Qui est-il et que veut-il ? Les défis du nouveau Premier ministre Suga Yoshihide

Politique

Le 16 septembre 2020, le nouveau Premier ministre du Japon a été nommé en la personne de Suga Yoshihide. Si ce dernier était jusqu’alors le Secrétaire général du Cabinet, un rôle de premier plan pour assister l’ancien dirigeant Abe Shinzô dans la gestion du pays, il n’avait encore jamais vraiment eu l’occasion de montrer son individualité. Sa compétence en tant que nouveau leader japonais est donc encore l’inconnue majeure de ce nouveau gouvernement. Quel genre de personne est-il et quels sont alors les principaux défis à relever ?

On peut d’ores et déjà voir les grandes lignes de ce que le gouvernement Suga va accomplir, et même quand il s’effondrera pour une raison ou pour une autre.

Tout d’abord, il procèdera à la dissolution de la Chambre basse du parlement avant que l’écho du gouvernement précédent n’ait totalement disparu, et appellera à de nouvelles élections générales (celles-ci devraient se tenir autour du 25 octobre). Le défi le plus important du nouveau Premier ministre sera de ne surtout pas laisser Abe Shinzô, Asô Tarô (qui reste vice-Premier ministre et ministre des Finances) et Nikai Toshihiro (Secrétaire général du parti Libéral-Démocrate, le parti au pouvoir), c’est-à-dire les trois grandes figures qui ont fait la carrière de M. Suga, faire la pluie et le beau temps au Parlement...

Un Premier ministre qui n’oublie pas son origine provinciale

De ce point de vue, tout dépendra de la manière dont Suga Yoshihide s’y prendra pour contenir sans les brusquer ses trois mentors, Abe, Asô et Nikai, qui ne manqueront certes pas de lui rappeler « N’oublie pas qui t’a fait Premier ministre ! »

C’est la seule voie viable qui s’offre à lui, et d’ailleurs, il devrait s’en sortir haut la main. Il est probable que ce dernier jure ses grands dieux de ne vouloir rien d’autre que « poursuivre la politique Abe », mais il est non moins clair que son véritable objectif est de mettre sur pied une « politique Suga » suffisamment forte pour ne rien devoir à celle de son prédécesseur.

Ce que Suga souhaite sincèrement, c’est « rendre les régions plus fortes ». Il ne fait aucun doute qu’il a encore en tête cette promesse qu’il s’est faite en débarquant à la gare d’Ueno avec un simple sac de voyage, son diplôme de fin d’études secondaires en poche. Natif de la préfecture d’Akita, au nord-est du Japon (une région appelée le Tôhoku), il a à l’évidence toujours au fond de sa tête le succès musical de l’époque Ah, Ueno-eki (« Ah, la gare d’Ueno »). C’est un trait qu’il partage avec tous les jeunes montés de leur Tôhoku natal et débarquant sur le quai 17 du terminus, à Tokyo pour la première fois autour de 1965, vingt ans après la fin de la guerre.

Une pratique des réseaux qu’il tient de son mentor

La règle d’or de l’attitude politique de Suga Yoshihide est « Être cohérent ». Même dans le gouvernement Abe, il s’est à plusieurs reprises heurté au vice-Premier ministre Asô et au Secrétaire général du PLD Nikai. La confrontation avec Asô au sujet de la dissolution du parlement a été sévère. Suga sait dire clairement ce qu’il a à dire, aussi bien face au Premier ministre que devant les fonctionnaires du Bureau du Cabinet. Et puis, il est attentif aux autres. Une attitude qu’il tient de Kajiyama Seiroku (1926-2000), ancien Secrétaire général du Cabinet, qu’il considère comme son maître en politique.

En juin 2000, quand Kajiyama est décédé, un homme pleurait à ses obsèques à Ibaraki. Cet homme, c’est Okamoto Yukio, ancien fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères, décédé lui-même tout récemment du coronavirus. Suga et Okamoto ont entretenu une amitié virile d’une grande force, qui dépassait les clivages entre le politicien et le haut fonctionnaire. Suga est riche de nombreuses relations de cette qualité. Il n’est pas impossible que ces individualités fassent une apparition en pleine lumière pendant le mandat du gouvernement Suga.

Les connexions de Suga sont également très fortes à travers des réseaux locaux spécifiques, ceux du parti politique « Osaka ishin no Kai », ou à Okinawa. Quand il était Secrétaire général du Cabinet, Suga faisait du réseautage trois fois par jour, matin, midi et soir, avec des personnalités de tous les domaines de la société, pour collecter des informations. Il y a de la grandeur dans la seule possession d’un tel réseau.

Suga va-t-il annuler les JO de Tokyo 2021 ?

Quelle est la priorité politique du nouveau gouvernement ? Il est clair que les mesures nécessitées par la crise du coronavirus viennent avant tout. Il est dans la charge du Premier ministre de marcher parfois en tête et de s’adresser directement aux citoyens. Pour le coup, nous pouvons nous attendre à une attitude résolument différente de celles de l’ère Abe.

Ensuite, la reprise économique. Le monde fait face à une crise sans précédent. L’argent sera rare, les rouages seront grippés. Le « libre-échange » est d’ores et déjà en passe de devenir un terme du passé, et quel que soit le régime, la tendance dans tous les pays est à un « gouvernement imposant ».

La première chose qui est attendue du gouvernement Suga est une prise de décision concernant les Jeux olympiques et paralympiques de Tokyo. Il faut décider avant la fin de l’année s’il y a lieu de maintenir l’événement ou de l’annuler. Le nombre de personnes infectée ne cesse d’augmenter, principalement dans l’hémisphère sud, et tous les pays éprouvent des difficultés économiques dues aux mesures de lutte contre l’épidémie. Dans ce contexte, je pense que la décision de l’annulation sera prise. Ce qui laissera de vastes béances, psychologiques autant que matérielles. Comment se relever de la perte des Jeux olympiques ? Il est plus que probable que la reconstruction de l’économie et la réponse aux JO seront les deux grands thèmes de l’année qui vient.

Peu importe qui est à la tête du gouvernement, l’économie est toujours un sujet difficile. Et quand le monde entier est malade du coronavirus, il ne faut pas s’attendre à ce que l’économie soit radieuse uniquement au Japon. Évidemment, Suga clamera haut et fort la continuité des politiques surnommées « Abenomics », mais il ne faut pas se leurrer. Dans les Abenomics, il n’y a rien de plus important que l’assouplissement monétaire à grande échelle du gouverneur de la Banque du Japon Kuroda Haruhiko.

Il est dans la nature de Suga de favoriser les mesures économiques profitables directement aux citoyens, comme la réduction des dépenses publiques et la baisse des tarifs de téléphonie mobile. Dans ce sens, les « Suganomics » seront certainement plus faciles à comprendre que les précédentes.

Un fils de paysan qui n’a aucune expérience en diplomatie

Les relations entre Suga Yoshihide et Asô Tarô, qui conserve ses portefeuilles de vice-Premier ministre et ministre des Finances ne sont pas excellentes, mais il est très improbable de les voir provoquer l’implosion du gouvernement.

Suga, qui n’a aucune expérience de diriger personnellement la diplomatie, manque de vision personnelle en politique étrangère. Il suivra dans ce domaine son ministre des Affaires Étrangères Motegi Toshimitsu.

Suga n’a jamais été un politicien de ceux qui tirent parti de leur personnalité populaire. Mais ce n’est pas un héritier, et le fait qu’il soit un simple fils de paysan pourrait faire sa popularité. Il le sait et on l’a vu souligner cette origine. Une chaleur humaine émane de sa personne, mais il sait aussi faire des choix impitoyables quand la situation l’exige. Quel est le talent qu’il montrera le mieux ?

Le gouvernement Suga peut s’avérer un grand gouvernement, mais il peut aussi n’être qu’une transition vers une troisième administration Abe...

(Photo de titre : Suga Yoshihide, Abe Shinzô, et Aso Tarô, respectivement deuxième, troisième et quatrième en partant de la gauche, lors d’une réunion gouvernementale portant sur l’économie le 22 janvier 2020)

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