Les États-Unis de Trump et le Japon

Quel impact les politiques de Trump ont-elles sur l’économie japonaise ?

Économie

Depuis l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis, les conjectures sur sa politique économique ont provoqué une hausse conjointe du cours des actions, des taux d’intérêt et du dollar. Le spécialiste de l’économie Itoh Motoshige s’interroge ici sur l’impact que ces politiques peuvent exercer sur le Japon.

La dévaluation du yen consécutive à l’élection

Les cours des actions et les taux de changes ont enregistré de fortes variations au lendemain du 8 novembre 2016, jour de l’élection présidentielle aux États-Unis. La confusion régnant ce jour-là à l’annonce de la victoire de Donald Trump a provoqué une forte hausse des cours des actions et de la valeur du dollar par rapport au yen. Ces fluctuations reflétaient les attentes que suscitait la politique macroéconomique du gouvernement Trump.

Scoring the Trump Economic Plan (Évaluation du programme économique de Donald Trump), le livre blanc publié en septembre 2016 par Peter Navarro (aujourd’hui directeur du Conseil national du commerce) et Wilbur Ross (aujourd’hui secrétaire au commerce), donne un exposé explicite de ce programme. Celui-ci met l’accent sur la réforme de la politique énergétique en vue de promouvoir les exportations de gaz naturel, sur la déréglementation des marchés financiers, sur une réduction de grande ampleur des impôts sur les sociétés et sur un accroissement des dépenses d’infrastructure et de défense.

Bien entendu, ces politiques ont été conçues dans le feu de l’élection et il n’existe pas de certitude quant à la possibilité de les voir déboucher sur une application concrète ni quant aux mesures que le Congrès acceptera en termes de réductions des impôts ou d’augmentation des dépenses. Si toutefois elles sont mises en œuvre, il ne fait pas de doute qu’elles donneront un grand coup de fouet à l’économie des États-Unis, où l’objectif du plein emploi est déjà près d’être atteint. Cette perspective a déclenché dès l’élection de Donald Trump une envolée des taux d’intérêt américains, avec pour conséquence un renforcement du dollar, lequel s’est traduit du côté japonais par un affaiblissement du yen.

Le renforcement du dollar résulte des politiques de Donald Trump

Le train de mesures économiques va également avoir un impact sur la politique monétaire des États-Unis. Le 15 mars, la Réserve fédérale (Fed) a procédé à un relèvement des taux d’intérêt, mais cette initiative avait été inscrite à l’agenda avant l’entrée de Donald Trump à la Maison blanche. La hausse constituait en effet l’instrument clef pour mettre fin à la période des taux d’intérêt extrêmement bas et de l’assouplissement quantitatif consécutive à la crise financière de 2008.

Si la politique de Donald Trump accélère la hausse des prix et des salaires, les taux d’intérêts vont devoir suivre. Les projecteurs seront braqués sur la Fed pour surveiller la fréquence des hausses des taux sous le gouvernement Trump.

Quoi qu’il en soit, la hausse des taux d’intérêt est désormais une tendance inscrite dans l’économie américaine. Elle va certes contribuer à prévenir une surchauffe de l’économie, mais elle va aussi exacerber la force du dollar et la faiblesse du yen, avec les effets complexes que cela aura sur l’économie japonaise.

Le président Trump, poussé par le désir de mettre un frein à la hausse du dollar, fustige régulièrement les politiques monétaires du Japon, de la Chine et de l’Allemagne. Comme nous le verrons plus loin, cette conjoncture exerce une énorme pression sur la politique financière du Japon et la direction prise par le pays. Il se trouve toutefois que la raison principale de la hausse du dollar ne se trouve ni au Japon, ni en Chine, ni en Allemagne. Elle est à chercher dans les politiques macroéconomiques du gouvernement Trump lui-même.

Remédier à l’écart entre les taux d’intérêt

Pour sortir l’économie japonaise de la déflation, l’arme à laquelle la Banque du Japon se fie aujourd’hui comme hier est l’assouplissement monétaire pur et dur – un mode d’intervention qui, à en croire certaines critiques, finit par affaiblir le yen. Ceci étant, le Japon campe sur la position que l’assouplissement quantitatif joue un rôle essentiel pour éviter la déflation et que son emploi n’a pas pour but de manipuler les taux de change. Dans le même temps, la politique de la BoJ a changé à divers égard.

On peut relever deux grands cas d’assouplissement quantitatif depuis 2013, année où Kuroda Haruhiko est devenu gouverneur de la banque centrale. En continuant de miser sur les achats massifs d’emprunts d’État, la BoJ visait à neutraliser les tendances déflationnistes du marché.

Cette politique a eu des effets bénéfiques, mais son efficacité a commencé à décliner aux environ de l’année 2015, quand il est devenu clair que des changements s’étaient produits dans l’économie mondiale. On retiendra notamment le ralentissement de l’économie chinoise, la stagnation des prix du pétrole brut due au marasme ambiant et la tendance déflationniste à l’œuvre en Europe. Peut-être la hausse de la taxe à la consommation survenue en 2014 au Japon a-t-elle aussi joué un rôle.

C’est pour faire face à cette évolution que la BoJ a décidé de miser sur les ajustements de taux plutôt que sur l’assouplissement. Elle a adopté des taux négatifs au début de l’année 2016, puis, au mois de septembre, introduit un contrôle de la courbe des rendements. Cette dernière mesure visait à maintenir les rendements des emprunts à 10 ans à un niveau proche de 0 %. Le maintien des taux d’intérêts à court terme au dessous de zéro est allé de pair avec la volonté de soutenir les taux à long terme, de façon à ne pas soumettre les entreprises et les établissements financiers à des pressions excessives.

Dans le même temps, les taux d’intérêt à long terme se sont envolés aux États-Unis après l’élection de Donald Trump. Ils se situent aujourd’hui à environ 2,5 %, loin au dessus du niveau japonais, qui peine à dépasser 0 %. Cet écart a bien entendu entraîné une hausse du dollar par rapport au yen. Le dollar, qui s’échangeait contre 100 à 105 yen avant l’élection, dépasse les 110 yens depuis la fin du mois de novembre. Cette situation est propice au Japon dans ses efforts pour sortir de la déflation, mais la perspective d’une aggravation de la faiblesse du yen suscite aussi quelques inquiétudes. Et les reproches de « dévaluation intentionnelle » adressés au Japon par Donald Trump n’arrangent pas les choses.

Un taux de change de 110 à 115 yens pour un dollar est bon pour le Japon, mais le passage à un niveau supérieur n’est souhaitable ni pour les relations du pays avec les États-Unis ni pour son économie. Dans le même temps, il n’est pas facile de prévoir les prochains pas que va faire le gouvernement Trump. Le yen est reparti à la hausse après le 24 mars après que le président a retiré son soutien au Affordable Care Act (la Loi sur les soins à prix abordable), plus connu sous le nom de Obamacare. Ce retournement peut être interprété comme une réaction aux préoccupations du marché quant à la capacité du nouveau gouvernement à mettre ses politiques en œuvre. On voit donc qu’il convient d’envisager aussi bien une hausse qu’une baisse du yen.

En ce qui concerne l’impact que les taux d’intérêt peuvent avoir sur le taux de change, il est essentiel de savoir si la BoJ va maintenir les taux d’intérêt à long terme à un niveau voisin de 0 %. Ce ne sera plus nécessaire si les taux d’intérêt américains continuent d’augmenter et si le Japon parvient à stabiliser l’inflation au dessus de 1 %. Ces considérations n’ont pas encore émané de la BoJ, mais les taux d’intérêt à long terme du Japon vont faire l’objet d’une étroite surveillance.

Des tendances protectionnistes

L’aspect le plus inquiétant du gouvernement Trump réside dans son penchant pour le protectionnisme. Le 23 janvier, juste après son entrée à la Maison blanche, Donald Trump a signé un décret ordonnant le retrait des États-Unis du Partenariat trans-pacifique (TPP). Ses attaques contre des entreprises comme Toyota suscitent aussi des préoccupations quant à la ligne de conduite qu’il entend adopter dans le domaine des échanges.

Le projet de réforme fiscale du gouvernement Trump prévoit l’introduction d’une taxe transfrontalière de 20 % sur les importations. En Europe, il existe une TVA d’environ 20 % sur les produits, et les exportations américaines y sont soumises. Les produits européens exportés aux États-Unis en sont exemptés. Telle est la nature de la taxe, mais le gouvernement Trump considère qu’elle introduit une forme d’iniquité dans les échanges, et c’est la raison pour laquelle il se propose de mettre en place la nouvelle taxe transfrontalière.

Je ne sais pas si cette mesure obtiendra l’approbation du Congrès, indispensable à son application. Mais si un droit de douane de 20 % devait être prélevé sur les importations, ce serait un coup sévère infligé aux constructeurs automobiles japonais, qui exportent de nombreux véhicules aux États-Unis tant depuis le Japon que depuis le Mexique. C’est d’ailleurs à ce risque protectionniste que certains attribuent la stagnation du cours des actions des fabricants d’automobiles japonais depuis l’accès de Donald Trump à la présidence.

Une grande incertitude plane sur la politique commerciale de Donald Trump. S’il tient les engagements pris pendant sa campagne électorale, l’industrie japonaise risque en vérité de connaître des temps difficiles. Mais certains pensent qu’il ne tiendra pas les promesses qu’il a faites pendant la bataille pour les élections. L’abîme qui sépare les points de vue pessimistes et optimistes est le fruit de cette incertitude.

Vers un nouvel accord de libre échange ?

Les entreprises japonaises n’ont pas oublié le conflit commercial qu’elles ont eu avec les États-Unis dans les années 1980 et 1990. Elles savent qu’elles doivent être prêtes à réagir promptement à des initiatives imprévues. Il est en outre essentiel que s’instaure un véritable dialogue au niveau gouvernemental.

C’est avec la Chine et le Mexique que les États-Unis ont leurs plus graves problèmes commerciaux ; pour le moment, il est peu probable qu’ils exercent des pressions directes sur le Japon. Suite à la rencontre de février entre le Premier ministre Abe Shinzô et le président Trump, un processus de négociations entre le vice-premier ministre Asô Tarô et le vice-président Mike Pence va aussi se mettre en place. C’est une bonne nouvelle. On peut espérer qu’il débouchera sur des discussions touchant à divers sujets.

Il sera intéressant de voir si les deux pays engagent des négociations en vue d’un accord de libre échange ou de partenariat économique destiné à se substituer au TPP. Un tel accord avec les États-Unis, principal partenaire commercial du Japon et première destination pour ses investissements, serait très intéressant pour le pays. Dans l’état actuel des choses, il est toutefois difficile de prévoir si le Japon sera en mesure de s’engager dans des négociations en ce qui concerne l’agriculture et d’autres sujets sensibles.

(D’après un original japonais du 5 avril 2017. Photo de titre : Donald Trump s'exprime devant le Congrès américain pour présenter sa vision politique, le 28 février 2017. The New York Times/Aflo)

 

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