Le mauvais enseignement de l’anglais au Japon

Société

Les Jeux olympiques de Tokyo de 2020 toujours dans le viseur, le gouvernement a lancé une réforme accélérée de l’enseignement de l’anglais. Son objectif ? Permettre un apprentissage efficace de cette langue, que les japonais ont beaucoup de mal à maîtriser, à partir de l’école élémentaire jusqu’au concours d’entrée dans le supérieur. Mais cette idée pose quelques problèmes de base.

En cette époque de mondialisation, les Japonais ont malheureusement acquis une mauvaise réputation en matière de maîtrise de l’anglais : leur niveau est très médiocre. Et depuis plusieurs décennies, le coupable est le même, il s’agit de la manière dont l’anglais est enseigné au Japon, en privilégiant la grammaire et la traduction aux dépens de l’anglais oral auquel il faudrait consacrer plus de temps. Si 30 ans se sont écoulés depuis la première réforme voulant donner priorité à la conversation plus qu’à l’écriture, cette perception n’a pas changé. Dans cet article, je propose de nous pencher sur les réformes successives de l’enseignement de l’anglais, qui visaient sans exception à l’acquisition d’un « anglais utile », et sur la crise à laquelle cela a conduit.

Les réformes menées jusqu’ici

Après avoir annoncé en 1989 les grandes lignes d’une réforme radicale de l’apprentissage de l’anglais dans les établissements publics, le gouvernement japonais n’a cessé de s’activer en ce sens. Celle de 2003 par exemple se proposait de réformer globalement cet enseignement en cinq ans à travers plusieurs points : l’augmentation du nombre d’assistants linguistiques de langue maternelle anglais dans les établissements publics, l’introduction de tests de compréhension orale dans les examens d’entrée à l’université, ou encore la mise en place de l’anglais comme matière obligatoire à l’école élémentaire.

Parmi les mesures adoptées ces dix dernières années, nous mentionnerons une activité hebdomadaire de familiarisation avec l’anglais par des chansons et des jeux pour les élèves de cinquième et de sixième année d’école élémentaire, ou encore l’adoption de l’usage exclusif de l’anglais dans les cours d’anglais au lycée.

Ce qui va changer à partir de 2020

Les nouvelles directives pour l’enseignement de l’anglais seront introduites en 2020.

Les principales nouveautés concerneront tout d’abord l’école élémentaire. Les jeux et chansons en anglais concerneront dorénavant les élèves de troisième et de quatrième année, et l’anglais deviendra une matière officielle pour ceux de cinquième et de sixième année. L’objectif pour les écoliers sera l’acquisition de 600 à 700 mots en quatre ans d’enseignement de la langue.

Au collège, l’enseignement de l’anglais ne passera plus par le japonais, comme c’est le cas actuellement, mais se fera de base en anglais. Cette méthode sera donc la même qu’au lycée. Le vocabulaire à acquérir passera des 1 200 mots actuels à une fourchette comprise entre 1 600 et 1 800 mots.

Au lycée, le contenu des cours sera renforcé, et le vocabulaire à acquérir passera de 1 800 mots actuels à un maximum de 2 500. Cela signifie qu’à partir de 2020, un élève japonais aura appris de l’école élémentaire au lycée non plus 3 000 mots comme aujourd’hui, mais 4 000 à 5 000.

Une réforme trop hâtive des examens d’entrée à l’université

La réforme affectera aussi les examens d’entrée à l’université. Un de ses aspects les plus préoccupants est le recours à divers tests réalisés par des opérateurs privés comme le TOEFL (Test of English as Foreign Language) ou l’Eiken (Test In Practical English Proficiency) [une série d’examens attribuant un niveau en connaissance pratique de l’anglais, administrée par une fondation japonaise reconnue par le ministère japonais de l’Éducation]. Jusqu’à présent, les connaissances en anglais des étudiants se présentant aux examens d’entrée à l’université étaient évaluées par des examens de lecture et de compréhension orale. Cette fois, la réforme ajoutera deux tests supplémentaires, une épreuve d’écriture ainsi qu’une autre de conversation orale.

Cependant, comme il est matériellement très difficile d’évaluer les compétences orales de plusieurs dizaines de milliers d’étudiants dans le cadre de l’examen commun d’entrée à l’université, il a été décidé que cette partie de l’examen serait confiée à des opérateurs privés. Mais ces tests posent au moins deux problèmes fondamentaux : ils ne répondent pas aux normes des directives pour l’éducation, et n’ont pas été conçus spécifiquement pour cet examen d’entrée à l’université.

Les enseignants et les spécialistes de l’enseignement de l’anglais ont signalé de nombreux autres aspects problématiques. En effet, les sept tests des opérateurs privés homologués diffèrent non seulement par leurs objectifs et leurs contenus, mais également par leur degré de difficulté, le nombre de fois où ils sont organisés, l’endroit où ils ont lieu, ainsi que leur coût. Où passe donc l’égalité entre tous les candidats ? Sans compter le risque que les cours d’anglais au lycée ne se bornent qu’à réussir ces tests privés…

Les universités ont aussi fait part de leurs préoccupations à ce sujet, et elles ont souvent modifié leurs positions vis-à-vis de l’adoption de ces tests privés. Il faut continuer à discuter de cette question, et prendre davantage en considération les inquiétudes des jeunes qui vont passer cet examen plutôt que se soucier de l’horizon 2020.

Des réformes sans résultats probants

Penchons-nous à présent sur les résultats de ces trente années de réforme. Le gouvernement s’était donné des buts chiffrés à atteindre pour l’exercice se finissant le 30 mars 2018, à savoir, parvenir à ce que 50 % des collégiens en dernière année obtiennent au moins le niveau 3 de l’Eiken, et que 50 % des lycéens de terminale atteignent au moins le niveau 2 bis. Mais d’après l’enquête parue en avril 2018 sur la situation de l’enseignement de l’anglais du même ministère pour la même période, les pourcentages réels étaient de 40,7 % pour les collégiens en dernière année, et de 39,3 % pour les lycéens de terminale. Les objectifs fixés n’ont donc pas été atteints.

Le test Eiken atteste sept différents niveaux (1-5) de compétences linguistiques : si les niveaux 1, 1 bis et 2 sont les rangs les plus élevés, obtenir le niveau 2 bis signifie être capable « d’utiliser et de comprendre l’anglais nécessaire à la vie quotidienne », et le niveau 3 correspond à « la capacité d’utiliser et de comprendre l’anglais basique ». Ni le niveau 2 bis et ni le 3 ne présentent un niveau de difficulté élevé. Or moins de la moitié des élèves ont atteint ne serait-ce que le niveau 3… Cela montre bien que les réformes engagées manquent d’efficacité.

Ces derniers temps, le niveau d’anglais des étudiants de première année est considéré comme problématique. Leurs connaissances grammaticales et lexicales de base étant insuffisantes, ils ne comprennent pas ce qu’ils lisent en anglais, et par conséquent sont aussi incapables de le comprendre à l’oral, de l’écrire ou de le parler. Devant un tel constat, certaines universités ont pris l’initiative d’offrir des cours de rattrapage en anglais de niveau collège.

Se focaliser seulement sur la communication : une erreur

Les réformes de l’anglais sont dirigées essentiellement sur la conversation, mais n’oublions pas l’importance de la grammaire. Les connaissances grammaticales et lexicales se cultivent par la lecture. Pouvoir lire l’anglais, c’est aussi pouvoir l’écrire, puis ensuite le comprendre oralement. C’est à ce moment-là seulement que la communication peut s’installer. Apprendre des expressions stéréotypées ne permettra qu’une conversation rudimentaire. Ce n’est pas de la vraie communication. Pour l’acquérir, il faut donc commencer par les bases de la langue.

Les réformes ont été menées en se fondant sur une l’idée simpliste que la lecture était secondaire, que la communication passait avant tout. Au final, les résultats de la dernière enquête sur les connaissances en anglais des collégiens et des lycéens, la cinquième depuis la réforme de 2003, sont alarmants. Le gouvernement persiste pourtant dans sa direction, même si elle est erronée. Il est plus que temps de reconsidérer l’orientation des réformes.

Enseigner les langues étrangères en apprenant les différences

Parmi les élèves qui ont passé tant d’années à apprendre l’anglais, il y en a bien sûr certains qui ont encore un très mauvais niveau. Mais chacun d’entre nous a des points forts et des points faibles, c’est ce qui fait la diversité de la société. De plus, les compétences de communication en anglais ne sont pas si simples au point de pouvoir les déterminer seulement en se basant sur les scores aux examens. Même en ayant obtenu de médiocres résultats aux tests Eiken, certains Japonais vivent et travaillent sans aucun problème à l’étranger. La communication est une compétence humaine, alors si l’on excelle dans son propre domaine, les connaissances en anglais suivront tout naturellement.

Il y a aussi des parents aux préjugés stupides, pensant que ne pas maîtriser l’anglais signifie ne pas réussir sa vie. Bien sûr, communiquer en anglais constitue la fenêtre la plus proche sur le monde d’aujourd’hui et nous enrichit, mais il ne faut pas non plus oublier qu’il existe d’autres langues étrangères dont l’apprentissage peut s’avérer tout autant bénéfique.

Je souhaite vivement que les générations futures éveillent avec plus de souplesse un intérêt pour les cultures différentes de la leur, et cherchent la véritable essence de la communication avec l’autre.

(Article écrit à l’origine en japonais du 30 mai 2018. Photo de titre : PIXTA)

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