Hiroshima, ville hôte du sommet du G7 en 2023

Et si les armes nucléaires étaient de nouveau utilisées ? Réfléchissons à cette question pour le G7 à Hiroshima

Politique International

À quoi devraient penser les chefs d’État du G7 qui se réunissent à Hiroshima du 19 au 21 mai, dans cette ville qui a connu le feu nucléaire ? Et que devraient-ils faire ? L’auteur, qui a couvert comme reporter des zones de conflits dans le monde entier et fait actuellement des recherches sur la question des armes atomiques, propose des pistes.

Que se passerait-il si une bombe atomique était larguée sur Hiroshima pendant le sommet du G7 ?

Vous, qui lisez cet article, pensez peut-être à Hiroshima comme à un endroit éloigné qui ne vous concerne pas directement. Vous savez certes que l’armée américaine en a fait la première cible civile d’une bombe atomique en 1945, mais ce n’est pas un événement que vous ressentez directement dans votre chair.

Hiroshima est l’une des principales destinations touristiques du Japon, et si vous y êtes allés vous vous souvenez certainement du grand portique torii les pieds dans l’eau devant l’île de Miyajima, l’autre site de la préfecture de Hiroshima inscrit au patrimoine mondial avec le Dôme de la bombe atomique. En d’autres termes, le bombardement n’est peut-être pour certains qu’une ligne d’histoire présentée dans les guides touristiques. Somme toute, il n’est pas étonnant que la ville de Hiroshima ne soit considérée que comme une page d’histoire tragique d’une guerre lointaine.

Or, ce serait une erreur de croire que ce qui s’est passé à Hiroshima en ce 6 août 1945 et à Nagasaki trois jours plus tard ne vous concerne pas directement.

À partir du 19 mai se tient à Hiroshima le sommet des chefs d’État « occidentaux » du G7. Certains de ces pays sont dotés de l’arme nucléaire : les États-Unis, le Royaume-Uni et la France. Ici, je voudrais leur proposer de réfléchir à une hypothèse : que se passerait-il si une bombe atomique était larguée sur la ville pendant le sommet ?

Je ne cesse de me poser cette question. D’autant plus qu’il y a environ un an, le président russe Vladimir Poutine, qui a envahi l’Ukraine, a ouvertement déclaré de façon menaçante qu’il n’hésiterait pas à utiliser des armes nucléaires.

La guerre comme un cancer

Après avoir été reporter et journaliste pendant 33 ans, je rédige actuellement une thèse de doctorat en tant que chercheur en études sur la paix et les relations internationales à Hiroshima. Ma recherche porte sur les armements nucléaires.

En tant que reporter, j’ai visité de nombreux sites de conflits et des points chauds dans le monde entier dans l’ère de l’après-guerre froide. Les essais nucléaires pakistanais, les frappes aériennes de l’OTAN dans les conflits du Kosovo et l’Irak, un bourbier dans lequel les forces américaines se sont enlisées… Plus récemment, j’étais sur le terrain lorsque la Russie a annexé la Crimée à l’Ukraine en 2014 et que les combats ont commencé entre les forces « indépendantistes » pro-russes et les troupes ukrainiennes dans la région du Donbass.

Dans mon idée, la guerre est à la société humaine ce que le cancer est au corps d’un individu. Désirer fortement que le cancer s’en aille ne le fera pas disparaître. Il nous faut connaître le mécanisme de son émergence. De la même manière, la connaissance de la guerre et de ses mécanismes constitue la direction à suivre pour la tenir à distance. Et c’est là que la contribution des journalistes et des chercheurs en relations internationales peut être utile.

Les hibakusha lancent un appel pour l’interdiction des armes nucléaires

Il y a plus de 30 ans, j’ai débuté comme reporter à Nagasaki, la seule ville qui, avec Hiroshima, a été frappée par la bombe atomique. C’est là que j’ai rencontré Itô Akihiko, lui aussi journaliste, qui a consacré sa vie à interroger les survivants de la bombe atomique. M. Itô a commencé à couvrir les dommages causés par la bombe atomique en tant que reporter pour une station de radio dans les années 1960, et après avoir quitté son emploi en 1970, il a travaillé de manière totalement bénévole, interrogeant les habitants de Hiroshima et de Nagasaki qui avaient été exposés aux radiations, recueillant les voix de 1 003 personnes.

Avant sa mort, M. Itô m’a parlé. Il m’a dit que si une seule des milliers d’ogives nucléaires encore existantes dans le monde était utilisée, l’appel des survivants de la bombe A « N’utilisez plus ces armes après nous » aura été inutile. Le sentiment de crise était très fort.

Le même sentiment de crise me semble à nouveau présent.

Les victimes sont surtout des citoyens ordinaires et des enfants

Lorsque l’on se trouve à Hiroshima aujourd’hui, ce que l’on voit est l’image même de la paix. À quelques minutes à pied au sud de l’hypocentre se trouve « l’avenue de la Paix » (Heiwa-ôdôri). Cette avenue à l’atmosphère calme et à l’épaisse végétation donne l’illusion que les gens y mènent une vie paisible depuis longtemps, comme une évidence.

Mais l’existence même de cette avenue est un produit de la guerre. C’est aussi une voie symbolique qui résume l’inhumanité de la bombe atomique.

Jusqu’en 1945, alors que les bombardements conventionnels (raids aériens) menés par l’armée américaine contre le Japon avaient ravagé les zones urbaines, y compris les villes petites et moyennes, Hiroshima était restée exceptionnellement en grande partie indemne.

Pourtant, il était facile de prévoir que cette ville allait un jour devenir une cible. En prévision, les autorités militaires japonaises avaient décidé de démolir une partie du centre-ville de Hiroshima pour dégager une vaste zone anti-feu et une voie d’évacuation. C’est cette zone qui forme aujourd’hui l’avenue de la Paix.

Autour du Parc mémorial de la Paix de Hiroshima

Alors que la guerre touche à sa fin et que la plupart des hommes adultes en âge de servir ont déjà été enrôlés dans l’effort de guerre, un grand nombre d’anciens élèves des écoles secondaires et des écoles de filles ont été mobilisés pour aider à évacuer les débris des maisons détruites. Le matin du 6 août 1945 aussi, ils sont rassemblés sur place et s’apprêtent à commencer leur travail.

Ainsi, lorsque la bombe a explosé dans le ciel, il y avait un nombre disproportionné d’adolescents dans la zone immédiate de l’hypocentre, par rapport à la population habituelle. Au moins 6 000 élèves sont morts. Des monuments spécifiques des diverses écoles présents actuellement sur l’avenue de la Paix le rappellent, à proximité de là où ils travaillaient.

Un nombre extraordinaire d’enfants et de personnes qui n’avaient rien à voir avec l’armée ont été tués. Telle est l’essence de la première utilisation des armes nucléaires à Hiroshima et Nagasaki.

Amplement de quoi anéantir la race humaine sur la surface de la Terre...

En fait, même les données élémentaires sur le nombre de personnes tuées à Hiroshima et Nagasaki par les bombes atomiques sont imprécises à ce jour. Les données de l’époque ont été détruites. En d’autres termes, des victimes sont mortes sans même la dignité de terminer leur vie en tant qu’êtres humains dotés d’un nom. C’est un exemple parlant de la nature intrinsèquement aveugle des armes nucléaires.

Une autre caractéristique de l’inhumanité des armes nucléaires est qu’elles causent des dommages au-delà du temps de leur emploi stratégique. De nombreuses personnes qui avaient survécu et semblaient épargnées après les bombardements, sont décédées ou sont tombées malades de nombreuses années plus tard.

Les armes nucléaires ne sont pas de « grosses bombes utilisées il y a longtemps ». Ces armes sont toujours déployées. Et elles causeraient « des dommages inhumains sur le long terme » avec d’importants dommages collatéraux civils. Il existe encore plus de 12 000 têtes nucléaires dans le monde. Amplement de quoi anéantir la race humaine sur la surface de la Terre.

La question des armes nucléaires peut donc bien vous toucher très personnellement. La question de savoir ce qui se passerait en cas d’utilisation d’armes nucléaires concerne directement l’ensemble de l’humanité.

Êtes-vous prêts à signer un « contrat d’assurance » sur la bombe nucléaire ?

Les gouvernements des États dotés de l’arme nucléaire nous expliquent que leur possession se justifie par un effet de dissuasion, et qu’ils n’ont pas l’intention de les utiliser les premiers. Cela donne un semblant de justification à l’idée que l’arme nucléaire, dans un monde où des gens comme Vladimir Poutine, dont personne ne sait ce qu’ils sont capables de faire, serait une sorte d’assurance « au cas où ».

Souhaiter souscrire une assurance contre les risques qui vous entourent, pour avoir l’esprit tranquille en cas d’urgence est certes compréhensible. Mais si le contrat indique en tous petits caractères que le coût de cette assurance s’élèvera à des dizaines ou des centaines de milliers de victimes, êtes-vous encore si pressés de signer ?

Ce qu’il faut considérer en premier lieu, ce sont les « dommages » des armes nucléaires pour la vie des gens ordinaires. Les témoignages des victimes des bombardements atomiques de Hiroshima et de Nagasaki en août 1945 constitue le meilleur argument en faveur d’une éradication de ces armes.

Les dirigeants du G7 se réuniront à Hiroshima et condamneront solennellement les menaces nucléaires de la Russie. Selon certaines informations, une visite du Musée de la bombe A est envisagée. C’est très bien, mais j’espère qu’ils se rendront compte qu’il s’agit là de l’essence même des conséquences inhumaines de l’utilisation des armes nucléaires.

Venez constater les dégâts vous-mêmes !

Le fait que les armes nucléaires n’aient plus été utilisées depuis 78 ans est un point important. Cependant, leur nature très particulière a conduit à la création d’un mythe selon lequel la possession de telles armes est en soi un symbole du statut de grande puissance.

Je voudrais donc lancer un appel aux dirigeants du G7 pour qu’ils adoptent une ligne de conduite minimale. Que se passe-t-il en cas d’utilisation d’armes nucléaires ? Lorsque vous viendrez à Hiroshima, venez le constater par vous-même. Lorsque vous discuterez des armes nucléaires et déciderez d’une ligne politique, gardez cela à l’esprit. La réponse à la question de savoir comment les armes nucléaires doivent être gérées s’éclairera naturellement.

(Photo de titre : le Hall de la promotion industrielle de Hiroshima, devenu le symbole de la tragédie et depuis appelé Dôme de la bombe atomique. Photo prise par l’armée américaine en novembre 1945. Avec l’aimable autorisation du Musée de Hiroshima pour la paix.)

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