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Eau contaminée à Fukushima : toujours pas de solution satisfaisante

Société

Le 11 mars 2015 marque le quatrième anniversaire de l’accident de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi gérée par la Compagnie d’électricité de Tokyo (Tepco). Le gouvernement et Tepco œuvrent sur trois grands axes – éliminer les sources de contamination, endiguer les flux d’eaux souterraines et éviter les fuites dans l’océan –, mais, quatre années plus tard, aucun de ces objectifs n’a été atteint. Si la gestion de l’eau contaminée reste en suspens, des retards dans le programme de démantèlement, l’étape suivante, seront inévitables.

300 tonnes d’eau contaminée par jour

Le combustible nucléaire entré en fusion lors de l’accident du 11 mars entre en contact avec l’eau injectée pour le refroidir et les eaux souterraines qui s’écoulent quotidiennement dans les sous-sols des bâtiments, produisant aujourd’hui encore chaque jour 300 tonnes d’eau contaminée, souillée par des substances radioactives. De plus, l’eau de mer amenée dans les bâtiments par le tsunami, elle aussi contaminée, est toujours présente en grandes quantités dans les niveaux inférieurs des bâtiments.

Dans les premiers temps, Tepco a tardé à agir, d’où de multiples épisodes de fuites d’eau contaminée dans l’océan ou en surface, dans des réservoirs de stockage défaillants. C’est en septembre 2013, deux ans et demi après l’accident, que le gouvernement japonais s’est attelé à ce problème et a réellement pris des mesures. Dans le cadre des trois principes directeurs édictés par l’État, Tepco a adopté des mesures d’urgence et ébauché des stratégies sur le moyen et long terme. Le budget, d’environ 47 milliards de yens, est prélevé sur les deniers publics.

Les principes directeurs de l’État dans la lutte contre l’eau contaminée

Éliminer les sources de contamination
  • Traitement de l’eau grâce au système de décontamination ALPS
  • Élimination de l’eau fortement contaminée présente dans les tranchées situées sur la façade océanique
Éloigner l’eau des sources de contamination
  • Pompage des eaux souterraines par une voie de détournement
  • Pompage des eaux souterraines grâce à des puits (drains de sortie) proches des bâtiments
  • Édification d’un mur de rétention par congélation des sols sur la façade terrestre
  • Revêtement des sols pour minimiser leur perméabilité aux eaux de pluie
Éviter les fuites d’eau contaminée
  • Amélioration du sous-sol grâce à du verre liquide
  • Installation d’un mur de rétention sur la façade océanique
  • Installation de réservoirs supplémentaires (remplacement par des cuves soudées, etc.)

Principales actions récentes du gouvernement dans la lutte contre l’eau contaminée

2013
30 mars Test de la tranche A du système ALPS (250 tonnes traitées par jour, arrêt en juin)
13 juin Test de la tranche B du système ALPS (250 t/j, arrêt en août)
7 septembre Abe Shinzo déclare devant l’assemblée générale du CIO que « la situation à Fukushima est sous contrôle ».
11 septembre Tepco s’engage à décontaminer au cours de l’exercice 2014 l’eau fortement contaminée stockée dans les réservoirs.
27 septembre Test de la tranche C du système ALPS (250 t/j)
21 novembre Reprise des tests sur la tranche B et 3 tranches existantes du système ALPS (750 t/j)
2014
20 février Fuite d’environ 100 tonnes d’eau fortement contaminée stockée dans les réservoirs en surface
14 avril Mise en service du puits de pompage des eaux souterraines, début du pompage
28 avril Début des opérations de congélation d’environ 10 000 tonnes d’eau contaminée à la lisière des tranchées et du bâtiment du réacteur no 2 pour siphonner l’eau contaminée ainsi endiguée
21 mai Début du rejet en mer des eaux souterraines pompées puis stockées dans des réservoirs temporaires
2 juin Début des opérations d’édification d’un mur de glace sur la façade terrestre des bâtiments ; congélation prévue à partir de mars 2015
21 juillet Tepco annonce l’augmentation de la capacité de stockage de l’eau contaminée d’environ 100 000 tonnes, afin de la porter à 900 000 tonnes d’ici la fin mars 2015.
17 septembre Test de la tranche A du système ALPS amélioré (250 t/j)
27 septembre Test de la tranche B du système ALPS amélioré (250 t/j)
9 octobre Test de la tranche C du système ALPS amélioré (250 t/j)
18 octobre Test de la tranche 1 du système ALPS haute performance (500 t/j)
21 novembre Abandon du projet de mur de glace sur la façade océanique au profit d’un mur en ciment
18 décembre Siphonnage de 2 510 tonnes d’eau fortement contaminée sur 11 700, dans les tranchées de la façade océanique des bâtiments
2015
19 janvier Décès d’un ouvrier après une chute au cours d’une ronde de surveillance des réservoirs d’eau de pluie dans la centrale de Fukushima Daiichi
23 janvier Tepco renonce à achever au cours de l’exercice 2014 le traitement de l’eau fortement contaminée stockée dans les réservoirs.

260 000 tonnes d’eau non traitée

Pour « éliminer les sources de contamination », Tepco s’est attelé au traitement de l’eau contaminée entreposée dans des réservoirs dans l’enceinte de la centrale. Les rejets radioactifs libérés à Fukushima se composent de 31 radionucléides, parmi lesquels du césium et du strontium. L’objectif est de débarrasser l’eau contaminée de ces radionucléides jusqu’à un niveau de sécurité acceptable. Le système de décontamination ALPS a été mis en place à cet effet : 7 tranches capables d’éliminer 62 radionucléides à part le tritium, 2 tranches d’absorption du césium et 2 pour éliminer le strontium.

ALPS est entré en service en mars 2013, avec 3 tranches d’abord, puis 3 tranches supplémentaires plus performantes en septembre 2014. En octobre 2014, une subvention gouvernementale de 15,1 milliards de yens a permis d’y ajouter le système avancé ALPS (1 tranche), qui effectue un pré-traitement grâce à des filtres au lieu de produits chimiques. Sur les 560 000 tonnes d’eau contaminée stockées dans les réservoirs, 280 000 ont été traitées. En janvier 2015, il en restait encore 260 000 tonnes.

Cependant, le système ALPS ne peut filtrer ou éliminer le tritium émetteur de rayons bêta, qui reste présent principalement sous forme liquide. Considéré comme peu toxique, ce radionucléide peut être relâché dans l’environnement en deçà d’un certain niveau de concentration, mais aucune décision n’a encore été prise concernant le traitement final à lui réserver.

Dans les tranchées qui relient les bâtiments des réacteurs no 2 et 3 à l’océan – des tunnels qui abritent des conduits et des câbles – stagnent également quelque 11 700 tonnes d’eau fortement contaminée, dont une partie s’est infiltrée dans les sous-sols, où elle contamine les eaux souterraines. Depuis avril 2014, Tepco tente de colmater les fuites en congelant l’eau contaminée afin d’en stopper le flux depuis le bâtiment-réacteur et de le siphonner, une tentative unique au monde, mais en raison de sa puissance, ce flux est impossible à geler. En novembre, l’opérateur a renoncé à colmater les fuites à l’aide d’un mur de glace.

La plus grande difficulté : les flux d’eaux souterraines

Les mesures destinées à « éloigner l’eau des sources de contamination » posent aussi des difficultés à Tepco. Le terrain où se dresse la centrale de Fukushima Daiichi surplombe l’océan de 30 à 40 mètres, vers lequel s’écoulent des eaux souterraines qui passent exactement sous les réacteurs. Les eaux souterraines venues de l’intérieur des terres s’infiltrent dans les bâtiments, où elles se mêlent à l’eau injectée pour refroidir les réacteurs entrés en fusion lors de l’accident ; ainsi surgissent quelque 300 tonnes d’eau contaminée supplémentaires chaque jour (évaluation à la fin 2014).

Comment endiguer ces flux d’eaux souterraines ? Depuis mai 2014, la solution adoptée est celle du détournement : il s’agit de pomper l’eau souterraine du côté des terres, de la stocker temporairement, puis, après évaluation de sa contamination, de la déverser dans l’océan. L’eau est pompée avant qu’elle ne pénètre dans les bâtiments, son flux détourné et le niveau d’eau souterraine abaissé, avec pour objectif de réduire le flux entrant dans les bâtiments. Tepco est ainsi parvenue en septembre 2014 à réduire d’environ 100 tonnes le flux d’eau contaminée, jusqu’alors de 400 tonnes par jour.

Une technique de pompage de l’eau souterraine grâce aux puits (drains de collecte) déjà existants dans l’enceinte de la centrale, avant de la rejeter en mer, est également à l’étude, mais face à la difficulté d’obtenir la compréhension des pêcheurs qui craignent la contamination de l’eau de mer, elle n’a pas été mise en œuvre.

Tepco a lancé en juin 2014 les travaux d’édification d’un mur de rétention par congélation, sur la façade terrestre. Autour des bâtiments des réacteurs 1 à 4 (soit sur environ 1 500 mètres), des canalisations seront enfouies verticalement à intervalle régulier, dans lesquelles circulera un liquide de refroidissement à moins 30 degrés afin de geler les sols environnants. L’objectif est, grâce à ce mur de glace, d’endiguer les importants flux d’eaux souterraines. Cette technique a déjà fait ses preuves dans la construction des tunnels du métro ou sous-marins. Cependant, en raison de l’échec de la tentative d’endiguer les eaux par congélation dans les tranchées, le recours aux mêmes méthodes à grande échelle pour édifier un immense mur de rétention par congélation pose problème.

Ouverture à la presse du chantier d’édification d’un mur de rétention par congélation sur la façade sud du réacteur no 4 de la centrale de Fukushima Daiichi, le 8 juillet 2014, à Ôkuma, préfecture de Fukushima. (Jiji Press)

Des réservoirs soudés supplémentaires

Le point fort des mesures destinées à « éviter les fuites d’eau contaminée » est l’édification d’un mur de rétention (780 mètres de long) sur la façade océanique. Il s’agit de faire parvenir jusqu’au fond marin un mur de rétention métallique, le long de la digue qui protège les réacteurs 1 à 4, afin d’endiguer l’eau contaminée qui se déverse dans l’océan par les sous-sols. Les travaux ont débuté en octobre 2011. En janvier 2015, 770 mètres avaient été réalisés. A l’heure actuelle, les travaux de remblaiement sur la façade interne du mur de rétention sont en cours.

En matière de stockage de l’eau contaminée, la construction de réservoirs supplémentaires et le remplacement des réservoirs existants se poursuivent. En août 2013, quelque 300 tonnes d’eau fortement contaminée ont fui de réservoirs boulonnés. Il s’agissait de la fuite la plus importante jusqu’alors, un incident classé par la Commission de régulation du nucléaire au niveau 3 (sur 8) de l’échelle internationale de gravité des accidents nucléaires. Ces réservoirs rudimentaires sont constitués de plaques d’acier reliées entre elles par des boulons et leur étanchéité n’est assurée que par des joints en caoutchouc. Le gouvernement accélère leur remplacement par des réservoirs soudés.

La capacité de ces réservoirs est de 1000 tonnes. Avec 300 tonnes d’eau contaminée supplémentaire par jour, il faut construire un réservoir tous les trois jours. Lorsque ce volume atteignait 400 tonnes, le rythme était d’un nouveau réservoir tous les deux jours. Leur construction doit être assurée par des ouvriers équipés de protections anti-radiations. De plus, l’eau contaminée augmente sans cesse. Face à la gravité de la situation, en juillet 2014, Tepco a décidé de porter à 100 000 tonnes l’objectif de stockage supplémentaire en surface, pour une capacité totale de 900 000 tonnes d’ici la fin mars 2015. Dans l’enceinte de la centrale s’alignent plus d’un millier de réservoirs, un spectacle étonnant.

Vers une refonte en profondeur des mesures stratégiques ?

Le 23 janvier, le pdg de Tepco, Hirose Naomi, a annoncé au gouvernement que l’objectif de traiter la totalité de l’eau contaminée stockée au cours de l’exercice 2014 ne serait pas atteint, en raison notamment de performances moins élevées qu’attendu du système de décontamination ALPS. Il a indiqué qu’« en l’état actuel des choses, le traitement de la totalité du volume interviendrait à la mi-mai 2015 », mais certains observateurs soulignent qu’il reste encore à traiter avec ALPS l’eau débarrassée du strontium. Dans ce cas, la décontamination finale interviendra encore plus tard.

En ce qui concerne le traitement de la totalité de l’eau contaminée, en septembre 2013, le Premier ministre Abe Shinzô a déclaré dans le cadre de la candidature de Tokyo à l’organisation des Jeux olympiques que « la situation était sous contrôle », dans l’espoir de balayer les inquiétudes liées à la catastrophe nucléaire. Sous la pression du Premier ministre, Tepco s’est engagée devant la communauté internationale à achever le traitement de l’eau contaminée au cours de l’exercice 2014.

D’autre part, en ce qui concerne la délicate édification du mur de glace, Tepco a annoncé le 9 février dernier devant le comité d’examen de l’Agence de régulation du nucléaire sa décision de procéder en avant-première à la congélation d’une portion de 60 mètres de la façade terrestre des bâtiments, soit environ 6 % de la longueur totale (986 mètres). L’objectif premier, la mise en service totale du mur de rétention au cours de l’exercice 2014 clos le 31 mars 2015, a été abandonné. Les coûts de mise au point et de construction du mur de rétention, qui s’élèvent à 31,9 milliards de yens, seront entièrement à la charge de l’État. Les opérations de congélation sont soumises à l’autorisation de l’ARN, que Tepco n’a pas encore obtenue.

Tant qu’aucune solution ne sera apportée au problème de l’eau contaminée, les travaux de démantèlement des réacteurs ne pourront commencer. Le démantèlement devrait prendre 30 à 40 ans. Aujourd’hui, il est bloqué dans sa phase préliminaire à cause du problème de l’eau contaminée. À l’heure où certaines voix s’élèvent pour demander une révision en profondeur de la stratégie adoptée, l’avenir est plus qu’incertain.

(D’après un original japonais du 25 février 2015, écrit par Nagasawa Takaaki. Photo de titre : Jiji Press, 12 décembre 2014.)

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