Le deuxième gouvernement Abe : un examen du nouveau paysage politique

L’ordre du jour de M. Abe analysé sur trois fronts

Politique

Pour faire face aux difficultés auxquelles le Japon se trouve confronté à l’intérieur comme à l’extérieur de ses frontières, le premier ministre Abe Shinzô va devoir faire montre de fermeté dans l’exercice du pouvoir et, dans les politiques qu’il met en œuvre, d’un réalisme qui ne s’encombre pas d’idéologie.

Les questions auxquelles le second gouvernement de M. Abe va devoir s’atteler

Le Parti libéral-démocrate a remporté une importante victoire lors de l’élection du 16 décembre 2012 à la Chambre des représentants. Dix jours plus tard, Abe Shinzô, le président du PLD, accédait, pour la seconde fois dans sa carrière, au poste de premier ministre et mettait fin par la même occasion à trois ans et trois mois de règne du Parti démocrate du Japon (PDJ). Mais, comme beaucoup de commentateurs l’ont relevé, la part des suffrages obtenue par le PLD dans les circonscriptions soumises à la représentation proportionnelle était à peu près la même que lors de l’élection de 2007 à la Chambre des conseillers, où il avait été battu par le PDJ. Cette fois-ci, ce sont la réduction brutale de la base de soutien du PDJ et l’essor de formations nouvelles, notamment le Parti de la restauration du Japon et Votre parti, qui ont fait la différence.

Le PLD a certes remporté une majorité confortable à la Chambre basse, mais cela ne veut pas dire que la population japonaise ait placé sa confiance dans M. Abe en tant que personne, qu’elle adhère à son idéologie droitière ou qu’elle juge le PLD compétent. Or le nouveau gouvernement Abe se trouve confronté à de sérieux problèmes, qui ne seront pas faciles à résoudre, en dépit du fait qu’il bénéficie d’un taux de soutien supérieur à 60 %(*1). Au cours des six dernières années, le Japon a changé six fois de premier ministre, si bien que l’exercice du pouvoir a perdu toute efficacité. Les gens se rendent compte que cet état de fait n’est pas bon pour le pays et souhaitent sincèrement que le nouveau gouvernement ait une durée de vie raisonnablement longue.

Le gouvernement Abe porte sur ses épaules une lourde responsabilité. Faute de trouver une réponse appropriée aux questions qui se posent au Japon, celui-ci va continuer de décliner en termes de puissance et les rouages de la politique risquent de se gripper. Au vu de cette situation, je veux m’interroger ici sur les questions auxquelles la nouvelle équipe au pouvoir va devoir s’atteler sur trois fronts : l’économie, les affaires internationales et la politique intérieure.

Économie : attendre de voir quelle va être la stratégie de croissance de M. Abe

Sur le front économique, la question la plus sérieuse réside dans l’ampleur des déficits publics — sachant que les recettes fiscales fournissent moins de la moitié des fonds requis — et dans le gonflement subséquent de la dette nationale, qui atteint en gros 200 % du produit intérieur brut. S’il veut réduire ce déficit budgétaire, le gouvernement va devoir s’atteler à un certain nombre de tâches difficiles, et notamment la relance de la croissance en vue d’augmenter les recettes fiscales, la hausse de la taxe sur la consommation et autres prélèvements, la compression des dépenses de sécurité sociale et la rationalisation de l’appareil de l’État.

Le gouvernement Abe s’est donné comme priorité de juguler la déflation et d’insuffler une nouvelle énergie à l’économie. À cette fin, il se propose de prendre un ensemble de mesures en trois volets : assouplissement monétaire, relance budgétaire et stratégie de croissance. Jusque-là, M. Abe était connu pour ses opinions tranchées en matière de politique étrangère et de sécurité, mais depuis son accession à la présidence du PLD en septembre dernier, l’économie est devenue son principal sujet de préoccupation.

Le gouvernement, qui s’est fixé pour objectif une inflation de 2 %, veut renforcer la coopération entre les autorités et la banque du Japon. Ce simple message a suffi à provoquer une dépréciation considérable du yen, bien accueillie par les exportateurs. La mise en place d’un fort budget additionnel est également en préparation et le gouvernement espère que cela servira de tremplin pour l’élaboration du prochain budget. Ce genre de relance budgétaire fait partie de l’arsenal des politiques qu’on peut attendre du PLD. Le monde des affaires a bien accueilli cette perspective, ainsi que la baisse du yen, et les cours de la Bourse ont enregistré des hausses substantielles.

Ce projet de relance n’a pas encore débouché sur des applications concrètes, mais l’espoir peut suffire à faire repartir l’économie et le gouvernement a pleinement réussi à cet égard. Pourtant, les projets de dépenses supplémentaires sont cantonnés dans une large mesure au développement des infrastructures, ce qui n’est pas très différent des affectations de crédits aux travaux publics coutumières aux précédents gouvernements PLD, et ce type d’intervention suscite beaucoup de scepticisme, voire de suspicions de gaspillage, justifiées par bien des expériences passées.

Le troisième volet de la politique économique du nouveau gouvernement est la stratégie de croissance, mais elle n’a pas encore fait l’objet d’un exposé détaillé. Jusqu’ici, le PLD, tributaire du soutien de certains intérêts acquis, s’est montré incapable de se lancer hardiment dans la déréglementation. En ira-t-il autrement cette fois-ci ? Et le parti parviendra-t-il à surmonter ses hésitations quant à la participation du Japon aux négociations du Partenariat transpacifique (TPP) ? Par ailleurs, la réactivation des centrales nucléaires à l’arrêt figure certes à l’ordre du jour du gouvernement Abe, mais il ne sera pas facile de passer à l’acte.

Même si ce train de mesures, baptisé par certains « Abenomics », donne de bons résultats, cela ne suffira pas à résoudre les problèmes budgétaires du gouvernement, qui va sans doute devoir procéder à des hausses de la taxe sur la consommation et autres prélèvements, juguler les dépenses de sécurité sociale et rationaliser l’appareil d’État.

Le gouvernement Abe va-t-il se montrer capable de freiner la hausse des prestations publiques de retraite et autres dépenses liées à la protection sociale en prenant des mesures pour augmenter l’âge du départ à la retraite et réduire les prestations versées aux retraités et autres bénéficiaires ? Cela risque d’être d’autant plus difficile que le PLD est lourdement tributaire du soutien des personnes âgées. Pendant la dernière campagne électorale, les libéraux-démocrates ont proclamé que leur parti avait changé au cours des trois années où ils n’étaient pas au pouvoir. Pour être vraiment crédible, le PLD doit surmonter sa propension aux dépenses de travaux publics, miser résolument sur la déréglementation, coopérer plus étroitement avec d’autres pays, et, malgré l’hostilité de l’opinion publique, augmenter les impôts et tailler dans les dépenses de protection sociale. La réalisation de ce programme va exiger des efforts acharnés.

(*1) ^ Le chiffre a atteint 71% si l’on en croit une étude du Yomiuri Shimbun en date du 10 février 2013.

La dissuasion dynamique : un concept qui ne se prête pas à révision

Sur le front international, politique étrangère et sécurité incluses, la plus grande question qui se pose au gouvernement Abe va être celle du comportement à adopter face à la montée en puissance de la Chine.

M. Abe s’est donné comme principe de base le renforcement des capacités défensives du Japon et de ses relations avec les États-Unis. Il projette de remanier la version actuelle des Principes directeurs pour le Programme national de défense, adoptée en 2010 par le gouvernement mené par le PDJ, dans l’idée d’augmenter le budget de la défense et de revoir l’interprétation officielle de la Constitution de façon à permettre l’exercice du droit à la légitime défense collective. Il envisage aussi la mise en place d’un Conseil national de sécurité, chargé de formuler des stratégies et des politiques globales à long terme et, à plus longue échéance, il caresse l’idée d’amender la Constitution et de renommer les Forces d’autodéfense de façon à les identifier explicitement en tant qu’armée du Japon.

En ce qui concerne les Principes directeurs pour le Programme nationale de défense, Onodera Itsunori, le ministre de la Défense du gouvernement Abe, a annoncé son intention de revenir sur certains points, dont les réductions prévues des effectifs des Forces terrestres d’autodéfense et le concept de « dissuasion dynamique », et d’augmenter les crédits affectés à la défense. Mais le Japon n’est pas en position de procéder à des hausses significatives en ce domaine. Le gouvernement doit aller de l’avant avec les réductions prévues des effectifs des FTAD et relever les défis urgents que constituent le renforcement des capacités dans le Sud-Ouest — région dont l’importance s’est accrue en termes de défense — et l’amélioration des équipements des Forces maritimes et des Forces aériennes d’autodéfense. À cet égard, le remplacement de l’ancien concept de « force défensive de base » par celui de « défense dynamique » au titre des principes directeurs adoptés en 2010 sous le gouvernement du PDJ était tout à fait fondé. L’idée de revenir en arrière sur ce point semble n’être rien de plus que l’expression d’une certaine hostilité au PDJ et de l’adhésion de l’actuel gouvernement libéral-démocrate aux positions affichées par les FTAD. Même le Yomiuri Shimbun, un journal en général très favorable à M. Abe, s’est prononcé contre la remise en cause de ce projet dans un éditorial du 11 janvier.

Créer un Conseil national de sécurité et reconnaître le droit à la légitime défense collective

En deuxième place sur la liste des initiatives que M. Abe souhaite prendre en matière de politique étrangère et de sécurité, viennent la création d’un Conseil national de sécurité (CNS) et l’autorisation de l’exercice du droit à la légitime défense collective. Le premier gouvernement Abe (2006-2007) a rédigé un projet de loi visant à mettre sur pied un CNS, mais M. Abe a démissionné avant que cette instance ne voit le jour et son successeur, Fukuda Yasuo, a mis son veto à la réalisation de ce projet. Pourtant, le PDJ lui-même est fondamentalement favorable à cette initiative. C’est quelque chose qui s’impose si l’on veut surmonter l’esprit de clocher endémique au Japon et concevoir des politiques à long terme traitant de la sécurité sous tous ses aspects. Le PDJ, comme je l’ai dit, est foncièrement en faveur de cette initiative, que le Parti de la restauration du Japon et Votre parti soutiennent également, et j’espère donc que le gouvernement actuel va se dépêcher de la mettre en œuvre. À cette fin, il conviendrait en outre d’éviter de se laisser entraîner dans un conflit improductif avec d’autres partis à propos des ligne directives de 2010 sur la défense.

En ce qui concerne la légitime défense collective, un comité, constitué sous le premier gouvernement Abe pour se pencher sur la question, a rendu un rapport au premier ministre Fukuda en 2008, mais le gouvernement de ce dernier n’a donné aucune suite.

Le rapport du comité en question, qui avait à sa tête Yanai Shunji, ancien ambassadeur du Japon aux États-Unis, allait au fond du problème. Il signalait notamment que, sans l’exercice du droit à la légitime défense collective, il serait impossible de prendre les décisions appropriées pour protéger les navires des États-Unis ou se défendre contre des missiles. Ces questions ont pris un caractère beaucoup plus immédiat maintenant que la possibilité existe que le Japon et les États-Unis agissent de façon concertée dans le voisinage des îles Senkaku et que la Corée du Nord est en mesure de tirer des missiles jusque dans les eaux entourant les Philippines. Si la position du gouvernement devait changer, le public n’y verrait probablement rien à redire.

Certes, divers partis politiques et organes des médias, accoutumés à des décennies de pacifisme, s’opposeraient peut-être vivement à la légitime défense collective. Comme en outre le droit japonais est fondé sur le principe des compétences énumérées, selon lequel le gouvernement n’est en droit de ne rien faire qui ne soit explicitement autorisé par la législation, même si l’équipe au pouvoir changeait son fusil d’épaule et décidait que l’exercice du droit à la légitime défense collective est conforme à la Constitution, elle n’en serait pas moins contrainte de modifier substantiellement la Loi sur les Forces d’auto-défense avant de pouvoir agir. Ce qui pourrait bien s’avérer difficile, compte tenu des réticences du Nouveau Kômeitô, partenaire du PLD dans la coalition au pouvoir, à l’égard de cette initiative.

Pourtant, dans une perspective mondiale, cette révision s’impose tout naturellement. La Chine et la Corée du Sud sont toutes deux en mesure d’exercer leur droit à la légitime défense collective. Le Japon n’a aucune raison d’hésiter à se conformer aux normes internationales en vigueur en ce domaine. Le gouvernement doit faire le nécessaire à cette fin.

La révision de la Loi sur les Forces d’auto-défense

À l’ordre du jour de M. Abe figure également l’amendement de la Constitution, et notamment des clauses de l’Article 9 portant sur la renonciation à la guerre. Le premier paragraphe de cet article se contente d’énoncer l’objectif de règlement pacifique des litiges, une aspiration partagée partout dans le monde. Sa révision n’a pas lieu d’être et rares sont ceux qui la réclament. Le deuxième paragraphe stipule qu’ « il ne sera jamais maintenu de forces terrestres, navales et aériennes ou autre potentiel de guerre », mais les FAD existe bel et bien, et ceci constitue un amendement de facto de la clause. Il se trouve toutefois que beaucoup, dans les rangs du PLD, ne voient pas les choses ainsi et souhaitent une révision en bonne et due forme de cette clause. Au titre de la proposition d’amendement de la Constitution, l’existence d’une armée nationale serait reconnue et les Forces d’autodéfense (« Jietai ») dans leur état actuel seraient rebaptisées « Force de défense nationale » (« Kokubôgun »). En japonais, le nouveau nom contiendrait le mot gun, qui se traduit par « armée ». Mais en anglais ou en français, l’appellation resterait pratiquement la même, et je ne pense pas que son adoption revête une grande importance. Il devrait être possible de trouver la réponse appropriée à cette question en procédant à une révision de la Loi sur les FAD.

Le règlement des questions ci-dessus relatives à la politique de défense n’est pas la seule tâche à laquelle le Japon doit s’atteler ; il doit aussi garantir la stabilité de ses relations avec la Chine et la Corée du Sud. Le gouvernement Abe doit agir avec circonspection dans le litige avec la Chine à propos des îles Senkaku et dans les différents avec la Corée du Sud à propos de Takeshima (une île revendiquée par les Japonais est occupée par les Coréens, qui l’appellent Dokdo) et des « femmes de confort » au service des soldats nippons pendant la guerre.

Étudier ensemble l’histoire : un bon moyen de promouvoir le dialogue avec la Chine et la Corée du Sud

En ce qui concerne l’archipel des Senkaku, des voix se sont élevées pour proposer que le contrôle exercé par le Japon sur ces îles, actuellement inhabitées, soit renforcé, que l’administration y détache du personnel ou que des installations y soient construites, mais il semble que M. Abe ait décidé de ne pas donner suite dans l’immédiat, tout en se réservant la possibilité de remettre ces propositions sur la table à une date ultérieure, en tant que monnaie d’échange dans les négociations avec la Chine.

Avant de devenir premier ministre, M. Abe a parlé de réviser deux déclarations ayant trait aux relations du Japon avec la Chine et la Corée du Sud, à savoir les excuses exprimées par le premier ministre Murayama Tomiichi en 1995, à l’occasion du cinquantième anniversaire de la fin de la seconde guerre mondiale, et celles, prononcées en 1993 par Kôno Yôhei, alors secrétaire en chef du cabinet, à propos des « femmes de confort ». Mais si Tokyo revient sur cette dernière déclaration, les difficultés vont s’aggraver avec Séoul, et le Japon devra en l’occurrence se passer du soutien des États-Unis. Beaucoup de membres du PLD considèrent que la déclaration de M. Kôno était entaché d’un vice de procédure et qu’elle n’était pas corroborée par des preuves suffisantes. Les partisans de sa révision sont particulièrement nombreux parmi les proches de M. Abe. Une possibilité consisterait à mettre sur pied un programme international de recherches universitaires. Mais c'est quelque-chose qui ne relève pas d'une supervision de haut niveau.

Fujiwara Kiichi, professeur à l’Université de Tokyo, expert éminent et réputé de gauche, a écrit qu’il peut comprendre l’idée de revoir la politique en matière de sécurité et qu’un amendement du deuxième paragraphe de l’Article 9 pourrait même être acceptable, mais que toute tentative de réinterprétation de l’histoire du Japon serait malvenue (Asahi Shimbun, 26 décembre 2012). Je trouve intéressant que son point de vue coïncide avec celui de bien des commentateurs qui, comme moi, se situent au centre.

La meilleure chose que le Japon puisse faire pour la stabilité de ses relations avec la Chine et la Corée du Sud, c’est à mon avis de s’engager dans un dialogue à propos de l’histoire. C’est au premier gouvernement Abe qu’on doit la création du Comité mixte sino-japonais de recherche historique (dont j’ai été le président pour la partie japonaise), ainsi que le lancement d’un deuxième cycle de recherche conjointe sur l’histoire avec la Corée du Sud. Je souhaite que le second gouvernement Abe réactive ce genre d’initiatives.

Dans le cadre du projet de recherche mixte sino-japonais auquel j’ai participé, nous avons tenté d’élaborer des « histoires parallèles » présentant côte à côte les positions des deux pays. J’aimerais qu’un pas de plus soit franchi dans cette direction, grâce à la rédaction de petits livres de lecture où les enfants pourraient trouver des exposés concis des versions des deux pays. Dans l’état actuel des choses, les habitants de la Chine et de la Corée du Sud ignorent tout des positions du Japon, et celles de la Chine et de la Corée du Sud ne sont pas très bien connues dans l’Archipel. Si, par exemple, on parvenait à informer les Coréens des raisons pour lesquelles le Japon considère que Takeshima fait partie de son territoire, on arriverait pour le moins au stade de l’« accord sur le désaccord ». Tel devrait être notre objectif.

Amender la Constitution

Tournons-nous maintenant vers le troisième front, celui de la politique intérieure. Le principal enjeu pour M. Abe et son équipe consiste à obtenir la majorité cet été à la Chambre des conseillers, où la coalition au pouvoir est aujourd’hui minoritaire. Si les prochaines élections lui donnaient la victoire, le gouvernement serait en bien meilleure position pour faire passer ses projets de loi. Pour amender la Constitution, il faut une majorité des deux tiers dans les deux chambres. Si la coalition, qui dispose déjà de cette majorité à la Chambre basse, parvenait à l’obtenir à la Chambre haute, elle pourrait entamer le processus d’amendement. Une autre éventualité serait que le tout nouveau Parti de la Restauration du Japon (qui est lui aussi favorable à l’amendement de la Constitution) fasse un très bon score à l’élection pour la Chambre haute et permette ainsi au gouvernement d’atteindre, avec son appui, l’objectif des deux tiers.

En ce qui concerne l’amendement de la Constitution, il semble que M. Abe se soit fixé comme première priorité la révision des clauses relatives au processus d’amendement lui-même. Dans son état actuel, l’Article 96 stipule que toute révision doit non seulement obtenir l’approbation des deux tiers des membres de chacune des chambres de la Diète mais être ratifié par un référendum. M. Abe souhaite que la première condition soit ramenée à la majorité simple dans les deux chambres.

Cette modification aurait une certaine portée et n’entrerait en aucune façon en contradiction avec les normes internationales. Mais toute tentative visant à faciliter le processus de révision passerait à coup sûr aux yeux de certains pour un premier pas vers le remaniement des clauses pacifistes de l’Article 9 et risquerait donc de susciter une forte opposition. Si le gouvernement Abe choisit de commencer par chercher à obtenir la révision de l’Article 96, il doit d’abord clarifier ses intentions en ce qui concerne l’Article 9. Il reste que cette démarche, à supposer qu’il la fasse, ne suffira pas à le prémunir contre toute résistance de la part du public.

Renforcer la primauté de la Chambre des représentants

Plutôt que de chercher à assouplir les conditions définies par l’Article 96 pour amender la Constitution, je suggérerais quant à moi que le gouvernement s’attache à renforcer la primauté de la Chambre des représentants au sein de la Diète. Dans une démocratie parlementaire, il est normal que les décisions de la Chambre basse aient le pas sur celles de la Chambre haute. Au titre du deuxième paragraphe de l’Article 59 de la Constitution actuelle, la Chambre basse est en droit de promulguer, en deuxième passage, des lois qui ont été rejetées ou ne sont pas passées à la Chambre haute, mais il lui faut pour ce faire une majorité des deux tiers. C’est placer la barre très haut. Ce que je suggère, c’est de ramener cette exigence à la majorité simple. (Une autre possibilité consisterait à abolir purement et simplement la Chambre haute.) Une telle proposition, me semble-t-il, ne rencontrerait pas tellement de résistance dans la population ou les médias. Et elle permettrait au public de se rendre compte qu’il est en mesure de changer la Constitution — ce qui serait une première dans l’histoire du Japon. Il se trouve malheureusement qu’on ne doit guère s’attendre à ce que cette proposition émane du PLD ou de l’opposition — le PDJ —, qui ont tous deux de puissants contingents de représentants à la Chambre haute. Pour surmonter la résistance de ces parlementaires, il faudrait une direction politique très forte.

Depuis son retour à la barre, M. Abe s’est abstenu d’exprimer, en paroles ou en actes, les positions idéologiques droitières qu’il affichait précédemment. Beaucoup pensent que cette réserve prendra fin si le PLD gagne les élections de cet été à la Chambre haute. Pourtant, si le premier ministre fait vraiment montre de fermeté et manifeste clairement sa volonté de se laisser guider par le réalisme plutôt que par l’idéologie, son gouvernement devrait être en mesure de progresser dans la résolution des nombreux problèmes auxquels il se trouve confronté. Un virage idéologique à droite n’apporterait rien de bon.

(D’après un original écrit en japonais le 15 janvier 2013. Photo du titre : le premier ministre Abe en train de tenir une conférence de presse le 11 janvier sur les mesures économiques d’urgence. Avec l’aimable autorisation du Sankei Shimbun.)

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