Le Covid-19 et la civilisation

Un coronavirus « intelligent » au passé troublant : des similitudes avec des épidémies du XIXème siècle ?

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Le Covid-19 a plongé l’humanité dans la plus grande crise sanitaire jamais vue depuis la pandémie de grippe espagnole de 1918, et en comparant l’histoire du coronavirus et celle des épidémies du passé, on peut constater des similarités troublantes.

La pandémie de Covid-19 s’est rapidement étendue tout autour du globe. C’est certainement le plus incroyable virus rencontré par l’humanité depuis la grippe espagnole qui a fait rage de 1918 à 1920. En comparaison avec les épidémies du passé, notre combat contre le Covid bénéficie de la protection de vaccins développés en un temps record, mais comme pour se moquer de nos efforts, le virus a continué à muter.

Il est étonnant de constater qu’au XXIe siècle, l’humanité se trouve à la merci d’un virus d’une taille de moins d’un dix-millième de millimètre, qui a complètement bouleversé nos vies et même réussi à fragiliser l’économie mondiale. En vérité, le Covid est un virus au passé inimaginable.

Un virus « intelligent » avec les humains ?

Un ami français, que j’ai connu lors d’un travail pour une agence des Nations unies en Afrique, a récemment visité le Japon avec sa femme alors qu’il était en vacances. C’était à l’automne 2021, et le Japon connaissait alors une petite période de répit après sa cinquième vague épidémique. Tel un « chasseur de virus », mon ami traque des agents infectieux en Afrique, et dans le cadre de son rôle en tant que membre de l’Organisation mondiale de la santé, il a passé des années à étudier les virus mortels qui causent Ebola, la fièvre Lassa, et la maladie à virus Marburg (MVM), ainsi que les organismes qui les accueillent.

Il m’est arrivé une fois de participer à l’une de ses « chasses ». Parés d’une combinaison Hazmat sous les tropiques humides de l’Afrique de l’ouest, nous avons pénétré dans la jungle tropicale où nous avons attiré des chauves-souris dans des pièges, attrapé des insectes au filet tout en étant recouverts de boue et acheté de la viande de singe dans des marchés profondément enfouis dans la forêt. Tout ça afin d’étudier les virus contenus par ces organismes. J’étais en admiration devant la façon dont mon ami se dédiait à ses recherche. Le titre de « chasseur » lui va à merveille.

Je l’ai revu récemment, et notre conversation s’est naturellement concentrée sur le Covid-19. J’étais alors convaincu que le virus SARS-CoV-2 faisait preuve d’une étonnante intelligence dans ses interactions avec les humains, et quand j’ai évoqué ce constat avec lui, il a acquiescé de la tête. Un exemple : alors que la grippe a une période d’incubation de un à trois jours, le Covid-19 peut se faire discret pendant près de deux semaines, et un peu moins de 20 % des infectés ne manifestent aucun symptôme… bien qu’ils soient contagieux ! Ce virus est rusé, c’est incontestable. À chaque fois qu’il y a une forte baisse du nombre de cas, qui pourrait faire penser que le Covid est en train de disparaître pour de bon, une nouvelle vague s’abat sur le monde…

Le Covid-19 s’attaquait au départ aux personnes âgées et vulnérables. Toutefois, alors que ce groupe venait de se faire vacciner et que les gens commençaient enfin à se détendre, le virus a commencé à se répandre parmi les jeunes. Plus tard, une fois ce groupe vacciné à son tour, une nouvelle souche résistante à cette protection est apparue. C’est comme si le Covid-19 avait une pensée propre et qu’il jouait avec nous. On pourrait même être tenté de dire que le virus se maintient à une distance calculée des populations humaines : qu’il les tourmente sans vouloir les éliminer.

Plus tard, j’ai moi-même été contaminé. Si mes symptômes étaient relativement bénins, j’ai quand même perdu le sens du goût et de l’odorat, et j’ai souffert 10 jours sans pouvoir apprécier la saveur du moindre aliment. La grippe peut aussi affecter les sens des malades, mais à un bien moindre niveau. Entre 40 et 60 % des personnes infectées par le Covid-19 ont vu leur palais et leur nez affligés de cette perte de sensation, ce qui représente une proportion bien plus haute que celle constatée dans le cadre des autres maladies infectieuses.

Les virus à ADN et à ARN

Les virus ont une structure simple qui est composée d’informations génétiques contenues dans une carapace, ou une membrane. Ils peuvent faire de 1/100 à 1/1 000 de la taille d’un grain de pollen, et existent en une telle variété de forme que l’on peut parfois même se demander s’ils font partie de la même famille.

Ils sont divisés en deux catégories principales en fonction de leur composition. Les virus ADN (acide désoxyribonucléique) envahissent en général le noyau des cellules de l’organisme infecté avant d’utiliser l’oxygène de ces cellules pour copier leur propre ADN, de façon à ce qu’elles puissent se reproduire. Les virus ARN (acide ribonucléique) ne peuvent pas pour leur part forcer leurs hôtes à produire des copies virales. À la place, ils utilisent leur propre information génétique pour se multiplier au sein des cellules hôtes.

Contrairement aux germes, les virus sont incapables de synthétiser les protéines. Par conséquent, afin de se reproduire, un virus doit envahir les cellules de l’organisme hôte avec un modèle ADN ou ARN qui permettra de générer un grand nombre de copies virales. Les cellules infectées disparaissent ensuite, n’étant plus capable de produire de protéines. Voici ce qu’est l’infection virale.

Les virus ADN plus familiers incluent les adénovirus (vecteurs des rhumes), le virus de l’herpès (responsable entre autre de la varicelle), et le papillomavirus humain (l’une des causes du cancer du col de l’utérus). Les virus ARN sont de leur côté très variés et souvent sujets à des mutations, ce qui les rend plus difficile à gérer et multiplie les risques de les voir faire des ravages dans une communauté. Le Covid-19 est un membre de la famille des virus ARN qui incluent la grippe, la rubéole, l’hépatite C et le VIH.

Les mots de Darwin s’adaptent au Covid

Lorsque les virus se reproduisent en copiant leurs gènes, des erreurs de transmission peuvent parfois causer des changements dans cette information génétique. On dit que de telles modifications arrivent environ une fois par million de copies, avec parfois des erreurs significatives qui peuvent entraîner des mutations. On pense que cette caractéristique est en réalité une stratégie de survie qui permet aux virus de s’adapter aux changements environnementaux en modifiant leur information génétique. Si un vaccin peut bien conférer une immunité contre un virus, ce dernier va ensuite subir un nombre presque infini de mutations, et quand l’une d’entre elles est capable d’échapper au vaccin, la maladie peut à nouveau se diffuser.

Dans son livre L’Origine des espèces, Charles Darwin écrit : « Peu importe la cause de chaque infime différence entre la progéniture et ses parents (et une cause pour chacune d’entre elles doit exister), c’est l’accumulation constante, à travers la sélection naturelle, de telles différences, qui bénéficie à l’individu, et qui donne naissance à toutes les modifications plus importantes de structure, par lesquelles les innombrables créatures de la Terre peuvent lutter les unes contre les autres, et dont les meilleures se sont adaptées pour survivre. »

C’est exactement la stratégie qui est employée par le Covid-19 aujourd’hui.

Se pencher sur les vieux documents

Mon ami français chasseur de virus m’a déclaré, avec son intuition de spécialiste, que cela faisait à son avis un certain temps que le Covid causait des dégâts. En tant que chercheur, je me sentais obligé de fouiller davantage le sujet.

Grâce aux avancées récentes en séquençage de génome et en analyse ADN, la recherche sur les origines des virus, des bactéries et d’autres micro-organismes a donné des résultats impressionnants. Bien que des progrès significatifs aient été faits en analyse au niveau génétique, quand on enquête sur les pandémies du XIXe siècle et antérieures, puisque nul échantillon de virus ou de tissu d’hôte infecté n’est disponible, nous sommes obligés de nous appuyer sur des preuves circonstancielles, sur des archives de l’époque, des journaux personnels, et d’autres sources qu’on peut qualifier de « low-tech ».

J’ai donc commencé à lire des journaux médicaux, des livres sur l’histoire des maladies, et de vieux magazines de long en large. J’étais reconnaissant envers le formidable progrès des recherches sur internet effectué depuis les dernières décennies, et qui me permettait d’obtenir de larges quantités d’informations pertinentes.

Parce que la présentation initiale du Covid-19 est similaire à celle de la grippe, il est possible que dans le passé, d’autres pandémies de coronavirus aient été confondues avec cette maladie. En dépoussiérant les informations sur les épidémies de grippe, je suis tombé sur celle de 1889, connu comme la pire du XIXe siècle. De nombreuses vagues d’infection au cours de périodes de plusieurs années ont entraîné une multitude de décès causés par des pneumonies partout dans le monde.

La pandémie qui a ravagé l’Empire russe : le coronavirus responsable ?

Le noyau de l’épidémie était Boukhara, qui fait aujourd’hui partie de l’Ouzbékistan, mais qui était à l’époque dans l’Empire russe. Véritable oasis qui avait prospéré depuis les temps anciens grâce à son statut de point d’arrêt stratégique sur la Route de la soie, la vieille ville de Boukhara contient de nombreux immeubles historiques et est désignée site du patrimoine culturel mondial.

À cette période, l’Europe était en train d’inaugurer l’âge des bateaux et des trains à vapeurs, étendant ainsi son réseau de voyage. Boukhara était une importante gare du chemin de fer transcaspien, ouverte en 1879 par l’Empire russe qui contrôlait la région. Joignant la côte est de la mer Caspienne jusqu’à Samarcande, le chemin de fer traversait l’Ouzbékistan.

« Train sur le chemin de fer transcaspien » pris par le photographe français Gaspard-Félix Tournachon en 1890.
« Train sur le chemin de fer transcaspien » pris par le photographe français Gaspard-Félix Tournachon en 1890.

La route du chemin de fer transcaspien

Le chemin de fer a permis une augmentation significative des exportations de cotons vers l’Europe, tandis que les bois de charpente, l’acier et les matériaux de construction ont afflué vers l’Asie centrale, stimulant le développement de la région. Cependant, cette augmentation rapide du mouvement des populations et des commodités a créé des conditions qui ont permis aux virus de se diffuser rapidement.

En octobre 1889, une épidémie massive parmi les résidents de Prague a rempli les hôpitaux pendant des jours, obligeant la ville à reporter, presque quotidiennement, un nombre élevé de décès. Le virus s’est ensuite diffusé dans toute la Russie, et les archives suggèrent qu’environ 20 % du million de résidents de Saint Petersbourg ont été infectés, et que beaucoup d’entre eux avaient des symptômes semblables à ceux d’une pneumonie. Dans les épidémies qui ont suivi, le virus s’est diffusé aux jeunes étudiants et aux travailleurs, entraînant la fermeture des écoles et des usines.

L’épidémie s’était propagée par les chemins de fer et les bâteaux à vapeur. La première vague avait eu lieu entre octobre 1889 et décembre 1890, la seconde entre mars et juin 1891, et la troisième à partir de novembre 1891 jusqu’à juin 1892, avant que le virus ne prenne un bref répit avant de frapper à nouveau pour une quatrième et dernière vague qui a eu lieu de 1893 à 1895.

De nombreuses archives de cette période décrivent un rhume étrange qui résultait en une disparition du goût et de l’odorat. De nombreux patients se sont aussi plaints d’une fatigue prolongée qui a duré au-delà de leur période de rétablissement de l’infection initiale, et ont été affligés de symptômes très similaires à ceux du Covid-19 que nous connaissons actuellement...

(Photo de titre : un centre de dépistage du Covid-19 aux Émirats arabes unis, en août 2020 © Francois Nel/Getty Images)

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