Les États-Unis de Trump et le Japon

L’avenir des relations sino-américaines sous l’administration Trump : quelle stratégie pour le Japon ?

Politique

Nous allons faire le point sur les relations entre les États-Unis et la Chine sous la présidence d’Obama, puis sur la politique que compte désormais mener le Japon envers l’Empire du milieu, après l’arrivée au pouvoir du nouveau gouvernement Trump avec son slogan « L’Amérique d’abord ».

Les relations sino-américaines sous l’administration Obama

L’investiture de Donald Trump soulève beaucoup de questions qui font débat au Japon : comment évolueront les relations entre les États-Unis et la Chine ? Quelle position le Japon doit-il adopter ? Afin d’y répondre, revenons tout d’abord sur les relations entre le gouvernement Obama et la Chine.

La politique chinoise de l’administration Obama, dès janvier 2009, a consisté en une combinaison d’implication (engage) et de limitation des risques (hedge), avec l’ambition de faire de la Chine un pays ayant des responsabilités au niveau mondial. Il est toutefois difficile d’affirmer que les résultats escomptés ont été atteints, et il ne faut pas perdre de vue certains changements de stratégie de la part des États-Unis, ainsi qu’une inflexion de la politique américaine entre le premier et le deuxième mandat de Barack Obama.

À ses prémices, le gouvernement de M. Obama accordait une grande importance à la Chine. Dans le contexte de l’époque, les États-Unis, plombés par de nombreuses difficultés économiques causées par la crise financière de 2007-2008, espéraient voir la Chine jouer un rôle primordial dans le redressement de l’économie mondiale. La flambée des prix des matières premières s’ajoutant au marasme, la communauté internationale a commencé à accorder plus d’importance au rôle des pays émergents.

Lors de la visite en Chine du président Obama en novembre 2011, les États-Unis et la Chine allaient, disait-on, mettre en place un « G2 » qui leur permettrait de régner sur l’espace mondial. On tablait alors, comme le rappelle le terme de « Chimerica », sur l’émergence d’un système de coopération au niveau mondial entre ces deux puissances. Mais le président Hu Jintao et son Premier ministre Wen Jiabao, qui dirigeaient la Chine à l’époque, ont plutôt fait preuve de réticence envers ce projet porté par les États-Unis.

En premier lieu, le « pays émergent » qu’est la Chine craignait de se voir imposer un fardeau plus lourd. Et deuxièmement, bien que le gouvernement Hu ait pris graduellement des mesures drastiques en matière d’affaires étrangères, il n’avait pas totalement abandonné la politique externe dite tao guang yang hui (une stratégie basée sur la mise en valeur de son économie, conjuguée à une grande docilité diplomatique), ce qui a pu jouer. Sur quoi les discussions ont-elles effectivement porté lors de cette réunion ? Impossible de le dire. Ce que l’on peut clairement affirmer du moins, c’est l’opposition manifeste du Premier ministre Wen Jiabao à ce projet de G2.

La Chine donne la priorité à ses « intérêts fondamentaux »

Le gouvernement Obama a tenté de redéfinir ses relations avec l’Empire du milieu, utilisant le terme de « réassurance stratégique », et même s’il reconnaissait la montée en puissance de la Chine, il a cherché à lui faire reconnaître l’existence d’« intérêts globaux » (global commons) afin d’œuvrer ensemble à l’ordre et la paix dans le monde. Cette vision, proposée par le sous-secrétaire d’État James Steinberg durant le premier mandat du président Obama, avait l’ambition de renforcer les rapports bilatéraux.

Mais c’est justement en 2009 que la Chine s’est remise à ajuster sa politique extérieure, choisissant d’accorder autant d’importance à sa souveraineté et sa sécurité nationale qu’à son économie. En particulier, sur des dossiers comme la mer de Chine méridionale, l’attribution du prix Nobel à Liu Xiaobo (en 2010) ou encore la COP15 à Copenhague (la 15e conférence des parties de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques), la Chine a choisi de remettre en cause l’ordre régional et mondial. En ce qui concerne la mer de Chine méridionale, en 2010 encore, la Chine a préféré camper sur ses positions, invoquant à de nombreuses reprises ses « intérêts fondamentaux » (expression qui désignait à l’époque les intérêts liés à sa souveraineté territoriale et à sa sécurité nationale, sur lesquels aucun compromis n’était négociable).

Étant donné l’attitude chinoise, on peut légitimement se dire que Barack Obama aurait peiné à proposer de nouveau son projet de G2. Malgré tout, la stratégie américaine consistant à faire de la Chine un pays ayant des responsabilités au niveau mondial n’a subi aucun changement, laissant intacts les fondements de la politique d’implication et de limitation des risques.

La mer de Chine méridionale, source de tensions

En 2012, l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping n’a pas provoqué de changements fondamentaux dans la politique des États-Unis, du moins au début. Le président Obama a accueilli son homologue chinois en Californie pour une réunion. Contrairement à Hu Jintao, Xi Jinping était loin d’être réticent à l’idée d’un G2. Cette fois pourtant, ce projet n’aurait pas été évoqué par les États-Unis. La Chine a alors proposé un « nouveau modèle de relations entre les grandes puissances », auquel les États-Unis n’ont pas répondu clairement.

On peut néanmoins estimer que le gouvernement américain a continué à respecter la puissance de la Chine, engendrant l’avènement progressif d’une ère dominée par ces deux grands pays. Les discussions stratégiques, entre autres, leur ont permis de créer un solide cadre de coopération aux nombreuses ramifications.

Cependant, en 2015, certains agissements de la Chine, comme la construction de bases militaires en mer de Chine méridionale, ont suscité la défiance des États-Unis. Ces derniers ont alors adopté une politique de totale liberté de circulation dans ces eaux, sans que cela ait d’impact sur la position de la Chine. Toutefois, presque au même moment, les Américains ont déployé un autre bâtiment de guerre au large de Shanghai dans le cadre de manœuvres militaires conjointes, et ont invité la Chine à rejoindre le RIMPAC (les exercices militaires dans le bassin du Pacifique). Les États-Unis ont donc maintenu leur politique d’implication et de limitation des risques.

Une absence de maîtrise de l’action chinoise

Cependant, aux yeux des Chinois, ces stratégies du gouvernement américain ne sont-elles pas une simple alternance de mesures tantôt strictes, tantôt douces, qui ne posent pas réellement problème, puisque des actions de coopération suivraient nécessairement celles de limitation des risques ?

Constatant que la Chine ne comptait pas arrêter sa construction de bases militaires en mer de Chine méridionale, les États-Unis, tout en poursuivant leur politique de libre circulation dans ces eaux, ont dépêché en Chine la conseillère présidentielle Susan Rice afin d’engager des pourparlers, après le vote de la Cour permanente d’arbitrage en juillet 2016. Par ailleurs, lors du G20 de septembre à Hangzhou, le président Obama et son homologue chinois Xi Jinping ont ratifié les accords de Paris au cours de la première journée, mais pendant la deuxième journée, ils se sont vivement affrontés sur la question de la mer de Chine méridionale. Pour autant, cela n’a pas permis de faire reculer la Chine, et le climat entre ces deux puissances reste tendu, comme le montre, entre autres, la capture d’un drone sous-marin américain par la Chine en décembre de la même année.

Au vu de l’état des relations diplomatiques américaines avec les régions voisines de la Chine, par exemple la Corée ou les Philippines, on peut difficilement affirmer que l’administration Obama a mené une gestion satisfaisante des relations avec ses alliés dans le Pacifique ouest.

Donald Trump indécis dans ses rapports avec la Chine

L’administration Trump, désormais aux rênes de la politique américaine, va-t-elle maintenir les choix diplomatiques de son prédécesseur ? Pendant sa campagne, le candidat Trump n’a pas systématiquement fustigé la politique étrangère de l’administration Obama. Cependant, en clamant « L’Amérique d’abord » et en promettant de se retirer du TPP, il a clairement fait comprendre que l’unilatéralisme prendrait le pas sur l’internationalisme. Il s’est également prononcé pour une participation financière accrue des nations alliées en matière de sécurité, et, sur le plan économique, pour une taxation renforcée des importations de produits chinois.

Néanmoins, la possibilité existait qu’il passe divers accords avec des dirigeants étrangers. Dans ce contexte, on considérait que l’arrivée au pouvoir de M. Trump serait favorable à la Chine sur le plan sécuritaire, mais défavorable sur le plan économique. On estimait également que la candidate Hillary Clinton adopterait une attitude encore plus sévère que Barack Obama vis-à-vis de la Chine, ce qui faisait de M. Trump un partenaire plus flexible que sa rivale.

Après son élection, M. Trump a commencé à s’éloigner de son discours de candidat. Son intention de se retirer du TPP, affichée lors de son entretien avec le Premier ministre japonais Abe Shinzo en novembre 2016, reprenait l’un de ses engagements de campagne, mais certaines de ses actions ont surpris, comme par exemple son entretien téléphonique de décembre avec la présidente taïwanaise Tsai Ing-wen ou ses propos provocants sur le principe de la « Chine unique ».

Du côté du personnel de la nouvelle administration, M. Trump a choisi comme ambassadeur en Chine le gouverneur de l’Iowa, Terry Brandstad, réputé proche de Xi Jinping. Il a cependant nommé au poste de secrétaire d’État le directeur exécutif d’Exxon Mobil, Rex Tillerson, un homme dépourvu d’expérience diplomatique mais qui a participé aux négociations avec la Chine sur la question de l’exploitation des gisements de gaz en mer de Chine méridionale. Le président élu a d’ailleurs critiqué à plusieurs reprises la Chine sur le dossier de la mer de Chine méridionale, à commencer par le problème de la capture du drone sous-marin américain, et il s’est également montré favorable à la stratégie de libre circulation dans ces eaux.

Ces paroles et ces actes montrent que la politique de M. Trump vis-à-vis de la Chine manque de réflexion, et que rien ne permet d’affirmer laquelle de ces deux grandes puissances se trouve en position de force ou de faiblesse. De plus, l’entretien téléphonique avec la présidente taïwanaise Tsai a révélé chez M. Trump une tendance à suivre à la volée les propositions d’une partie de ses conseillers et, de fait, une vision fluctuante. L’exercice du pouvoir apportera peut-être une certaine stabilité.

Quel avenir pour la politique chinoise du Japon ?

À ce stade, il est difficile de prévoir quelle sera la politique du nouveau président américain envers la Chine. Toutefois, certaines certitudes existent.

Premièrement, le gouvernement Trump va-t-il maintenir la politique d’implication et de limitation des risques traditionnellement appliquée par les États-Unis ? La mise en œuvre de cette stratégie demande une vision. En clair, il est nécessaire de déterminer quel rôle on souhaite attribuer à la Chine (par exemple, en faire un pays ayant des responsabilités mondiales), ou quel monde on désire bâtir, et quelle place y aurait la Chine.

Si l’administration Trump décide de tabler totalement sur une politique unilatérale, cela engendrera certainement d’importants changements dans les relations avec la Chine. Mais en réalité, cette volonté d’unilatéralisme consiste sans doute surtout à faire passer en premier l’intérêt national, et non à renier tout internationalisme. En ce sens, on peut estimer que la stratégie d’implication et de limitation des risques sera en partie maintenue. Il est néanmoins possible que sur certains points, des accords interviennent ou des actions diplomatiques soient subitement décidées. Le Japon doit se tenir prêt à ces éventualités et maintenir un dialogue étroit avec ses interlocuteurs.

Deuxièmement, se pose la question de l’unilatéralisme et de l’internationalisme. Un renoncement total à l’internationalisme est impensable. Dans les faits, les États-Unis prendront sans doute leurs distances vis-à-vis des domaines ou des régions qui ne leur rapporteront aucun profit. Il est crucial pour le Japon d’évaluer précisément lesquels sont concernés, et dans quelle mesure.

Dans un tel cas de figure, la Chine profitera-t-elle du recul des États-Unis pour s’engouffrer dans la brèche et, dans le cadre de l’internationalisme, investir le rôle de leader à leur place ? Ou bien va-t-elle, comme eux, tendre encore davantage à l’unilatéralisme ? Ces décisions auront de lourdes conséquences pour les relations nippo-chinoises. Si le Japon décide de soutenir l’internationalisme, il pourrait avoir à consentir des efforts pour faire perdurer cette conception du monde, main dans la main avec l’Allemagne et, par moments, en coopération avec la Chine.

Le dernier point porte sur l’éventuelle conclusion d’un accord entre les États-Unis et la Chine. Cela dépendra de la stance diplomatique de l’administration Trump envers la Russie. La récente solidité des liens sino-russes s’explique par les sanctions imposées à cette dernière par les pays occidentaux. Mais un réchauffement des relations entre les États-Unis et la Russie aurait un impact sur les relations entre la Chine et la Russie. Quels accords sino-américains pourraient voir le jour dans ce jeu diplomatique entre grandes puissances ?

Le principe de « Chine unique » sera-t-il respecté ?

La Chine s’inquiète aujourd’hui de la relation entre Taïwan et les États-Unis, ou plutôt de l’avenir du principe de « Chine unique ». Cette question est intimement liée au Consensus de 1992 par lequel la Chine et Taïwan reconnaissent appartenir à une seule Chine. En un mot, si les États-Unis ou Taïwan venaient à réfuter ce principe, cela ébranlerait non seulement les relations sino-américaines mais également les relations entre Taïwan et la Chine.

L’entretien téléphonique entre Trump et la présidente taïwanaise Tsai aurait été motivé entre autres par la volonté de Taïwan d’acheter des armes aux États-Unis, mais une question persiste : Donald Trump, désormais président, va-t-il à nouveau aborder le sujet de la « Chine unique » ? N’oublions pas qu’une évolution sur ce point aurait des conséquences importantes sur le Japon, qui a lui aussi bâti ses relations avec la Chine et Taïwan sur ce principe de « Chine unique ».

(D’après un original japonais du 10 janvier 2017. Photo du titre : le président élu Donald Trump (à droite) et le gouverneur de l’Iowa Terry Branstad (à gauche) lors d'un rassemblement à Des Moines le 8 décembre 2016. © AP / Aflo.)

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