Le Japon terre d’accueil des cultures du monde

Portraits de trois femmes japonaises mariées à un musulman

Société

L’islam est souvent critiqué pour son traitement discriminatoire des femmes. Depuis l’essor d’organisations extrémistes, les médias du monde entier – et le Japon ne fait pas exception – exposent régulièrement les violences et persécutions dont souffrent les musulmanes. Malgré ce contexte, il y a au Japon des femmes qui ont trouvé l’amour avec un musulman et qui ont fait le choix de se convertir à l’islam. Trois d’entre elles partagent dans cet article leur vie au quotidien.

1er couple : Yuri et Ali (Tokyo)

Yuri (48 ans), architecte chez un des principaux constructeurs de logement japonais, est mariée à Muhammet Ali (42 ans), gérant du « Kebab Cafe Ertugrul », ouvert en 2016 près de la gare de Nakano à Tokyo.

Leur histoire commence en 2014. L’un et l’autre se rendaient souvent au même restaurant ; c’est là qu’ils se sont rencontrés et qu’ils ont commencé à se parler.

« Il ne m’avait jamais dit qu’il était musulman. Un jour qu’on était ensemble à table, je voulais lui faire goûter un plat, mais il n’y touchait pas. Je lui ai demandé pourquoi, et c’est à ce moment-là que j’ai découvert qu’il était musulman. Il ne prie jamais en public. Il sait bien que l’islam n’est pas du tout répandu au Japon, c’est pourquoi il craint de mettre mal à l’aise son entourage et de provoquer des malentendus. »

Yuri et Ali

Un mari qui ne ferait pas de mal à une mouche

Tout ce que Yuri savait de l’islam, c’était que la religion interdisait de manger du porc. Mais elle était aussi au courant via les nouvelles des actes de violence perpétrés par des organisations terroristes islamistes.

Un jour, alors qu’elle essaye d’écraser un moustique, Ali, étonné, lui demande : « Pourquoi veux-tu le tuer ? » Ali chasse le moustique en dehors de la pièce, sans le tuer. Il lui explique qu’il fait de même pour les mouches. « C’est quelqu’un de très pur et sérieux dans la pratique de sa foi, dit Yuri. Je me suis rendu compte que l’image des musulmans véhiculée par les médias était complètement différente de la réalité. »

La relation personnelle avec Dieu avant tout

Ali n’a jamais forcé Yuri à se comporter d’une manière ou d’une autre, que ce soit avant ou après leur mariage, ou même après qu’elle se soit convertie à l’islam. Quand ils ont commencé à envisager de se marier, elle lui a demandé s’il serait préférable qu’elle ne mange plus de porc.

« C’est à toi de décider, lui a-t-il répondu. Tu as eu ta propre vie jusqu’à présent et il est important que tu continues de vivre à ta manière. » Elle ne s’attendait pas cette réponse.

Pour Ali, sa « relation personnelle avec Dieu » est au centre de sa foi, et il ne porte pas de jugement sur les choix et les comportements d’autrui. C’est précisément parce qu’il ne l’a pas forcée à s’adapter à lui que Yuri a commencé à éprouver du respect envers sa croyance. Elle s’est mise à étudier l’islam et a spontanément arrêté de boire de l’alcool et de consommer du porc. Elle a aussi racheté tous les ustensiles de cuisine avec lesquelles elle avait cuisiné du porc.

Les kebabs généreux proposés par le restaurant d’Ali rencontrent un grand succès auprès des jeunes et des employés de bureaux.

Les lieux de prière sont très rares au Japon. Un jour que le couple était en déplacement et qu’il ne trouvait aucun endroit pour faire la prière, Ali a été contraint d’utiliser le palier d’escalier d’un bâtiment. Yuri attendait en bas des marches, prête à expliquer la situation si quelqu’un passait par là.

Se faire accepter par la société

Yuri et Ali ont cherché pendant longtemps un local commercial qui pourrait contenir un espace de prière, afin qu’Ali puisse concilier religion et travail. Ils voulaient aussi que ce soit un lieu de détente pour la communauté musulmane.

Yuri, quant à elle, ne porte le hijab que lorsqu’elle va à la mosquée et ne prie que quand elle en a le temps.

« Je me suis demandé comment un pratiquant de l’islam pouvait travailler dans un pays comme le Japon. C’est très difficile de trouver du temps pour faire ses prières pendant le travail. Ce n’est pas non plus envisageable de porter le hijab devant des clients. En voulant pratiquer sa foi avec trop de ferveur, on finit par importuner son entourage. C’est pourquoi je fais de mon mieux pour entretenir ma relation personnelle avec Dieu tout en considérant la société dans laquelle je vis. »

Yuri voudrait que leur entourage et la société en général acceptent son mari musulman. Pour ce faire, ils participent aux évènements organisés par les associations de quartier et achètent les ingrédients du restaurant chez les commerçants locaux. Ainsi, ils lient petit à petit des liens d’amitié avec les habitants du quartier.

L’espace de prière du restaurant

Ali en prière.

« Mon mari m’enseigne progressivement l’islam. Au final, j’espère pouvoir aider Ali et tous les autres musulmans vivant au Japon, même si cela va sûrement prendre du temps.

2e couple : Mari et Abdul (Osaka)

« Depuis que je me suis convertie, je me sens plus apaisée », confie Mari

Mari (44 ans) travaille pour la Nippon Halal Association, une association à but non lucratif située dans l’arrondissement de Hirano à Osaka. Le 1er janvier 2014, elle s’est mariée à Abdul Rahman Khadija, de nationalité indonésienne et de plus de 20 ans son cadet. C’est en Indonésie, au cours de l’été 2012, qu’elle a rencontré Abdul, travaillant dans l’hôtel où elle séjournait. Plus tard, quand ils se sont mis en couple, Mari lui a parlé de sa volonté de se convertir à l’islam. La réponse d’Abdul a été simple et rassurante : « Tout ce que tu as à faire, c’est croire en Allah. »

« Se convertir n’a rien de compliqué : pour quelqu’un qui vivait auparavant une vie normale, cela revient simplement à avoir quelque chose de nouveau en quoi croire, explique Mari. En réalité, cette nouvelle foi m’a grandement apaisée. Tous les petits tracas de la vie quotidienne me sont apparus comme la grâce de Dieu. »

« Le hijab te va très bien »

Il va sans dire que Mari était inquiète à l’idée de se convertir. Le couple s’était rendu par le passé au village natal d’Abdul. Ne connaissant pas les coutumes religieuses locales, Mari ne savait pas comment se comporter. C’est alors qu’Abdul l’a rassurée : « Ne t’efforce pas de suivre toutes ces règles. » Peu après leur mariage, Mari a porté pour la première fois un hijab, de couleur bleu clair. Abdul, quelque peu amusé, lui a dit : « Tu n’as pas besoin de le porter, ça ne te va pas du tout. » Mais récemment, trois ans après sa conversion, son mari commence à lui dire que le hijab lui va très bien. Mari ressent que le regard de son mari commence à changer, qu’il la considère de plus en plus comme une musulmane.

Mari et Remon Hitomi, présidente de la Nippon Halal Association. La manière de porter le hijab varie d’un pays à l’autre.

La place de l’islam au Japon

Un collègue de travail d’Abdul lui a dit un jour : « Tu es venu au Japon, mais ta religion n’a rien à voir avec ce pays. » Peut-être qu’il n’avait pas une compréhension suffisante de l’islam. Ou peut-être voulait-il lui faire savoir que cette manière de penser était nécessaire pour vivre dans un pays qui ne connaît que très peu cette religion.

La nourriture pose le plus grand problème à Ali. Quand on lui propose un plat qu’il ne peut pas manger, il prétexte des maux de ventre afin de ne pas être impoli en refusant. Acheter un déjeuner au supermarché est tout aussi problématique car il ne peut pas lire les ingrédients contenus dans les plats.

« Afin de s’adapter à la vie japonaise, mon mari fait beaucoup d’efforts, confie Mari. Je peux le soutenir en faisant en sorte qu’il ne commette pas de péchés quand on est ensemble. Il ne nous arrive jamais de manger un plat sans vérifier les ingrédients. »

« Mon mari s’est adapté à la société japonaise et en retour, je voudrais qu’elle lui permette de vivre sans contrainte. À l’époque où Abdul avait emménagé au Japon et que l’État islamique (EI) apparaissait régulièrement dans les nouvelles, il s’inquiétait que les Japonais se fassent une image erronée de l’islam. »

« Tout comme mon mari, les musulmans sont des personnes qui savent pardonner. C’est pourquoi je me suis dit que si je rencontrais quelqu’un au Japon qui faisait l’amalgame entre l’EI et l’islam, je lui expliquerais clairement la différence. »

3e couple : Chihiro et Jahangir (Tokyo)

Chihiro (32 ans) gère le restaurant italien « Pran Pone » avec son mari Jahangir Mujahed (54 ans), originaire du Bangladesh. L’établissement est situé près de la gare d’Ekoda dans l’arrondissement de Nerima à Tokyo. Dix ans plus tôt, alors que Chihiro était une étudiante âgée de 22 ans, elle a trouvé du travail dans un autre restaurant italien tenu par Jahangir. Ils sont tombés éperdument amoureux l’un de l’autre et se sont mariés il y a 7 ans, malgré une différence d’âge de 22 ans.

Chihiro et Jahangir

« L’enseignement de l’islam ressemble par beaucoup d’aspects aux valeurs inculquées aux enfants japonais, comme la piété filiale ou la sincérité, affirme Chihiro. Ma conversion à l’islam ne m’a gênée en rien et je suis toujours aussi libre qu’auparavant. »

Unis grâce à Dieu

À l’époque où les deux s’étaient rencontrés, Jahangir ne consacrait que peu de temps à sa vie religieuse. Venu au Japon il y a 32 ans, il a dû vivre dans un pays très peu ouvert aux musulmans. Afin de se fondre dans la société japonaise, il a été contraint d’enfreindre certaines règles de conduite, mais il s’y est peu à peu accoutumé. C’est grâce aux paroles encourageantes de Chihiro, lorsqu’ils ont décidé de se marier, qu’il a pu retrouver ses habitudes.

« Elle m’a beaucoup aidé, confie Jahangir. Avant de la rencontrer, je faisais de mon mieux pour avoir des amis Japonais et je pensais que je devais changer mon mode de vie pour y parvenir. Mais Dieu m’a remis dans le droit chemin grâce à Chihiro. »

Chihiro élève leurs deux jeunes enfants tout en s’occupant du restaurant. Il lui arrive souvent de ne pas avoir le temps de faire ses cinq prières quotidiennes ou d’aller à la mosquée les vendredis.

« En tant que musulmane, je voudrais pratiquer ma foi sans contrainte. Mais mon mari m’a enseigné que Dieu est tolérant et qu’il est au-dessus des hommes et de leurs soucis. Je pense que le plus important est de faire de son mieux pour suivre les préceptes de l’islam. »

Chihiro aime dire que son mari est « bavard comme un enfant », même s’il a 22 ans de plus qu’elle.

Ne pas craindre d’être une minorité

Dans leur restaurant, ils n’indiquent pas spécialement qu’ils sont musulmans ou que la nourriture est halal. L’islam a encore mauvaise image et les préjugés sont nombreux. Ils se posent aussi des questions sur l’avenir de leurs enfants, nés dans une famille musulmane.

Mais Jahangir explique : « il n’y a pas besoin de mettre en avant le fait que nous soyons musulmans. Si nous sommes chaleureux et accueillants dans notre vie quotidienne, alors les gens viendront naturellement à nous. Devenir une telle personne, voilà l’enseignement de l’islam. »

Chihiro acquiesce en écoutant son mari. « Nos enfants seront une minorité au Japon. Ils devront faire face à de nombreux défis à l’avenir. Par exemple, il y aura des plats qu’ils ne pourront pas manger à la cantine scolaire. Mais plutôt que de faire valoir haut et fort leur identité, je suis certaine qu’ils parviendront naturellement à vivre leur foi tout en s’entendant avec leur entourage. Les règles de vie diffèrent d’une famille à une autre. C’est le cas pour toutes les familles japonaises et je pense que les amis de nos enfants comprendront que la nôtre a aussi sa propre manière de vivre. »

L’ignorance engendre la peur

Les trois femmes interviewées dans cet article vont à l’encontre du stéréotype de la femme musulmane. Elles jouissent d’une réelle liberté et partagent une vie pleine de bonheur avec leurs maris et enfants. Elles demeurent néanmoins prudentes quant aux relations avec leur entourage.

Remon Hitomi, présidente de la Nippon Halal Association regrette que beaucoup de Japonais aient peur de l’islam ou pensent que c’est une religion stricte. Hitomi s’est convertie d’elle-même à l’islam et s’est marié à son mari musulman à 27 ans. Elle porte le hijab quand elle sort de chez elle.

« L’islam n’est en aucun cas une religion qui opprime les femmes. Par exemple, le prophète Mahomet participait activement aux tâches ménagères. Il disait aussi que le paradis était sous les pieds de la mère. »

La relation avec Dieu est une sorte de contrat, et c’est au pratiquant lui-même d’en choisir les modalités. Hitomi admet qu’il lui arrive de ne pas se réveiller à temps pour la prière du matin. Vivre une vie irréprochable est difficile pour n’importe qui. Et c’est précisément pour cette raison qu’il faut continuer de faire des efforts.

« La presse a tendance à se focaliser sur des aspects négatifs comme les règles de vies très strictes et les actes de violence, mais avant tout cela, ce qu’il y a de plus important c’est la foi. L’islam est une religion qui prêche la tolérance et non la violence. C’est en ressentant l’existence de Dieu que l’on comprend cela. C’est un enseignement qui naît de l’amour de Dieu. »

(Voir notre article lié : Shimoyama Shigeru, le Japonais qui enseigne l’islam)

Le nombre d’étrangers ne cesse de croître au Japon. Les travailleurs originaires d’autres pays sont de plus en plus nombreux et les touristes affluent d’année en année depuis que le gouvernement japonais met l’accent sur le développement du tourisme national. Inévitablement, le nombre de musulmans vivant au Japon va augmenter. Et il y aura parallèlement de plus en plus de Japonais qui se convertiront à l’islam, se marieront à des musulmans et auront des enfants nés dans cette religion.

« Je pense que les Japonais ont peur parce qu’ils ont des idées fausses sur l’islam. Je veux combattre ces idées, dans le but que la communauté grandissante des musulmans et leurs enfants puissent vivre en harmonie avec la société japonaise. »

Texte : Kouda Hideyuki (POWER NEWS)
Photos : Ikazaki Shinobu (Tokyo), Yamauchi Hiroshi (Osaka)

islam femme mariage Arabe