Quand les nouvelles villes vieillissent : la solitude des résidents âgés des cités-dortoirs du Japon

Société

Au cours de la période de croissance rapide du Japon, des douzaines de « nouvelles villes » ont surgi de terre à la périphérie des grandes métropoles pour héberger l’afflux des travailleurs en provenance des régions voisines. Un bon nombre des habitants actuels de ces cités-dortoirs – jadis vantés comme « résidences de rêve » – font partie des premiers arrivants, venus s’installer il y a plus d’un demi-siècle. Beaucoup vivent seuls, car leurs enfants ont déménagé et leurs conjoints sont décédés. Des mesures doivent être prises pour alléger l’isolement dans lequel se trouvent confinées ces personnes âgées.

Des cités-dortoirs vieillissantes

À l’époque de la croissance rapide, le gouvernement japonais s’est lancé dans une politique de développement de « nouvelles villes » destinées à accueillir dans les zones urbaines l’afflux de travailleurs en provenance des zones rurales. La Nouvelle loi sur le développement urbain et le logement, adoptée en 1963, visait à encadrer les projets concernant la construction non seulement de nouveaux logements, mais aussi de routes, de parcs, d’écoles, d’hôpitaux et de commerces. Dans le cadre de cette loi, les municipalités ont réalisé 46 projets de construction de collectivités à flanc de coteaux et dans diverses zones suburbaines du pays. Le ministère du Territoire, de l’Infrastructure et du Transport évalue à environ 2 000 le nombre des cités-dortoirs – occupant chacune plus de 16 hectares et abritant au moins 1 000 ménages (soit 3 000 résidents ou plus) – créées depuis 1955(*1).

Le pourcentage des personnes âgées vivant seules ne cesse de croître au sein de la population de ces collectivités jadis dynamiques. Elles s’y sont installées dès l’époque de la construction, de concert avec d’autres jeunes familles nucléaires de la même génération. Les enfants qui ont grandi sur place fréquentaient les écoles locales, mais à mesure qu’ils entraient dans le monde du travail et bâtissaient leurs propres familles, la plupart ont choisi d’aller vivre ailleurs. Le vieillissement des parents s’est accompagné de celui des collectivités dans lesquelles ils vivaient. Et ces résidents âgés sont de plus en plus nombreux à vivre seuls, suite aux décès de leurs conjoints.

D’après une étude du Asahi Shimbun (publiée le 3 décembre 2017) portant sur les 46 nouvelles villes nées dans le cadre de la Nouvelle loi sur le développement urbain et le logement, 31 collectivités avaient un pourcentage d’habitants âgés de 65 ans et plus supérieur à la moyenne nationale (qui était de 26,6 % d’après le recensement de 2015). Et dans 27 cas, le pourcentage des foyers constitués d’une personne âgée vivant seule dépassait lui aussi la moyenne (11 %). Il franchissait même la barre des 20 % dans sept nouvelles villes, pour atteindre 37,6 % dans le complexe résidentiel Tsurugaya de Sendai, 25,3 % dans la collectivité Akashi-Maiko de Kobe et 24 % dans le quartier Momijidai de Sapporo.

Coupés de la société

Les habitants âgés et solitaires des nouvelles villes sont particulièrement vulnérables au risque de se trouver coupés de la société, avec tous les problèmes qui en découlent : difficultés financières, carence des soins de santé, appauvrissement des sources d’information, sentiments de rejet, dépression, voire même perte de la dignité. Prendre des mesures pour remédier à l’isolement de ces populations est une tâche prioritaire des collectivités en voie de vieillissement.

Il se trouve que le développement des nouvelles villes s’est appuyé sur des principes de construction de logements et de planification urbaine, datant de l’après-guerre, qui visaient à protéger au maximum la vie privée des familles nucléaires. Les êtres humains, qui sont des animaux sociaux, ont tout naturellement besoin d’échanges et de contacts. Mais les planificateurs ont accordé la priorité à l’optimisation des conversations au sein de chaque famille, sans guère se préoccuper des échanges entre foyers. À mesure du vieillissement des familles nucléaires et du départ des enfants, il s’est avéré que les cellules isolées des collectivités ainsi planifiées offraient peu de canaux de communication avec le voisinage.

À l’époque de leur construction, nombre de bâtiments de ces collectivités étaient des immeubles de cinq étages, dont beaucoup n’étaient pas équipés d’ascenseurs. Pour les gens qui vivent au dernier étage, descendre et remonter les escaliers n’est pas chose facile. Le résultat, c’est qu’un nombre croissant de résidents âgés, notamment parmi ceux qui vivent seuls, en sont réduits à passer leurs journées terrés chez eux. Et même les personnes vivant dans des logements indépendants destinés à une famille unique ont pris l’habitude, en vieillissant, de s’aventurer moins souvent hors de chez elles. Outre cela, le relief vallonné des terrains sur lesquels ont été bâties bien des collectivités constitue un obstacle supplémentaire aux sorties et aux promenades.

La planification urbaine moderne repose sur un zonage des quartiers conforme à la fonction qui leur est attribuée, et les nouvelles villes ont été conçues en premier lieu pour remplir une fonction résidentielle. Comme le pilier de soutien financier de la famille incombait aux pères, qui s’absentaient pendant le plus gros de la journée pour aller travailler en ville, les collectivités ont été conçues pour répondre aux besoins des mères et de leurs jeunes enfants, et par voie de conséquence organisées autour des secteurs scolaires. De grandes artères s’ouvraient à l’extérieur des collectivités, mais à l’intérieur on trouvait des parcs, des salles communautaires et des boutiques. À mesure que les enfants ont grandi et sont partis, les résidents âgés ont eu de plus en plus de mal à se procurer ce qui correspondait à leurs besoins. Les hommes à la retraite, en particulier, se sont retrouvés sans rien à faire et personne à qui parler, si bien que nombre d’entre eux en sont venus à rester cloîtrés chez eux.

(*1) ^ La liste, publiée en 2013 par le ministère, inclut des collectivités, construites dans le cadre de projets privées, dont le statut ne relève pas de la loi de 1963.

Parvenir à un profil démographique équilibré

Peut-on envisager de remodeler ces collectivités de façon à ralentir ou inverser la tendance au vieillissement ? Un certain nombre d’initiatives ont déjà été prises, le premier pas consistant en général à encourager la venue de familles plus jeunes au sein de la collectivité, de façon à rééquilibrer son profil démographique. Des immeubles ont été rénovés en vue de mieux répondre aux nécessités de la vie moderne, et certains sont accessibles, dans le cadre d’accords de partage de logements, aux étudiants en quête de loyers bon marché. Même si l’on ne peut attendre de ces mesures qu’elles produisent des changements majeurs dans la composition par âges de la population, elles peuvent pour le moins injecter un peu de vigueur dans un paysage vieillissant.

Encourager la venue de jeunes dans les collectivités ne suffit pas, il faut aussi renforcer les liens entre les habitants âgés et rendre ces liens plus propices au soutien mutuel. Des dispositions ont été prises pour que les personnes qui sont encore relativement jeunes et en bonne santé prennent soin de celles qui sont plus âgées et physiquement affaiblies – en sortant leurs ordures, par exemple, ou en les aidant à faire leurs courses.

Il est également important de multiplier les occasions offertes aux personnes âgées, et notamment celles qui vivent seules, de s’engager dans des activités avec leurs voisins, et de les encourager à sortir en créant des endroits où elles peuvent faire une pause et trouver quelqu’un avec qui bavarder. Plutôt que de restreindre les fonctions des collectivités, il convient de les élargir de façon à multiplier les possibilités d’usage de l’environnement spatial.

Il existe, par exemple, une ville nouvelle où une association à but non lucratif a ouvert un café au rez-de-chaussée d’un immeuble résidentiel. Cet espace, qui propose du café et du thé à des tarifs préférentiels, est devenu un point de rencontre et de conversation pour les résidents. Parmi les autres initiatives dignes d’intérêt, on peut mentionner l’expansion de l’usage des salles de réunion des collectivités – de façon à ce qu’elles accueillent non seulement les événements formels inscrits au calendrier mais aussi des rencontres ponctuelles –, l’implantation de bancs sous toiture le long des chemins, la conversion de logements vacants en salons accessibles à tout le monde et l’installation de tables et de chaises dans les espaces ouverts en rez-de-chaussée.

Les nouvelles villes ont jadis servi de support au « miracle » économique japonais en répondant à la demande de logements provenant des jeunes familles migrant vers les grandes métropoles. Désormais, ces collectivités doivent remplir un plus large éventail de fonctions, conçues pour l’ère du très grand âge dans laquelle est entrée la société japonaise, en favorisant les contacts au sein de la population âgée et en permettant un mode de vie plus lent et plus paisible. La prévention de l’isolement des personnes âgées est un défi qui se pose non seulement aux nouvelles villes mais aussi à toutes les collectivités nées à l’écart des centres-villes. Les habitants de ces quartiers ont souvent de très faibles revenus et ne peuvent pas se permettre de déménager vers des endroits plus conformes à leurs besoins. Il se peut que des problèmes similaires d’isolement apparaissent d’ici quelques dizaines d’années dans les tours d’habitation qui ont poussé un peu partout, et dont la valeur marchande réside précisément dans leur confinement vis-à-vis des quartiers environnants et dans leur côté forteresse, qui garantit la sécurité de la vie privée. Les planificateurs urbains doivent se préoccuper davantage de tempérer l’isolement social des personnes âgées, dont les rangs ne cessent de croître au Japon.

(Photo de titre : une fête d’adieu qui s’est tenue le 23 juillet 2011 pour la destruction et la reconstruction prévues d’un bâtiment de la nouvelle ville de Tama. Jiji Press)

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