Les virus, ennemis mortels de l’humanité

Les défis de l’aide humanitaire en temps de pandémie : l’appel du président de MSF Japon

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La pandémie de Covid-19 oblige Médecins Sans Frontières, qui apporte une aide médicale dans les zones et les pays en voie de développement frappés par des conflits, à faire face à des difficultés d’un autre ordre que celles que l’organisation internationale a connues dans le passé. Nous avons demandé à Kurumiya Takashi, chirurgien et nouveau président de MSF Japon depuis mars 2020, quelle était l’attitude de son organisation et les nouveaux défis contre le coronavirus.

Kurumiya Takashi KURUMIYA Takashi

Président de Médecins Sans Frontières Japon (MSF). Chirurgien gastro-entérologue. Né en 1959. Actuellement responsable des urgences à l’hôpital Nagai de la ville de Tsu, préfecture de Mie. Son envie de devenir médecin apparaît dès ses années de collège, et tout de suite, il désire devenir docteur dans les zones déshéritées. Diplômé de la faculté de médecine de Mie, il exerce pendant 20 ans. Il entre ensuite à MSF en 2004, qui l’envoie pour une première opération au Libéria. Il enchaîne les missions dans douze pays, puis participe à la campagne japonaise du séisme du 11 mars 2011 dans la préfecture de Kumamoto. Après des fonctions d’administrateur, puis de vice-président de MSF Japon, il en devient président en mars 2020.

Le transport des personnes et des matériels est très touché

Face aux maladies infectieuses émergentes depuis les années 2000, tel le SRAS (Syndrome respiratoireaigu sévère), le MERS (Syndrome respiratoire du Moyen-Orient) ou la fièvre hémorragique Ebola, MSF a étendu ses activités d’aide médicale. Cependant, la pandémie du nouveau coronavirus fait apparaître de nouveaux problèmes. Le Dr Kurumiya Takashi, président de MSF Japon, nous explique :

« L'épidémie d’Ebola, par exemple, s’est propagée en Afrique, où nous étions déjà actifs. Le Covid-19, en revanche, s’est étendu dans le monde entier, et touche en particulier les pays occidentaux qui sont les donateurs institutionnels principaux de Médecins Sans Frontières. Ce qui pose de graves difficultés dans la mesure où les transports de matériels aussi bien que de personnels sont handicapés. »

« Le Japon, qui n’est pas aussi impacté par la pandémie que les pays d’Europe ou les États-Unis, dépêche encore quelques personnes. Mais, en raison des restrictions sur les vols commerciaux, les envois conséquents sont entravés. Et même une fois sur place, du fait des obligations de deux semaines de quarantaine destinées à bloquer la propagation du virus, un temps précieux est perdu. D’un autre côté, la plupart des personnels qui étaient déjà sur place avant les ordonnances de confinement ne peuvent plus rentrer chez eux du fait de l’annulation de leurs vols de retour et prolongent leur mission pour continuer leur activité sur place. »

En d’autres termes, les personnels de MSF en mission sont plus soucieux de l’impact qu’aurait l’arrêt de leur activité sur les populations locales que du risque personnel d'être infectés.

« En ce qui concerne la façon dont nous gérons les difficultés d’acheminement des équipements de protection individuelle (EPI), le manque de masques, blouses et autres, MSF dans son entier continue d'étudier toutes les idées pour répondre au problème. Nous réfléchissons également aux moyens concrets de déplacer les personnels qui pourraient effectivement être contaminés par le virus. »

Le 1er avril, MSF a lancé un appel à candidatures d’urgence pour 4 métiers précis dans le cadre de l’activité contre le coronavirus : des médecins urgentistes, des spécialistes en soins intensifs, des spécialistes d’appareillages médicaux, et des spécialistes de l’eau et de l’assainissement.

Éviter la propagation dans les zones de conflit et les camps de réfugiés

MSF est actif dans environ 70 pays et régions dans le monde entier, où une quarantaine de personnes actuellement relèvent de la section japonaise. La plupart d’entre elles sont impliquées localement dans la lutte contre le coronavirus en plus de leur mission de départ. La priorité absolue est donnée au Burkina Faso, à l’Afrique du sud, au Brésil, dont les systèmes de santé sont au bord de l’effondrement, mais l’organisation apporte même une aide dans certains pays occidentaux qui sont saturés malgré les systèmes médicaux en place.

« Au Japon même, nous examinons d'éventuelles demandes d’action à l'écoute des autorités gouvernementales, locales et des personnels hospitaliers. Par exemple, au niveau des soins pour les sans-abris ou les personnes âgées, nous cherchons à nous rendre utiles pour combler des trous qui pourraient survenir si les autorités locales ou les établissements hospitaliers locaux venaient à être dépassés. »

De fait, des actions locales ont été engagées au Japon. Par exemple, un paquebot de croisière italien, le Costa Atlantica, amarré à Nagasaki depuis le 8 mai, a fait état de membres d'équipage atteints du coronavirus. C’est MSF qui est intervenu pour effectuer des soins.

le Costa Atlantica, amarré à Nagasaki © EnDumEn
Le Costa Atlantica, amarré à Nagasaki © EnDumEn

Toutefois, la crise du Covid-19 ne prendra pas fin si nous ne faisons pas face à l'épidémie dans les pays émergeants et en voie de développement. Le Dr Kurumiya est particulièrement préoccupé par la propagation du virus dans les zones de conflits et les camps de réfugiés.

« Avant même de parler de systèmes médicaux mis en danger par l'épidémie, il faut se préoccuper des zones qui n’ont aucun système de santé digne de ce nom. Si l'épidémie se transmet dans ces zones, les effets seront bien plus dévastateurs que ce qu’ils sont actuellement dans les pays occidentaux. Par exemple, dans les camps de réfugiés. Les habitants y vivent dans une grande promiscuité, avec des problèmes d’alimentation et d’impossibilité de garantir la propreté de l’eau. Si l'épidémie se répand dans ces camps, les effets seront catastrophiques. Dans la mesure où la pression du coronavirus diminue dans les pays développés, il est capital d’expédier les plus grandes quantités possibles d’EPI dans ces zones, et le plus vite possible. Je souhaiterais aussi que le gouvernement japonais conduise une collaboration internationale et s’engage dans la création d’une plateforme d’envoi de matériels nécessaires aux soins contre le coronavirus. »

Le camp de réfugiés à proximité de Hâmir (gouvernorat d’Amran, Nord Yémen) abrite plusieurs centaines de familles depuis le début de la guerre en 2015. La promiscuité et le manque d’hygiène fait peser de graves risques de propagation du coronavirus. (photo avril 2019 © Agnes Varraine-Leca)
Le camp de réfugiés à proximité de Hâmir (gouvernorat d’Amran, Nord Yémen) abrite plusieurs centaines de familles depuis le début de la guerre en 2015. La promiscuité et le manque d’hygiène fait peser de graves risques de propagation du coronavirus. (avril 2019 © Agnes Varraine-Leca)

L’aide humanitaire post coronavirus

Kurumiya décrit les défis auxquels seront conduits les organismes internationaux d’aide humanitaire dans le sillage de la crise du coronavirus, tout en soulignant qu’il ne s’agit que de son avis personnel.

« Médecins Sans Frontières a été créé en France et gère cinq centres d’opérations, tous situés en Europe, d’où sont menés l’ensemble des projets. En raison de la pandémie en Europe, nous avons connu une situation où le système de gestion des expéditions de matériels et d’envois de personnels s’est trouvé lourdement entravé. Je pense qu’il est nécessaire de réfléchir à une façon de gérer les opérations de façon décentralisée, plus étroitement liée avec les régions locales.

Tout en assurant ses fonctions hospitalières, le Dr Kurumiya communique quotidiennement par internet avec les membres de MSF à l'étranger ou les autorités sanitaires de la lutte contre le coronavirus. Il espère bien entendu pouvoir retrouver ses activités de président de MSF dès que la situation le permettra.

« J’ai l’impression que de nombreuses personnes croient qu’il s’agit d'événements lointains et ne se sentent pas concernés. Le fait que très peu d’informations soient diffusées sur ces régions dans les médias japonais joue également dans ce sens, je voudrais mettre plus d’effort sur la communication. Depuis l’année dernière, nous avons créé à titre d’essai la “Caravane scolaire” qui s’adresse aux grandes classes du primaire. Il s’agit de faire réfléchir sur divers scénarios d’urgence : Si telle situation apparaît, que ferions-nous ? Une sorte de pseudo-expérience, en quelque sorte. Je voudrais être plus actif auprès de la jeune génération pour qu’ils se familiarisent avec l’aide humanitaire. »

Le Dr Kurumiya Takashi (à gauche), en mission au Népal après le tremblement de terre de 2015. Le Dr Karumiya est impatient d’étendre la contribution du Japon au réseau international de MSF et de s’engager dans les activités éducatives auprès de la jeune génération. (photo ©MSF)
Le Dr Kurumiya Takashi (à gauche), en mission au Népal après le tremblement de terre de 2015. Le président de MSF Japon est impatient d'étendre la contribution du Japon au réseau international de MSF et de s’engager dans les activités éducatives auprès de la jeune génération. (©MSF)

(Interview et texte de Itakura Kimie, de Nippon.com. Photo de titre : aux États-Unis, une aide d’urgence est apportée aux communautés comptant de nombreuses personnes pauvres ou sans abri. Des téléphones portables sont également distribués gratuitement quand de ce moyen de contact dépend la délivrance de services médicaux d’urgence. Sur la photo, du personnel de MSF inspecte 1 000 téléphones portables avant distribution. ©Michelle Mays / MSF)

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