Le grand incendie de forêt du Sanriku en 1961 : les leçons ont-elles été tirées aujourd’hui ?
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Quelles sont les causes ?
Le grand incendie du Sanriku, sur la côte Pacifique du nord-est du pays, s’est déclaré le 29 mai 1961. Selon les archives de sinistres de la ville de Miyako, la région vivait la pire période de sécheresse depuis 75 ans. La catastrophe est en partie due à l’effet de Foehn (qui libère un vent sec et chaud), responsable aussi d’importants incendies en Californie du Sud en janvier 2025, ainsi que, à plus petite échelle, ceux d’Ôfunato, dans la préfecture d’Iwate, en mars 2025. La Californie du sud n’avait pas vu sa saison pluvieuse habituelle en automne dernier et n’avait quasiment pas eu de précipitations depuis avril 2024. Au Japon aussi, l’hiver dernier a été le plus sec depuis les premières statistiques en 1946.
Un rapport sur les incendies de la région du Sanriku en 1961, établi par le laboratoire des forêts du ministère de l’Agriculture, déclare qu’une zone de basse pression atmosphérique dans la foulée du typhon Betty, accompagnée d’un front froid, a déclenché des vents chauds avec des rafales allant jusqu’à 110 km/h. C’est dans de telles conditions que l’incendie s’est produit sur 14 sites, recouvrant des forêts, mais aussi des champs cultivés, des habitations, et des mines. Ce désastre a fait 5 morts, 122 blessés, et a entièrement détruit 587 structures. Une superficie de 260 kilomètres carrés a été anéantie, une perte encore plus grande que les 200 kilomètres carrés brûlés en Californie dans les derniers feux.
Les incendies du Sanriku s’étaient produits à l’origine avant le 29 mai et semblaient avoir été maitrisés, mais ils s’étaient ravivés par des vents secs et violents. Cinq des onze incendies ont été provoqués par des brasiers, un sixième par la chute d’un arbre sur un tas de charbons, mais les autres sont restés d’origine inconnue bien que la possibilité de mégots avait été évoquée dans le rapport. Ce n’est que le 1er juin que les feux ont pu être complètement éteints, une pluie fine ayant aidé à l’extinction.
Mettre les générations futures en garde
Il existe deux monuments commémoratifs de l’incendie dans la ville de Miyako. L’un d’entre eux se trouve dans le quartier de Sakiyama, à environ 500 mètres de la mer, le long d’une route, et l’autre sur une colline boisée près de la route préfectorale 40, à trois kilomètres à l’intérieur des terres. Les monuments ont été érigés par les résidents en 1981, lors du vingtième anniversaire de l’incendie, pour mettre en garde les générations futures.

La stèle commémorative sur la colline boisée à Miyako (préfecture d’Iwate)
C’est la partie nord du quartier de Sakiyama, qui faisait partie de la ville de Tarô à l’époque, mais a rejoint Miyako en 2005, qui a été la plus touchée. Sakiyama était connu pour la grande mine de Tarô où on exploitait le cuivre, le sulfure de fer et le zinc. La cité minière avait 4 000 habitants, des boutiques, un cinéma, une école et une clinique médicale. Tout a été détruit par l’incendie. Les mineurs étaient convaincus que l’exploitation sera fermée et qu’ils perdront leur travail, mais le propriétaire a restoré le site au coût considérable de 1,1 milliard de yens. Il a rouvert en décembre 1961.

Une photo de l’incendie du Sanriku, tirée des archives des catastrophes de la ville de Miyako. (Avec l’aimable autorisation du gouvernement municipal de Miyako)

Le feu a envahi les collines boisées desséchées. (Avec l’aimable autorisation du gouvernement municipal de Miyako)
Sauve qui peut
Maintenant âgé de 77 ans, Maekawa Hisashi avait 13 ans au moment de l’incendie du Sanriku. Il a grandi à Onatsupe, dans la région de Tarô, où se trouve la stèle commémorative au bord de la route. En partant à l’école ce matin-là, Maekawa remarque de la fumée dans les collines mais n’y paie pas vraiment attention. En rentrant de l’école, il trouve un mot de sa mère lui disant de ne pas allumer le poêle.
Le feu de forêt était visible avant la tombée de la nuit, et sa famille commence à faire des réserves d’eau de la rivière, mais le feu se rapproche et il faut partir. Onatsupe étant entouré de collines sur trois côtés, la plage est leur seul recours pour y échapper. Le vent est tellement violent que les villageois peuvent à peine se tenir debout. Maekawa se souvient avoir été paralysé de peur, et presque incapable de respirer avec toute la poussière et la fumée.
Une fois le vent tombé tard dans la nuit, les villageois se déplacent vers un endroit qui leur semble plus sûr que la plage. Lorsque Maekawa y retourne plus tard, il découvre un monde de cendres et d’arbres calcinés, sans aucune verdure, et les restes brûlés des vaches, chèvres, poules, et même du chien de la maison. Il n’y a que le chat qui réapparait un mois plus tard avec des brûlures aux oreilles.

Maekawa Hisashi devant la stèle commémorative au bord de la route
Maekawa et sa famille se servent toujours de l’eau du ruisseau au quotidien, mais il dit que le niveau est particulièrement bas cette année 2025. Il fait régulièrement le tour des collines avoisinantes pour observer et aussi récupérer du bois, et il voit que tout est très sec en ce moment. Il est catégorique sur le besoin de faire très attention avec le feu et surtout de ne pas jeter de mégots.
Des stratégies particulières pour gérer les zones périurbaines
Plus au sud dans la préfecture d’Iwate, je découvre la zone portuaire de Ryôri, dans la ville d’Ôfunato. Vingt-six maisons y ont brûlé en mars 2025. Des habitations complètement calcinées et des entrepôts où seuls les murs restent en place témoignent de l’intensité des flammes. Ce qui demeure étonnant, c’est de trouver une maison presque intacte à côté d’une autre qui a entièrement brûlé.

La zone portuaire de Ryôri, à Ôfunato, après l’incendie du mois de mars

Pour de nombreuses structures, il ne reste plus que les cadres métalliques.
En Occident, les feux dans les zones périurbaines, où les habitations côtoient des espaces boisés, prennent de plus en plus d’ampleur depuis quelques années, et des demandes d’action se font beaucoup entendre. Les incendies du sud de la Californie en janvier soulignent l’urgence de mettre des stratégies en place. Il me semble que l’incendie d’Ôfunato en mars, ainsi que ceux d’Okayama et d’Imabari (préfecture d’Ehime) le même mois, sont en fait des incendies de zones périurbaines plutôt que des feux de forêt, et qu’il faut une analyse approfondie pour éviter que cela se reproduise. Je suis convaincu que l’incendie du Sanriku en 1961 qui a détruit tant d’habitations et de commerces était un incendie de zone périurbaine.
Selon Samuel Manzello, chercheur en matière de feux de zones périurbaines et professeur invité à l’Université du Tôhoku, il faudrait différencier clairement les feux de forêt des feux de zones périurbaines. Là où les feux de forêts brûlent dans des zones inhabitées et détruisent principalement la végétation, ceux dans les zones périurbaines anéantissent des habitations, des voitures et autres structures. La présence de carburants et autre produits chimiques nécessite une approche distincte pour contrôler les flammes. Manzello est très impliqué dans l’initiative ISO de créer des normes universelles pour la lutte contre les feux dans les zones périurbaines. Le travail de son équipe est disponible dans le rapport ISO TR/24188 intitulé « Grands incendies extérieurs et environnement bâti — Vue d’ensemble des différentes approches en matière de normalisation ». Le chercheur américain estime que le Japon n’a pas pris les dispositions nécessaires pour les incendies en zones périurbaines.
La couverture médiatique au Japon des feux de Los Angeles en janvier dernier a donné l’impression qu’ils se situaient dans une région exclusive éloignée, principalement habitée par des célébrités hollywoodiennes. Aucune mention n’a été faite que de tels incendies dans des zones périurbaines pourraient avoir lieu au Japon. Manzello pense que les Japonais devraient prendre plus au sérieux le risque que des feux de forêt pourraient poser aux zones habitées. Pour moi, ses commentaires évoquent la notion de satoyama, une zone forestière parsemée d’habitations, et tout me semble plus clair.
Les deux-tiers du Japon sont couverts de forêts et depuis toujours, les Japonais vivent proches de zones montagneuses et boisées et profitent de la richesse de la nature. Les contes populaires du Japon qui parlent du vieil homme qui part ramasser du bois en forêt tandis que sa femme lave son linge à la rivière représentent parfaitement la notion de zones périurbaines qui allient nature et habitations.

Maekawa Hisashi avec du bois de chauffage recueilli en forêt
Des normes plus strictes deviennent nécessaires
L’office des forêts du Japon donne sur son site internet six règles pour prévenir les feux de forêt :
- Éviter de faire du feu dans des zones broussailleuses ou d’autres zones à risque.
- Surveiller les feux de joie et tout autre flamme nue à tous moments, et s’assurer que le feu est bien éteint avant de s’éloigner.
- Ne pas faire de feu quand il y a du vent ou il fait sec.
- Ne pas faire de feu sans permission.
- Ne fumer que dans les zones indiquées, s’assurer de bien éteindre les mégots et ne jamais les jeter dans la nature.
- Ne pas jouer avec le feu.
Le gouvernement américain quant à lui demande aux gens de prendre des mesures spécifiques. Par exemple, une brochure de 2020 publié par la FEMA (Agence fédérale des situations d’urgence), intitulée Creating a Community Welfare Protection Plan (Création d’un plan pour la protection des communautés) donne des exemples de ce qui peut provoquer des incendies à travers une maison, avec des solution concrètes.
La section sur les clôtures, par exemple, dit qu’une longueur de 1,5 mètre minimum de toute clôture reliée à une habitation doit être en matériau ignifuge, même si le reste de la clôture est en bois ou un autre matériau inflammable. La section sur les stores rappelle qu’un espace trop important entre le store et la maison peut permettre un flux d’air qui attise les flammes, et devrait donc être éliminé.
Avec le réchauffement climatique qui empire, les scientifiques pensent que les incendies dans les zones périurbaines iront en s’augmentant. Il est grand temps que le Japon adopte une approche plus internationale aux feux de forêts.
(Photo de titre : la stèle commémorative du grand incendie du Sanriku au bord de la route, à Miyako. Toutes les photos : © Abe Haruki, sauf mentions contraires)