Les virus, ennemis mortels de l’humanité

Robotique et informatique contre le Covid-19 : les solutions évidentes pour combler les failles de la gestion japonaise de la crise

Santé Technologie

Si le gouvernement japonais a levé l’état d'urgence dans tout le pays suite à la nette baisse du nombre de contaminations au Covid-19, il a néanmoins été critiqué pour la lenteur et l’insuffisance de ses mesures en réponse à la crise, qui sont incontestables. La pays va-t-il pouvoir se montrer efficace face une deuxième, voire une troisième vague possible d’infections ? C'est la question que nous avons posée à Nakamura Yûsuke, ancien conseiller spécial Bureau du Cabinet, chercheur de premier plan en médecine génomique et professeur émérite de l'Université de Chicago, qui nous explique qu’il existe des solutions pour ne pas répéter les mêmes erreurs.

Nakamura Yûsuke NAKAMURA Yūsuke

Médecin et professeur émérite à l’Université de Chicago et à l’Université de Tokyo. Ancien conseiller spécial du Bureau du Cabinet et directeur du Bureau de promotion de l’innovation médicale du Bureau du Cabinet. A occupé plusieurs postes universitaires, dont celui de professeur agrégé à l’université de l’Utah et de professeur à l’Institut des sciences médicales de l’Université de Tokyo, avant de devenir professeur à l'École de médecine de l’Université de Chicago en 2012. Il est retourné au Japon en 2018, où il est actuellement directeur du Centre de médecine de précision contre le cancer et du programme interministériel de promotion de l’innovation stratégique du Bureau du Cabinet. Il est l’un des plus grands chercheurs mondiaux sur le génome humain, et milite pour l’utilisation de l’intelligence artificielle dans les hôpitaux.

Les tests PCR et la lenteur incontestable du gouvernement japonais

« Le plus gros problème actuel au Japon est que la “tour de contrôle” — les personnes chargées de prendre des mesures face au Covid-19 — manque cruellement de clarté », explique le Nakamura Yûsuke, médecin et spécialiste en médecine génomique. « Cela ne se limite pas à la récente crise. Dans d’autres cas également, le Japon n’a pas eu de vision à long terme adéquate pour se préparer et s’organiser. »

« Le Japon est le seul pays au monde dont le ministre chargé des affaires économiques s’occupe également de la réponse au Covid-19. Et c’est un membre de l'équipe d’experts en gestion de crise du gouvernement, le professeur Nishiura Hiroshi de l’Université de Hokkaidô, qui a annoncé l’estimation des décès dus au Covid-19 si les précautions appropriées n'étaient pas prises. Cette information-là, voyez-vous, c’est le chef du gouvernement qui aurait dû la relayer pour souligner le message de l’importance de sauver des vies. »

Selon M. Nakamura, l’absence de cette tour de contrôle pour coordonner la réponse à la crise a été clairement révélée dans la politique laborieuse des tests PCR (réaction en chaîne par polymérase). Lors de sa conférence de presse du 6 avril, le Premier ministre Abe Shinzô a annoncé l’objectif de réaliser 20 000 tests PCR par jour, mais les détails du plan n’ont pas été indiqués, et la responsabilité a finalement été confiée aux gouvernements locaux et aux médecins. Aujourd’hui encore, le nombre de tests effectués est insuffisant, comme l’explique le spécialiste.

« L’une des principales raisons pour lesquelles les tests de PCR n’ont pas augmenté est que le gouvernement a mis la charrue avant les bœufs avec sa politique d’origine, qui était d’essayer d'éviter l’effondrement du système médical en limitant les tests aux personnes présentant des symptômes graves. »

« Par conséquent, le nombre de cas de Covid-19 semblait plus petit... C'était également une erreur d’adopter la politique de ciblage des foyers d’infection alors qu’un nombre croissant de personnes sont contaminées sans que l’on sache comment elles l’ont été, par quel genre de contact. »

Comme le note M. Nakamura, l’explication officielle sur le faible nombre de tests PCR était la difficulté de prélever des échantillons et de réaliser le test lui-même. Mais il existe des méthodes simples pour les collecter, tels que les tests PCR au volant (les patients restent à bord de leur véhicule pendant le prélèvement), comme la Corée du Sud l’a mis en œuvre, ou encore l’administration de tests aux patients ambulatoires fiévreux, avant de divulguer les résultats des tests aux médecins et aux cliniques médicales.

« Le monde entier va rire de nous »

Réagissant face à la lenteur de la réaction du gouvernement, la Tokyo Medical Association vise à mettre en place des dizaines de centres de tests PCR à Tokyo, servant ainsi de modèle pour le pays. Les tests sont difficiles à réaliser sans un technicien de laboratoire clinique, mais si des robots sont utilisés, ce problème peut être facilement résolu, comme le souligne M. Nakamura.

« Certes, le personnel qui administre le test et qui effectue la manipulation des échantillons jusqu'à l’extraction de l’ARN présente un risque de se faire infecter, il faut donc être prudent. Cependant, tous les processus ultérieurs peuvent être effectués automatiquement à l’aide de robots. L’ARN lui-même n’est pas infectieux, de sorte que le travail peut être automatisé. Avec une solution si évidente, le monde entier va rire de nous si notre seule excuse pour ne pas effectuer de test PCR est de dire que ce travail est difficile à réaliser à la main... »

Des tests PCR sont actuellement effectués en France par des robots fabriqués dans la préfecture de Chiba. Dans d’autres pays du G7, entre 15 000 et 33 000 tests ont été effectués pour un million d’habitants, et d’autres pays concentrent également leurs ressources sur des tests généralisés. Mais le Japon n’est même pas dans le top 100 des pays à cet égard. Dans ce domaine, il n’est pas exagéré de dire que nous sommes un « pays en développement ».

Nakamura Yûsuke ajoute : « Comme le Japon n’examine pas tous ceux qui demandent un test PCR, il n’est possible que très tardivement de déterminer dans quelle mesure le virus s’est propagé à travers le pays. L’Institut national des maladies infectieuses a annoncé récemment que le virus qui se propage maintenant est une souche européenne, potentiellement plus infectieuse. »

La nécessité d’un suivi précis risque donc de devenir plus urgente dans l’avenir.

Un test PCR de démonstration effectué à Itabashi, Tokyo, le 28 avril 2020. (© Jiji)
Un test PCR de démonstration effectué à Itabashi, Tokyo, le 28 avril 2020. (© Jiji)

Les voisins asiatiques loin devant le Japon

Des inquiétudes ont été exprimées quant à la garantie d’un approvisionnement régulier en réactifs utilisés pour les tests PCR, puisque ces derniers sont importés, mais Nakamura Yûsuke déclare qu’il n’y a pas lieu de s’inquiéter.

« Les réactifs sont fabriqués en Europe, où il y a beaucoup plus de patients du Covid-19 qu’au Japon. Certaines personnes ont donc mis en garde contre d'éventuelles restrictions à l’importation de ces produits, rendant impossible la fourniture de tests pour tout le monde. Mais d’après mes vérifications, ce n’est pas le cas. Il n’y a aucun problème. »

En d’autres termes, si le gouvernement japonais souhaite sérieusement augmenter les tests PCR, il est certainement possible d’atteindre un niveau de tests comparable à celui de l’Europe et des États-Unis. Le pays ne rencontre aucune limitation technique en matière de tests, explique le médecin.

« Le Japon n’est certainement pas à la traîne des autres pays sur le plan technique. Si les robots et l’informatique sont utilisés, le taux de mise en œuvre des tests PCR peut être considérablement augmenté. »

M. Nakamura souligne que les politiques du gouvernement japonais n’ont pas suffisamment envisagé l’utilisation de l’informatique pour faire face à la crise.

« Il y a quelques jours, j’ai lu un compte rendu sur la façon dont le rapport papier sur les patients du Covid-19 a enfin été numérisé. C’est un exemple de la façon dont le Japon perd son statut de pays avancé. En Corée du Sud, les tests de PCR au volant sont devenus courants, tandis qu'à Taïwan, des applications smartphone sont disponibles pour que tout le monde puisse acheter des masques à parts égales. Le gouvernement japonais dépense plus de 46 milliards de yens* pour distribuer deux masques à chaque ménage, mais nombre d’entre eux attendent encore de les recevoir, alors qu’arrive l'été et que ces masques épais seront difficiles à porter pendant les grosses chaleurs... Nos voisins sont loin devant nous en termes de politiques de réponse au coronavirus. »

(*NDLR : le 1er juin, le gouvernement japonais a annoncé que le budget total de l’opération d’envoi de masques sera d’environ 26 milliards de yens, et non 46 comme il était prévu à l’origine)

La robotique et l’informatique : une source de solutions

Nakamura Yûsuke, qui a été nommé directeur du programme de promotion de l’innovation stratégique du Bureau du Cabinet en 2018 et qui aide les hôpitaux à utiliser l’intelligence artificielle, est convaincu que l’utilisation de l’informatique pour faire face à la crise du Covid-19 serait un moyen pour le Japon de résoudre les difficultés auxquelles il est confronté.

Un problème qu’il note est l’aggravation soudaine des symptômes chez certains patients, conduisant parfois même à la mort. Il est également important de savoir comment atténuer les craintes de ceux présentant des symptômes plus légers qui sont mis en quarantaine à la maison ou dans les hôtels et autres installations. Le spécialisté suggère la création d’un système qui permettrait à ces patients d’utiliser un smartphone ou une tablette pour envoyer des rapports sur leur propre température et d’autres signes vitaux trois fois par jour au personnel médical.

« Aux États-Unis, les montres intelligentes dotées d’une fonction d'électrocardiogramme ont déjà été approuvées en tant que dispositifs médicaux. Si la fréquence respiratoire et le pouls sont mesurés trois fois par jour et qu’un avertissement est envoyé au personnel médical en cas d’anomalie, il est possible de surveiller en toute sécurité les patients qui attendent à la maison ou dans les hôtels et de répondre rapidement à un changement soudain de leur état. Cela permettrait également de palier à l’absence de personnel infirmier au milieu de la nuit dans ces hôtels. »

Il suggère également l’utilisation de robots, puisque les patients confinés dans les chambres d’hôtel ayant des symptômes légers doivent éviter autant que possible les contacts avec les autres.

« Des assiettes et des plats jetables peuvent être apportés aux patients par des robots. La collecte des serviettes et des draps peut également être automatisée, avec une alarme pour indiquer l’heure de collecte et un conteneur spécial dans lequel le patient peut placer ces articles. »

Le robot humanoïde Pepper fait son apparition le 30 avril 2020 dans un établissement pour patients asymptomatiques ou présentant des symptômes bénins, à Hachiōji, Tokyo. L'appareil derrière lui est un robot de nettoyage. (© Kyodo)
Le fameux robot humanoïde Pepper dans un établissement pour patients asymptomatiques ou présentant des symptômes bénins, à Hachiōji, Tokyo, le 30 avril 2020. L’appareil derrière lui est un robot de nettoyage. (© Kyôdô)

En résumé, bien que le Japon dispose de ressources humaines exceptionnelles et soit un pays technologiquement très avancé, le gouvernement a pris beaucoup de retard par rapport à d’autres pays en ce qui concerne l’utilisation efficace des ressources. On ne peut qu’espérer que le Japon s’appuiera sur les connaissances d’experts préconisant l’introduction de robots et de l’IA pour faire face à la crise actuelle, afin de mettre l’esprit des patients à l’aise et de réduire la pression sur le personnel médical si une seconde voire une troisième vague de pandémie arrive. Tous ces moyens seront également d’une grande utilité pour les crises à venir.

(Photo de titre : un membre du personnel soignant dans l’unité des soins intensifs des patients atteint du Covid-19 au sein du centre hospitalier universitaire St. Marianna, à Kawasaki, préfecture de Kanagawa, le 4 mai 2020. © Reuters/Aflo)

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