La Chine respectera-t-elle la liberté d’expression des athlètes des JO d’hiver de Pékin ?
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« Exprimez-vous, mais chez vous »
Un mois avant le début des JO d’hiver de Pékin, l’ONG Human Rights Watch a organisé un séminaire au sujet de la communication des athlètes olympiques, avec pour préoccupation majeure les éventuelles conséquences qu’ils subiraient en s’exprimant sur des questions politiques.
Rob Koehler, ancien directeur adjoint de l’Agence mondiale antidopage, et actuel directeur général de Global Athletes, un groupe de pression pour les droits des athlètes, y a alors déclaré : « Le silence pourrait être vu comme de la complicité, mais nous conseillons aux athlètes de ne pas exprimer leurs opinions. Nous voudrions qu’ils prennent pleinement part à la compétition et parlent une fois rentrés dans leur pays. »
Noah Hoffman, un skieur de fond américain qui avait déjà participé à deux olympiades, en a pensé de même : « J’espère que les athlètes vont se taire parce que non seulement ils seraient poursuivis par les autorités chinoises, mais ils risqueraient des censures du Comité International Olympique. » Les sportifs sont mis à l’abri de questions sur ces sujets pour leur propre protection.
Wang Yaqiu, chercheur à Human Rights Watch, a quant à lui expliqué que « les lois chinoises portant sur les crimes qui servent à empêcher la liberté d’expression sont très vagues », signalant que l’État pouvait jouir d’une grande latitude s’agissant des poursuites criminelles si le discours d’une personne était jugé inapproprié.
Des communications sous surveillance par la Chine ?
Les athlètes olympiques se sont demandés aussi s’ils allaient pouvoir utiliser leurs appareils électroniques en Chine. Selon un journal néerlandais, le Comité olympique néerlandais avait demandé à ses athlètes de ne pas emmener leurs smartphones et ordinateurs privés à Pékin, et il avait exprimé des réserves au sujet des activités chinoises d’espionnage, reconnaissant que la cybersécurité était un facteur de risque pour les participants étrangers.
Des services populaires au Japon et dans les pays occidentaux tels que Twitter, Google, Line, Instagram et Facebook ne sont généralement pas disponibles en Chine. Ils laissent la place à des versions chinoises, tels que Sina Weibo au lieu de Twitter, et WeChat comme messagerie. Ces plateformes sont sous surveillance et censure permanentes par le gouvernement chinois.
Selon Kyodo News, les services des principales entreprises numériques occidentales sont disponibles à l’intérieur d’établissements olympiques désignés. Ceci étant, des doutes subsistent quant à la censure des communications à travers les réseaux sociaux, et la liberté d’expression électronique reste une préoccupation majeure.
L’inquiétude autour de Peng Shuai
En novembre dernier, la star de tennis chinoise Peng Shuai s’est servie du réseau social chinois Sina Weibo pour accuser un ancien vice-Premier ministre chinois, Zhang Gaoli, de l’avoir forcée à subir des rapports sexuels. On ignore dans quelles conditions le post a été supprimé par la suite, mais cette affaire a parfaitement illustré le côté opaque de l’approche chinoise envers le contrôle des informations internes. La situation s’est envenimée par la disparition de Peng pendant deux semaines, émettant de nombreuses hypothèses au sujet de sa sécurité à l’international.
Puis de manière soudaine, le gouvernement chinois et les médias en Chine se sont mis à annoncer que Peng allait bien, montrant une vidéo de la sportive toute souriante. Le président du CIO, Thomas Bach, a pu même s’entretenir en vidéo avec elle. Comment le CIO avait-il réussi à rentrer en contact avec la joueuse de tennis ? Aucune explication plausible n’a été émise. Le sujet n’étant plus d’actualité, nous ne savons toujours pas si elle est sauve, et libre...
Peng Shuai n’a pas pu quitter le pays et elle était absente de l’Open d’Australie, à Melbourne, l’un des quatre tournois du grand Chelem. Lors d’une conférence de presse pendant le tournoi, la joueuse de tennis espagnole, Garbine Muguruza a dit aux journalistes : « Je pense que cela sera très difficile de parvenir à la vérité, et qu’elle ne pourra pas s’exprimer librement. Je ne sais pas ce qui se passe, quel est le problème ici. » Comme Muguruza, beaucoup ont encore des doutes sur le véritable sort de Peng.
Les réseaux sociaux et le revers de la médaille
Quels seront les limites sur la liberté d’expression et d’action des athlètes pendant les JO ? La question ne s’applique pas seulement aux jeux de 2022 à Pékin. En réalité, les règlements dans l’article 48 de la Charte olympique sont clairs :
Seules les personnes accréditées au titre de médias peuvent agir en tant que journalistes, reporters ou en toute autre qualité liée aux médias. En aucune circonstance, un athlète, un entraîneur, un officiel, un attaché de presse ou tout autre participant accrédité ne peut agir en tant que journaliste ou en toute autre qualité liée aux médias.
Cela veut dire que les athlètes ne doivent pas rédiger des billets pour des journaux pendant la compétition, et les entraineurs ne doivent pas faire des commentaires à la télévision. L’objectif étant d’éviter que les athlètes et les entraineurs se servent des médias pour critiquer leurs adversaires ou se plaindre des décisions de l’arbitre, ce qui perturberait l’événement sportif et provoquerait des oppositions. Tel a toujours été le cas pour toutes les olympiades.
Toutefois, la prolifération des réseaux sociaux ainsi que l’utilisation des smartphones ont changé la donne : l’interprétation et l’exécution de l’article 48 ont évolué. Aux JO de Pékin 2008, les athlètes avaient le droit de publier un blog, tant qu’il était écrit dans le style d’un journal. Aucun problème particulier n’a été rencontré venant des communications des athlètes pendant ces JO. Quatre ans plus tard pourtant, les Jeux de Londres 2012 ont été surnommés « les olympiades des réseaux sociaux », en constatant l’augmentation soudaine de l’utilisation des smartphones et d’applis par les sportifs.
Depuis, le CIO a vivement encouragé les athlètes à se servir de ces nouveaux médias, et des centaines de millions d’utilisateurs y suivent les athlètes olympiques aujourd’hui. Ces derniers sont tout simplement devenus de formidables vecteurs de promotion des Jeux. Aux JO de Tokyo, les messages postés sur les réseaux sociaux par les athlètes ont permis de partager avec le monde entier ce qui se passait au village olympique, où la presse n’avait pas accès, permettant de montrer une autre facette de cet événement sportif.
Le « revers de la médaille » existe cependant, et la face sombre des JO a été mise en lumière par un exemple parlant, celui de la biélorusse Kristsina Tsimanouskaïa. En critiquant ses entraîneurs, cette sprinteuse a provoqué l’ire du régime autoritaire biélorusse qui a insisté pour qu’elle retourne immédiatement au pays. Mais l’athlète de 24 ans a sollicité de l’aide à l’aéroport de Haneda et effectué une demande d’asile, finissant par rejoindre la Pologne. (Voir notre article lié)
Tout cette affaire a démontré la pression mise par certains pays sur leurs athlètes au profit des JO.
La Chine craint une « épidémie » d’athlètes parlant librement
L’article 50 de la Charte olympique stipule la chose suivante : « Aucune sorte de démonstration ou de propagande politique, religieuse ou raciale n’est autorisée dans un lieu, site ou autre emplacement olympique. »
Cependant, le CIO a assoupli l’application de cette règle en amont des JO de Tokyo. Les athlètes qui se servent de manifestations sportives pour dénoncer la discrimination et le racisme sont de plus en plus nombreux à travers le monde, y compris aux États-Unis, ce qui a mené le Comité a mettre en place de nouvelles directives. Celui-ci permet dorénavant des gestes politiques « avant le début de l’épreuve » ainsi qu’à l’entrée et la présentation des athlètes sur les sites des compétitions. L’expression de ses propres opinions sur le podium reste interdite, et les gestes politiques ne peuvent perturber la compétition et doivent « ne pas être dirigés, directement ou indirectement, contre des personnes, des pays ou des organisations ».
Par contre, cela pourrait quand même présenter un problème pour le gouvernement chinois lors des JO d’hiver de Pékin. L’attitude de la Chine au sujet de sa politique répressive et ses violations des droits humains envers la minorité musulmane des Ouïghours de la province du Xinjiang a suscité des condamnations internationales. Le propriétaire d’un quotidien ayant critiqué le gouvernement à Hong Kong a été arrêté, et les médias en faveur de la démocratie ont été évincés les uns après les autres.
La réponse des États-Unis, du Royaume Uni et d’autres pays a été de critiquer ouvertement la dérive autoritaire de la Chine et d’exercer le « boycott diplomatique » : aucun officiel de ces pays ne se présentera aux cérémonies d’ouverture et de fermeture des Jeux actuels. Le Japon a aussi pris la décision de ne pas envoyer de ministres.
Quelle sera la réponse du CIO et du gouvernement chinois si des athlètes se joignent aux politiques pour critiquer les méthodes chinoises ? Ils pourraient expulser les athlètes des Jeux et/ou les forcer à quitter la Chine. On peut alors facilement imaginer l’ampleur phénoménale que prendraient de telles situations.
La présence du variant Omicron a été confirmée à Pékin, éveillant des craintes que l’infection se propage. Mais la véritable hantise du gouvernement chinois et des organisateurs du CIO concerne une autre épidémie : celle des athlètes exprimant leurs points de vue politiques au sujet de la Chine. En même temps, toute atteinte à la liberté d’expression des participants entacherait l’histoire des JO, alors que l’un de ses objectifs principaux est de donner aux jeunes du monde entier l’occasion d’approfondir des amitiés au-delà des frontières.
L’esprit olympique est sensé « promouvoir une société pacifique, soucieuse de préserver la dignité humaine ». Reste à voir si ces nobles objectifs sont en train de se réaliser actuellement à Pékin.
(Photo de titre : des militants demandent le boycott des JO de Pékin près du siège de l’Union européenne à Bruxelles, le 4 janvier 2022. Le 23 janvier, des Ouïghours ont manifesté devant les bureaux du Comité olympique turc à Istanbul. © Valeria Mongelli/Hans Lucas via Reuters Connect)