Les virus, ennemis mortels de l’humanité

Comment le coronavirus a changé mon quotidien [3] : des témoignages en provenance de cinq pays

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L’Europe et l’Amérique sont dans une situation beaucoup plus critique que le Japon en termes de contamination par le Covid-19. Mais les gens n’en continuent pas moins à vivre partout dans le monde, en se mobilisant contre cette épidémie dramatique et en s’encourageant mutuellement. Voici les témoignages de cinq personnes qui vivent respectivement aux États-Unis, en France, en Grèce, en Italie et au Japon.

New York : le système de santé américain dans la tourmente

Tan Romi est une écrivaine spécialiste de la Chine et des relations sino-japonaises. Née en 1950 à Tokyo, elle est diplômée de l’Université Keiô où elle a été professeur invité. Elle vit actuellement à New York.

Dans l’État de New York où le nombre des personnes contaminées a explosé, la situation sanitaire fait désespérément penser au jeu de la taupe, où l’on n’a pas plutôt tapé sur une tête pour la faire disparaître qu’une autre surgit. Il y a quelques jours, les médias ont diffusé la vidéo qu’une infirmière, mère célibataire, a enregistré à l’intention de ses enfants, avant de mourir du Covid-19. Dans le même temps, les Japonais donnent vraiment l’impression de continuer à prendre les choses à la légère. Il paraît même que certains ont encore des paroles et des comportements désobligeants vis-à-vis du corps médical. Mais ici, ce n’est du tout pas le cas. On ne peut en effet qu’éprouver de la gratitude envers ceux qui se battent en première ligne dans cette guerre contre le coronavirus.

J’habite à New York, non pas au centre mais dans une petite ville de banlieue. La presse locale publie des rapports de police où il est question d’appels incessants pour l’intervention d’une ambulance et de dispersion de rassemblements de jeunes dans les parcs. Ceux-ci ne respectent pas la règle de « distanciation sociale » qui veut qu’on laisse un espace d’au moins 1,8 mètre entre chaque individu. Par ailleurs, deux familles qui avaient organisé une fête chez elles ont été arrêtées par la police et elles se sont fait sévèrement rappeler à l’ordre.

Le 12 avril, une femme d’origine hispanique qui fait de temps à autre le ménage chez moi depuis 20 ans m’a téléphoné en disant qu’elle ne viendrait pas le lendemain parce qu’elle avait un peu de fièvre. La dernière fois que je l’ai vue, c’était il y a deux semaines. Le soir, j’ai pris ma température et ce matin aussi. Heureusement, tout va bien. Et ma famille aussi, je crois. Mais en y réfléchissant, je me dis que j’ai fait preuve de légèreté en ne respectant pas la directive « ne laissez entrer personne chez vous ».

La distanciation sociale implique la mise en application de trois mesures radicales, à savoir le chômage technique, la suspension des activités, et la fermeture totale des cafés et des restaurants. Ces directives sont devenues une nécessité absolue pour protéger la population. Andrew Cuomo, le gouverneur de l’État de New York, a affirmé que le pic de contamination a été atteint un mois après la déclaration de l’état d’urgence nationale. Mais il a aussi insisté sur le fait qu’il suffisait qu’une seule personne se comporte de façon stupide pour que l’épidémie reparte de plus belle. Par ailleurs, il y a des divergences entre le président des États-Unis Donald Trump, partisan d’une reprise rapide de l’activité économique, et les gouvernements de certains États qui redoutent une deuxième vague de contamination.

Grèce : situation critique dans les camps de réfugiés et appel à la solidarité

Imoto Naoko est née en 1976 dans la préfecture d’Aichi. En 1996, elle a terminé quatrième de l’épreuve du relais 4 x 200 mètres nage libre des Jeux olympiques d’Atlanta. Elle réside actuellement en Grèce où elle travaille pour l’Unicef, en tant que responsable de l’éducation (voir photo de titre). En mars 2020, c’est elle qui a reçu la flamme olympique à Athènes, avant que celle-ci ne prenne la direction de Tokyo pour les JO de 2020.

Quand j’ai arrêté la compétition, je me suis lancée dans la voie de l’aide humanitaire. À l’heure actuelle, je suis en Grèce où je travaille pour l’Unicef (Fonds des Nations Unies pour l’enfance) dans le cadre de l’aide à l’éducation et à la scolarisation d’enfants de réfugiés en provenance entre autres du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord. Le pays étant totalement confiné, je suis inévitablement réduite au télétravail. Dans les camps de réfugiés situés dans des zones n’ayant pas accès à Internet, l’enseignement se fait à distance par podcasting et je passe mon temps à négocier avec le gouvernement et à donner des directives aux enseignants. Et mes journées sont encore plus remplies qu’avant le confinement.

Un problème urgent, c’est celui posé par les réfugiés – plus de 100 000 – hébergés dans des camps où le risque de contamination est élevé. La situation de ceux qui se trouvent dans les îles de la mer Égée proches de la Turquie est particulièrement préoccupante. Le taux d’occupation des camps est en effet plus de quatre fois supérieur à la normale et dans bien des cas, leurs occupants vivent dans un environnement insalubre constitué de tentes installées en pleine nature. Dans ces conditions, il est absolument impossible d’appliquer la distanciation sociale. Qui plus est, il n’y a pas assez d’eau pour que les gens puissent se laver les mains. L’organisation « Médecins sans frontières » a entamé une action pour que ces réfugiés soient au plus vite évacués vers des lieux où ils seront en sécurité. Et l’Unicef s’apprête à distribuer dans l’urgence des kits d’hygiène contenant notamment du savon.

Ce type d’informations n’est sans doute guère diffusé au Japon. Il n’en reste pas moins que c’est parmi les plus démunis et les plus vulnérables que les épidémies ou les catastrophes de grande ampleur font toujours le maximum de victimes. À l’occasion de la pandémie du coronavirus, j’aimerais que de nombreux Japonais fassent preuve de solidarité à l’égard de ces populations.

Tokyo : le regard d’une Italienne sur l’épidémie de coronavirus au Japon

Elena Ricci Satô vit à Tokyo où elle est traductrice et professeur d’italien à l’Université des arts de Tokyo. Elle est titulaire d’un diplôme de littérature japonaise obtenu en 1991 à la Faculté d’études orientales de l’Université de Rome.

Je suis Italienne. Née à Florence, j’ai passé mes jeunes années à Rome. J’ai ensuite vécu vingt-sept ans de ma vie au Japon. J’ai épousé un Japonais avec lequel j’ai eu une fille qui est étudiante. Je m’efforce jour après jour de regarder les choses de façon objective et d’éviter les clichés à propos de l’Italie et du Japon. Mais je dois avouer que le problème du coronavirus a eu pour effet de me sensibiliser à nouveau aux différences culturelles entre mon pays natal et celui où je vis.

Un des bons côtés des Japonais, c’est l’attention et la considération dont ils font preuve à l’égard des personnes de leur entourage. Les Italiens sont bien entendu eux aussi attentifs aux autres, mais d’une manière différente. Quand je leur explique que si les Japonais portent des masques, c’est avant tout pour éviter de contaminer leurs voisins, ils sont toujours étonnés. En Italie, il y a certes des règles de comportement rigoureuses concernant par exemple la façon de tousser, mais elles ne vont pas aussi loin.

L’attention portée à l’autre par les Japonais et leur sens de l’hospitalité sont particulièrement manifestes dans le secteur des services où ils vont de pair avec le souci du détail. Toutefois, je me demande si ce bon côté fondé sur les relations de personne à personne ne constitue pas un obstacle au télétravail et s’il n’a pas contribué à la propagation de l’épidémie. Le Japon est l’un des tout premiers pays du monde en termes de technologie mais il n’a pas réussi à franchir en douceur le cap de l’enseignement à distance et du télétravail. Les habitants de l’Archipel utilisent encore le fax, les documents en papier et les sceaux en guise de signature. Je suis moi-même très attachée aux sceaux et au papier traditionnels japonais, mais je pense qu’il faut aussi savoir changer en fonction des circonstances et du temps.

France : retrouver au plus vite la liberté de jouer de la musique

Takiguchi Mutsumi est née à Funabashi dans la préfecture de Chiba. Cette jeune saxophoniste réside actuellement en France où elle est étudiante de troisième cycle au Conservatoire à rayonnement régional de Cergy-Pontoise.

Je suis arrivée en France il y a six mois. Je vis seule et je ne parle pas encore très bien le français. Si bien que lorsque le confinement a été décrété, je n’ai pas vraiment compris ce qui se passait. J’étais très inquiète. Heureusement, le propriétaire du restaurant japonais où je travaille à temps partiel s’est montré très chaleureux. Il m’a proposé d’aller le voir si j’avais des problèmes pour me nourrir et de me faire une avance sur salaire au cas où j’aurais du mal à payer mon loyer. C’est ainsi que j’ai pris conscience de l’existence des liens de solidarité qui unissent les Japonais résidant en France.

Pendant le confinement, les professeurs du Conservatoire à rayonnement régional de Cergy-Pontoise ont recours à l’enseignement à distance par visioconférence via Facebook. Les cours ne se déroulent pas comme d’habitude mais grâce à eux, j’ai l’impression de retrouver une existence à peu près normale pendant un moment et ça me fait du bien. La vie que je mène n’est pas facile pour autant. Les concerts et les concours sont supprimés et reportés. Par considération pour mes voisins, je m’abstiens de jouer du saxophone et cela me stresse. Je me dis malgré tout que je dois rester optimiste quand je regarde le Service de distribution vidéo à la demande ou le service de messagerie Simple Notification Service pour me faire livrer de la musique. À mon avis, le monde du spectacle sera probablement le dernier à revenir à la normale, mais pour le moment, j’ai l’intention de faire tout ce que je peux de mon mieux.

Italie : Comment continuer à vivre en plein état d’urgence

Tôjô Takeshi maitre de conférences à l’Université internationale de Pérouse en Italie.

En Suède, où la réaction du gouvernement vis-à-vis du coronavirus reste modérée comme au Japon, la situation s’est aggravée. Le Premier ministre japonais a fini par déclarer qu’il s’était montré trop optimiste et je me demande s’il ne va changer de politique et opter pour le confinement. D’une certaine façon, on peut craindre qu’en l’absence de mesures coercitives le pays se retrouve confronté par la suite à une crise encore plus grave. Mais on peut aussi espérer que le bon sens du peuple japonais sera suffisant pour lui permettre de surmonter cet épisode difficile.

En Italie, plus de 10 000 personnes ont été contaminées par le coronavirus et 2 500 en sont mortes. Le 12 avril, jour de Pâques, l’hôpital Maggiore de Bologne, dans la région de l’Emilie-Romagne, a mis en ligne un message vidéo qui a eu un retentissement énorme. On y voit le personnel médical de l’établissement en train de danser en fredonnant une chanson dans le vent de Lucio Dalla (1943-2012) – un auteur-compositeur-interprète originaire de cette ville – intitulée Attenti al lupo (Attention au loup).

Les médecins de l’hôpital Maggiore qui combattent vaillamment le coronavirus en première ligne chantent et dansent tout en disant aux gens « Joyeuses Pâques ! Restez tous chez vous et comptez sur nous pour éradiquer le virus ! ». C’est la façon de réagir de l’Italie.

« Restez chez vous ». Voilà la seule et unique solution que les médecins italiens proposent face à la terrible réalité de la maladie. Et le mieux à faire, c’est effectivement de suivre leur injonction sans hésiter, quelle que soit la dureté de la situation. Je crois que ce qui importe avant tout à l’heure actuelle, c’est de nous inspirer de l’exemple donné par cette vidéo, et de le mettre en pratique en cherchant le moyen de continuer à vivre en plein état d’urgence.

(Photo de titre : Imoto Naoko, responsable de l’éducation de l’Unicef en Grèce, au cours d’une séance de soutien pédagogique pour les enfants d’un camp de réfugiés situé dans la banlieue d’Athènes. Photo prise le 13 février 2020 par Amano Hisaki)

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