Les premières sanctions contre les discours de haine au Japon : un progrès pour les résidents coréens ?

Société

Ces dernières années, la ville de Kawasaki a vu des discours de haine de plus en plus agressifs dirigés contre les Zainichi, les ressortissants coréens établis au Japon depuis plusieurs décennies. Le tout premier arrêté imposant des sanctions contre les discriminations raciales a été adopté dans la ville en juillet 2020, dans le but de calmer les tensions. Bien que cette règle donne à cette minorité de résidents un véritable espoir de pouvoir enfin lutter contre les groupes haineux, la violence verbale continue de se répandre.

Le cri des ressortissants coréens au Japon

Le temple Kawasaki Daishi est un lieu particulièrement populaire pour effectuer les prières du Nouvel An. Situé à seulement un kilomètre au sud de ce monument se trouve Sakuramoto, un quartier comptant un grand nombre de résidents coréens Zainichi. C’est un typique centre résidentiel et commercial, situé dans la zone côtière de la ceinture industrielle de Tokyo-Yokohama. Avant la Seconde Guerre mondiale, lorsque la péninsule coréenne était sous contrôle colonial japonais, de nombreux Coréens étaient venus ici pour travailler dans les usines.

Des cerisiers bordent la rue principale du quartier de Sakuramoto. (Photo de l’auteur)
Des cerisiers bordent la rue principale du quartier de Sakuramoto. (Photo de l’auteur)

Il y a cinq ans, le 8 novembre 2015, un rassemblement raciste avait profondément choqué ce quartier généralement calme. Des rassemblements avaient déjà eu lieu près de la gare de Kawasaki et à d’autres endroits, mais c’était la première fois que Sakuramoto était directement visé.

La foule haineuse avait alors proféré des insultes et des menaces contre les résidents. Brandissant des drapeaux du soleil levant, les manifestants scandaient un slogan particulièrement violent aux Zainichi : « Purifier le Japon ». Malgré une légère pluie, une contre-manifestation anti-haine s’était elle aussi formée, et ces manifestants demandaient aux groupes haineux de partir et de mettre fin à leur comportement discriminatoire, ajoutant ainsi à la cacophonie ambiante.

Choi Kang-ija, une résidente locale, Zainichi de troisième génération, raconte les événements. « J’avais commencé à prendre peur en voyant les rassemblements à l’extérieur de la gare de Kawasaki, et je me débrouillais donc pour éviter cette zone, mais quand les manifestants ont débarqué dans mon quartier, je n’ai plus eu nulle part où aller. J’étais apeurée, mais également très choquée. Ils nous ont crié des choses terribles, nous disant de “quitter le pays” et nous traitant comme de la saleté. Des contre-manifestants ont suivi le groupe, leur criant de mettre fin à leur discours de haine, en faisant écho à la tristesse dans le cœur de tous les habitants du quartier. »

Depuis ce jour, Choi est effrayée partout où elle va. « Je n’ai pas pu dormir pendant des nuits durant. J’avais constamment peur qu’ils reviennent. »

Un autre rassemblement haineux a été organisé à Sakuramoto en janvier de l’année suivante (2016), pendant lequel les participants scandaient des obscénités encore plus violentes aux habitants. Choi a demandé au conseil municipal de Kawasaki de refuser au groupe l’autorisation d’organiser des rassemblements dans le parc local, mais les autorités ont rejeté son plaidoyer, affirmant qu’il n’y avait aucun motif de refus. Elle se sentait alors totalement impuissante.

Un premier arrêté contre les discours de haine envers les étrangers

Choi a été poussée à l’action par les paroles d’un enfant : « S’il n’y a pas de règles, les adultes doivent les créer. » En mars 2016, elle a soumis une déclaration de préjudice pour violation des droits de l’homme au bureau local des affaires juridiques et a été convoquée à la Chambre des conseillers nationale pour témoigner devant la Commission des Affaires judiciaires. Cela a abouti à la visite d’une délégation parlementaire multipartite à Sakuramoto afin d’enquêter sur place.

Un membre du groupe d’inspection, Yakura Katsuo, du Kômeitô (un parti allié au pouvoir), a raconté avoir été profondément troublé lorsqu’un collégien est venu le supplier : « Ils vont me tuer. Aidez-moi, s’il vous plaît ! » Le lendemain du rassemblement haineux, un ami japonais était venu s’excuser après du garçon pour les discriminations subies, avec de bonnes intentions. Mais finalement chez ce jeune Zainichi, l’initiative de son ami lui a fait ressentir une impression « d’être différent des autres », ce qui l’a rendu encore plus triste.

M. Yakura a condamné ce rassemblement, qui a non seulement crée une peur, mais aussi des divisions qui n’existaient pas auparavant.

À Nakahara-ku, Kawasaki, en juin 2016, une contre-manifestation a encerclé les participants à un rassemblement haineux, les forçant à quitter les lieux (© Jiji)
Dans l’arrondissement de Nakahara, à Kawasaki, en juin 2016, une contre-manifestation a encerclé les participants à un rassemblement haineux, les forçant à quitter les lieux. (Jiji Press)

Ainsi, les vives réactions des habitants ont donné un élan à la législation, conduisant à la proposition de loi sur l’élimination des discours de haine en mai 2016. Mais pour certains, cette loi n’est qu’une simple goutte d’eau dans l’océan, car elle manque de dispositions pénales. Choi estime néanmoins que c’est un pas majeur dans la bonne direction, offrant un recours, là où auparavant les Coréens Zainichi se sentaient complètement livrés à eux-mêmes.

Sur la base de la nouvelle loi, la ville de Kawasaki a introduit un arrêté pour supprimer efficacement les discours de haine. Si Tokyo, Osaka et Kobe avait déjà des arrêtés anti-discours de haine, Kawasaki a quant à elle été la première ville à inclure des sanctions en cas de non-respect de la règle établie. Cette dernière a été promulguée en décembre 2019 et est entrée en vigueur en juillet 2020.

L'Assemblée de la ville de Kawasaki a adopté une ordonnance interdisant les discours de haine en décembre 2019. (© Jiji)
L’Assemblée de la ville de Kawasaki a adopté un arrêté interdisant les discours de haine en décembre 2019. (Jiji Press)

Comment définir une insulte ?

L’arrêté de Kawasaki s’attaque aux discriminations injustes envers les personnes originaires de l’étranger ou leurs enfants, quelle que soit leur nationalité. Il impose des sanctions à trois niveaux de gravité croissante pour les comportements discriminatoires répétés : avertissement, consigne, et mise en accusation ou amende (d’un maximum de 500 000 yens, soit environ 4 000 euros).

Malgré cela, depuis juillet (mois au cours duquel l’arrêté est entré en vigueur), au moins huit rassemblements haineux se sont déjà tenus à Kawasaki, y compris à l’extérieur de la gare principale. Morooka Yasuko, avocate spécialisée dans affaires relatives aux discours de haine, estime que l’arrêté est exemplaire et commence à peser lourd, mais qu’il ne va pas assez loin. L’article 12 de l’arrêté, qui détermine les sanctions, tente de trouver un équilibre avec la liberté d’expression. Il interdit spécifiquement trois formes de comportement : l’ostracisme, les préjudices et les insultes. Par conséquent, les actions qui ne relèvent pas de ces catégories ne peuvent être punies. C’est une situation qui, selon certains, encourage effectivement les groupes racistes à poursuivre leurs activités.

Le 5 septembre dernier, un groupe s’est réuni à l’extérieur de la gare de Kawasaki, qualifiant les non-japonais de menteurs et affirmant que les escroqueries par virement bancaire continueraient tant que les autorités ne prendraient pas une position plus dure envers les étrangers. De tels commentaires peuvent sembler relever de la catégorie des « insultes », mais l’arrêté définit comme insulte « toute comparaison d’une personne originaire de l’extérieur du Japon avec autre chose qu’un être humain ». Par conséquent, la règle ne s’applique pas dans la situation décrite au-dessus.

Discours et conduites interdites en vertu des dispositions pénales

Action Définition dans l’arrêté Exemple
Ostracisme Protestations ou appels à la déportation de personnes d’origine étrangère de leur lieu de résidence « Virez X hors de Kawasaki ! »
Violences Comportements ou appels à heurter la vie, le corps, la liberté, la réputation ou les biens de personnes d’origine étrangère « Il faut se débarrasser de X ! »
Insultes Comparaisons, etc. des personnes d’origine étrangère avec autre chose qu’un être humain « X sont des parasites ! »

Source : Directives pour comprendre l’article 12 de l’arrêté de la ville de Kawasaki pour le développement d’une ville fondée sur les droits de l’homme sans discrimination.

Le personnel du comité surveillant les discours de haine a rapporté que le groupe haineux avait fait des déclarations provocantes lors d’une réunion, en contournant les bords de cet arrêté : « Nous n’allons rien dire de haineux, et nous insistons pour que vous, les fonctionnaires, écoutiez attentivement ce que nous avons à dire ! » Mais les responsables municipaux n’ont pas encore reconnu de violations des règles désormais en vigueur.

Mme Morooka explique que le comité indiquera seulement si une affaire relève ou non de l’article 12, mais elle estime que le maire devrait condamner de manière proactive les discours ou les actions discriminatoires.

Attaques en ligne

Malheureusement, il ne semble pas y avoir de fin en vue face aux attaques personnelles en ligne via les forums et les sites de discussions comme Twitter et d’autres médias sociaux. Après son témoignage devant la Diète, les informations et les actions de Choi ont été publiées en ligne, et elle reste toujours la cible d’attaques en ligne anonymes. Elle a traité avec ses harceleurs personnellement, exigeant que les fournisseurs de services Internet suppriment des messages, déposant des plaintes pénales et allant même devant les tribunaux. Mais elle explique que le fardeau personnel est énorme pour elle, car elle doit sans cesse fournir des preuves de son harcèlement. Elle revit alors indéfiniment le préjudice qu’elle a subi plusieurs fois, ce qui lui cause une grave anxiété.

Une organisation externe consultée au sujet des mesures de lutte contre les abus en ligne a recommandé que le conseil municipal assume la responsabilité de la suppression des publications en ligne discriminatoires, au nom des particuliers. Toutefois, même si Choi a adressé une pétition au conseil pour avoir reçu 332 attaques (à la date du 11 novembre 2020), la ville n’a reconnu et demandé la suppression que de deux postes offensifs.

Pour Mme Morooka, la première reconnaissance officielle de la discrimination par le conseil municipal est certes un pas en avant, mais le système n’offre qu’une assistance limitée, car la définition de ce qu’est la haine est trop étroite et les évaluations prennent des mois. Elle pense que la ville de Kawasaki doit agir plus rapidement, compte tenu de la vitesse à laquelle les tweets et les messages similaires sont partagés.

Pourquoi une discrimination envers les Coréens du Japon ?

Certains affirment que les Coréens Zainichi sont la cible d’abus parce qu’ils ont obtenu des droits équivalents aux citoyens japonais en vertu de leur statut juridique de « résidents permanents spéciaux ». En mai 2015, lors d’une audition du Comité de la Chambre des conseillers sur les Affaires judiciaires, le directeur général du bureau de l’immigration du ministère de la Justice, Inoue Hiroshi, a expliqué : « Compte tenu de facteurs tels que le retrait de leur nationalité japonaise et leur attachement au Japon, des mesures spéciales ont été prises en traitement différent de celui appliqué aux autres résidents étrangers. Cette loi est établie dans le but particulier de stabiliser le statut juridique des résidents permanents spéciaux, et il est donc inacceptable de les ostraciser de la société japonaise sur la base d’une telle mesure. »

Avec l’annexion de la Corée par le Japon en 1910, les habitants de la péninsule coréenne sont devenus des citoyens japonais, et beaucoup sont venus au Japon, dans diverses circonstances. Les Coréens qui sont restés au Japon après l’indépendance de la Corée ont été initialement classés comme « étrangers » par le gouvernement japonais. Le fait que beaucoup aient décidé de faire leur vie au Japon a conduit à l’introduction du statut de résident permanent. Selon le gouvernement, ce fait n’est pas considéré comme un « privilège ».

Mme Morooka souligne que le statut ne fournit pas réellement de résidence permanente. De plus, note-t-elle, « les personnes qui étaient à l’origine des citoyens japonais sous la domination coloniale et qui devraient se voir garantir les mêmes droits que les ressortissants japonais, subissent diverses restrictions de leurs droits. Par exemple, certains ont été envoyés à la guerre pour combattre en tant que citoyens japonais, mais aucune compensation n’a été prévue face à ceux qui sont morts. De plus, ils n’ont pas le droit de voter aux élections municipales, ne peuvent pas rejoindre la fonction publique et sont victimes de discrimination en matière de retraite et d’aide sociale, ce qui en fait des citoyens de seconde zone. Elle pense que, à certains égards, cela a attisé une discrimination plus large.

Mais comment cela a-t-il conduit au phénomène plus violent des discours de haine ? M. Yakura, qui a participé à l’élaboration du projet (finalement devenu la loi sur l’élimination des discours de haine), a noté que l’affaiblissement de l’économie japonaise créait un sentiment de désespoir et de malaise. La classe moyenne, qui se sentait négligée, est devenue encore plus mécontente. Certains pensent que les Coréens Zainichi jouissent d’un traitement favorable, et les utilisent comme bouc émissaire. Cela a conduit à une division croissante de la société. Mais comme il le note, « Les tensions croissantes entre les pays d’Asie de l’Est ne sont pas une excuse pour normaliser la haine, en niant totalement la personnalité de chacun. »

Un établissement pour apprendre à coexister

Fureai-kan, un établissement public du quartier de Sakuramoto, est la base d’une initiative visant à encourager la communication entre les résidents coréens Zainichi et les Japonais. Lors de sa création en 1988, il y avait l’opposition de certains voisins, qui craignaient que le centre devienne un lieu de conflit. Au lieu de cela, il accueille désormais des enfants d’origines culturelles diverses, facilitant l’interaction naturelle entre les enfants et leurs parents.

Selon Yamada Takao, bénévole au centre : « La création d’un espace où les Japonais et les Coréens Zainichi peuvent se rencontrer a contribué à faire tomber les barrières entre eux. Les gens de notre quartier acceptent maintenant les antécédents et les différences des uns et des autres. Cela a aidé à renforcer le soutien pour lutter contre le racisme, afin que les Coréens Zainichi ne se sentent pas isolés. »

Le Fureaikan de Kawasaki accueille des activités visant à créer un avenir plus convivial entre les Coréens Zainichi et les Japonais. (Photo de l'auteur)
Le bâtiment Fureai-kan de Kawasaki accueille des activités visant à créer un avenir plus convivial entre les Coréens Zainichi et les Japonais. (Photo de l’auteur)

(Reportage et texte de Mochida Jôji, de Nippon.com. Photo de titre : des contre-manifestants en réponse à un rassemblement haineux en juin 2016 à Kawasaki. Jiji Press)

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