Lorsque la culture joue un rôle majeur dans la diplomatie et l’économie

Politique Économie Culture

La culture japonaise est très largement accueillie dans le monde entier par le biais de la culture pop. Et elle pourrait devenir un des piliers permettant de rehausser encore l’image internationale de l’Archipel et de propulser l’économie japonaise à l’avenir. Mais il est important pour cela de créer un système afin de définir et de colporter un véritable concept pour la diplomatie culturelle du pays.

Le soutien financier apporté par la Chine lors de la crise monétaire en Europe a renforcé encore la présence de ce pays sur le vieux continent. En revanche, la présence du Japon s’est affaiblie. Je pense que c’est en faisant preuve de discernement et d’initiative en tant qu’acteur global que la diplomatie japonaise pourra se frayer un chemin, au véritable sens du terme, dans la communauté internationale.

D’un autre côté, la culture japonaise présentée dans les manifestations culturelles organisées dans tous les pays du monde rencontre un très grand succès. Parallèlement au développement des capacités de discernement mondial et de transmission du Japon, il sera indispensable de faire l’effort de poser des bases pour que le message de notre pays soit justement reçu. En d’autres termes, la diplomatie culturelle et de communication doit se trouver dans la construction de fondations permettant une bonne compréhension de la politique. Et dans cette optique, le Japon est aujourd’hui en très bonne position.

De la J-pop à la culture traditionnelle – La culture japonaise accueillie en Europe

C’est en particulier la culture pop qui, dans ce contexte, connaît le plus grand succès.

En octobre de l’an dernier, Lucca Comics and Games, le festival annuel de la bande dessinée — mangas, DVD et jeux vidéos —, a été organisé dans la ville médiévale de Lucques, en Toscane, Italie. Le bâtiment situé tout au fond de cette ville- forteresse avait été dénommé pour l’occasion « le Palais du Japon », et l’on pouvait y trouver non seulement les habituels stands de mangas, animes et produits dérivés, de jouets et d’articles de mode pour les jeunes, mais aussi des marchands ambulants de nouilles sautées yaki soba et de pêche aux poissons rouges à l’épuisette, dans une véritable atmosphère de fête d’été au Japon.

Le « Salon del Comic », manifestation de grande envergure organisée déjà pour la 17ème fois, a également eu lieu à Barcelone en 2011, entre la fin octobre et le début novembre et a accueilli 60 000 visiteurs. Les nombreux stands de mangas et animes japonais, avec Naruto et One Piece entre autres, occupaient la majeure partie de l’espace et de très nombreux jeunes étaient en cosplay imitant ces personnages de bandes dessinées. C’était parfois à se demander, en voyant dans un coin du site des collégiens et lycéens, répliques parfaites de leurs personnages de manga favoris, siffler des Cup Noodles, si l’on se trouvait vraiment en pays étranger.

Stand de vente de gâteaux japonais sur le site de Japan Expo

La plus grande manifestation en relation avec la culture pop du Japon organisée en Europe est toutefois la Japan Expo qui a lieu tous les étés dans la banlieue parisienne. Organisée pour la 12ème fois l’an dernier, elle a rassemblé 190 000 personnes. Non seulement les stands et exposants en relation avec les mangas et animes mais des défilés de cosplays, des concerts live de J-pop, des démonstrations d’art traditionnel et d’arts martiaux étaient au programme. Et même le Musée Guimet faisait partie des exposants.

La raison pour laquelle Japan Expo a pris une plus grande envergure que les manifestations de même type en Europe, c’est bien entendu parce que la vogue des mangas est la plus forte en France, mais c’est aussi parce que les organisateurs ont planifié et géré l’événement sur la base d’un concept bien précis. Ces organisateurs sont, en particulier, parfaitement conscients du rôle que joue récemment la Japan Expo comme site d’études et de négociations commerciales.

Au Grimaldi Forum, vaste centre de congrès et lieu d’exposition à Monaco, une grande exposition dénommée « Kyoto-Tokyo — Des samouraïs aux mangas » a eu lieu durant l’été 2010 pour célébrer le dixième anniversaire de l’inauguration du complexe. La vue de cette immense exposition, présentant aussi bien des statues bouddhiques, paravents, céramiques, kimonos, estampes ukiyo-e et armures conservés dans les musées nationaux de Tokyo et de Kyoto que des dessins originaux de Mizuki Shigeru, l’architecture contemporaine, les animes et mangas et jusqu’aux robots, montre à l’évidence l’intention des organisateurs de transmettre les différents aspects de la culture du Japon, en allant de la tradition au contemporain.

Ce concept de présentation en parallèle de la culture pop et de la culture traditionnelle, en vue d’une compréhension globale de la diversité de la culture nippone, est à présent devenu la norme en Europe.

Débats autour de la notion de « Cool Japan »

La notion de Cool Japan, en vogue à l’époque du gouvernement Koizumi, s’est avérée être une stratégie diplomatique culturelle du Japon prenant pour objet un grand nombre d’éléments de la culture pop.

Ce terme apparaît à l’origine dans un article de Douglas MacGray intitulé « Japan Gross National Cool » paru en 2002, où il a été utilisé pour traiter du potentiel culturel nippon. L’auteur expose le fait que, alors que d’une part l’économie japonaise est en recul après l’éclatement de la bulle économique, l’Archipel commence à avoir une influence considérable dans le monde grâce à sa culture pop. MacGray, qui fait l’éloge de la pénétration de la culture japonaise à l’étranger et qui revendique le terme de Cool Japan, souligne alors l’importance du secteur des mangas, animes et des jeux vidéo.

La culture pop, qui n’a ni la même valeur artistique ni la profondeur de pensée de la culture traditionnelle, est critiquée par certains qui ne la considèrent pas comme « la vraie culture du Japon ». L’on fait remarquer, de plus, que les fans de culture pop japonaise ne sont pas obligatoirement intéressés par la culture, l’histoire et la société du Japon. Et certaines critiques viennent renchérir sur le fait que c’est l’industrie de contenus qui apporte son soutien aux activités dans ce secteur et qu’il s’agit donc de commerce et non pas d’activités de diffusion culturelle.

Toutefois, si l’on regarde l’histoire, on s’aperçoit que de nombreuses activités artistiques sont apparues par opposition à l’autorité et leur valeur, artistique comme culturelle, n’est-elle pas précisément mise en doute car il s’agit encore d’épigones à ce point-là ? En outre, la séparation des valeurs culturelles et des activités commerciales est en réalité une pensée extrémiste.

Il peut y avoir des pour et des contre, mais la promotion d’une meilleure compréhension globale du Japon à l’étranger en prenant pour ouverture la culture pop, comme les mangas et les animes, est loin d’être une erreur. C’est précisément parce qu’on ne pense pas pouvoir parler du Japon actuel uniquement avec les animes ou uniquement avec la culture traditionnelle, même lors de chacune des manifestations à l’étranger mentionnées ci-dessus, que cette compréhension est à trouver en direction d’une convergence dans des expositions globales sur la culture japonaise. Il est certain que la diversité et la profondeur de la culture japonaise ont progressivement acquis droit de cité au sein de la communauté internationale.

La diplomatie culturelle comme stratégie économique

A en juger par cette situation, il est clair que la diplomatie culturelle peut devenir la base de la diplomatie du Japon. Toutefois, pour ce qui est de l’attitude par rapport à la culture lorsqu’on pense diplomatie, il faut admettre que la position dans laquelle on se place n’est pas bien définie. On peut affirmer qu’en matière de théorie de la diplomatie culturelle et de communication, il n’existe pas encore de définition faisant autorité.

On parle beaucoup ces dernières années de la diplomatie culturelle en tant que partie intégrante d’une stratégie économique vis-à-vis de l’étranger. Dans le cas du Japon, cela fait référence aux secteurs de l’artisanat traditionnel et de l’industrie de contenus. La stratégie de la culture pop représentée dans la notion de Cool Japan est intégrée ici.

Le Ministère de l’Economie, du Commerce et de l’Industrie, dans son rapport paru en juin 2010, indique dans ses prévisions « qu’il existe de fortes possibilités pour que les industries culturelles deviennent à l’avenir le moteur de l’économie japonaise » et que « l’on peut considérer que les industries culturelles constitueront une force importante pour l’ensemble de l’industrie japonaise en tant que puissance douce. » Les industries culturelles sont en attente de devenir un des piliers de l’économie japonaise au même titre que les industries automobile et électronique. On peut imaginer ici les secteurs de l’habillement, de l’alimentation et de la maison ainsi que celui du tourisme comme jouant un rôle central et se connectant à des possibilités de création d’une nouvelle demande intérieure ou d’emplois. Il n’est pas nécessaire de mentionner encore une fois la haute appréciation dont jouissent les produits japonais dans tous les pays d’Asie mais il sera nécessaire à l’avenir de développer des activités de cette sorte aux Etats-Unis et en Europe.

Dans ce contexte, c’est probablement la France qui deviendra la base en Europe. L’ampleur du succès des mangas a été évoqué plus haut, avec pour meilleur exemple la bande dessinée « Les gouttes de Dieu(*1)», considéré comme l’un des meilleurs livres du monde sur les vins, qui a été traduite dans la langue de Molière et a permis aux Français d’en savoir plus sur les vins de leur propre pays. La nourriture japonaise est également fort appréciée avec la vogue de l’alimentation saine et, rien qu’à Paris, on compte plus de 300 restaurants japonais. Au point que les clients font constamment la queue devant les restaurants de ramen du quartier de l’Opéra.

(*1) ^ Kami no shizuku écrit par Tadashi Agi et dessiné par Shu Okimoto. La version française publiée par l’édition Glénat.

L’exportation d’un nouveau japonisme

Il y a eu en Europe, et principalement en France, une période qui a été appelée japonisme allant de la seconde moitié du XIXe siècle jusqu’aux années 1920. En France, un grand intérêt pour le Japon s’est développé en prenant l’art pour point de départ et une revue nommée « Le Japon artistique » a même été publiée. Toutefois, ce japonisme, qui avait pris racine dans le goût pour un certain exotisme oriental, est resté principalement centré dans le domaine des arts, avec pour amateurs des intellectuels en partie. Il n’était en fait qu’une prolongation de l’orientalisme en vogue dans la première moitié du XIXe siècle.

L’engouement pour le Japon aujourd’hui est différent. D’abord, sa base est bien plus large puisqu’il reflète la pénétration de la culture pop principalement chez les jeunes. Il dépasse largement le goût de l’exotisme dans un certain public. La culture japonaise est une culture dont l’universalisme commence à être reconnu dans le monde. J’ai entendu dire par un jeune Français amateur de culture pop, l’air sérieux : « Je n’ai appris que récemment qu’il y avait aussi une histoire et une culture traditionnelle au Japon et j’aimerais bien les étudier. » Il y a ainsi des gens qui se familiarisent avec la culture nippone en empruntant une entrée différente mais qui en arrivent tout de même à une véritable compréhension du Japon.

Entre 2008 et 2011, en tant que partie intégrante de l’Initiative Kansei (sensibilité, inspiration intuitive) et création de valeurs, lancée par le Ministère de l’Economie, des expositions de design japonais ont été organisées dans les principales villes étrangères. Elle s’est tenue à Paris au Musée des Arts Décoratifs dans le Palais du Louvre et a rencontré un grand succès. Objets en laque, flacons de sauce soja en porcelaine blanche, théières dobin, stylos-pinceaux fudepen, balais, couteaux de chef, coussins zabuton, grille-pains, verres, purificateurs d’air, housses de coussins en brocart Nishijin, téléviseurs à cristaux liquides et humidificateurs, entre autres, y ont été exposés. Ces objets de la vie quotidienne montraient à la fois fonctionnalité et beauté du design. En d’autres termes, il s’agissait là d’une présentation de ce que l’on pourrait appeler « une esthétique de la fonction » et l’on pouvait découvrir d’un seul coup d’œil toutes les caractéristiques de la sensibilité esthétique japonaise, telle qu’elle est représentée dans l’art populaire mingei.

Le personnage du manga Naruto présenté lors de Japan Expo

Toutes les pièces exposées avaient été classées et disposées selon leur transposition concrète du wakotoba, révélant une expression, un esprit et une action caractéristiques du Japon. L’explication du concept et le design de l’objet étaient en parfaite concordance et il était ainsi facile de se faire une image des qualités inhérentes à la culture nippone. Etaient ainsi transmises la gentillesse, la souplesse, l’harmonie avec la nature, la modestie et la sérénité propres au Japon.

En réalité, tout cela n’est pas exprimé uniquement dans la culture traditionnelle. Il y a parmi les mangas des œuvres qui transmettent largement cette image. Dans le manga en vogue Naruto, on voit un jeune ninja grandir en passant par les différentes expériences de l’adolescence et des émotions extrêmement japonaises, comme l’amitié ou la solidarité, y sont décrites. On peut dire qu’il s’agit là d’un exemple réussi de la fusion des caractéristiques spirituelles du Japon dans l’universalité. Cette création de concept se doit d’être à l’avenir une des orientations majeures de la diplomatie culturelle du Japon.

Pour que la culture serve dans la diplomatie

Toutefois, même si les valeurs culturelles sont élevées, elles ne peuvent pas servir dans l’immédiat dans la diplomatie. Les préparatifs sont ici indispensables.

En premier lieu, il sera nécessaire de prévoir des connexions efficaces entre les différentes activités. Sur les lieux mêmes, il est difficile de considérer ordinairement comme suffisante la création des réseaux et des organisations permettant d’exécuter ces projets culturels. (Se reporter à un article précédent sur le manque de moyens humains et financiers pour les activités culturelles et le projet de fusion entre des institutions chargées d’activités internationales : « Le Japon doit renforcer sa politique d’action culturelle et d’information»)

En deuxième lieu, il sera nécessaire d’accorder une position suffisante aux échanges intellectuels et à la diffusion de la langue japonaise. La tendance à envoyer les personnalités les plus célèbres dans les conférences et les colloques internationaux persiste encore. Mais dans ce domaine, il est indispensable d’avoir des échanges discrets et suivis entre des savants dans des domaines d’expertise particuliers comme il est indispensable, pour la propagation de l’enseignement du japonais, de mener des activités intégrant un soutien aux institutions éducatives à partir du Japon et des négociations avec les gouvernements locaux en vue de dynamiser cet enseignement sur place. Dans l’un et l’autre cas, il s’avère urgent de former des ressources humaines ayant des connaissances et des aptitudes spécialisées et ayant également de bons rapports avec l’administration.

En troisième lieu, il s’agira donc de transmettre à l’étranger la stratégie et le discernement diplomatiques du Japon, mais cette partie est de loin le maillon le plus faible. On demande au Japon d’avoir une expression autonome et universelle. A cet effet, il faut pouvoir formuler des recommandations non pas du bout des lèvres, mais avec un discernement obtenu à partir d’une véritable perspective mondiale. Et, pour cela, l’image du Japon en tant que grande puissance professant une culture de la paix est largement suffisante comme base. Les moyens et les méthodes étant d’ores et déjà en place, ne reste que le problème de savoir comment procéder à la formation de ce discernement diplomatique. Dans ce sens, il va sans dire qu’il est également indispensable de remédier à la situation de desséchement actuel que connaît la tribune sur la théorie diplomatique.

En dernier lieu, sévères sont les critiques de l’ administration se concentrant sur la construction de bâtiments publics, mais il serait bon de réviser l’ordre des priorités et les importances budgétaires sur le plan stratégique. La Maison de la Culture du Japon à Paris est l’un des symboles de notre pays en France. Récemment, la Chine et la Corée du Sud ont des activités culturelles très dynamiques à Paris. Leurs intentions sont claires si l’on considère que connaître le succès à Paris, c’est réussir dans toute l’Europe et avoir ensuite une influence non négligeable aux Etats-Unis et dans le monde.

(D’après un original en japonais.)

Photo : Hino Hato

manga cosplay Japan Expo anime diplomatie culture pop salon Cool Japan Japonisme