Les virus, ennemis mortels de l’humanité

Covid-19 : les « hôpitaux de coopération », ces établissements qui luttent dans l’anonymat sont à bout de souffle

Santé Catastrophe

On les appelle les « hôpitaux de coopération dans le traitement des maladies infectieuses ». La particularité de ces établissements : ils admettent dans le secret et à la demande du gouvernement des patients infectés par le coronavirus. Ces hôpitaux restent dans l’anonymat, pour ne pas nuire à leur réputation. Nous avons interrogé Asahara Shingo, directeur de la Société médicale des maladies infectieuses émergentes de la ville de Funabashi, dans la préfecture de Chiba. Il évoque avec nous les difficultés de financement de ces établissements dont un grand nombre sont au bord de la faillite. La situation est urgente si le Japon veut contenir une deuxième vague de contaminations.

Asahara Shingo ASAHARA Shingo

Médecin. Il rejoint d’abord l’hôpital universitaire de Juntendo, puis la Fondation japonaise pour la recherche contre le cancer (JCFR) de l’hôpital d’Ariake, à Tokyo. Depuis 2007, il est directeur adjoint de l’hôpital Tokushukai de Chiba. Il est par ailleurs depuis deux ans responsable de la division de santé publique et des nouvelles maladies infectieuses à la Société des médecins de Funabashi. Il aidait à préparer des mesures de lutte contre la grippe lorsque la pandémie de coronavirus a éclaté. Tout en luttant contre le Covid-19 dans son hôpital, il y soigne également des malades atteints de cancers complexes. Il occupe également d’autres fonctions telles que médecin spécialiste et conseiller de la Société japonaise de gastroentérologie, médecin spécialiste et conseiller certifié de la Société japonaise d’endoscopie gastroentérologique, conseiller médical certifié de la Société japonaise des pathologies pancréatiques, conseiller médical certifié de la Société japonaise des pathologies biliaires et oncologue certifié.

Un personnel soignant presque bénévole

À l'échelle nationale, les établissements médicaux qui prennent en charge les malades atteints du coronavirus peuvent être divisés en deux catégories : les « hôpitaux désignés pour le traitement des maladies infectieuses » (ci-après dénommés « hôpitaux désignés ») et les « hôpitaux de coopération pour le traitement des maladies infectieuses » (ci-après dénommés « hôpitaux de coopération »). Intrinsèquement liés, ces derniers apportent leur soutien aux premiers. Seulement, si les hôpitaux désignés reçoivent des fonds publics et des subventions de la part du gouvernement national, les aides accordées aux hôpitaux de coopération sont loin d’être suffisantes. Asahara Shingo nous explique que la situation est telle que les conditions du personnel qui y travaillent sont « proches du bénévolat ».

Afin de prévenir les infections nosocomiales, quasiment tous les hôpitaux de coopération ont dû fermer leur service général et ont réservé des lits pour le traitement de patients du Covid-19. Cependant, les subventions accordées par le gouvernement, sont peu élevées : 16 000 yens par jour et par lit (environ 130 euros).

« Dans le but de prévenir toute contamination, certains hôpitaux disposent de près de 50 lits, réservés pour les personnes contaminées. Mais ce qu’il faut savoir, c’est qu’en réalité, il n’y a aucune compensation pour les lits inoccupés. Les établissements ne reçoivent qu’une subvention de 80 000 yens (655 euros) par patient admis en unité de soins intensifs (USI) », déplore Asahara Shingo.

Malheureusement, les hôpitaux de coopération sont en proie à d’autres difficultés. Certains établissements accordent des primes de risque « infection au coronavirus » et augmentent le nombre d’infirmières de nuit à partir de 4 ou 5 patients. La situation financière actuelle est déjà plus que précaire mais si ces problèmes venaient à se poursuivre, elles entraîneraient la fermeture de nombreux hôpitaux.

« Réserver 40 lits par jour se traduit par des pertes de plusieurs dizaines de millions de yens par mois. Mais le gouvernement ne prévoit aucun type d’indemnisation pour remédier à cela. À la Société des médecins, nous avons reçu des plaintes désespérées d’hôpitaux. Certains se disent à bout et tirent la sonnette d’alarme : ils auront bientôt atteint leurs limites et dans le cas d’une seconde vague d’infection, ils ne pourront y faire face.

Lutter dans l’anonymat malgré des graves pénuries

Il existe différents types d’hôpitaux désignés pour le traitement des maladies infectieuses. Schématisé, le classement de ces différents établissements peut être représenté sous la forme d’une pyramide (voir ci-dessous). Au sommet de cette pyramide, les hôpitaux spécialement désignés pour le traitement des maladies infectieuses, viennent ensuite les hôpitaux spécialement désignés pour le traitement des maladies infectieuses de types 1 et 2, et enfin à la base de la pyramide, les divisions hospitalières réservées pour le traitement de la tuberculose.

Chacun de ces établissements dispose de médecins et d’infirmières qui connaissent bien les maladies infectieuses telles que la fièvre hémorragique Ebola ou encore les maladies provoquées par de nouveaux virus, et suivent par ailleurs régulièrement des formations afin de sans cesse renouveler leurs connaissances.

Avec la crise actuelle du Covid-19, quel est le rôle des hôpitaux de coopération ?

Lorsqu’une personne contracte une nouvelle maladie infectieuse telle que celle provoquée par le coronavirus, elle sera en priorité admise dans un hôpital spécialement désigné pour le traitement des maladies infectieuses, au nombre de quatre dans tout le Japon (voir graphique ci-dessus). Comme on peut le deviner, dans le cas de la pandémie actuelle, ces établissements peu nombreux ont été rapidement submergés. Les hôpitaux spécialement désignés pour le traitement des maladies infectieuses de type 1 puis ceux de type 2 ont donc été sollicités. Toutefois, cela n’a pas suffi. Avec l’apparition de foyers d’infection (cluster), entraînant une insuffisance du nombre de lits, il a également fallu admettre des patients dans des hôpitaux de coopération.

La fonction principale de ces établissements est de soutenir les hôpitaux désignés. Ils peuvent parfois accueillir des patients présentant des symptômes légers ou modérés, et des personnes potentiellement infectées pour lesquelles aucun lit n’est disponible. Les collectivités locales, les Sociétés de médecins et les centres régionaux de santé publique sont sollicités au cas par cas.

« Les hôpitaux de coopération ne sont pas clairement définis et leur nombre dans chacune des régions est inconnu. Voilà la grande différence avec les hôpitaux désignés. Les médecins des hôpitaux voisins ne sont pas mis dans la confidence non plus. Il s’agit d’un ordre du gouvernement lui-même, dans un souci de prévention de propagation de la maladie mais également de préservation de la réputation de l'établissement », explique Asahara Shingo.

Pour la rédaction de cet article, j’ai moi-même demandé au ministère de la Santé, du Travail et des Affaires sociales combien il y avait d’hôpitaux de coopération au Japon, mais je n’ai pas obtenu de réponse à temps.

Dans les hôpitaux de coopération, qui manquent cruellement de personnel spécialisé dans les maladies infectieuses ainsi que d'équipement et de matériel pour l’application de mesures de prévention des infections, le personnel est exposé au même risque de contamination, voire supérieur, que dans les hôpitaux désignés.

« Les hôpitaux de coopération doivent combiner les consultations ordinaires et les soins de routine des patients. C’est pourquoi, dans un tel contexte de pénurie de personnel, si un médecin d’urgence ou un cardiologue s’avère nécessaire, il est possible que cette tâche revienne à une seule et même personne : le directeur du département de chirurgie de l'établissement.

Par ailleurs, la situation de pénurie d'équipements de protection est plus grave dans les hôpitaux de coopération. Exerçant dans le secret et sans révéler leur emplacement, il leur est difficile d’accéder à l’aide du secteur privé. En avril, certains établissements ont même demandé à des infirmières en congé maternité de confectionner des blouses de protection à partir de sacs à ordures.

Des opérations de soutien aux hôpitaux de coopération

Les responsables des divisions maladies infectieuses au sein de sociétés médicales régionales comme Asahara Shingo sont chargés d’assurer la coordination avec les hôpitaux de coopération, pour beaucoup en proie à de nombreuses difficultés.

« Les hôpitaux de coopération ont été créés bien avant l'épidémie actuelle de nouveau coronavirus. Ils existaient déjà à l'époque du Syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS), apparu en 2003. Mais au Japon, en cas de changement de responsable, l’expérience accumulée n’est pas mise à profit. Le gouvernement central délègue les tâches aux préfectures et la gestion dépend entièrement des autorités locales. Si les responsables en haut de l'échelle ne sont pas suffisamment rapides et réactifs et que les acteurs locaux ne vont pas non plus de l’avant, nous n’arriverons à rien. »

La préfecture de Chiba a annoncé qu’elle ne mettra ni en place de protocoles de tests PCR depuis les véhicules ni ne subventionnera les hôtels des villes principales telles que Kashiwa, Funabashi et Chiba pour l’accueil de patients potentiels. La Société des médecins de la préfecture n’a eu donc d’autre choix que de se tourner vers les autorités municipales.

De son côté, la ville de Narita, également dans la préfecture de Chiba, a annoncé l’octroi de 100 millions de yens à chacun des deux hôpitaux de la ville qui accueillent des patients atteints du coronavirus. Dans la préfecture d’Osaka, en plus des subventions et des aides spéciales accordées aux établissements médicaux, des dons privés sont collectés et des cartes Quo Card, utilisables pour une grande variété d’achats, d’une valeur pouvant aller jusqu'à 200 000 yens sont distribuées au personnel de santé. Les préfectures d’Aichi, de Fukuoka et de Kyoto ont également rendu publiques leurs prestations d’aide aux établissements médicaux qui accueillent des patients atteints du coronavirus. Bien qu’aucune de ces mesures ne concerne exclusivement les hôpitaux de coopération, de plus en plus de gouvernements locaux lancent eux-mêmes des initiatives pour les soutenir.

Morita Kensaku, gouverneur de la préfecture de Chiba. Les fonds à destination des « hôpitaux de coopération » de la préfecture ne sont pas suffisants à l’heure actuelle (Jiji)
Morita Kensaku, gouverneur de la préfecture de Chiba. Les fonds à destination des hôpitaux de coopération de la préfecture ne sont pas suffisants à l’heure actuelle. (Jiji Press)

Asahara Shingo s’interroge : « La ville de Funabashi ne pourrait-elle pas bénéficier de ce type d’aide ? Des discussions sont en cours avec le conseil municipal pour savoir jusqu'à quand des services seront spécialement affectés au traitement du coronavirus et le conseil sera capable de renflouer le déficit des établissements concernés. Si les hôpitaux de coopération continuent d’exercer sur la base du volontariat, en cas de deuxième vague de coronavirus, nous ne pourrons les solliciter de la même manière. C’est maintenant, tant que le nombre de nouvelles contaminations est faible, qu’il faut trouver des solutions aux problèmes de ces établissements. »

Si l'état d’urgence a été levé dans tout le pays le 25 mai, les graves problèmes auxquels sont confrontés les hôpitaux de coopération, eux, subsistent. La situation est urgente, et le gouvernement central et les administrations locales doivent ensemble la résoudre le plus rapidement possible.

(Photo de titre : un établissement médical accueillant des patients atteints du coronavirus. Il ne s’agit pas d’un hôpital de coopération. Mainichi Shimbun/Aflo)

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