La politique japonaise en 2022 : la pandémie et l’économie, les deux éléments clés pour l’avenir de Kishida Fumio

Politique

2022 s’annonce comme une année cruciale pour Kishida Fumio. L’avenir du nouveau Premier ministre japonais dépend en effet de la victoire de son parti aux élections de la Chambre des conseillers et de l’évolution de la situation sanitaire et économique du pays.

Des élections vraiment cruciales

Le 4 octobre 2021, Kishida Fumio a pris les rênes du gouvernement japonais après son élection à la tête du Parti libéral-démocrate (PLD), le 29 septembre 2021. Le 31 octobre, il a remporté les élections législatives de la Chambre des représentants (Chambre basse de la Diète) à une large majorité. Son parti a obtenu 261 des 465 sièges, et le parti du Kômeitô avec lequel il a formé une coalition, 32. Si le PLD sort vainqueur des élections à la Chambre des conseillers (Chambre haute) de l’été 2022, le Premier ministre sera en mesure de gouverner à long terme dans la stabilité.

Mais les choses ne vont pas forcément se passer aussi aisément. Le Japon pourrait en effet être victime d’une nouvelle vague de Covid-19 auquel cas, tous les regards se braqueront sur Kishida Fumio et la façon dont son gouvernement gèrera la situation. La politique économique du Premier ministre risque également de se trouver sur la sellette dans la mesure où la tendance à l’inflation continue de se confirmer partout dans le monde. Le moindre faux-pas politique pourrait mécontenter la population et se solder pour le PLD par une perte importante de sièges aux élections de l’été 2022 qui entraverait l’action du gouvernement. Pire encore, le PLD pourrait se retrouver face à une « Diète tordue » (nejire kokkai) où la Chambre basse serait contrôlée par la coalition au pouvoir et la Chambre haute, par l’opposition. Dans ce cas, le dirigeant pourrait même être contraint de quitter son poste. Bref, 2022 va être une année cruciale pour Kishida Fumio.

Éviter à tout prix le cas extrême de la « Diète tordue »

Les élections à la Chambre des conseillers auront vraisemblablement lieu le 10 juillet 2022. Une réforme récente de la législation a ajouté 3 nouveaux sièges aux 245 dont la Chambre haute se composait jusqu’alors. Soit un total de 248 sièges dont la moitié, c’est-à-dire 124, sont à renouveler cette année. Au 1er janvier 2022, le PLD et le Kômeitô disposaient de 68 des sièges non concernés par les prochaines élections, ce qui veut dire que pour avoir une majorité de 125 sièges à la Chambre haute, les deux partenaires de la coalition au pouvoir vont devoir s’adjuger 57 des 124 sièges à pourvoir. 54 des sièges à renouveler sont actuellement occupés par des élus du PLD et 14, par des membres du Kômeitô. Les deux partis peuvent se permettre de perdre 11 de ces 68 sièges tout en conservant la majorité à la Chambre des conseillers.

Le Premier ministre semble donc à même de se tirer d’affaire sans trop de difficultés. Il ne faut pourtant pas oublier que les élections à la Chambre des conseillers se sont souvent avérées désastreuses pour le parti au pouvoir. Les électeurs japonais ont en effet tendance à considérer les élections législatives comme l’occasion de choisir les dirigeants du pays et celles de la Chambre des conseillers comme des « élections de mi-mandat » où ils peuvent sanctionner le ou les partis au pouvoir. La plupart des bouleversements récents qui ont émaillé la vie politique de l’Archipel ont été déclenchés par des élections à la Chambre haute.

C’est ce qui s’est produit en 2007, lors du premier mandat (septembre 2006-septembre 2007) du Premier ministre Abe Shinzô. Cette année-là, les élections à la Chambre des conseillers ont abouti à une large victoire du Parti démocrate du Japon (PDJ) et à la formation d’une « Diète tordue » où l’opposition a pris le contrôle de la Chambre haute. Au bout de deux années particulièrement agitées, la coalition formée par le PLD et le Kômeitô a été battue par le Parti démocrate du Japon aux élections législatives de 2009. Un an plus tard, le PDJ et le Premier ministre Kan Naoto qui était alors à sa tête ont perdu leur mainmise sur la Chambre haute. Ils ont continué tant bien que mal à gouverner le pays jusqu’aux élections à la Chambre des représentants de 2012 à l’issue desquelles la coalition PLD-Kômeitô est retournée au pouvoir.

Les grandes dates du calendrier politique de 2022 (janvier-juillet)

17 janvier Ouverture de la 208e session ordinaire de la Diète
23 janvier Élections municipales de Nago (à Okinawa)
4 février Cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques d’hiver de Pékin 2022
9 mars Élections présidentielles en Corée du Sud
Fin mars (date prévue) Vote du budget de l’année fiscale 2022 (1er avril 2022-31 mars 2023)
15 mai 50e anniversaire de l’accord de restitution d’Okinawa au Japon (1971)
15 juin Fin de la 208e session ordinaire de la Diète
10 (date prévue) Élections à la Chambre des conseillers

Un plan d’urgence de relance économique

Kishida Fumio est parfaitement au courant de l’histoire de son parti. C’est pourquoi il a commencé à se préparer en vue des élections à la Chambre haute de 2022 dès sa nomination au poste de Premier ministre. En novembre 2021, il a annoncé un plan économique d’urgence de 56 000 milliards de yens (environ 430 milliards d’euros) financé par le gouvernement qui devrait atteindre un montant total de 79 000 milliards de yens (environ 600 milliards d’euros) une fois les mises de fonds du secteur privé prises en compte. Avec ce plan de relance, le Premier ministre entend remettre le plus vite possible l’économie japonaise sur le chemin de la croissance. Lors de la session extraordinaire de décembre 2021, la Diète a approuvé un budget additionnel de 36 000 milliards de yens (environ 278 milliards d’euros) pour financer ce plan. On est bien entendu en droit de considérer que toutes ces mesures ont été prises dans la perspective des élections de l’été 2022.

La crise sanitaire a touché de plein fouet Abe Shinzô et Suga Yoshihide, les prédécesseurs de Kishida Fumio à la tête du gouvernement. L’épidémie de Covid-19 semble à présent vouloir se calmer au Japon, ce qui constitue un atout pour le nouveau Premier ministre. Le succès qu’il a remporté à la tête de son parti aux élections législatives, a fait grimper son taux d’approbation dans les sondages (54 % au 15 février). Dans le même temps, Edano Yukio fondateur et chef de longue date du Parti démocrate constitutionnel (PDC), a démissionné de ses fonctions en raison de l’échec de son parti lors de ce scrutin. Il a été remplacé par Izumi Kenta mais ce changement ne semble guère susceptible d’aboutir à un retour en grâce du PDC.

En 2022, la première tâche de Kishida Fumio consistera à faire voter le budget de l’année fiscale 2022 (1er avril 2022-31 mars 2023) lors de la 208e session ordinaire de la Diète qui a débuté au mois de janvier. Il s’efforcera par ailleurs de faire adopter le plan de relance de sécurité économique auquel il tient beaucoup ainsi qu’un projet de loi pour la création d’une nouvelle agence du gouvernement spécialisée dans l’enfance et les affaires familiales (kodomo katei chô). Il s’agit encore une fois de mesures susceptibles de fortifier la position du Premier ministre au moment des élections de l’été 2022.

Et la politique sécuritaire ?

Dans le discours de politique générale qu’il a prononcé devant la Diète le 6 décembre 2021, Kishida Fumio a abordé la question de la « politique sécuritaire » du Japon. Il a insisté sur la nécessité « d’examiner toutes les options de façon réaliste, y compris la capacité “d’attaquer des bases ennemies” dans le cadre de la stratégie de défense nationale ». Etant donné la position très frileuse de son parti sur ce point, le président du Kômeitô Yamaguchi Natsuo a déclaré qu’avant d’adopter une politique sécuritaire plus musclée, le gouvernement devait s’assurer que le peuple japonais partageait son point de vue. Le PLD risque donc de privilégier les bonnes relations avec son partenaire de la coalition jusqu’aux élections de l’été 2022 et de commencer seulement après à discuter sérieusement du problème. Ce faisant, il évitera aussi que l’opposition se serve de sa stratégie de défense pour le critiquer lors des élections à la Chambre haute.

Quoi qu’il en soit, le plus grave problème que va devoir affronter le gouvernement de Kishida Fumio, c’est l’épidémie de Covid-19. Le variant Omicron d’abord détecté en Afrique du Sud à la fin de l’année 2021 s’est rapidement propagé sur toute la planète en raison de son redoutable pouvoir de contamination. Si le système médical japonais se trouve à nouveau sous pression à cause d’un afflux énorme de patients, le gouvernement sera le premier très gravement affecté. Kishida Fumio a pris des mesures draconiennes sur l’immigration qui interdisent toute entrée de non-Japonais sur le territoire national et montrent à elles seules à quel point les autorités sont conscientes du danger que poserait une nouvelle vague de coronavirus. (Voir le bilan en temps réel de l’épidémie au Japon)

Inciter les entreprises à augmenter les salaires

Le prix des carburants, toujours élevé, préoccupe également le gouvernement. Dans la mesure où le pouvoir d’achat des salaires continue de stagner, l’augmentation du prix des matières premières risque d’affecter le budget des ménages et le bilan des entreprises. Autant de facteurs susceptibles de susciter le mécontentement de la population vis-à-vis des partis au pouvoir. Face à cette situation, le PLD et le Kômeitô ont pris en compte le souhait du Premier ministre d’inclure une mesure d’incitation à la hausse des salaires dans sa réforme du système fiscal de décembre 2021. Une mesure qui consiste à accroître de façon considérable le taux d’exonération fiscale des entreprises qui augmentent les salaires de leurs employés. Toutefois à l’heure actuelle, 60 % des firmes japonaises sont déficitaires et de ce fait, elles ne paient aucun impôt sur les sociétés. Ce qui veut dire que la majorité des firmes de l’Archipel ne sont pas concernées. Par ailleurs l’impact de ce type de mesure est de toutes les façons difficile à mesurer. La plupart des spécialistes pensent que les salaires ont peu de chances de progresser de façon significative tant que le système de l’emploi ne sera pas modifié. Cependant si les Japonais considèrent que le gouvernement n’a pas fait face de façon adéquate à la situation économique ou à la crise sanitaire, ils risquent de lui infliger une cuisante défaite lors des élections à la Chambre des conseillers du mois de juillet prochain.

L’alliance des partis de l’opposition : un véritable casse-tête

La préparation des élections va également constituer une préoccupation majeure pour l’opposition. Le résultat du scrutin dépendra en grande partie du vote des 32 circonscriptions à siège unique qui sont à renouveler. Si chaque parti présente un candidat différent dans chacune d’elles, il fera le jeu de la coalition au pouvoir.

Les candidats de l’opposition, et en particulier du Parti démocrate constitutionnel, risquent donc de vouloir faire alliance. Mais le résultat de leurs tractations paraît pour le moins incertain. Avant les élections législatives d’octobre 2021, le Parti communiste japonais (PCJ) a conclu avec le PDC un accord « de collaboration limitée » portant uniquement sur un ensemble de problèmes définis à l’avance. Si Izumi Kenta, le nouveau président du Parti démocrate constitutionnel est disposé à revoir ce pacte, le PCJ entend le respecter à la lettre, ce qui constitue une entrave de taille à une éventuelle alliance de l’opposition. Dans le même temps, on est en droit de se demander comment le Parti démocrate du peuple (PDP, Kokumin Minshutô), fondé le 7 mai 2018, pourrait s’intégrer dans une stratégie d’alliance concertée de l’opposition. Le PDP n’est en effet pas du tout favorable à une collaboration avec le Parti communiste.

Enfin, le Parti de la restauration (Nippon ishin no kai) qui a remporté un grand nombre de sièges lors des dernières élections législatives entend lui aussi accroître le nombre de ses élus à la Chambre haute. Partisan de « réformes qui tranchent dans le vif », il souhaite présenter de multiples candidats. Dans l’état actuel des choses, il est bien difficile de dire quelle influence ce parti aura sur les résultats des élections à la Chambre des conseillers de juillet 2022 et partant, quelle tournure prendra la vie politique au Japon à l’issue de ce scrutin.

(Photo de titre : le Premier ministre Kishida Fumio en train de s’adresser à la presse dans sa résidence du Kantei de Tokyo, le 11 décembre 2021. Kyodo)

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