camarades d’études. Lorsque des somnifères avaient disparu sur leur lieu de travail par exemple, ses collègues l’ont immédiatement soupçonné.

Le quotidien Nishi-Nihon shimbun a publié le 27 décembre 2016 un article intitulé « La réalité de la difficile réintégration dans la société d’un ex-yakuza », dans lequel était mentionné le cas d’un homme ayant trouvé du travail dans une société de travaux électriques, grâce à la recommandation d’une connaissance. Ses collègues le soupçonnaient systématiquement lorsque des objets disparaissaient sur son lieu de travail, et l’insultaient de diverses manières. Il avait fait preuve de patience pendant trois ans, jusqu’à ce que, de colère, il finisse par s’en prendre physiquement à l’un de ses supérieurs. Ne lui restait plus alors que la démission… Je connais un grand nombre de cas de personnes ayant subi des discriminations de ce genre.

Revoir l'arrêté anti-mafieux

Soulignons que l'arrêté d’exclusion des organisations mafieuses limite les droits civiques des ex-membres. En effet, il comporte un article stipulant que les anciens yakuza continuent à être considérés comme tels pendant cinq ans, et par conséquent ne peuvent ouvrir un compte en banque ou louer un appartement en leur nom propre. Et si jamais il leur arrive de cacher leur lourd passé sur leur CV ou d’autres documents, ils risquent d’être accusés de parjure.

Fukuoka et treize autres préfectures ont conclu en 2016 une collaboration dans le cadre de mesures de soutien à la réintégration dans la société des ex-membres, notamment par des aides financières aux entreprises qui en emploient. Mais si l’on veut réellement augmenter l’efficacité de ces mesures, il faudrait réviser la manière dont ils sont perçus par le public, et modifier les articles de l'arrêté empêchant pendant cinq ans leur réintégration décente dans la société.

Il est important d’ajouter que si un emploi ne dure pas, alors on ne peut pas parler de nouveau départ. Dans les années 1970 et 1980, pendant laquelle les Bôryokudan était considéré comme « mal nécessaire » par la société, l’Institut national de recherche de police scientifique a mené des études sur la base d’enquêtes de suivi d’ex-membres. Cela n’existe plus aujourd’hui. Au moment où les organisations mafieuses connaissent une baisse significative de ses effectifs, nous avons justement besoin de mieux comprendre comment se passe leur réintégration dans la vie civile, et de développer des discussions avec les experts et la population.

Exclure les anciens yakuza : un danger pour la société

Mataichi Seiji, un membre de la Chambre des conseillers appartenant au Parti social-démocrate, a posé en 2012 une question écrite au président de cette Chambre, relative aux limitations des droits civiques des membres et des ex-membres d’organisations du crime organisé. Voici ce qu’elle disait : « Chercher à exclure de la société les membres de la pègre ne peut que les placer dans une impasse et conduire à une augmentation des crimes violents. Il faut réfléchir et élaborer des dispositions pratiques, notamment des mesures pour les aider à accéder à l’emploi, afin de mettre en place une infrastructure qui permette aux ex-membres de vivre une vie de citoyen ordinaire. »

À l’heure actuelle, cependant, rien n’a été fait en ce sens. Ces derniers n’ont d’autre choix que de se procurer des revenus par des méthodes illégales. Pendant mes enquêtes, j’ai eu l’occasion de constater de nombreux exemples d’ex-membres rejetés par la société se livrer à des activités hors la loi, comme la vente d’amphétamines, le chantage, le vol, avec ou sans violence, ou encore l’escroquerie. Comme l’a indiqué M. Mataichi, exclure ces personnes de la société conduit à une recrudescence des délits.

Il faut souligner que ces ex-yakuza deviennent alors des délinquants sans foi ni loi. Tant qu’ils appartenaient à un clan, ils en respectaient les règles, comme par exemple ne pas vendre d’amphétamines aux mineurs et autres interdits. Les hors-la-loi qui les ont quittées deviennent dangereux car prêts à tout pour gagner de l’argent.

En incluant dans notre société les anciens membres de la pègre, ces problèmes disparaîtront. J’en suis convaincu. Tout simplement car l’étude menée en 1974 par l’Institut national de recherche de police scientifique montrait qu’un tiers de ces ex-yakuza avait réussi un vrai retour dans la communauté. Se débarrasser des mafieux n’est pas tout. Arrêtons de penser uniquement en ce sens. Faisons aussi comprendre l’importance d’accueillir de manière décente leurs anciens membres dans la communauté locale. Je pense qu’il sera difficile de parvenir à une société où règne vraiment la sécurité et la paix sans accepter que ces personnes prennent un nouveau départ dans leur vie.

(D’après un original en japonais du 4 décembre 2017. Photo de titre : Yoshi/PIXTA)

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