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Hiroshima et Nagasaki : le rapprochement nippo-américain en marche

Politique

Cette année encore, l’ambassadeur des États-Unis a participé aux cérémonies pour la paix à Hiroshima et Nagasaki, un pas de plus vers le règlement de la question historique du bombardement atomique.

Participation de Caroline Kennedy aux cérémonies pour la paix

L’ambassadrice des États-Unis, Caroline Kennedy, a assisté aux cérémonies pour la paix, à Hiroshima le 6 août et à Nagasaki le 9, où elle s’est recueillie à la mémoire des victimes des bombes atomiques. Il s’agissait de la première participation à ces cérémonies pour l’ambassadrice américaine nommée en novembre dernier, mais elle s’était déjà rendue à Nagasaki au mois de décembre 2013, peu après sa prise de fonctions, pour déposer une gerbe au mémorial de la paix.

La présence d’un ambassadeur américain aux cérémonies pour la paix à Hiroshima et Nagasaki est un fait encore relativement récent : John Roos est le premier à y avoir assisté, en 2010. Il a participé trois fois à celle de Hiroshima et deux fois à celle de Nagasaki.

Même si la visite d’un ambassadeur des États-Unis, pays responsable du largage de la bombe atomique, paraît aujourd’hui naturelle, c’était inimaginable il y a 10 ou 20 ans, tel était le fossé entre les deux pays sur le bombardement atomique. Dans le cadre du processus de réconciliation après la Seconde Guerre mondiale alors en cours en Europe, cette question était la principale pierre d’achoppement à une réconciliation nippo-américaine. C’est début 1995 que ce contraste a été clairement mis en lumière.

Contraste entre la Smithsonian et Dresde

L’année 1995 marquait le 50e anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le musée national américain de l’Air et de l’Espace de la Smithsonian préparait une « exposition commémorative du 50e anniversaire de l’Enola Gay » présentant l’arme nucléaire, de sa première utilisation jusqu’au problème de la prolifération depuis la guerre froide. Ce projet a suscité une vague de protestations auprès des anciens combattants, des élus et des citoyens. L’exposition a été annulée et le directeur du musée contraint de présenter sa démission.

En contraste avec cela, deux semaines plus tard, à Dresde en Allemagne, ville dévastée par les bombardements des forces alliées qui ont fait des dizaines de milliers de victimes, était commémoré le 50e anniversaire du bombardement aérien. La cérémonie s’est déroulée non seulement en présence de personnalités allemandes, mais aussi des pays alliés responsables du bombardement, avec le duc de Kent représentant la reine Elisabeth II, le maréchal Peter Inge ainsi que le chef d’état-major des armées des Etats-Unis John Shalikashvili(*1)). Comment expliquer une telle différence ?

Pas d’excuses mais des prières

Ce qui a particulièrement touché la corde sensible des opposants à l’exposition de la Smithsonian est l’affichage du nombre de victimes de Hiroshima et Nagasaki, qui risquait de donner la vision d’un massacre à grande échelle de civils perpétré par l’armée américaine.

Aux États-Unis, la guerre contre le Japon est considérée comme juste, et la pensée toujours dominante est que le largage des bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki était nécessaire pour sauver les soldats des pays alliés dont le débarquement sur les principales îles du Japon était imminent. Mais au Japon, des pacifistes aux conservateurs, nombreux sont ceux qui considèrent les bombardements atomiques comme un crime de guerre.

En Europe, l’approche prédominante pour amorcer la normalisation finale des relations de l’Allemagne réunifiée avec les pays de l’Est fut, tout en lui attribuant de manière stricte la responsabilité de la guerre, de reconnaître les victimes du conflit sans faire de différence entre pays vainqueurs et vaincus, et d’ouvrir ainsi la porte à la réconciliation. La « réconciliation de Dresde » en est un exemple : les représentants américains et britanniques n’ont pas présenté d’excuses aux pays vaincus, pas plus que l’Allemagne n’en a exigé, ils ont simplement commémoré ensemble les victimes de chaque pays. Voilà comment ont été arrondis les angles entre les deux parties, pour se tourner vers le futur.

(*1) ^ Matsuo Fumio, Obama daitôryô ga Hiroshima ni kenka suru hi (Le jour où le président Obama déposera une gerbe à Hiroshima ; Shôgakukan, 2009

La phase finale du chemin vers la réconciliation

Entre le Japon et les États-Unis également, on commence à observer une avancée progressive vers une réconciliation au sujet de Hiroshima et Nagasaki. En janvier 2004, Howard Baker qui était alors ambassadeur des États-Unis, s’est rendu à Hiroshima, où il a fleuri le monument à la mémoire des victimes de la bombe atomique(*2)). Un mois avant, le Japon avait envoyé ses forces terrestres d’autodéfense en Irak, un événement emblématique du resserrement des relations nippo-américaines pendant la période Bush-Koizumi, après la période de dérive de la décennie 1990.

Depuis, certaines voix au Japon espèrent une réconciliation à l’image de celle de Dresde. D’après l’ancien chef du bureau de l’agence Kyodo à Washington, Matsuo Fumio, qui a proposé que les leaders des deux pays déposent des gerbes à Hiroshima, Nagasaki et au mémorial de l’USS Arizona dans la baie de Pearl Harbor à Hawaii, cette idée a été reçue favorablement par l’administration Bush aussi. En effet, interrogé sur la question au cours d’une conférence de presse préalable au sommet de Toyako à Hokkaido, Georges Bush l’a jugée « intéressante ». Si l’on compare avec la polémique autour de l’exposition de la Smithsonian, on voit que les temps ont beaucoup évolué.

La même année, lors de la réunion des présidents des chambres des représentants du G8, l’américaine Nancy Pelosi fleurit le monument des victimes de la bombe, à la suggestion de son homologue japonais Kôno Yôhei. En retour, celui-ci alla ensuite déposer une gerbe au mémorial de l’USS Arizona à Pearl Harbor. Tous deux figurent au troisième rang de la hiérarchie diplomatique dans leur pays respectif (dans l’ordre, aux États-Unis : président, vice-président également président du Sénat, et président de la chambre basse, au Japon : empereur, premier ministre et président de la chambre des représentants). Le processus de réconciliation entrait enfin dans sa phase finale.

Que signifie « C’est prématuré » ?

Au cours d’une conférence de presse lors de sa première visite au Japon en 2009, interrogé sur une éventuelle visite du lieu où fut larguée la bombe atomique, le président des États-Unis Barack Obama a répondu que ce serait un honneur.

Dans la réalité, bien que cette possibilité semble avoir été envisagée au stade des négociations, elle a été abandonnée, le vice-ministre japonais des affaires étrangères estimant que « l’idée d’une visite à Hiroshima pour s’excuser du largage de la bombe nucléaire est vouée à l’échec. C’est prématuré pour le programme d’une première visite au Japon. » Cette décision, prise durant le mandat du premier ministre Noda Yoshihiko, a été questionnée à la Diète, mais les détails n’ont pas été rendus publics, sous prétexte du secret diplomatique. Aujourd’hui encore, à droite comme à gauche, certains exigent des « prises de responsabilité » et des « excuses ». Il est évident qu’il va être difficile d’arriver à une réconciliation sur le modèle de Dresde où la mémoire des défunts est honorée sans discrimination.

M. Matsuo, partisan d’une réconciliation sur le modèle de Dresde, estime que la situation politique intérieure à laquelle est confronté le président Obama, rend « difficile une visite des sites du bombardement atomique durant son mandat ». Néanmoins, depuis la première visite de Barack Obama au Japon, les ambassadeurs américains continuent à participer aux cérémonies pour la paix ; les efforts pour lever le principal obstacle à la réconciliation entre le Japon et les États-Unis après la guerre semblent en bonne voie.

Chronologie des vingt dernières années du chemin vers la réconciliation

30 janvier 1995 Annulation de l’exposition « 50e anniversaire de l’Enola Gay » au Musée national de l’air et de l’espace de la Smithsonian
15 décembre 2003 Envoi des forces terrestres d’autodéfense en Irak
29 janvier 2004 Visite à Hiroshima de Howard Baker, ambassadeur des États-Unis. Il dépose une gerbe de fleurs au monument pour les victimes de la bombe atomique.
2 septembre 2008 Visite à Hiroshima de Nancy Pelosi, présidente de la chambre basse des États-Unis dans le cadre du sommet du G8. Elle dépose une gerbe de fleurs au monument pour les victimes de la bombe atomique.
29 décembre 2008 Kôno Yôhei, président de la chambre basse du Japon, fleurit le mémorial de l’USS Arizona à Pearl Harbor.
13 novembre 2009 Première visite du président Obama au Japon. Au cours de la conférence de presse à l’issue d’un entretien bilatéral, il déclare qu’il serait honoré de visiter les sites du bombardement atomique.
6 août 2010 John Roos, ambassadeur des États-Unis, assiste à la cérémonie pour la paix à Hiroshima.
6 et 9 aôut 2012 John Roos, ambassadeur des États-Unis, assiste aux cérémonies pour la paix à Hiroshima et Nagasaki.
6 et 9 aôut 2013 John Roos, ambassadeur des États-Unis, assiste aux cérémonies pour la paix à Hiroshima et Nagasaki.
10 décembre 2013 Caroline Kennedy, ambassadrice des États-Unis, visite Nagasaki et dépose une gerbe au mémorial pour la paix de Nagasaki.
6 et 9 aôut 2014 Caroline Kennedy, ambassadrice des États-Unis, assiste aux cérémonies pour la paix à Hiroshima et Nagasaki.

 

(Photo de titre : l’ambassadrice américaine Caroline Kennedy à la cérémonie pour la paix à Hiroshima ; Jiji Press)

(*2) ^ Documents du Musée de la Paix de Hiroshima (page web en français

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