
Au sommet du mont Yari : un lieu fascinant gravi par le premier alpiniste du Japon
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Le moine Banryû : le premier alpiniste du Japon
À la limite entre les préfectures de Nagano et Gifu, le mont Yari, ou Yarigatake en japonais, est une montagne qui a été gravie pour la première fois par un moine bouddhiste du nom de Banryû il y a près de 200 ans. Qu’est-ce qui a poussé cet homme originaire de Toyama à tenter l’escalade ? La présentatrice de la chaîne Toyama Television, Yano Misa, part sur les traces de cet homme qui a consacré sa vie et sa foi aux montagnes et que l’on surnomme « le plus ancien alpiniste du Japon ».
Yano Misa devant la statue de Banryû
D’où vient la fascination de Banryû pour Yarigatake ?
En raison de son sommet pointu, le Yarigatake est appelé le mont Cervin (à la frontière italo-suisse) japonais. Banryû était un prêtre de l’école bouddhique de la Terre pure (Jôdo-shû) qui a vécu à la fin de l’époque d’Edo (1603-1868). Né dans l’actuel district d’Ôyama de la ville de Toyama, il est la première personne à avoir escaladé cette montagne. Animé par une foi très forte, il quitte sa ville natale à l’adolescence pour se consacrer entièrement au bouddhisme. Après un apprentissage rigoureux dans diverses régions montagneuses, il consacre sa vie à ce qu’on appelle le shinkô tozan (littéralement « alpinisme religieux ») .
L’ascension du Yarigatake reste son plus grand accomplissement. Pendant la grande famine de la fin de le la période d’Edo, Banryû y érige une statue de Bouddha et fixe des cordes le long des parois de la montagne afin de permettre à tout le monde d’accéder au sommet pour y prier et se recueillir.
Banryû était un prêtre qui a vécu sa vie aux côtés des personnes souffrantes. Aujourd’hui encore, de nombreux lieux dans tout le pays rendent hommage à sa vie et son travail. Aux Archives historiques et folkloriques d’Ôyama (ville de Toyama) on peut trouver des lettres et des objets appartenant à Banryû qui apportent des informations précieuses sur sa jeunesse.
Collection des Archives historiques et folkloriques d’Ôyama (ville de Toyama).
Après avoir pris sa décision de se consacrer à sa foi, Banryû n’est jamais retourné à Toyama. Peut-être ne voulait-il pas revenir en arrière une fois après sa terre natale quittée. Par cinq fois, Banryû a tenté de gravir le mont Yari par le versant de Nagano. Pourquoi s’est-il tant acharné à escalader cette montagne en particulier ?
Trois ans avant de se fixer cet objectif, alors qu’il venait d’atteindre le sommet du mont Kasa dans la préfecture de Gifu, le Bouddha lui serait apparu, éclairé de derrière par une lumière éblouissante. La science moderne tenterait d’expliquer cette vision d’un anneau de lumière dans les nuages avec le soleil juste derrière avec ce qu’on appelle le « spectre de Brocken ».
Dans la direction vers laquelle Bouddha lui était apparu, Banryû a vu le sommet du mont Yari fendant remarquablement les cieux. C’est alors qu’il a su au fond de son cœur que c’était la montagne qu’il se devait de gravir. Plus tard, au sommet du mont Yari, on dit qu’il aurait eu une nouvelle vision du Bouddha. C’est cette rencontre spirituelle qui l’a poussée à aller de l’avant tout au long de sa vie.
De Toyama à Yarigatake
Serait-il possible de rencontrer le Bouddha au sommet du mont Yari ? Avec cette question en tête, Yano Misa décide d’entreprendre l’ascension. C’est ainsi qu’elle quitte le sentier d’Oritate de la ville de Toyama, qui remonte aux sources du fleuve Kurobe, pour un trek qui lui prendra six jours au total. Elle est accompagnée du guide Saeki Tomohiko, qui est le premier habitant de Toyama à avoir atteint le sommet de l’Everest en mai 2019.
Le guide de montagne Saeki Tomohiko, premier habitant de Toyama à gravir l’Everest.
L’itinéraire débute par la traversée du plateau de Tarôdaira, pour ensuite grimper le mont Kitanomata afin de rejoindre le cirque du mont Kurobegorô. Ensuite, il faudra passer par le mont Mitsumata-Renge, qui chevauche les préfectures de Toyama, Nagano et Gifu, en direction du mont Sugoroku. L’étape finale consiste à emprunter la crête de Nishi-Kamaone pour finalement atteindre le mont Yari.
Montagne rocheuse et cirque majestueux
Ce projet d’ascension de Yarigatake a été réalisé il y a un an, en juillet 2019. Yano Misa retrace ci-dessous les différentes étapes de son périple.
Nous avons passé la première nuit au refuge de Tarôdaira. Même en plein été, la température chute à 11 degrés en soirée. Après s’être réchauffé avec un bon dîner, nous nous sommes préparés pour la randonnée du lendemain.
Nous avons entamé le deuxième jour par des exercices de rajio taisô (gymnastique matinale), une tradition du refuge. C’est une habitude que le propriétaire Isojima Hirofumi entretient depuis 25 ans pour la condition physique et la sécurité des randonneurs. Il est surnommé avec affection « Master » par l’équipe du refuge et les alpinistes. Il a baptisé avec amusement l’itinéraire jusqu’à Yarigatake le « West Ginza Course », en référence au fameux quartier de Tokyo où sont alignées de nombreuses boutiques de luxe.
Isojima Hirofumi, le « Master » des lieux
Depuis le plateau de Tarôdaira, on peut admirer les monts Kitanomata, Kurobegorô et tous les autres sommets de la crête qui suivent les sources du fleuve Kurobe. Ces pics sont le résultat d’une forte activité volcanique datant d’environ deux millions d’années.
Par ailleurs, l’érosion causée par la neige et la glace a creusé les rochers, créant des surfaces très accidentées. L’eau ruisselant de ces montagnes se rassemble plus bas pour former le fleuve Kurobe. La région autour des sources du fleuve demeure encore inexplorée et on est dit que c’est le dernier lieu de nature vierge au Japon.
Passé le col Nakamata, le chemin devient raide sur 200 mètres avant d’atteindre le haut de la montagne Kurobegorô. Son nom proviendrait des nombreux rochers que l’on y trouve et qui font « gorogoro », une onomatopée signifiant « dégringoler », « gronder ».
Le versant est de la montagne est un parfait exemple de cirque : une enceinte circulaire formée par l’érosion d’un glacier datant d’il y a plus de 10 000 ans. Il est rare qu’un sentier de montagne en traverse un et donne l’impression de voyager à travers la période glaciaire.
Neuf heures et demie après le départ, nous arrivons finalement en début de soirée au refuge de Kurobegorô.
Une vue imprenable du mont Yari
Le troisième jour, nous nous dirigeons vers le refuge de Sugoroku via le mont Mitsumata-Renge, à la frontière des préfectures de Toyama, Nagano et Gifu.
Nous sommes accueillis par Koike Takehiko, le troisième propriétaire historique de l’établissement. Il présente une photo de son père Hisomu, son prédécesseur qui a également été photographe de montagne. Une belle photo du mont Yari prise par son père est accrochée au mur. Takehiko nous explique que le meilleur endroit pour observer le mont Yari est depuis le plateau de Sugoroku, près du sommet éponyme.
Nous séjournons une journée entière au refuge à cause du mauvais temps. Le lendemain, les nuages ont commencé à se dissiper et nous pouvons repartir.
Nous traversons un vaste plateau s’étendant près du sommet du mont Sugoroku. Ce terrain n’a pas été impacté par la fonte des glaciers car il est relativement plat. De plus, les cycles de gel et de dégel ont brisé les rochers en de petits cailloux. Le mont Yari se présente à nous, mais les nuages sont encore malheureusement trop nombreux pour pouvoir pleinement l’admirer depuis ce point de vue idéal.
Cap sur le gîte de Yarigatake via la crête de Nishi-Kamaone
Nous quittons le refuge à 5 heures du matin le cinquième jour, direction le gîte de Yarigatake au pied de la montagne, en passant par la crête Nishi-Kamaone.
Cette crête très escarpée est une arête formée par l’érosion glaciaire, qui a creusé des pentes très raides des deux côtés. Comme nous nous arrêtons souvent pour prendre des photos, nous arrivons assez tard à notre destination.
Yarigatake Sansô est un gîte qui a été établi en 1926. Les deux premiers propriétaires étaient des spécialites de Banryû. Hokari Daisuke, quatrième gérant historique des lieux, explique que pour lui, Banryû est comme son ancêtre. Il lui est très reconnaissant car sans lui, il ne serait pas là.
Il dit aussi avoir déjà vu le spectre de Brocken au sommet de la montagne : « une fois par an, nous organisons le festival Banryû. Il y a trois ans, pendant le festival, nous avons pu assister à ce phénomène. »
Un halo de lumière au sommet
Sixième et dernier jour. L’heure est enfin venue de gravir le mont Yari. Le sommet n’est qu’à 30 minutes depuis le gîte, mais il faut parfois progresser pratiquement à la verticale au moyen de chaînes et d’échelles en fer ancrées dans la roche.
Ultime échelle à monter avant d’atteindre le sommet
Nous atteignons finalement le sommet du mont Yari. Je suis naturellement emplie d’un sentiment de gratitude envers la montagne, qui m’a permise de la gravir jusqu’à son sommet.
Alors que j’admirais le splendide panorama, un arc-en-ciel circulaire apparaît sur les nuages, que le vent avait transportés depuis la vallée : c’est un spectre de Brocken ! Je ne peux m’empêcher de penser que c’était peut-être Banryû qui me montrait ce qu’il avait lui-même vu il y a 200 ans.
Banryû, le prêtre de Toyama qui a laissé son nom dans l’histoire des montagnes du Japon. Aujourd’hui encore, depuis le sommet de Yarigatake, peut-être que son âme regarde toujours vers les montagnes qui mènent à sa terre natale.
Au-dessus des nuages, une vue imprenable des Alpes du nord japonaises.
Cette année (2020), les refuges et gîtes de montagne font face à une situation économique très difficile à cause du Covid-19. Ce projet date de l’année précédente, mais j’ai voulu le faire connaître à nouveau au public en signe de reconnaissance aux montagnes qui nous enseignent tellement de leçons. J’espère pouvoir transmettre à autant de monde que possible la joie et le sentiment de plénitude qu’apporte la randonnée en montagne.
(Texte et reportage de Yano Misa, de Toyama Television. D’après la diffusion sur Prime Online du 3 octobre 2020)
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