La situation des LGBT au Japon

Tanio Toshimi, la première commentatrice télévisée transgenre

Société

Si les minorités sexuelles sont très représentées dans le domaine du divertissement au Japon, Tanio Toshimi est la seule transgenre à participer à une émission d’actualités. Comment s’est-elle décidée à faire son coming-out ? Quelles ont été les raisons qui l’ont conduite à accepter un poste de chroniqueuse à la télévision japonaise ? Elle nous répond.

L’offre de News Zero

« Peut-on accepter d’utiliser l’argent du contribuable pour les personnes LGBT ? Ces hommes et ces femmes ne font pas d’enfants. Ils sont en d’autres termes improductifs... » Au moment où ces propos tenus par Sugita Mio, une femme membre de la Chambre des représentants, dans un texte publié par un magazine avaient un grand retentissement, Tanio Toshimi, une femme transgenre qui travaille pour Nippon TV, est devenue chroniqueuse pour News Zero, une grande émission d’actualités de cette chaîne.

Elle s’est présentée ainsi : « Mon nom est Tanio Toshimi. Je suis entrée en 2000 à Nippon TV en tant qu’homme, mais j’y travaille comme femme transgenre depuis sept ans, dans le domaine de la production cinématographique. »

Lorsque la direction de l’information lui a proposé de participer à News Zero, Tanio Toshimi a pensé qu’il s’agirait de commenter une partie de l’émission consacrée aux LGBT. Mais ce qu’on lui offrait était de devenir chroniqueuse régulière de l’émission. Avant cela, aucun magazine télévisé d’actualités n’avait de chroniqueur transgenre. C’est ce qui l’a décidée à accepter.

« Comme j’ai longtemps travaillé à l’intérieur de la direction de l’information, je comprenais ce que ce rôle impliquait, le poids qu’il confère, et la capacité d’influence des chroniqueurs. L’accepter signifiait assumer une énorme responsabilité. Je réalisais aussi que je serais désormais connue comme transgenre. En clair, il me fallait être prête à assumer les conséquences pour la société. »

Le désir de « devenir une femme »

Toshimi a commencé à travailler chez Nippon TV en avril 2000. Elle y a d’abord fait carrière en tant que journaliste, tant dans le domaine des questions de société qu’à l’international. Comment voyait-elle les choses avant de travailler à la télévision ?

« Depuis toute petite, je ne me sentais pas à l’aise dans mon corps d’homme. J’ai toujours voulu devenir une fille un jour. J’ai grandi dans les années 1980, à l’époque où les new half (terme utilisé pour parler des chanteuses et des danseuses qui avaient changé de sexe grâce à une opération) étaient très en vogue. L’image que j’avais de ces personnes est que beaucoup d’entre elles s’étaient enfuies de chez elles après le collège pour partir dans une grande ville, où elles avaient ensuite travaillé dans des bars. Elles me fascinaient, mais je me demandais aussi si c’était la seule vie que pouvait mener une femme transgenre. J’avais envie d’un monde plus ouvert. Et tout en vivant comme homme, je suis venue à Tokyo pour aller à l’université, et j’ai continué jusqu’à la maîtrise. Il m’est arrivé à cette époque de sortir avec des femmes. »

Underground, le film d’Emir Kusturica qu’elle a vu quand elle était étudiante, lui a fait forte impression.

« Il dépeint l’histoire de la Yougoslavie pendant environ 60 ans, d’abord dans sa lutte contre le nazisme, puis pendant la Guerre froide et la guerre civile. C’est une grande épopée, très puissante, débordante d’énergie, de drôlerie, de tristesse, de bêtise, d’amour, de splendeur humaine, et tout cela accompagnée d’une merveilleuse musique tsigane. Ce film m’a bouleversée et donné envie de me lancer dans la production cinématographique. »

Toshimi a choisi alors de travailler pour Nippon TV afin de devenir productrice. Mais c’est à la direction de l’information qu’elle s’est retrouvée affectée où son travail était tellement prenant que son désir de devenir femme passe graduellement à l’arrière-plan. Puis elle est nommée chef du bureau du Caire.

« J’étais la seule personne japonaise là-bas. Et j’avais plus de temps pour moi-même. J’avais 31 ans, un âge où je crois que tout le monde se pose des questions sur son avenir, sur ce qui se passera si l’on reste là où l’on est professionnellement. Et moi, j’en avais conclu que si c’était pour devenir un vieux bonhomme, alors autant mourir… Pendant les cinq ans que j’ai passés au Caire, j’ai petit à petit laissé pousser mes cheveux et commencer à m’habiller de manière neutre. Jusqu’à un certain point, puisque je devais faire des reportages où l’on me voyait, mais j’ai quand même commencé à m’exprimer telle que mon cœur le voulait dans la mesure du possible. »

« On peut mourir à tout moment »

Toshimi avait une autre raison à ce désir de se dévoiler véritablement. Envoyée au Caire en avril 2005, elle y a passé cinq ans. Elle y est donc arrivée après la proclamation de la fin de la guerre en Irak, mais les combats continuaient par endroits, et il y avait de nombreux attentats terroristes en Afghanistan et au Pakistan.

« J’ai eu à effectuer de nombreux reportages dans des lieux où la vie comptait peu, où beaucoup de gens étaient blessés. J’y ai alors appris beaucoup de choses sur la vie, et notamment le fait qu’on peut mourir à tout moment. Ces cinq ans au Moyen-Orient m’en ont profondément fait prendre conscience. Et j’en suis arrivée à penser que mieux valait vivre de manière à ne pas avoir de regrets. »

Avant de partir pour le Caire, Toshimi avait couvert le séisme et le tsunami dans l’Océan indien de fin 2004. Un tremblement de terre de magnitude 9 au large de Sumatra et le tsunami monstre qu’il a entraîné ont causé la mort de plus de 200 000 personnes.

« Je suis partie en reportage en janvier 2005 en Indonésie, et j’y ai découvert une situation si terrible que les mots manquaient pour la décrire. À perte de vue, ce n’était que ruines, et je me suis dit que je ne reverrais probablement plus jamais de choses aussi terribles. Après mon retour au Japon en 2010, j’ai de nouveau été happée par le rythme de Tokyo et mon quotidien intense. Toutes les leçons que m’avaient appris le Moyen-Orient et l’Indonésie étaient devenues vaines. Lorsque j’ai fêté mes 36 ans, je me suis vraiment demandé ce que je voulais faire de ma vie. »

Puis il y a eu en mars 2011 le grand tremblement de terre du l’est du Japon, la confrontant de nouveau à des ravages qu’elle avait cru ne plus jamais avoir à expérimenter. « À ce moment-là, encore une fois, je me suis dit que je devais être honnête avec moi-même, parce que nul ne sait quand il mourra. »

L’heure du coming-out professionnel

À son retour d’Égypte déjà, Toshimi n’avait pas la même apparence physique : ses cheveux étaient plus longs, elle avait minci et était devenue plus pâle de peau. Elle a dû alors affronter certaines remarques de ses collègues ainsi que des regards désapprobateurs.

C’est lorsqu’elle pensait avoir atteint la limite de ce qu’elle pouvait se permettre en tant que reporter masculin devant la caméra qu’elle a été mutée et affectée à la production d’émissions sur le cinéma. Son nouveau supérieur hiérarchique était une femme.

« Elle était d’un abord facile, et m’a soutenue. J’ai pensé qu’elle pouvait me comprendre et qui sait, m’orienter vers le bon chemin à suivre. En 2012, j’ai fait mon coming-out avec elle. »

Avant d’expliquer ce qu’il en était à son employeur, Toshimi est d’abord allée voir un spécialiste, parce qu’il fallait prouver objectivement qu’il n’était pas question d’une simple inclination mais d’une manière de vivre. Et si son entreprise a pu finalement faire preuve de compréhension, c’est aussi grâce au fait que son supérieur hiérarchique est une femme.

« Ma supérieure m’a remerciée pour mon coming-out, et m’a même recommandé de m’affirmer plus radicalement telle que je désirais être. Comme je n’avais plus à cette époque à paraître en face de la caméra, j’ai commencé à m’habiller d’une manière plus féminine et à me maquiller. »

C’est dans ce contexte qu’elle a choisi d’affronter à nouveau la caméra, cette fois-ci, en participant à l’émission d’actualités News Zero. Cela a suscité différentes réactions. Toshimi explique qu’elle a reçu de nombreux mails et messages.

« J’étais très contente que mon initiative réjouisse beaucoup de monde, et m’apporte tant de réactions positives. Mais en même temps, comme mon objectif n’est pas d’être transgenre, mais de devenir une femme à part entière, cela a suscité chez certains téléspectateurs une forme de malaise. Ce n’était pas encore réellement moi à la télévision. Puisque j’avais décidé d’imposer mon identité par des mots, j’ai eu envie de réussir à transmettre un message plus net. »

Les minorités sexuelles et le divertissement

En décembre 2018, Toshimi a été mutée à la division cinématographique, c’est-à-dire au travail de producteur qui avait été la raison pour laquelle elle était entrée à Nippon TV.

« Il me semble toujours que ce n'est justement pas la sexualité qui définit le plus la nature des gens. Ces dernières années, on trouve souvent dans les films et les séries américaines des personnages qui appartiennent à diverses minorités sexuelles – policier transgenre, avocate lesbienne par exemple, sans que cela ne soit exceptionnel. Mais au Japon, on continue encore à s’intéresser à la sexualité des personnages des films et séries. J’espère que la présence de personnes de minorités sexuelles deviendra plus répandue et plus acceptée dans le monde japonais du divertissement aussi. »

Les yeux de Tanio Toshimi brillent quand elle parle de cinéma. Voici ses commentaires à propos du film chilien Une Femme fantastique de Sebastián Lelio, qui traite des minorités sexuelles.

« Le rôle principal dans ce film est jouée par Daniela Vega, une actrice transgenre. Dans le film, la mort de l’homme qu’elle aime l’amène à subir des discriminations et des traitements injustes, mais elle se bat pour faire reconnaître son amour, et elle-même. Le portrait qui est fait d’elle, lyrique et musical, est très émouvant. Ce film a été couronné par l’Oscar du meilleur film étranger. J’aime aussi beaucoup The Greatest Showman. C’est un film musical qui retrace la vie d’un homme qui a rencontré le succès en rassemblant des gens qui vivaient à l’écart de la société parce qu’ils n’étaient pas comme les autres sur le plan physique ou autre, et quand la femme à barbe chante This is me, je ne peux m’empêcher de pleurer. Cette puissante affirmation de soi me va droit au cœur. »

(Reportage et texte : Kuwahara Rika, Power News. Photos : Imamura Takuma)

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