Pourquoi la vaccination contre le coronavirus est-elle aussi lente au Japon ?

Société Santé

Alors que la vaccination contre le Covid-19 est lancée partout dans le monde, la lenteur qu’elle a prise au Japon est de plus en plus notable. C’est le dernier pays du G7 à avoir homologué le vaccin à ARN de Pfizer, et son administration n’a débuté que le 17 février. Les membres du personnel soignant sont les premiers concernés, et les personnes âgées recevront des injections qu’à partir du 12 avril. Un journaliste nous explique les vraies raisons derrière un tel retard.

Une vaccination active un peu partout dans le monde

Tous les pays du monde sont rapidement arrivés à la conclusion que la vaccination allait marquer le tournant décisif de la crise sanitaire. À la mi-février, la Chine était le pays à avoir réalisé le plus grand nombre de vaccinations, avec 40,5 millions. Ce pays utilise le vaccin qu’il a développé dans le cadre d’une « diplomatie vaccinale » tournée vers l’ensemble du monde, à commencer par les pays d’Asie du Sud-Est.

Le deuxième pays ayant vacciné le plus de personnes sont les États-Unis, environ 37 millions, avec une campagne commencée le 14 décembre dernier. Une semaine plus tard, le président-élu Joe Biden se faisait administrer une dose afin de montrer à tous que le produit était sûr.

La Grande-Bretagne occupe la troisième position, avec 15 millions. Le 9 janvier, il a été annoncé que la reine Elizabeth II et son mari avaient été vaccinés.

Israël, quant à lui, a vacciné 3,78 millions de personnes, soit 43,4 % de sa population, le deuxième pourcentage le plus élevé au monde (derrière les Émirats Arabes Unis). Le premier ministre Netanyahu a eu sa première injection le 19 décembre 2020, et il s’est fixé pour but d’avoir vacciné plus de la moitié de sa population d’ici la mi-mars.

Dès la mi-janvier, la vaccination avait aussi commencé dans de nombreux pays.

Le génome complet du Covid-19 ayant été rendu public en janvier 2020, les grandes firmes pharmaceutiques américaines et britanniques ont très vite commencé la production de vaccins expérimentaux. Les États-Unis ont en particulier investis dix milliards de dollars dans la recherche à ce sujet, et ont fait progresser à grande vitesse une nouvelle technologie utilisant l’ADN du virus, qui peut être rapidement synthétisé.

Les Japonais sont un peuple réservé par rapport aux vaccins

Pourquoi le Japon, qui n’a débuté sa campagne de vaccination que le 17 février, a-t-il pris un tel retard ? Kunishima Hiroyuki, directeur du centre des maladies infectieuses de l’hôpital de l’université de médecine Saint Marianna, mentionne trois facteurs.

Le premier est que « les Japonais sont depuis toujours un peuple qui se méfie de la sécurité et de l’efficacité des vaccins ».

L’on sait désormais que les symptômes allergiques figurent parmi les réactions secondaires à ce vaccin. Sous leur forme légère, il s’agit de douleurs musculaires, de maux de tête, ou de fatigue après une dose, et dans leur forme grave, de chute de tension soudaine ou de difficultés respiratoires, de type « choc anaphylactique ». Mais même si tout n’est pas encore connu sur les effets indésirables que ces produits comportent, un grand nombre de pays ont décidé d’autoriser rapidement les vaccins, car ils offraient plus d’avantages que d’inconvénients pour mettre fin à la propagation de la pandémie.

Il se trouve néanmoins que les essais cliniques menés pour les vaccins Pfizer et Moderna, qui sont d’un type nouveau car ils utilisent l’ARN messager ont été menés presque uniquement sur des personnes de race blanche. Très peu d’Asiatiques étaient concernés.

C’est la raison pour laquelle le ministère de la Santé, du Travail et des Affaires sociales, qui a reçu le 18 décembre 2020 la demande d’homologation de Pfizer pour la fabrication et la vente du vaccin, a préalablement mené, à partir du mois d’octobre, un essai thérapeutique sur un groupe de 160 Japonais (âgées de 20 à 85 ans). Le ministère a donc accordé la priorité à la sécurité, même au prix d’un retard sur le reste du monde. Son objectif pour les trois vaccins qui doivent être utilisés est de parvenir à une utilisation plus rapide que la normale, en ayant recours à la procédure d’homologation spéciale, qui permet de réduire la durée de l’évaluation en tenant compte des résultats obtenus à l’étranger où ces produits sont déjà utilisés.

En matière de vaccins, le Japon a connu ces dernières années une polémique relative aux effets indésirables et réactions secondaires du vaccin contre le papillomavirus, à l’origine des cancers du col de l’utérus, avec plusieurs actions en justice contre l’administration et les firmes pharmaceutiques responsables. La prudence du ministère vis-à-vis du vaccin contre le coronavirus s’expliquerait, selon certains, par la crainte d’être critiqué pour avoir failli à son devoir de mener une évaluation suffisante si celui-ci devait entraîner de telles conséquences.

D’après les résultats d’un sondage réalisé pour le quotidien Asahi Shimbun, que celui-ci a publiés le 25 janvier, 21 % des personnes interrogées ont répondu qu’elles voudraient immédiatement se faire vacciner si la vaccination était gratuite, mais 70 % ont opté pour la réponse « je préférerais attendre un peu pour voir comment les choses se passent », et 8 % ont répondu qu’elles ne voudraient pas se faire vacciner. Les Japonais semblent avoir des réserves vis-à-vis du vaccin.

Développer des produits contre les maladies contagieuses : une lacune au Japon

M. Kunishima a mentionné deux autres facteurs pour expliquer le retard pris par le Japon, à savoir le faible nombre de firmes pharmaceutiques ou de start-up de biotechnologie capables de développer des produits pharmaceutiques rares comme ceux pour les maladies contagieuses, et ensuite, la faiblesse des institution médicales en matière de système d’essais cliniques de nouveaux médicaments.

Il y a une cinquantaine d’années, la recherche et la fabrication de vaccins était florissante au Japon, mais la baisse progressive du nombre d’enfants à vacciner, et les actions en justice intentées suite à des vaccinations ont conduit à l’affaiblissement de ce secteur. Les nouvelles maladies contagieuses ont pour caractéristiques d’apparaître soudainement, de se propager très vite, pour parfois disparaître avant même que les firmes pharmaceutiques aient eu le temps de mettre sur le marché les produits qu’elles avaient développés. Ainsi, rares sont les entreprises qui travaillent sur des vaccins dans ce domaine.

Voici donc pourquoi le Japon importe plus de la moitié des vaccins qu’il utilise... Et le coronavirus ne fait pas exception ! Si l’Archipel prend du retard dans l’acquisition des quantités dont il a besoin, la vaccination s’effectuera aussi tardivement.

Les entreprises qui travaillent sur un vaccin contre le Covid-19 sont peu nombreuses, mais il y en a, comme la start-up AnGes Inc., ou la firme pharmaceutique Shionogi, qui en sont toutes deux au stade des essais cliniques. Citons aussi la célèbre Daiichi Sankyô et d’autres entreprises qui continuent leurs travaux. Mais elles sont cependant en retard sur les autres pays. La fabrication de vaccins au Japon à l’avenir, pour garantir la sécurité et la santé des Japonais est pourtant indispensable, et le gouvernement doit soutenir les entreprises qui en développent.

Le système d’essais cliniques vaccinaux japonais est faible, et il est nécessaire d’en mettre un sur pied qui permette une évaluation plus rapide et plus flexible, particulièrement afin de faire face aux situations d’urgence comme celle que nous connaissons actuellement. Particulièrement cette année, celle des Jeux olympiques et paralympiques de Tokyo, le Japon, plus que n’importe quel autre pays, a la responsabilité de mettre un point final rapidement à cette crise. L’équilibre avec la sécurité est une préoccupation, mais il faut sans doute dorénavant faire progresser l’évaluation en raccourcissant une partie du processus ordinaire.

Le 8 janvier, au moment où l’état d’urgence sanitaire a été de nouveau déclaré dans la région de Tokyo, quatre lauréats du prix Nobel de médecine, Yamanaka Shinya, Ômura Satoshi, Ôsumi Yoshinori, et Honjo Tasuku, ont publié une déclaration en cinq articles contenant cinq demandes au gouvernement, parmi lesquelles figurent le renforcement du soutien à la collaboration entre la recherche et l’industrie ainsi qu’aux sciences de la vie qui créent des principes de développement de vaccins et de nouveaux médicaments, ainsi que l’accélération du processus d’évaluation et d’homologation de ceux-ci tout en garantissant son indépendance et sa transparence.

La lutte contre le virus va continuer, et il y aura sans doute d’autres pandémies. Il est clair aujourd’hui que le Japon doit résoudre un grand nombre de problèmes avant de pouvoir les combattre avec des vaccins sûrs et fabriqués localement.

(Photo de titre : le président-élu américain Joe Biden se fait administrer le vaccin contre le Covid-19 le 21 décembre 2020. Jiji Press)

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