La politique énergétique dans le monde de l’après 11 mars

Le Japon doit conserver l’option nucléaire

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La stabilité de l’approvisionnement en énergie est vitale pour le Japon, pays pauvre en ressources, et sa survie pourrait même en dépendre. Dans l’article qui suit, Toichi Tsutomu soutient que, malgré l’inquiétude et la colère provoquées par la catastrophe nucléaire de Fukushima, le gouvernement doit travailler sereinement à la définition de sa future politique énergétique.

La catastrophe survenue à la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi a provoqué, dans toutes les couches de la société japonaise, une envolée soudaine de la méfiance vis-à-vis de l’énergie nucléaire. La gravité de l’accident ayant tout naturellement conduit les gens à s’interroger sur la sécurité de cette énergie, l’idée d’un retrait du nucléaire a gagné du terrain pendant toute la période de reprise en main de la situation. Et la situation exigeait un changement de cap de la politique énergétique du Japon, qui s’était engagée sur le chemin de l’accroissement de la dépendance au nucléaire. Mais l’attitude adoptée envers le nucléaire ne constitue pas une base suffisante pour décider de la politique énergétique de la nation. Les autorités doivent plutôt s’interroger sur les buts poursuivis par le pays à travers sa politique énergétique et sur les conditions qui doivent être réunies pour réaliser ces objectifs, tout en prenant soigneusement en considération toute la gamme des risques encourus.

La stabilité de l’approvisionnement en énergie est vitale pour la survie du Japon, pays pauvre en ressources. Les autorités ne doivent jamais perdre de vue ce constat lorsqu’elles s’apprêtent à prendre des décisions politiques. C’est dans cette perspective que je vais commencer par faire le point sur les politiques énergétiques menées par le Japon depuis la fin de la seconde guerre mondiale.

La stabilité de l’approvisionnement en énergie est cruciale pour l’avenir du Japon

Après la guerre, le premier pas du Japon sur le chemin de la reconstruction a consisté à renforcer l’exploitation des ressources énergétiques nationales, dans l’idée de remédier à l’état de dévastation où se trouvait l’économie et à la détérioration des conditions de vie de la population. À cette fin, le gouvernement a adopté un système de production prioritaire au titre duquel la houille occupait la première place dans la production d’énergie et le plus gros de la houille était canalisé vers la production d’acier, lequel en retour était injecté dans l’effort d’expansion de la production houillère. C’est ainsi que la houille et l’acier sont devenus les deux piliers de la reconstruction du Japon. Dans le même temps, l’approvisionnement en électricité était renforcé grâce à l’apport de nouvelles centrales hydroélectriques.

La situation a grandement changé entre le milieu des années 50 et la fin des années 60, avec la découverte des vastes réserves de pétrole du Moyen-Orient. À cette époque, les États-Unis, qui souhaitaient garantir la stabilité du Japon au sein de l’ordre mondial lié à la guerre froide, ont choisi de lui donner accès à bon marché au pétrole du Moyen-Orient. La conversion d’un schéma d’approvisionnement en énergie basé sur la production intérieure de houille à un modèle grandement tributaire des importations de pétrole s’est opérée avec une étonnante célérité. Il n’a fallu guère plus d’une décennie pour que l’Archipel dépende du pétrole pour près de 80 % de sa consommation énergétique. Le pays tout entier s’est immergé dans l’or noir, devenu la force motrice de l’économie pendant toute la période de croissance accélérée.

Un grand virage à l’échelle planétaire s’est toutefois amorcé en 1973, avec la première crise pétrolière, fruit d’un embargo proclamé par l’Organisation des pays arabes exportateurs de pétrole. Ce « choc pétrolier » a mis le Japon devant la double urgence de trouver une solution pour assurer la stabilité de ses approvisionnements en pétrole tout en s’efforçant de réduire sa dépendance vis-à-vis de cette source d’énergie. Mais, tributaire de l’or noir pour 80 % de sa consommation, le pays n’était pas en mesure de changer soudainement de cap. C’est pourquoi le gouvernement a décidé, à titre de mesure intermédiaire, d’augmenter les stocks de pétrole de façon à se mettre à l’abri d’une éventuelle rupture des approvisionnement, d’encourager l’exploration pétrolière à l’étranger et l’exploitation des gisements par des sociétés japonaises et de mettre en œuvre des politiques visant à diversifier les sources d’approvisionnement en les élargissant au-delà du Moyen-Orient. Outre cela, dans le cadre de sa volonté de rupture avec la dépendance au pétrole, le gouvernement a choisi d’encourager les économies d’énergie, le développement de technologies allant en ce sens et le recours aux solutions de substitution, y compris l’énergie nucléaire, le gaz naturel, la houille et les nouvelles sources d’énergie. Avec le second choc pétrolier, survenu à la fin des années 70, la nécessité de garantir la stabilité des approvisionnements en énergie est devenue encore plus évidente.

En 1985, l’accord du Plaza sur le réalignement des parités a provoqué un autre grand changement dans la situation énergétique du Japon, en déclenchant une rapide appréciation du yen qui a fragilisé la position des exportateurs nippons au sein de la concurrence internationale. Le gouvernement s’est alors donné pour objectif de réduire les coûts de la production intérieure d’énergie. Puis le paysage énergétique a de nouveau changé à la fin des années 90, avec les contraintes liées à la lutte contre le réchauffement climatique. Au Japon comme partout dans le monde, la réduction des émissions de gaz carbonique est devenue un élément clé des politiques énergétiques. En 1997, le Protocole de Kyoto, qui visait à réduire les émissions de gaz à effet de serre, est venu confirmer le virage en ce sens pris par la communauté internationale.

C’est dans le cadre de cette succession de modifications de la politique énergétique, reflets de bouleversements plus vastes à l’échelle de la planète, que, le 11 mars 2011, l’Est du Japon a été frappé par le séisme et le tsunami sans précédents qui ont provoqué la catastrophe nucléaire de Fukushima. Suite à cela, aux objectifs de garantie de la stabilité des approvisionnements, de réduction des coûts et de diminution des émissions de carbone, la politique énergétique de l’Archipel a dû ajouter le renforcement de la sécurité, qui s’est imposé comme un problème crucial. En particulier, un très large accord est apparu sur le fait que le système d’approvisionnement en énergie doit être en mesure de résister aux catastrophes naturelles. Ces quatre éléments sont devenus des conditions indispensables à la survie du Japon au sein de la communauté internationale. Mais il se trouve malheureusement que les sources d’énergie qui répondent à ces quatre conditions sont impossibles à trouver.

L’abandon de l’énergie nucléaire est un projet irréaliste

Après le désastre nucléaire de Fukushima, l’Allemagne et l’Italie ont décidé de prendre le chemin du renoncement à l’énergie d’origine nucléaire. Au Japon, le débat sur l’opportunité de faire le même choix s’est intensifié. Pourtant, la question nucléaire ne se pose pas de la même façon dans l’Archipel que dans ces deux pays. En Europe comme en Amérique, les pays peuvent être reliés par des lignes électriques et des gazoducs. Dans l’Union européenne et en Amérique du Nord, la question qui se pose aux décideurs politiques est de savoir si la stabilité des approvisionnements en énergie est mieux garantie à l’échelle régionale que nationale.

Le Japon étant un pays insulaire, il ne peut être raccordé au réseau énergétique d’autres nations. Outre cela, son niveau d’autosuffisance énergétique — géothermie, hydroélectrique, solaire, éolien et autres sources locales d’énergie confondus — ne dépasse pas 4 %. Et les centrales nucléaires japonaises importent 100 % de l’uranium dont elles ont besoin. Si le combustible nucléaire utilisé était recyclé et compté comme une ressource « semi-nationale », le taux d’autosuffisance atteindrait 18 %, chiffre qui resterait le plus faible de tous les pays de l’OCDE.

À long terme, l’amélioration de l’autosuffisance du Japon dans le domaine énergétique reposera à la fois sur les économies d’énergie et les mesures prises en vue de favoriser l’introduction et le développement des énergies renouvelables. Il ne s’ensuit pas pour autant que le nucléaire soit disqualifié comme source d’énergie. Vu l’instabilité des approvisionnements en électricité provenant des énergies renouvelables, il serait très difficile de la substituer à la totalité de l’électricité d’origine nucléaire, qui représente aujourd’hui quelque 30 % de la consommation du pays. La remarquable fiabilité de l’énergie nucléaire en tant que source d’approvisionnement tient, entre autres raisons, au fait que le combustible nucléaire, une fois acquis, peut générer de l’électricité pendant plusieurs années. Voilà pourquoi ce serait une erreur que d’écarter l’option nucléaire.

Dans l’état actuel de la réglementation japonaise, toutes les centrales nucléaires du pays doivent faire l’objet d’une fermeture provisoire tous les treize mois à des fins d’inspection. Aujourd’hui, l’inquiétude des populations face au nucléaire incite les autorités locales à refuser d’autoriser la poursuite des opérations après inspection. Si cette situation se prolonge, les centrales nucléaires inspectées resteront bloquées pendant une période indéterminée, et toutes les centrales japonaises auront cessé de fonctionner en mai 2012.

L’ IEEJ a calculé les conséquences potentielles de cette situation. Au nombre de celles-ci, est-il besoin de le dire, figure une très forte pénurie d’électricité. Cette pénurie, qui plus est, ne se limiterait pas à la moitié orientale de l’Archipel, où se trouvent Tokyo et la centrale de Fukushima, mais gagnerait aussi le reste du pays.

Quel impact en résulterait-il au niveau économique ? Si aucun des réacteurs nucléaires n’était remis en service, il n’y aurait pas d’autre solution pour remédier à la pénurie d’électricité que d’augmenter la production des centrales thermiques existantes — qu’elles fonctionnent au pétrole, au gaz naturel ou au charbon — et de construire de nouvelles turbines à gaz. Dans un tel scénario, les coûts liés aux combustibles pour l’exercice budgétaire 2012 (avril 2012 – mars 2013) dépasseraient d’environ 3 500 milliards de yens ceux de l’exercice 2010. Si ce surcoût était transféré aux consommateurs, les factures d’électricité augmenteraient de 3,7 yens par kilowattheure. Le secteur manufacturier serait le plus gravement touché, le coût de l’électricité à usage industriel augmentant d’environ 36 % selon l’IEEJ.

Un risque d’aggravation de l’évidement industriel

L’incertitude qui règne sur les approvisionnements en électricité a provoqué une accélération de l’évidement industriel du Japon. Si la hausse des coûts est reportée sur les usagers, les industriels se sentiront encore plus incités à délocaliser leurs opérations.

Les importations devront fournir la quasi totalité des combustibles fossiles nécessaires à l’alimentation des centrales thermiques japonaises. Les importations de gaz naturel, en particulier, devront augmenter considérablement. Et le Japon va se trouver confronté à une concurrence de plus en plus sévère maintenant que des pays en développement rapide comme la Chine et l’Inde sont entrés dans la compétition pour l’appropriation des ressources énergétiques de la planète. À cela vient s’ajouter l’impact des mouvements démocratiques qui ont balayé l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient, où sont extraites de grandes quantités d’or noir et de gaz naturel. Les causes structurelles de l’instabilité politique dont souffrent ces pays ne vont pas disparaître avant longtemps et il est impossible de prévoir quand une crise va se produire ou quelle forme elle va prendre.

Jusqu’à présent, l’Arabie Saoudite a réussi à échapper à cette vague de bouleversements politiques grâce à l’abondance des recettes qu’elle tire du pétrole, dont le prix atteint aujourd’hui 100 dollars le baril. Elle utilise cet afflux de ressources financières pour prendre des mesures visant à désamorcer les frustrations de la population, par exemple en lui proposant des logements à bon marché et en créant des emplois pour les jeunes. Mais si le prix du pétrole s’effondrait et qu’il devenait impossible de mettre un frein à l’agitation sociale, l’Arabie Saoudite elle-même pourrait être entraînée dans la tourmente révolutionnaire.

Vu le coût élevé de la stabilisation de la situation politique dans les pays producteurs de pétroles du Moyen-Orient, il est probable que la hausse du prix de l’or noir va se prolonger. Ceci étant, si la tendance mondiale au renoncement à l’énergie nucléaire déclenchée par la catastrophe de Fukushima se précise, le recours au gaz naturel, y compris le gaz naturel liquéfié (GNL), va s’accélérer. Jusqu’au séisme du 11 mars, l’offre mondiale était excédentaire sur le marché des GNL. Mais, de vendeur, ce marché est instantanément devenu acheteur sous l’impact de la catastrophe naturelle et de l’accident nucléaire qui ont contraint le Japon à acheter de grandes quantités de GNL pour générer l’électricité nécessaire à la satisfaction de ses besoins immédiats.

Parmi les principaux fournisseurs mondiaux de gaz naturel figure la Russie, qui, après le 11 mars, s’est empressée d’annoncer qu’elle était disposée à aider le Japon à s’approvisionner en GNL. Si la catastrophe a entraîné des avantages politiques pour tous les pays producteurs de gaz naturel, en leur donnant davantage de poids sur la scène mondiale, elle s’est avérée particulièrement profitable pour la Russie. Sa position de force a eu des répercussions dans d’autres domaines, y compris le litige avec le Japon à propos des Territoires du Nord, un petit archipel au large de Hokkaidô.

La Chine, quant à elle, a utilisé le levier de ses abondantes ressources financières pour redoubler d’effort en vue de mettre la main sur les ressources naturelles disponibles dans le monde. Alors que le monde entier se tourne vers le gaz naturel, le Japon doit désormais trouver une solution fiable et peu coûteuse pour s’assurer des approvisionnements en GNL, ressource pour laquelle il est presque totalement tributaire des importations.

Les énergies renouvelables ne peuvent pas sauver le Japon

Depuis l’accident nucléaire de Fukushima, on parle beaucoup d’énergie renouvelable, mais il ne faudrait pas croire qu’il s’agit d’une sorte de panacée susceptible de remplacer au pied levé l’énergie nucléaire. Le Japon dispose d’un potentiel considérable de ressources en bien des domaines, tels que le solaire, l’éolien, la géothermie, la biomasse et autres sources naturelles d’énergie. Mais avant que l’exploitation commerciale de ces ressources puisse être viable il y aura bien des problèmes à résoudre. Il faudra que les entreprises aient une taille suffisante pour permettre des économies d’échelle et une baisse des coûts, et la diffusion des technologies concernées prendra du temps.

Si les énergies fossiles telles que le pétrole, le gaz naturel et la houille constituent, pourrait-on dire, les « réserves » d’énergie solaire accumulées au cours des siècles, les énergies renouvelables, à l’exception de l’énergie géothermique, sont le « flux » de cette même énergie. Par voie de conséquence, leur densité énergétique est faible et elles ont moins d’intérêt en termes économiques. Surmonter cette faiblesse pose une question technique à laquelle il faudra trouver une réponse.

Autre problème, les énergies renouvelables étant tributaires des saisons et du climat, elles n’offrent aucune garantie en termes de stabilité des approvisionnements. Du fait de leur faible densité, leur exploitation exige en outre davantage d’espace. Pour être plus précis, prenons un exemple souvent cité : pour produire la même quantité annuelle d’électricité qu’un réacteur nucléaire de 1 000 mégawatts, il faudrait, dans le cas de l’énergie solaire, un espace équivalent à celui qu’encerclent les quelque 35 kilomètres de la ligne Yamanote, qui fait le tour du centre de Tokyo, et plusieurs fois cette surface avec l’énergie éolienne. En d’autres termes, il existe un abîme entre l’énergie naturelle à faible densité et l’électricité, forme d’énergie hautement raffinée. Pour combler cet abîme, il faudra de vastes étendues de terre et beaucoup d’innovation technologique.

L’énergie éolienne pose elle aussi des problèmes qui lui sont spécifiques, tels que la pollution sonore générée par les ondes de basses fréquences, les atteintes aux paysages et les dégâts provoqués en cas de collision de vols d’oiseaux avec les éoliennes. Ces problèmes, qui passent inaperçus dans le contexte d’une exploitation à petite échelle, ne pourraient plus être ignorés si les unités de production en venaient à compter des milliers d’éoliennes.

Quant à la géothermie, c’est un domaine où le Japon jouit d’un potentiel considérable. Les ressources géothermiques, bien entendu, abondent dans le voisinage des sources chaudes. L’exploitation à grande échelle de ces sources suscite une forte opposition parmi les gens qui en sont tributaires, car ils craignent que les sources tarissent et leurs revenus par la même occasion. On pourrait toutefois envisager de surmonter les résistances locales en impliquant les populations dans les projets et en leur permettant d’en tirer profit. Toujours est-il que l’usage de l’énergie géothermique aura du mal à se répandre tant qu’on n’aura pas trouvé de solutions à divers problèmes, dont son acceptation par les populations locales.

La pollution sonore liée aux ondes de basses fréquences générées par les éoliennes a incité le Japon à centrer ses efforts en matière d’innovation technologique sur l’éolien offshore. En Europe, où des pays comme le Danemark et l’Allemagne ont installé des éoliennes sur la majeure partie des terrains les plus propices à l’exploitation de cette forme d’énergie, la pénurie de sites et le souci de respect des paysages sont à l’origine d’une réorientation en faveur des grands parcs d’éoliennes en mer. La mer du Nord, qui héberge une bonne partie des parcs offshore, est relativement peu profonde, avec des hauteurs d’eau qui ne dépassent pas 50 mètres sur une grande portion du littoral. Cette caractéristique permet l’emploi d’éoliennes fixées au fond de la mer. Il semble toutefois que ces éoliennes restent 30 % plus chères que celles qui sont installées à terre. Compte tenu de la profondeur des eaux qui bordent son littoral, le Japon devrait avoir principalement recours à des éoliennes flottantes, lesquelles posent davantage de problèmes technologiques, sans parler du dédommagement des titulaires de droits de pêche.

On voit donc qu’il ne suffit pas d’avoir les ressources nécessaires pour produire de l’électricité à partir des énergies renouvelables. Il faut aussi faire face au problème des coûts élevés. Comme nous l’avons vu plus haut, la faible densité de ces énergies les rend moins viables économiquement parlant que les énergies fossiles. Leur exploitation ne peut se faire sans subventions des pouvoirs publics. Certes, la façon la plus efficace d’encourager les investissements dans les énergies renouvelables consiste à mettre en place un système de tarif de rachat au titre duquel l’électricité est achetée aux producteurs à prix coûtant. En ce qui concerne l’Europe, c’est l’adoption de systèmes de ce genre qui a déclenché la première vague de développement des énergies renouvelables. Dans le cas du Japon, un premier pas a été fait en 2009 avec l’adoption d’un système de rachat des excédents d’électricité générés par les panneaux solaires domestiques, suivi, en août 2011, par le passage d’une loi établissant un tarif de rachat pour le développement des énergies renouvelables. On peut s’attendre à ce que le nouveau dispositif favorise le démarrage et l’expansion de ces énergies, mais il faudra obtenir l’assentiment du public en ce qui concerne les coûts qu’elles vont générer.

L’aspect le plus problématique des énergies renouvelables est l’instabilité des approvisionnements. Cette faiblesse ne pourra être surmontée qu’au prix d’une avancée des techniques de stockage de l’électricité. Faute de capacité de stockage, les énergies renouvelables ne pourront accéder à la haute qualité. La mise au point de technologies de stockage fait aujourd’hui l’objet d’une concurrence acharnée, mais on ne sait pas encore clairement quand elles seront disponibles ni quel sera leur coût. Il faut donc bien comprendre qu’il reste nombre de problèmes à résoudre et des progrès à réaliser dans un vaste éventail de domaines avant que les énergies renouvelables ne puissent se substituer de façon durable aux énergies thermique et nucléaire.

La ligne de démarcation entre pro et antinucléaires

Il est bien évident que l’impact de la catastrophe de Fukushima, loin de se limiter au Japon, s’est étendu à l’ensemble de la planète. L’essor enregistré depuis quelques années par l’énergie nucléaire, qu’on a pu appeler « renaissance nucléaire », risque de s’en trouver considérablement ralenti. Cette tendance menace notamment de s’affirmer en Amérique du Nord et en Europe, où les gens ont depuis peu changé d’optique sur le nucléaire, qu’ils considéraient jusque-là comme une option énergétique valable dans la bataille contre le réchauffement climatique. En octobre 2010, l’Allemagne a décidé de prolonger la durée d’exploitation de ses centrales nucléaires et l’Italie s’apprêtait à en construire de nouvelles. Mais tout a changé avec la catastrophe de Fukushima : ces projets ont été mis au rancart, tandis que l’Allemagne, l’Italie et la Suisse amorçaient un virage en direction du retrait du nucléaire.

En revanche, des pays comme la Grande-Bretagne, la France, la Russie et les États-Unis ont continué à miser sur l’énergie nucléaire, tout en renforçant les mesures de sûreté. Dans les pays en développement, qui ont besoin de davantage d’électricité pour nourrir leur croissance économique, la tendance reste globalement au développement du nucléaire. Ceci vaut non seulement pour la Chine et l’Inde, mais depuis peu également pour le Vietnam et les Émirats arabes unis, ainsi que pour la République tchèque, la Pologne et d’autres pays de l’Est. La prise de conscience de la nécessité de renforcer les mesures de sûreté a progressé dans ces pays, mais le choix de développer le nucléaire n’a pas été remis en question.

Le pays où le choc a été le plus fort en ce qui concerne l’énergie nucléaire reste bien entendu le Japon, où le « mythe de la sûreté » des centrales nucléaires s’est effondré. C’est un problème réel, qu’on ne peut pas nier. Un retour sur l’histoire des États-Unis et de l’Europe montre qu’il aura fallu attendre entre 20 et 25 ans après les accidents de Three Mile Island et Tchernobyl pour que les populations redeviennent favorables au nucléaire. On peut raisonnablement supposer qu’un délai du même ordre devra s’écouler au Japon avant que les décisions concernant l’énergie nucléaire puissent être prises sereinement.

L’impact de la récente catastrophe nucléaire a été ressenti dans tout le Japon. Partout on constate une augmentation des inquiétudes à propos des technologies liées à l’énergie nucléaire, une baisse de la confiance accordée aux responsables de la sûreté et aux fournisseurs d’électricité et une insatisfaction quant au contenu de l’information diffusée. La mauvaise organisation du dispositif administratif a elle aussi contribué à éroder la confiance du public. En fait, l’Agence de Sûreté nucléaire et industrielle (NISA), chargée du contrôle de la sûreté nucléaire, était sous l’autorité du ministère de l’Économie, du Commerce et de l’Industrie, qui supervisait aussi l’Agence pour les ressources naturelles et l’énergie, un organe de promotion de l’énergie nucléaire. Après l’accident, il a été décidé de fusionner la NISA avec la Commission de sûreté nucléaire du Bureau du cabinet et de placer l’organisation née de cette fusion sous la tutelle du ministère de l’Environnement. Mais les dégâts ont été si sévères qu’il faudra probablement beaucoup de temps pour regagner la confiance du public.

On notera aussi la convergence qui est apparue entre l’opposition aux armes nucléaires, née de l’expérience de Hiroshima et Nagasaki, et le mouvement en faveur de l’abandon de l’énergie nucléaire exploitée à des fins pacifiques. Malgré toute la différence qui existe selon qu’on utilise l’énergie nucléaire pour générer de l’électricité ou pour construire des armements, les deux questions ont été associées, du fait notamment qu’elles suscitent toutes deux des inquiétudes quant aux radiations. Nous devons reconnaître, autrement dit, que des voix de plus en plus nombreuses se font entendre pour réclamer l’élimination pure et simple de l’énergie nucléaire, même lorsqu’elle est exploitée à des fins pacifiques.

Il est crucial de bâtir un consensus national

Pour finir, je voudrais revenir sur la question de l’avenir de l’énergie nucléaire au Japon. Fondamentalement, j’en suis venu à la conclusion que rejeter l’option du nucléaire déstabiliserait les approvisionnements en électricité, augmenterait la facture d’électricité et entraverait sérieusement les efforts entrepris pour réduire les émissions de carbone. Autant de raisons qui font que le gouvernement aurait tort, à court et moyen terme, d’adopter une politique énergétique antinucléaire.

Les facteurs en jeu dans la politique énergétique du Japon sont si divers et multidimensionnels qu’il est impossible de se focaliser sur un seul aspect. Le premier objectif de la politique énergétique doit être la stabilité des approvisionnements en énergie, mais elle se doit aussi d’être économiquement viable, économe en émissions de carbone et crédible en termes de sûreté et de résistance aux catastrophes naturelles. Dans une perspective à long terme, la stabilité des approvisionnements en énergie doit toujours constituer la première priorité, d’autant que l’électricité est devenue une énergie encore plus vitale avec l’avènement du XXIe siècle.

On va sans doute entendre toutes sortes d’arguments en ce qui concerne l’attitude à adopter vis-à-vis du nucléaire, mais la première chose à faire est d’élucider pleinement les causes de l’accident de Fukushima et de concevoir, pour le court, le moyen et le long termes, des politiques de sûreté basées sur des faits scientifiques. Ces politiques devront gagner l’adhésion de l’opinion aussi bien mondiale que nationale, et tout particulièrement celle des habitants des régions du Japon hébergeant des centrales nucléaires. Il faudra trouver davantage de solutions satisfaisantes sur le plan scientifique, et aussi s’attaquer à l’aspect psychologique du problème en rassurant les gens.

Le Programme énergétique de base adopté par le gouvernement en juin 2010 reposait sur le projet de placer le Japon en tête des nations pour ce qui est des installations de production d’énergie nucléaire, avec la construction de quatorze nouveaux réacteurs — neuf d’ici à 2020 et cinq autres d’ici à 2030. Ce programme occupait une place centrale dans la volonté du Japon de trouver une réponse au changement climatique. Plus spécifiquement, il prévoyait de réduire les émissions de gaz carbonique de 30 % d’ici 2030 (par rapport au niveau de 1990) en amenant à 53 % la part du nucléaire dans la production totale d’énergie et en donnant un coup de fouet aux énergies renouvelables, y compris l’hydroélectrique à grande échelle, qui devait passer de 9 %, son niveau actuel, à 21 %. Le grand projet esquissé dans ce programme consistait à associer stabilité des approvisionnements en énergie et réduction conséquente des émissions de carbone. Mais la catastrophe de Fukushima a mis ce programme en très mauvaise posture.

Si l’on se projette dans dix ou vingt ans, il est peu probable que le Japon ait augmenté sa dépendance vis-à-vis de l’énergie nucléaire. On pourrait se donner comme objectif de ramener ce niveau de dépendance aux alentours de 20 % d’ici 2030 — contre approximativement 30 % aujourd’hui. Il me semblerait utile d’obtenir l’assentiment du public sur un niveau de ce genre.

La pauvreté du Japon en ressources naturelles a en fait joué un rôle positif dans la croissance remarquable qu’il a connue dans le passé. En effet, elle l’a contraint à développer des technologies économes en énergie, garantissant l’efficacité optimale des ressources disponibles. Avec la mutation des structures d’activité qui s’est opérée à la suite des crises pétrolières des années 70, l’efficacité des technologies a rapidement progressé. À l’avenir également, l’efficacité énergétique va indubitablement constituer l’un des grands piliers des initiatives en vue de résoudre les problèmes liés à la sûreté de l’énergie et au changement climatique.

Dans le même temps toutefois, le Japon est confronté à une situation où l’accès aux ressources se heurte à des obstacles de plus en plus difficiles à surmonter à l’échelle planétaire. À l’heure où la Chine et d’autres pays émergents se disputent les ressources existantes, il est de plus en plus clair que les réserves ne sont pas inépuisables. Et les problèmes environnementaux restreignent encore davantage les choix. Le contexte qui résulte de tout cela est le plus dur que le Japon ait jamais connu. Et c’est à ce carrefour délicat que le séisme et le tsunami l’ont frappé, ce qui n’a fait que compliquer les difficultés auxquelles se trouvait confrontée l’ensemble de l’économie, notamment le ralentissement prolongé de l’activité et le déclin de la compétitivité des bases de production nationales. Dans cette perspective, la politique énergétique est de toute évidence un enjeu crucial. Celle dont le Japon va se doter doit être soigneusement adaptée aux circonstances tout en évitant d’accélérer le déclin économique de la nation.

Le vent d’inquiétude et de colère soulevé par la catastrophe nucléaire de Fukushima ne va pas retomber tout de suite et il faudra du temps avant que ces questions ne puissent faire l’objet d’un débat serein. Mais l’avenir de l’État et du peuple japonais exige que nous abordions avec une grande détermination les tâches qui s’imposent. L’heure est venue de nous interroger sur le rôle que les facteurs énergétiques ont joué dans le développement du Japon à l’époque moderne.

(D’après un texte original en japonais)

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