La modernité de l’esthétique traditionnelle

Le parapluie « janome » : quand le papier japonais protège même des averses

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C’est dans la ville de Gifu, au centre du Japon, que sont encore fabriqués les parapluies janome (littéralement « œil de serpent »). Ils ont la particularité d'être conçus avec du papier japonais et du bambou, et cette tradition remonte à l’époque d’Edo (1603-1868). Fin, léger à porter, et d’un style irréprochable, plié ou ouvert, le janome a toujours ses amateurs. Idéal pour la saison des pluies !

En papier japonais sur armature de bambou

Le janome est un parapluie stylé en bambou et papier japonais qui protège aussi bien de la pluie que du soleil. Il fut d’usage très courant jusqu’au début de l’ère Shôwa (jusqu’à la Seconde Guerre mondiale).

Son surprenant nom signifiant « œil de serpent » vient de son design : un simple motif circulaire blanc, sur un fond uni de couleur vive, rouge, bleu ou violet, qui, vu d’une certaine distance, ressemble à un gros œil rond. Mais pourquoi le serpent ? Tout simplement parce que le serpent géant était une divinité dans le Japon ancien, et ce parapluie en forme d’œil passait pour protéger non seulement des rayons trop puissants du soleil et de la pluie, mais également des démons. Grâce à son nom qui tient en respect, les gens avaient ainsi la sensation d’avoir un puissant protecteur à leurs côtés.

Le janome n’est pas seulement beau, il suffit de le prendre en main pour découvrir la perfection de sa conception et de sa fabrication. De la pointe rayonnent des dizaines de baleines de bambou, renforcés de fils multicolores, et recouverts d’un papier japonais qui transmet une douce lumière. Le bruit des gouttes contre ce papier est à lui seul un vrai plaisir. Quant au mécanisme de fermeture et d’ouverture, il est hautement sophistiqué, au point de posséder deux degrés de fermeture : fermé serré pour être rangé ou porté, et semi-ouvert, pour les jours de grand vent, ou pour ne pas gêner quand vous croisez quelqu’un dans une ruelle étroite.

Une visite dans la ville du janome

C’est à Kanô, quartier de la ville de Gifu, au centre du Japon, que sont fabriqués ces fameux parapluies, une activité qui a commencé au milieu de l’ère d’Edo (XVIIIe siècle) et qui se poursuit encore de nos jours, en partie grâce à la proximité des fabriques de papier japonais de type mino de très bonne qualité et extrêmement solide. Assemblage des baleines de bambou au fil de coton, encollage du papier japonais, imperméabilisation à l’huile egoma (huile de graines de la plante de la famille du shiso)… le processus de fabrication d’un parapluie janome comporte plus d’une centaine de gestes techniques différents.

Un parapluie œil de serpent a fière allure dans le vieux quartier de Gifu. Lorsqu’il est ouvert, le motif circulaire blanc sur fond uni ressemble à un œil géant.
Un parapluie « œil de serpent » a fière allure dans le vieux quartier de Gifu. Lorsqu’il est ouvert, le motif circulaire blanc sur fond uni ressemble à un œil géant.

Les différents gestes techniques peuvent se diviser en cinq étapes principales : taille des baleines, fabrication du coulant et de la noix, montage, collage de la couverture papier, finition. Chaque étape est réalisée par un artisan différent.

La fabrication du parapluie « œil de serpent »

Les baleines sont fabriquées dans une variété de bambou appelée madake, souple et très résistante au vent et aux intempéries, qui ne casse pas, même taillé très fin. Même à Gifu, les artisans capables de tailler les baleines de parapluies sont devenus très rares, mais nous avons trouvé un artisan-baleinier de plus de 80 ans pour nous faire une démonstration de sa technique.

La taille des baleines consiste d’abord à peler un tronçon de bambou, réduire les cloisons et les nœuds, avant de le fendre. Un tronçon d’environ 27 cm de circonférence peut ainsi donner 100 baleines de 3 mm d’épaisseur, c’est-à-dire suffisamment pour 2 parapluies janome. La principale différence entre un parapluie japonais et un parapluie occidental est que le papier de la couverture d’un parapluie japonais se replie vers l’intérieur et non pas vers l’extérieur. Le parapluie refermé retrouve alors la forme originale du tronçon de bambou. C’est pourquoi les baleines sont rangées et assemblées dans l’ordre naturel dans lesquelles elles sont sorties du tronçon.

L’artisan-baleinier au travail. Réduction du cloisonnage intérieur (photo de gauche) ; Le tronçon est fendu en baleines de 3 cm d’épaisseur, qui sont ensuite percées dans le sens de la largeur avec un foret (photo du milieu) ; les baleines sont ensuite rectifiées (photo de droite)
L’artisan-baleinier au travail. Réduction du cloisonnage intérieur (photo de gauche) ; le tronçon est fendu en baleines de 3 mm d’épaisseur, qui sont ensuite percées dans le sens de la largeur avec un foret (photo du milieu) ; les baleines sont ensuite rectifiées (photo de droite).

Concrètement, comment fait-on ? En premier lieu, une marque est tracée avec une pointe sur l’extérieur du tronçon, avant de le fendre. Il suffira donc de rassembler toutes ces marques pour retrouver la ligne d’origine du bambou. Les baleines, montées dans l’ordre sur une très fine tige en bambou, sont alors transmises à l’artisan de l’étape suivante.

Les baleines sont rangées dans leur ordre naturel, garanti par la marque tracée sur la largeur du tronçon. Puis la « main » complète, pour un parapluie complet, est montée sur une fine tige de bambou, avant séchage à l’air libre et transmission à l’atelier suivant.
Les baleines sont rangées dans leur ordre naturel, garanti par la marque tracée sur la largeur du tronçon. Puis la « main » complète, pour un parapluie complet, est montée sur une fine tige de bambou, avant séchage à l’air libre et transmission à l’atelier suivant.

À l’étape suivante, les baleines et sous-baleines sont assemblées. Les pièces essentielles du parapluie sont les deux « pivots » ou rokuro, qui, eux, sont en bois. Celui qui se trouve à la pointe du parapluie s’appelle, en terme technique français, la « noix » (atama-rokuro ), et celui qui coulisse sur le manche est appelé le « coulant » (temoto-rokuro). C’est sur ce dernier que viendront s’assembler les sous-baleines. Les trous, percés au niveau d’un nœud du bambou, permettent d’assembler les baleines et les sous-baleines sur leur pivot respectif, réalisant ainsi les articulations du parapluie, grâce auxquelles celui-ci pourra s’ouvrir et se fermer sans difficulté.

Les pivots (rokuro) sont les pièces essentielles du parapluie japonais.
Les pivots (rokuro) sont les pièces essentielles du parapluie japonais.

Chaque parapluie comprend deux pivots, la « noix » à la tête du parapluie, et le « coulant » à la main.
Chaque parapluie comprend deux pivots, la « noix » à la tête du parapluie, et le « coulant » à la main.

L’assemblage des baleines sur la « noix » demande beaucoup de minutie.
L’assemblage des baleines sur la « noix » demande beaucoup de minutie.

Une fois la structure assemblée, vient le tour de l’artisan spécialisé dans la couverture, c’est-à-dire celui qui va coller le papier sur les baleines. Quand le parapluie est enfin habillé de papier japonais, il est déjà beau comme une fleur. Les plis entre les baleines sont marqués vers l’intérieur. Le moindre défaut dans l’axe des pliures empêchera le parapluie de se refermer en beauté.

Ensuite, le parapluie doit sécher au soleil, puis il est huilé pour être imperméabilisé. Il lui faut 2 jours pour sécher en été, et 3 jours en hiver. Les côtes des baleines sont ensuite laquées. Le parapluie est enfin terminé !

Couverture du parapluie : les baleines ouvertes au maximum, les quartiers de papier japonais prédécoupés sont encollés et fixés. Les articulations baleines/sous-baleines et le « coulant » sont également renforcés de papier japonais.
Couverture du parapluie : les baleines ouvertes au maximum, les quartiers de papier japonais prédécoupés sont encollés et fixés. Les articulations baleines/sous-baleines et le coulant sont également renforcés de papier japonais.

Les jeunes artisans travaillent surs dans l’atelier du grossiste Sakaida Eikichi Honten. « Même après 15 ans de métier, on est encore un apprenti ».
Les jeunes artisans travaillent dans l’atelier du grossiste Sakaida Eikichi Honten. « Même après 15 ans de métier, on est encore un apprenti. »

(Article publié à l'origine en japonais. Reportage et text : Mutsuta Yukie. Photos : Ôhashi Hiroshi. Photo de titre : des parapluies janome de différentes couleurs laissés séchés au soleil)

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