Les projets et les atouts du Japon dans l’exploration spatiale

Science

Entre la mission réussie de l’explorateur d’astéroïde Hayabusa-2 ou la présence d’un Japonais au sein de la Station spatiale internationale (ISS) aux côtés du Français Thomas Pesquet, le Japon est activement engagé dans l’exploration de l’espace. Actuellement, quels sont ses projets en cours et ses atouts ? Nous nous sommes entretenus avec Matsui Takafumi, le directeur du Centre de recherche sur l’exploration planétaire (PERC) de l’Institut de technologie de Chiba.

Matsui Takafumi MATSUI Takafumi

Président de l’Institut de technologie de Chiba et professeur émérite de l’Université de Tokyo. Né en 1946 dans la préfecture de Shizuoka, il obtient son doctorat à l’Université de Tokyo, où il enseignera plus tard, avant d’occuper son poste actuel. Il est spécialisé en planétologie comparative et en exobiologie. Il a également fait partie de commissions et de conseils du gouvernement japonais et est actuellement un membre actif de sociétés universitaires internationales. Il est notamment l’auteur de l’ouvrage « L’effondrement du système terrestre » (Chikyû system no hôkai), qui a reçu le Mainichi Publishing Culture Award en 2007, et plus récemment de « 13,8 milliards d’années de théorie de la vie » (13,8 oku nen no jinseiron) et de « D’où vient la vie ? Introduction à l’exobiologie » (Seimei wa doko kara kita no ka ? Astrobiology nyûmon).

Les trois piliers de la politique spatiale japonaise

— Le quatrième plan de base de politique spatiale pour les dix prochaines années a été annoncé à l’été 2020. Quels sont les projets du Japon en matière d’exploration spatiale ?

MATSUI TAKAFUMI  J’ai participé à la politique spatiale du Japon bien avant la création de l’actuelle Comité de politique spatiale, lequel a vu le jour sous l’égide du bureau du Cabinet après la suppression en 2012 de la Commission des activités spatiales au sein du ministère de l’Éducation, de la Culture, des Sports, des Sciences et de la Technologie (MEXT).

Au départ, la politique spatiale japonaise se concentrait sur la recherche et le développement, sous l’égide du MEXT. Cependant, des domaines tels que la sécurité ou l’utilisation de l’espace étaient peu pris en compte, et le budget était limité. Un grand nombre de petites entreprises ont ainsi été découragées de participer au programme. La crainte que le Japon ne soit plus en mesure de construire ses propres fusées pour lancer des satellites dans l’espace était très présente.

Nous avons adopté une nouvelle vision et défini les trois piliers de la politique spatiale japonaise. Premièrement, l’espace doit être en première ligne de la sécurité nationale. Deuxièmement, comme le démontre le système de géolocalisation Quasi-Zénith (QZSS), pour être en mesure de proposer des services de positionnement précis et stables, l’espace doit être utilisé à des fins pratiques. Et troisièmement, un maintien des capacités de recherche et développement est nécessaire, tout en continuant à se concentrer sur la science.

La politique spatiale doit se projeter sur 20 à 30 ans, en définissant des objectifs spécifiques sur des périodes de dix ans. Cependant, de tels projets à long terme n’apparaissent guère dans les politiques gouvernementales japonaises. En termes de budget, la barre maximale était fixée à 350 milliards de yens (2,6 milliards d’euros), rendant difficile toute prévision de l’avenir. Souhaitant remédier à cette situation, nous avons soumis un projet de budget pour l’exercice 2021 d’environ 550 milliards de yens (4,1 milliards d’euros). Nous avons obtenu une enveloppe d’environ 450 milliards de yens (3,4 milliards d’euros).

Objectif Lune avec la NASA

— Le plan de base de la politique spatiale prévoit 35 projets de satellites et d’exploration. Parmi eux, quels sont pour vous les plus importants pour la réalisation des objectifs de la politique des dix prochaines années ?

M.T.  Du point de vue de la sécurité et de la diplomatie nationale, c’est sans aucun doute la participation du Japon au programme Artemis de la NASA, qui vise à envoyer un homme sur la Lune en 2024 et à commencer la construction d’une base lunaire en 2028. Pour l’heure, nous avons seulement pu atteindre l’orbite terrestre basse, mais les États-Unis comme le Japon sont d’accord sur le fait qu’il est dans l’intérêt de la sécurité nationale de nos deux pays d’étendre nos activités à l’orbite lunaire. C’est pourquoi le Japon a décidé de participer au programme.

Un jour, le programme Artemis permettra peut-être à un astronaute japonais de marcher sur la Lune, ce qui marquerait un tournant majeur dans la politique spatiale du Japon.

Là où le Japon se démarque des autres pays

— Pouvez-vous nous citer d’autres projets importants en dehors du programme Artemis ?

M.T.  En fait, la politique spatiale du Japon fait parler d’elle dans le monde entier. Mais ce n’est pas pour notre participation au programme Artemis ou pour le développement du système de GPS Quasi-Zénith et de la fusée H3. Non, d’autres pays font exactement les mêmes choses. Mais là où la politique spatiale japonaise se démarque, c’est dans le domaine de l’exploration scientifique. Peu de pays envoient des sondes dans l’espace pour recueillir des données scientifiques. Le Japon est, je pense, l’un des premiers à le faire. Il est important que nous nous perfectionnions dans ce domaine.

Malheureusement, le budget du Japon n’est que d’un dixième de celui de la NASA. Nous devons donc agir de façon stratégique. C’est pourquoi nous nous concentrons actuellement sur les prélèvements d’échantillons, comme dans le cas de la sonde Hayabusa-2. C’est une stratégie qui nécessite une technologie sophistiquée, mais qui offre également des avantages considérables.

— En parlant de la sonde Hayabusa-2, la JAXA prépare d’autres missions telles que MMX et DESTINY+. Quels sont les objectifs de ces deux missions ?

M.T.  La mission MMX, ou Martian Moons Exploration, est une mission de retour d’échantillons. La sonde rapportera sur Terre des échantillons de Phobos, l’une des deux lunes de Mars. Faisant suite aux missions Hayabusa et Hayabusa-2, ce sera la première mission de retour d’échantillons de l’atmosphère de Mars. Le lancement est prévu en 2024 pour un retour en 2029. Ce tout premier échantillon prélevé sur l’orbite martienne pourrait même nous renseigner sur les origines de la vie dans l’univers.

Quant à DESTINY+ (Demonstration and Experiment of Space Technology for Interplanetary Voyage), dont le lancement est également prévu en 2024, il s’agit d’une mission visant à se rapprocher le plus possible de l’orbite de l’astéroïde géocroiseur Phaéton et à mesurer la quantité de poussière interplanétaire et interstellaire. Avec près de 6 kilomètres de diamètre, Phaéton est le plus gros astéroïde susceptible d’entrer en collision avec la Terre. Un astéroïde se serait brisé il y a 4 600 ans en deux plus petits : celui-ci, Phaéton, et 2005UD, d’environ 1 kilomètre de diamètre. Le nuage de poussière qui s’est formé lors de ce processus d’éclatement serait à l’origine de la pluie de météores des Géminides. Mais, pour l’heure, nul ne saurait dire comment cette poussière s’est détachée de Phaéton. Nous espérons que la mission DESTINY+ nous aidera à faire la lumière sur ce mystère.

Les contributions majeures du PERC

— Le Centre de recherche sur l’exploration planétaire (PERC) de l’Institut de technologie de Chiba a été fortement impliqué dans le développement des instruments d’observation de la sonde Hayabusa-2 et dans l’analyse des données recueillies. Est-ce que ce sera également le cas pour les missions MMX et DESTINY+ ?

M.T.  Oui, bien sûr, notamment dans le cas de la mission DESTINY+. En ce sens, nous avons fait figurer l’Institut de technologie de Chiba et de l’Institut des sciences spatiales et astronautiques sur l’autocollant de la mission. Le PERC sera responsable du développement de trois des instruments de mesure qui seront utilisés lors de la mission DESTINY+. Il sera également chargé de superviser d’un point de vue scientifique le projet dans sa totalité.

Ce qu’il y a d’extraordinaire dans cette mission, c’est le développement d’une nouvelle technologie grâce à laquelle nous pourrons approcher Phaéton à une distance d’environ 500 kilomètres, qui lui a une vitesse de plus de 33 kilomètres par seconde. Lors de la mission DESTINY+, nous capturerons des images de la surface de l’astéroïde, à l’aide de téléobjectifs et de caméras spectroscopiques, tout en analysant la composition chimique de la poussière qui gravite autour de l’astéroïde.

Les installations du PERC. En haut à gauche : la chambre de simulation de l'environnement martien, capable de reproduire des éléments de l'atmosphère de Mars tels que la température (jusqu'à -120°C), la pression (environ 1/100 atm) et la composition chimique (principalement de dioxyde de carbone). Elle est utilisée pour tester les instruments de mesure de la mission sur la Planète rouge. En haut à droite : le laboratoire photo pour l'exploration planétaire. En bas à droite : la salle de développement des technologies d'exploration planétaire. Ce laboratoire est équipé du matériel de mesure et de test nécessaire au développement des instruments embarqués sur le vaisseau spatial. C'est là où les expériences de base et les tests d'étalonnage peuvent être réalisés, et où les modules de vol peuvent être assemblés. En bas à gauche : la salle de simulation des impacts à hypervitesse. Ici, un lanceur de projectiles est utilisé pour reproduire et mesurer les différents phénomènes liés aux collisions à hypervitesse qui ont impacté la Terre depuis ses origines (avec l'aimable autorisation du PERC, Institut de technologie de Chiba)
Les installations du PERC. En haut à gauche : la chambre de simulation de l’environnement martien, capable de reproduire des éléments de l’atmosphère de Mars tels que la température (jusqu’à -120°C), la pression (environ 1/100 atm) et la composition chimique (principalement de dioxyde de carbone). Elle est utilisée pour tester les instruments de mesure de la mission sur la Planète rouge. En haut à droite : le laboratoire photo pour l’exploration planétaire. En bas à droite : la salle de développement des technologies d’exploration planétaire. Ce laboratoire est équipé du matériel de mesure et de test nécessaire au développement des instruments embarqués sur le vaisseau spatial. C’est là où les expériences de base et les tests d’étalonnage peuvent être réalisés, et où les modules de vol peuvent être assemblés. En bas à gauche : la salle de simulation des impacts à hypervitesse. Ici, un lanceur de projectiles est utilisé pour reproduire et mesurer les différents phénomènes liés aux collisions à hypervitesse qui ont impacté la Terre depuis ses origines (avec l’aimable autorisation du PERC, Institut de technologie de Chiba)

L’âge du fer et les météorites

— Vos prochaines recherches porteront sur les origines de l’âge du fer. Pourquoi cette période de l’Histoire ?

M.T.  Une civilisation se développe grâce à l’innovation technologique, indispensable à sa survie. Dans cette perspective, l’innovation technologique la plus évidente des civilisations passées est le métal. Le passage de l’âge de pierre à l’âge du fer a permis un bond en avant spectaculaire pour l’Homme. Cependant, peu de recherches ont été faites sur le début de l’âge du fer, au moment où cette transition a eu lieu. L’âge du fer aurait succédé à celui du bronze, mais je pense que les premiers objets en bronze et en fer ont été fabriqués à peu près en même temps.

Des fouilles archéologiques en Turquie nous ont permis de comprendre que les plus anciennes boules en fer fabriquées par l’Homme datent d’il y a environ 4 300 ans. À la même époque, des épées ont été forgées à partir de météorites. On peut donc en conclure que les premiers métaux utilisés par l’Homme proviennent de fer de météorites. L’étude de l’évolution de ce processus devait nous permettre de découvrir comment l’âge du fer a commencé et quel en a été l’impact sur la civilisation humaine.

— La civilisation considérée à l’échelle de l’univers nous amène à réfléchir aux origines de la vie. Est-ce que c’était votre objectif lors de la création du Centre de recherche sur l’exploration planétaire en 2019 ?

M.T.  Depuis que j’ai été nommé président de l’Institut de technologie de Chiba en juin 2020, je m’efforce de poursuivre les recherches liées à l’exploration planétaire tout en mettant leurs résultats au profit de nos programmes éducatifs.

Une université se doit d’être un lieu qui génère un flux de connaissances. Dans un institut technologique comme le nôtre, la « connaissance » signifie notamment la conception d’une civilisation future. L’innovation technologique ne prend son sens que lorsqu’elle s’inscrit dans le cadre d’une vision de ce que devraient être la société et l’humanité.

Malheureusement, au Japon, la grande majorité des chercheurs ont tendance à attendre passivement les projets financés par le gouvernement. À l’Institut de technologie de Chiba, au contraire, nous fournissons à celles et ceux qui ont des idées intéressantes les fonds nécessaires pour le démarrage de leurs projets. Nous espérons ainsi encourager les chercheurs dynamiques et des ingénieurs pratiques, qui à leur tour, contribueront activement à notre « flux de connaissances ».

(Texte et interview de Matsui Takafumi par Amano Hisaki, de Nippon.com. Photo de titre : Pixta)

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