Le Japon face à la menace climatique

Un réchauffement des mers annonce des catastrophes climatiques à l'avenir

Société

Le réchauffement climatique ne s’est pas arrêté, la chaleur a simplement été absorbée par les océans. Mais les quelques années de répit dont nous avons profité touchent à leur fin. Et l’élévation de la température des mers pourrait bien entraîner de nouvelles anomalies climatiques encore plus violentes.

Le réchauffement de la planète a-t-il cessé ?

Quand la problématique du réchauffement climatique global de la planète a été mise en évidence pour la première fois, cela a causé beaucoup de bruit. Mais le débat est devenu plus complexe avec l’émergence d’opinions sceptiques concernant l’existence même d’un tel réchauffement. En effet, au cours des 16 dernières années, les données climatologiques n’ont quasiment fait apparaître aucune tendance à la hausse de la température annuelle moyenne globale. Néanmoins, croire que cela signifie l’arrêt du phénomène de réchauffement climatique global serait une erreur.

Plus précisément, la température atmosphérique s’est élevée, puis s’est stabilisée à une certaine hauteur. Cela a posé un important problème dans la communauté scientifique toutes ces dernières années. Mais les raisons en sont aujourd’hui à peu près élucidées. En définitive, la mer a joué un rôle de tampon en absorbant la chaleur accumulée. Cette absorption a été assez active pour empêcher le réchauffement de devenir sensible au niveau atmosphérique.

La température des océans augmente

Inversement, cela signifie que les océans se sont réchauffés. Quand on parle de réchauffement climatique, on parle essentiellement de l’influence de l’élévation des températures atmosphériques, fonte de la calotte glacière arctique et élévation du niveau de la mer. Mais en réalité, l’influence la plus sérieuse est l’augmentation de la température de la mer, bien qu’elle soit très peu sensible au premier abord. Cette élévation de la température des mers est la cause pour laquelle certains phénomènes climatiques exceptionnels deviennent plus fréquents au niveau global, et d’une amplitude plus grande. La véritable cause des anormalités climatiques dévastatrices dans de nombreuses régions du globe se trouve dans l’augmentation de la température des océans.

Actuellement, la température moyenne globale des couches basses de l’atmosphère, autrement dit des couches d’air proches de la surface de la terre, est stationnaire, mais le réchauffement des océans progresse toujours, et les influences s’en feront sentir de façon évidente un jour ou l’autre. En d’autres termes, les océans passeront de leur fonction actuelle « d’eau de refroidissement » à celle de « bouillotte ». À ce moment-là, contrairement à ce que nous avons pu observer depuis une dizaine d’années, la chaleur qui nous viendra de la mer s’ajoutera à celle du réchauffement global de l’atmosphère. L’influence du réchauffement sur le climat se fera alors beaucoup plus active, et les situations climatiques exceptionnelles se feront de plus en plus nombreuses. La question est bien sûr de savoir quand cela se produira. À mon avis, nous approchons du point limite.

Laissez-moi vous expliquer un peu plus en détail ce qui se passe. Lorsque l’on observe la Terre depuis l’espace, la température de la haute atmosphère reste inchangée. Parce que les énergies, reçue du soleil d’un côté, et émise par la haute atmosphère de l’autre, sont en état d’équilibre. Seule la température de la basse atmosphère monte, à cause de l’augmentation des gaz à effet de serre. La fonte des glaces de l’Arctique dont parlent souvent les médias nous indique l’endroit où cette chaleur s’est déplacée.

La capacité thermique des océans est tellement énorme qu’il n’est pas facile d’apercevoir un changement au niveau général. Toutefois, bien que les échantillons soient limités, la mesure de la température moyenne de l’eau de l’océan mondial, du niveau de la mer jusqu’à 3 000 mètres de profondeur montre une augmentation de température d’environ 0,04°C au cours des 50 dernières années. Le chiffre peut sembler minuscule, mais au niveau de la quantité de chaleur, cela correspondrait à une augmentation de 40°C de la troposphère [la couche la plus basse de l’atmosphère, celle que nous respirons, NdT].

Mécanisme de l’augmentation de température de l’océan Indien

L’augmentation de la température des océans est particulièrement significative au niveau de l’océan Indien. Il se réchauffe facilement car il est bordé par de larges masses continentales, comme au nord par le continent eurasien, et séparé des mers polaires et subpolaires. De fait, la température moyenne des eaux a augmenté en surface de 0,6 à 0,7°C au cours des 50 dernières années. Des cumulonimbus [nuages d’orage, NdT] ont tendance à se former quand l’eau dépasse 28°C. Un vent se crée au bas de ce courant ascendant ce qui produit une accumulation de chaleur, mais en même temps favorise l’évaporation, ce qui retire la chaleur accumulée, et mélange la surface avec les couches inférieures plus froides. En fin de compte le processus aboutit à un refroidissement des eaux de surface.

Nous avons donc des endroits où l’eau est chaude et d’autres où l’eau est plus froide. Cette polarité des températures à la surface de l’océan est intimement liée à la circulation atmosphérique.

En situation normale, la formation de cumulonimbus est très active dans la région proche de l’Indonésie, ce qui signifie que l’océan Indien est généralement plus chaud à l’est et plus froid à l’ouest. Mais il arrive que ce schéma s’inverse, parce que les eaux à l’ouest sont devenues plus chaudes. C’est un processus que j’ai découvert en analysant les causes de la canicule de 1994 au Japon. J’ai appelé cette situation le « Dipôle de l’océan Indien [IOD]». Des recherches complémentaires ont affiné le concept, et nous disons maintenant que la situation qui conduisit à la canicule de 1994 – à savoir quand le schéma est/ouest est inversé par rapport à la normale – un « IOD positif ». Cette situation, tout comme El Niño et La Niña dans le Pacifique, est une cause d’anomalies climatiques irrégulières en différents endroits du globe.

Pourquoi un schéma de températures océaniques conduit-il à des anomalies météorologiques ? Considérons le schéma atmosphérique et océanique à proximité de l’équateur dans l’océan Pacifique. Les rayons du soleil frappent la surface de l’eau quasiment à angle droit, et produisent un maximum de quantité de chaleur par unité de surface. Quand la température de l’air monte à l’équateur, l’air de secteurs plus éloignés de la basse atmosphère se précipite pour compléter la masse d’air, produisant un vent convergent vers l’équateur. Ce vent étant soumis à la loi de conservation du moment angulaire, celui-ci perd de sa vitesse, ce qui génère une composante globale est-ouest du régime des vents.

Ces vents d’est entraînent les eaux chaudes de surface vers l’ouest, mais celles-ci sont stoppées quand elles rencontrent des masses continentales, comme les îles de l’Indonésie et des Philippines. Ces eaux chaudes forment une masse relativement stable d’eaux chaudes, qui à son tour génère des courants d’air ascendants, qui eux aussi aspirent l’air des secteurs environnants. De l’autre côté du Pacifique, de l’eau plus froide remonte des profondeurs, d’où il résulte que les températures à la surface sont relativement plus froides. Tel est le schéma climatique normal du Pacifique équatorial.

Trois modèles de changement climatique

Si pour une raison ou une autre, la masse des eaux chaudes se trouve au contraire dans le Pacifique est, la « polarité » est inversée, et les poches d’eaux froides sont déplacées de même. Cela affecte la direction dans laquelle soufflent les vents dominants, et par conséquent, l’endroit où les nuages de pluie se formeront.

Cette inversion de la polarité est-ouest dans le Pacifique est appelée El Niño. Dans l’océan Indien, quand la même polarité est-ouest apparaît, on l’appelle « IOD négatif ».

Dans le Pacifique, quand la répartition normale des températures de la surface océanique, chaudes à l’ouest, froides à l’est, est accentuée par rapport à la normale, résultant en une masse d’eau froide dans le Pacifique est, on appelle ce phénomène La Niña. Dans l’océan Indien, la répartition similaire des températures de surface, chaudes à l’ouest, froides à l’est, s’appelle « IOD positif ».

Récemment, dans l’océan Pacifique, les cas où les masses océaniques chaudes ou froides ne se produisent plus ni à l’est ni à l’ouest, mais au centre de l’océan, se sont multipliés. J’ai nommé ces situations « El Niño-modoki » (simili-El Niño) et « La Niña-modoki » (simili-La Niña).

Tels sont les trois modèles principaux de variabilité climatique. Des situations du même type ont été récemment mises en évidence, non seulement au niveau des océans Pacifique et Indien, mais à une plus petite échelle dans d’autres mers suffisamment vastes. Comme par exemple le California Niño/Niña au large de la côte ouest des États, ou le Ningaloo Niño/Niña au large de la côte ouest de l’Australie.

Ces schémas océaniques et atmosphériques déviants résultent invariablement en des températures océaniques, températures atmosphériques, quantité de précipitations et pressions atmosphériques anormales, bref, en effets météorologiques anormaux, non seulement dans les secteurs proches, mais également dans des zones terrestres ou maritimes fort éloignées.

Les vagues de chaleurs estivales au Japon deviennent la norme

Ces dernières années, les chaleurs intenses plusieurs étés de suite sont devenues un problème. L’été 2013 a par exemple fait plus de 900 victimes de coup de chaleur. Nous sommes là dans des chiffres équivalents à une catastrophe naturelle majeure. D’autant plus que la situation de 2013 n’est plus exceptionnelle, mais semble plutôt devenir la norme. Les canicules les plus fortes ont été, par ordre d’importance, 1994, 2013 et 2010. Or, on remarque que 1994 fut une année de l’IOD positif dans l’océan Indien, alors que 2013 et 2010 furent des années de l’IOD négatif dans l’océan Indien, concomitant à un phénomène La Niña dans l’océan Pacifique (autrement dit la température de la mer était supérieure à la normale à l’est de l’océan Indien et à l’ouest de l’océan Pacifique, alors que la température était inférieure à la normale à l’ouest de l’océan Indien et à l’est de l’océan Pacifique).

Quand l’IOD positif se produit dans l’océan Indien, de façon générale l’été au Japon et dans les pays du pourtour méditerranéen est plus chaud que la normale, alors que les précipitations sont supérieures à la moyenne en Inde et en Afrique de l’est. Inversement, les zones agricoles de l’Australie du sud-ouest et du sud-est connaissent la sécheresse. Ce fut le cas en France lors de la canicule d’août 2003, avec une vague de chaleur de plusieurs jours à des températures supérieures à 35°C qui fit plus de 2 000 victimes. Dès que l’IOD positif a disparu subitement à la mi-août, la température en France a chuté sous les 30°C. Lors d’un phénomène comparable de l’IOD positif typique en 2006, une sévère sécheresse a frappé l’Australie, et sécheresse et hautes températures à Bornéo et Sumatra ont causé des incendies et des feux de forêt d’une très grande ampleur. De l’autre côté, plus d’un million de personnes ont été victimes d’inondations en Afrique de l’est.

Été froid et pluies faibles au Japon sous l’influence d’El Niño

En cas de phénomène El Niño dans l’océan Pacifique, on observe un été froid et des précipitations réduites au Japon. L’Inde subit une sécheresse. Par contre, les précipitations sont supérieures aux moyennes annuelles sur la côte Pacifique des pays d’Amérique centrale et du sud. Inversement, dans le cas de figure de La Niña, comme en 2010 et 2013, le dipôle de l’océan Indien n’a pas eu d’influence au Japon qui a connu au contraire une vague de chaleur. En 2007, la canicule au Japon qui causa tant de victimes fut provoquée à la fois par le dipôle de l’océan Indien et La Niña du Pacifique. L’hiver 2005-2006 et ses chutes de neige record sur la côte de la mer du Japon étaient également sous l’influence de La Niña.

En 1993, la situation était une combinaison de El Niño dans le Pacifique et l’IOD négatif dans l’océan Indien. Les conséquences ont été une récolte extrêmement mauvaise dans la région du Tôhoku, qui obligea le Japon à importer du riz. La Corée du Nord connut elle aussi une récolte désastreuse, suivie par la canicule l’année suivante en 1994. La péninsule coréenne connut une crise économique qui fit même apparaître une situation de crise au niveau de la sécurité.

Les situations « modoki » provoquent elles aussi des anomalies météorologiques. En 2004, la situation était celle d’un El Niño-modoki : une masse d’eau océanique de température élevée est apparue au milieu de l’océan Pacifique tropical, aux environs de la ligne de changement de date. La conséquence a été une zone de naissance des typhons décalée vers l’est par rapport aux autres années. Et alors que le Japon connaît une moyenne de trois typhons par ans sur l’archipel, il y en eut dix cette année-là.

Ayons l’œil sur la « variabilité climatique » plutôt que sur le « changement »

Le mécanisme par lequel le réchauffement global conduit à des anomalies ou des phénomènes météorologiques extrêmes peut être résumé comme suit :

(1) Réchauffement climatique → (2) Réchauffement des océans → (3) Plus grande fréquence et radicalisation de la variabilité climatique, c’est à dire des déviations par rapport aux cycles océano-atmosphériques normaux → (4) Épisodes climatiques et phénomènes météorologiques extrêmes qui provoquent des dégâts.

Ce mécanisme est aujourd’hui global. Néanmoins, le débat est trop souvent basé sur une compréhension très superficielle – voire erronée – des mécanismes géophysiques en jeu. L’une des raisons de cette situation réside dans le fait que l’on confond trop souvent le « changement climatique », qui est une question à long terme, et la « variabilité climatique », qui permet de décrire les schémas météorologiques qui causent les phénomènes météo anormaux.

La « Convention-cadre des Nations-Unies sur les changements climatiques » a été mise en place en 1992. Le Japon en est signataire, mais le titre a été mal traduit en japonais où il est devenu « Convention-cadre sur les variations climatiques ». J’étais contre cette traduction, mais elle est désormais admise comme officielle.

La raison du scepticisme persistant concernant le réchauffement global – malgré l’indéniable fréquence des phénomènes climatiques anormaux – vient à mon sens de cette confusion entre les deux notions que font de nombreuses personnes, et en particulier les médias. Le « changement » climatique est un processus graduel dans la longue durée, alors que la « variabilité » climatique, dans laquelle interviennent des manifestations comme El Niño, le dipôle de l’océan Indien et d’autres, est quelque chose de beaucoup plus dynamique.

Il est par conséquent d’une grande importance de bien comprendre le processus en cours dans le hiatus de 16 ans que l’on observe dans l’augmentation des températures atmosphériques globales, et pour cela faire la différence entre changement et variabilité. Les journaux induisent le public en erreur quand ils titrent sur le fait que El Niño n’apporte pas la preuve de la réalité du changement climatique. C’est peut-être vrai d’un point de vue technique, mais la plupart des lecteurs penseront que cela veut dire que les schémas météorologiques ne changent pas du tout. Ce genre de mésinterprétation empêche les mesures de protection contre les catastrophes naturelles de faire de réels progrès.

Le moratoire de « l’océan tampon » prendra bientôt fin

En revanche, au niveau de la recherche fondamentale et appliquée, les outils d’analyses et les technologies de prévision des mouvements climatiques ont montré de grandes avancées. Le phénomène El Niño dans le Pacifique, par exemple, peut être prédit avec une grande précision jusqu’à un an à l’avance. Il est peut-être difficile d’inverser les causes humaines du réchauffement global, mais la gestion des catastrophes pourrait être grandement facilitée grâce à l’amélioration des prévisions, qui aideraient à prévenir ou réduire les dégâts climatiques.

Le hiatus de 16 ans risque de se terminer très vite, car les océans ne pourront pas indéfiniment absorber toujours plus de chaleur. Les événements météorologiques anormaux et extrêmes deviendront alors encore plus intenses. Il est de la plus extrême urgence de s’y préparer.

(D’après un original en japonais paru le 26 septembre 2014)

climat mer