La question des manuels d’histoire japonais

Révolution dans les manuels d’histoire japonais : quelles sont les nouvelles méthodes d’éducation ?

Éducation

Au printemps 2022, les lycées japonais ont modifié leurs programmes pédagogiques pour proposer un nouveau cours obligatoire, mêlant à la fois l’histoire moderne du Japon et du monde. Le proviseur d’un lycée s’intéresse à ce nouveau cours dont l’enseignement se veut centré sur l’élève et ses compétences, plutôt que sur l’apprentissage par cœur.

En avril 2022, il y a eu du changement dans les programmes d’histoire des lycées japonais. En effet, à partir de cette date, les lycées de tout le Japon ont dû ajouter à leurs programmes pédagogiques un cours obligatoire visant à intégrer l’histoire du Japon et l’histoire du monde, modifiant considérablement l’enseignement même de ces deux matières.

Le programme pédagogique de base des écoles primaires et secondaires japonaises est défini dans les Cours d’études, un ensemble de directives élaborées par le ministère de l’Éducation, de la Culture, des Sports, des Sciences et de la Technologie (MEXT). Jusqu’alors, les anciennes directives pour les études sociales au lycée ne prévoyaient que deux cours obligatoires : l’histoire du monde et la société contemporaine. Dans les dernières directives, ils sont remplacés par non plus deux mais trois nouvelles matières obligatoires : rekishi sôgô, ou histoire moderne et contemporaine ; chiri sôgô, ou géographie et kôkyô, ou éducation civique (littéralement, « public »). Ensemble, ces trois cours ont pour objectif de permettre une compréhension équilibrée du Japon et du monde d’un point de vue chronologique, spatial et social.

Comme il est défini dans les directives du MEXT, l’histoire moderne et contemporaine traite de l’histoire moderne du « monde et du Japon dans le monde », du XVIIIe siècle à nos jours. L’objectif est que les élèves acquièrent « une compréhension globale et interactive » tout en développant les compétences suivantes : comprendre l’histoire ; étudier et synthétiser des informations historiques de différents types ; réfléchir, expliquer et discuter de la nature et la signification des phénomènes historiques selon différentes perspectives ; s’intéresser à l’étude des phénomènes historiques pour améliorer la société ; avoir conscience de l’identité japonaise, aimer l’histoire japonaise et comprendre l’importance du respect des autres pays et de leurs cultures.

Le nouveau programme comporte deux éléments novateurs. D’une part, c’est la première fois dans l’histoire du système d’enseignement secondaire public japonais (qui a vu le jour dans la seconde moitié du XIXe siècle) que l’histoire du Japon et l’histoire du monde sont officiellement intégrées dans un seul et même cours. D’autre part, il représente le passage d’un enseignement basé sur le contenu et centré sur la mémorisation par cœur à un apprentissage qui repose cette fois-ci sur les compétences des élèves et concentré sur l’acquisition et l’entretien d’aptitudes et d’attributs.

De l’enseignement du patriotisme japonais à l’histoire du monde

L’enseignement de l’histoire du Japon séparément de l’histoire du monde remonte à l’ère Meiji (1868-1912), lorsque les premières directives nationales en matière d’éducation ont été définies. L’histoire du Japon (nihonshi) est maintenant enseignée en tant que matière de base dans les classes primaires. À l’époque, l’objectif était d’inculquer aux élèves le patriotisme et le respect de l’empereur (comme le mentionnent les « Directives pour le programme d’études des écoles primaires » de 1881). L’histoire du monde, alors connue sous le nom de bankokushi, était enseignée principalement dans les classes supérieures. Elle était principalement axée sur le monde occidental en tant que centre de « civilisation et d’illumination ». Dès les premières leçons, où est abordée la mythologie ancienne, les contenus des cours de nihonshi et de bankokushi étaient bien distincts, pour ne jamais se recouper.

En 1902, peu après le début de la Première Guerre sino-japonaise (1894-1895), le ministère de l’Éducation a ajouté une partie portant sur l’Orient au programme de bankokushi, enseignée dans les collèges. Il s’agissait pour les élèves de se familiariser avec les pays asiatiques à la lumière de leurs liens historiques profonds avec le Japon. À l’Université impériale de Tokyo, le programme d’histoire était divisé en trois sections bien distinctes : nihonshi, tôyôshi (histoire orientale) et seiyôshi (histoire occidentale). Cette pratique a gagné d’autres établissements, devenant peu à peu une norme dans les milieux universitaires japonais.

La matière sekaishi apparaît pour la première fois dans le programme des lycées japonais après la Seconde Guerre mondiale, avec la mise en place du nouveau système d’enseignement secondaire. Si la matière sekaishi a ramené l’Asie (sans le Japon) au centre de l’enseignement de l’histoire du monde, l’histoire du Japon a également continué à suivre son propre chemin. Souvent, au lycée, leurs élèves devaient choisir entre l’histoire du Japon et l’histoire du monde, pour pouvoir mieux se concentrer sur les sujets sur lesquels ils seront testés lors des examens d’admission à l’université.

En 1989, le ministère de l’Éducation rend l’histoire du monde obligatoire pour les lycées. Pour lui, il est important que les élèves étudient la mondialisation pour former des citoyens à l’esprit tourné vers l’international. Mais cette politique ne fait pas l’unanimité ; les élèves en savaient ainsi peu sur l’histoire de leur propre pays, allant à l’encontre de l’objectif même fixé par le ministère. D’autres craignaient au contraire que le fait de rendre l’histoire du Japon obligatoire au programme n’amène certaines écoles régionales à accorder une part trop importante à cette matière au détriment de l’histoire du monde.

En 2011, afin de trouver un compromis et contenter les deux parties, le Conseil des sciences du Japon a proposé de réunir l’histoire du Japon et l’histoire du monde en un seul cours. C’est ainsi qu’après délibération, le Conseil central de l’éducation du ministère de l’Éducation a créé la matière rekishi sôgô, ou histoire moderne et contemporaine, qui devient obligatoire au lycée.

Fini l’apprentissage par cœur

L’ancienne approche japonaise de l’histoire du monde n’avait pas que des points positifs. Certes, elle permettait un aperçu complet et systématique, et ainsi de ne pas délaisser de larges régions dans le monde considérées comme ayant peu de rapport avec le Japon, comme c’est le cas dans de nombreux pays.

Mais d’un autre côté, cela a aussi pour conséquences que les manuels d’histoire du monde étaient surchargés de noms, de dates et de termes, susceptibles d’apparaître dans l’épreuve d’histoire du monde des examens d’entrée à l’université. Et loin d’être exhaustive, cette liste de termes n’a cessé de s’allonger — en particulier à partir des années 1980 —, les manuels intégrant des événements récents, avec de nouvelles informations tirées de spécialités de recherche concernant par exemple le Moyen-Orient ou encore l’Asie du Sud-Est. En 1952, l’index d’un manuel d’histoire du monde pour les lycées, publié par Yamakawa Shuppansha contenait 1 308 termes historiques. En 2003, ce même manuel, publié par le même éditeur, contenait plus de 3 379 termes. Conséquence : le cours d’histoire du monde s’est attiré une mauvaise image, celle d’un cours de mémorisation de termes sans fin. Il était devenu la bête noire, de moins en moins d’élèves le choisissant pour l’examen national d’admission à l’université.

Les manuels d’histoire du Japon étaient chargés de termes à retenir. Toutefois, ils rebutaient moins les élèves de lycée, puisqu’ils avaient déjà accumulé un certain bagage de vocabulaire à l’école primaire et au collège. Cependant, les concepts clés mis en évidence dans les manuels d’histoire du monde occupaient rarement une place importante dans les programmes d’histoire du Japon, même lorsqu’ils étaient manifestement pertinents. Par exemple, en histoire du monde, les élèves ont appris qu’après la Première Guerre mondiale, une « nouvelle diplomatie » tournée vers la coopération internationale a vu le jour, parallèlement à l’« ancienne diplomatie », fondée sur l’impérialisme. Mais cette opposition est à peine mentionnée dans le programme d’histoire du Japon. En conséquence, la compréhension de la position du Japon avant la conférence navale de Washington de 1921-1922 risque d’être très différente selon que l’élève a étudié les circonstances entourant cette conférence dans le cours d’histoire du monde ou dans celui d’histoire du Japon.

En raison du cloisonnement des deux matières et de l’importance excessive accordée à l’apprentissage par cœur pour l’une comme pour l’autre, les concepteurs du programme ont dû relever le défi de combiner l’histoire du Japon et l’histoire du monde, sans pour autant multiplier par deux le volume d’informations à mémoriser. La solution a été de concevoir un programme basé sur des compétences mettant l’accent sur la réflexion et l’interprétation historiques, en se concentrant sur trois thèmes majeurs de l’histoire moderne : la modernisation ; la montée de la démocratie de masse et l’évolution de l’ordre international ; la mondialisation.

C’est un changement majeur par rapport à l’approche encyclopédique pratiquée jusqu’alors dans les lycées.

Une pensée historique critique

L’histoire moderne et contemporaine est un cours unique qui rapporte deux crédits (à raison de cours de 50 minutes par semaine) avec des objectifs ambitieux. Il propose une approche différente du modèle jusqu’alors établi des cours d’histoire au lycée, où le professeur distribuait des documents photocopiés et faisait un cours magistral, sans interaction aucune, et que les élèves prenaient quelques termes en note dans la marge. Ces termes, ils les mémorisaient puis ils les oubliaient rapidement, une fois le contrôle passé. Désormais, l’approche est différente. L’idée est de demander aux élèves de lire des documents historiques, de les inviter à poser des questions sur les changements survenus au cours de la période étudiée et de les faire réfléchir par eux-mêmes pour chercher des réponses à ces questions.

Les manuels pensés pour le nouveau programme sont truffés d’exemples de questions et de problèmes permettant une étude plus approfondie. Par exemple, « Shôjutsu rekishi sôgô » (Jikkyô Shuppan, 2022) invite les élèves à comparer les balbutiements du Japon vers la modernisation à la fin de l’époque d’Edo (1603-1868) avec des tendances similaires dans l’Empire ottoman, en Égypte, en Thaïlande ou en Chine à l’époque de la dynastie Qing. Non seulement les élèves sont amenés à réfléchir plus en profondeur sur les grandes tendances historiques, mais également à appréhender le Japon en tant que nation dans le monde.

La nouvelle approche des manuels encourage également les élèves à lire, à interpréter des documents et à parfaire leurs capacités de réflexion et de communication tout en analysant les problèmes contemporains sous différents angles. Par exemple, « Meikai rekishi sôgô » (Teikoku-Shoin, 2022) évoque l’évolution de l’opinion publique sur la Conférence navale de Washington. Dans ce manuel, les élèves doivent analyser un éditorial de journal japonais contemporain faisant l’apologie de cette conférence, voyant en elle un pas vers le désarmement et la paix dans le monde.

De cette façon, avec le nouveau programme, l’apprentissage par cœur est plus « historique », faisant intervenir non plus des listes de termes sans fin apprises par cœur mais la connaissance comme base de la pensée critique et de la communication.

« Chaque élève a sa propre conception de l’histoire »

Cela dit, le programme d’histoire moderne et contemporaine n’est qu’une ébauche, avec de nombreux problèmes à résoudre. Tout d’abord, malgré une approche différente, les nouveaux manuels sont toujours remplis d’informations factuelles. Les élèves seront alors simplement testés sur leurs capacités de mémorisation et non de réflexion.

Autre souci : les manuels se contentent souvent de mettre des récits en parallèle (« pendant ce temps, au Japon ») au lieu de présenter une perspective mondiale, qui intègre tous les récits.

Par exemple, dans les manuels japonais, la croissance rapide du Japon est presque exclusivement expliquée à l’aide de facteurs internes. Ils ne traitent pas des tendances mondiales plus larges telles que la division internationale du travail, qui a vu le jour pendant la Guerre froide ou de la résurgence économique de l’Asie de l’Est dans son ensemble. En se concentrant sur les facteurs propres au Japon pour expliquer le miracle japonais, comment comprendre la phase de stagnation de l’économie qui a succédé ? Peut-elle être interprétée autrement que comme un cas d'« essoufflement du système » ? Si ce cloisonnement de l’histoire en trois branches distinctes est encore bien présent aujourd’hui dans les écoles supérieures japonaises, une approche analytique plus intégrée commence à voir le jour sous la forme d’une « histoire globale ». Cependant, la route est encore longue pour parvenir à une intégration véritablement dynamique de l’histoire du Japon et de l’histoire du monde dans les programmes pédagogiques des lycées.

Enfin, l’un des objectifs du nouveau programme devrait être de faire une place plus importante à un apprentissage centré davantage sur l’élève et plus interactif. Jusqu’à présent, les cours d’histoire ont été pensés et dispensés par un professeur aux connaissances abondantes transmettant, sans grande interaction, son savoir aux élèves. Mais je pense que chaque élève a sa propre conception de l’histoire, qui repose sur un contexte et une vision du monde propres à chacun, et aucune conception de l’histoire n’est inférieure à celle d’un autre. Certes, je possède peut-être des connaissances historiques plus approfondies et je suis plus habitué à l’analyse des questions historiques, mais il y a des choses que je ne comprends pas, tout comme mes étudiants.

Je crois que nous devons repenser notre façon de traiter les élèves et les voir davantage comme des compagnons d’exploration. Pour moi, ce nouveau programme est une opportunité pour les enseignants comme pour les élèves d’analyser des questions historiques qui n’ont ni bonne ni mauvaise réponse. Il est là mon objectif pour le nouveau programme d’histoire moderne et contemporaine.

(Photo de titre : les nouveaux manuels de lycée depuis avril 2022. Dans le sens des aiguilles d’une montre : géographie, éducation civique et histoire moderne et contemporaine. Jiji Press)

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