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Une fille née au Japon d’un père musulman : les épreuves d’une famille interculturelle

Société

Le Japon est un pays où il y a très peu de musulmans. Comment les enfants nés dans des familles musulmanes grandissent-ils dans la société japonaise ?

Les difficultés du mariage musulman au Japon

Sarrah, une jeune femme japonaise habitant à Narashino (préfecture de Chiba), n'a jamais porté de maillot de bain de sa vie. L’été, malgré la chaleur étouffante, elle ne porte pas de vêtements révélateurs comme les autres femmes de son âge. Toutes ses jupes lui arrivent en dessous des genoux. Mais Sarrah n'est pas musulmane : elle s'habille ainsi par respect pour son père, Ali, originaire du Pakistan et musulman pratiquant. C'est un mode de vie qu'elle suit depuis son plus jeune âge. Elle serait bien trop gênée de porter aujourd'hui des vêtements qui exposent certaines parties de son corps.

Ali, septième d'une fratrie de dix enfants de la ville pakistanaise d’Hyderâbâd, est arrivé au Japon en mars 1986 avec l'aide d'un ami, alors que la sécurité dans son pays s’était nettement dégradée. Peu de temps après, il a rencontré une femme japonaise qu’il a épousée en 1991. Cependant, le chemin vers le mariage a été pour lui semé d’embûches.

Les ennuis ont commencé lorsqu'il a demandé à sa famille au Pakistan de lui envoyer un certificat de célibat : le document n’arrivait pas, malgré une longue période d’attente. En réalité, ses parents, opposés à son mariage, ignoraient délibérément sa demande. Chez les familles musulmanes pakistanaises, la tradition veut que ce soient les parents qui choisissent les conjoints. Un mariage d'amour est donc hors de question, d'autant plus si la fiancée n'est pas musulmane. Ali a dû s’en remettre à son frère pour lui procurer le certificat de célibat et c'est ainsi qu'il a pu se marier au Japon sans le consentement de ses parents. Ce n'est qu'il y a 5 ans que ces derniers ont finalement accepté le mariage de leur fils.

Les espoirs d’Ali

Suite à leur union, Ali et sa femme ont eu un fils, puis une fille. Ali chérit Sarrah comme un trésor. Tout juste diplômée de son université au printemps dernier, elle vient de trouver un emploi dans le domaine qu'elle souhaitait. Ali ne peut s'empêcher de sourire quand il parle de sa fille et de son avenir prometteur, mais il a aussi des regrets et des inquiétudes.

« Je croyais que les enfants de parents musulmans devenaient naturellement musulmans en grandissant, mais ça n’a pas été le cas... »

La famille d’Ali vit depuis toujours selon les coutumes musulmanes, notamment pour la nourriture et les vêtements. À table, il n’y a jamais de porc, calamar, poulpe, crevette ou de crabe, ni d'alcool bien entendu. Dans les sanctuaires shintô ou les temples bouddhistes, Ali s’abstient de prier à la manière des Japonais. Mais il explique qu’il n'a jamais forcé sa famille à se plier aux pratiques de l'islam.

« Ma femme est née et a grandi au Japon. Nous savions que nos enfants allaient eux aussi grandir ici. Je voulais qu'ils grandissent avec autant de liberté que possible en suivant le mode de vie japonais. J'aime visiter les temples et les sanctuaires japonais et j'y ai souvent emmené mes enfants. Mais je pensais qu'en devenant adultes, ils suivraient naturellement les enseignements de l'islam. J’étais bien naïf. Aujourd'hui, il est trop tard pour leur parler de religion… »

Ali et Sarrah cuisinant ensemble un repas halal.

Sarrah, une fille attentionnée

Ali respecte le choix de ses enfants et ne les forcerait jamais à se convertir. Mais au fond de lui, il souhaite qu’ils partagent sa foi. Il savait que son fils aîné et sa femme n’étaient d’emblée pas intéressés par l’islam. C'est pourquoi il portait secrètement ses espoirs sur sa fille.

Lorsque Sarrah était plus jeune, Ali l'emmenait souvent à des rassemblements de sa communauté musulmane. Les participants, qui venaient en famille, étaient originaires du Pakistan, d’Inde ou encore du Canada. Après les prières, ils se rassemblaient pour partager un repas. C’est au cours de ces moments de convivialité que Sarrah s'est fait des amis. En grandissant, les enfants plus jeunes qu'elle ont commencé à la considérer comme leur sœur aînée.

« Peut-être que je sentais qu'il était dans mon devoir d'aller à ces évènements, parce que ni ma mère ni mon frère n'y participaient, explique-t-elle. Mais ça ne voulait pas dire que je voulais devenir musulmane. Je me disais que mon père se sentirait seul car ses amis venaient accompagnés de leur famille. Quand j'étais plus jeune, je participais aussi à la prière du matin à la maison avec mon père. Malgré cela, il ne m'a jamais demandé de me convertir. »

Concilier règles de vie musulmanes et japonaises

Quand Sarrah est entré à l'école primaire, Ali a fait de son mieux pour que l'établissement comprenne qu'elle était issue d'une famille musulmane. Les jours où il y avait du porc à la cantine, l'école l'a autorisée à prendre avec elle un repas préparé à la maison. Pendant les cours de natation, elle restait à côté de la piscine et observait ses camarades nager, le port du maillot de bain n'étant pas autorisé dans l'islam. Afin de ne pas violer l’interdiction du culte des idoles, elle ne dessinait pas de personnes pendant les cours d'arts plastiques. La seule exception est un portrait d’Ali qu'elle a dessiné pour la fête des pères.

C'était à son père et non à sa mère que revenait le rôle d’expliquer à l’école comment Sarrah pouvait se comporter. L'établissement qu’elle fréquentait se montrait compréhensif et organisa des cours particuliers en classe de natation habillée.

Mais à l'adolescence, Sarrah a commencé à se sentir de plus en plus mal à l’aise dans les rassemblements où son père l'emmenait. Les participants étaient de fervents pratiquants, qui priaient avec beaucoup de sérieux. C'était aussi le cas des amis qu'elle s'y était faits. Mais Sarrah n'était pas croyante.

Un jour, un ami indien de son père lui a dit : « C'est une très bonne chose que tu viennes régulièrement, mais tu n’as pas de raison d’être ici si tu ne lis pas le Coran et ne comprends pas les enseignements de l'islam. Si tu ne fais qu'imiter les gestes, mieux vaut que tu ne viennes plus... »

Sarrah a été très affectée par ces propos. C’est depuis ce moment qu'elle a commencé à ressentir qu'elle n'était pas à sa place dans ces rassemblements. Tout en omettant cette discussion avec l'Indien, Sarrah a avoué à son père qu’elle ne se considérait pas musulmane et qu’elle ne voulait plus l'accompagner aux événements de sa communauté. Ali, par respect pour sa fille, lui a simplement répondu : « Je comprends. »

« Je suis une Japonaise qui est née et qui a grandi au Japon, poursuit Sarrah. J'aime mon père, mais ma manière de penser et ma culture sont différentes de l'islam. Je n'ai pas de problème en ce qui concerne la nourriture, mais c'est difficile de concilier le reste avec le mode de vie japonais. Par ailleurs, je n'ai pas le temps maintenant d'apprendre à lire le Coran ou d'aller à La Mecque. Si j'avais commencé plus jeune, j'aurais peut-être décidé autrement. Mais ce n'est plus possible aujourd'hui. »

Ali et Sarrah déjeunant ensemble à la maison.

Sarrah pense que les hommes musulmans sont très respectueux envers les femmes. Elle ressent que son père prend très grand soin d'elle. Pour cela, il lui a expliqué qu’il fallait qu’elle reste à la maison.

« Je comprends les sentiments de mon père et son attention envers moi, mais l'idée de garder les femmes à la maison n'est pas compatible avec la société japonaise d'aujourd'hui. Je viens juste de commencer ma carrière professionnelle et il m’est impossible de rester à la maison ou de porter le hijab. Je ne peux plus répondre aux attentes de mon père. »

Le jour où Sarrah se mariera

Un jour, Sarrah rencontrera peut-être l’homme qui deviendra son mari. Et il y a très peu de probabilité qu'il sera musulman. Au Japon, les mariages n'ont pas de connotation religieuse, même si les cérémonies sont souvent célébrées dans un style chrétien ou shintô (voir notre article sur le mariage au Japon). Que fera son père dans ce cas-là ?

Ali fronce les sourcils : « C'est une question délicate. Je me suis moi-même marié contre l'avis de mes parents donc je suis prêt à tout. Mais pour le moment, c’est une chose à laquelle je ne veux pas penser. »

Ali priant à la maison.

Sarrah, quant à elle, confie à un moment où son père n'est pas là : « Depuis longtemps, je ne veux pas me marier car je ne veux pas causer d’ennuis à mon père. Il y a toujours des éléments religieux dans une cérémonie de mariage. Mais si la famille de mon époux veut en organiser une, je ne saurais pas quoi faire... »

Bien que père et fille ne s’entendent pas toujours sur les questions religieuses, leur relation semble suffisamment forte pour surmonter les épreuves à venir.

(Article du 26 mars 2018 écrit à l’origine en japonais. Texte : Yamaguchi Kazuomi, POWER NEWS. Photos : Imamura Takuma. Photo de titre : la photo d’Ali et de Sarrah en kimono lors de la cérémonie d’entrée à la majorité.)

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