Les restrictions aux frontières enfin assouplies pour les étrangers : pourquoi le Japon est-il aussi sévère ?

Politique Société

Mises en place en décembre 2021 suite à l’émergence du variant Omicron, les mesures d’arrêt d’entrée sur le territoire japonais des visiteurs étrangers (étudiants, travailleurs et voyageurs d’affaires) ont été enfin assouplies à compter du 1er mars. Durant les deux ans de la pandémie, le Japon a jonglé plusieurs fois entre fermeture et rouverture des frontières, ce qui a suscité de vives critiques de la part des universités comme des milieux d’affaires. Pourquoi le pays s’est-il « entêté » à garder son territoire fermé malgré une efficacité douteuse de ses mesures ?

Des différences de traitement injustes entre les étudiants étrangers

Le gouvernement japonais continue à appliquer de manière intermittente l’interdiction d’entrée sur le territoire national des étrangers, qui est perçue comme une mesure pour limiter la circulation du Covid-19. Nombreux sont les étudiants étrangers (jusqu’à 150 000 selon certaines sources) que cela a empêché de venir poser les pieds sur le sol nippon. Parmi les étudiants étrangers de deuxième et de troisième cycle dont je m’occupe, plusieurs sont depuis plusieurs mois dans l’impossibilité de venir, et participent aux cours en télé-enseignement, ce qui leur permet de valider leurs acquis.

Étant donné le décalage, ainsi que les limites des cours en ligne et les frais que cela comporte pour eux, ils se retrouvent dans une situation bien plus difficile que ceux qui sont présents au Japon. Cela est regrettable... Et il y a encore pire : n’étant pas au Japon, ils n’ont pas accès aux bourses. Cela crée des différences de traitement injustes entre étudiants.

À l’automne dernier, des étudiants ayant obtenu une bourse du ministère de l’Éducation, de la Culture, des Sports, des Sciences et de la Technologie (MEXT), ont été autorisés à entrer au Japon en priorité. Mais l’interruption de ce dispositif en décembre (pour freiner les contaminations au variant Omicron) a fait naître un écart important entre ceux qui avaient pu entrer au Japon avant cette date, et ceux qui ne l’avaient pas pu, pour des raisons indépendantes de leur volonté, comme la date à laquelle ils ont obtenu leur visa auprès de l’ambassade du Japon dans leur pays. Cela fait que ces étudiants qui avaient obtenu la même bourse ne sont pas tous traités de la même façon.

Ceux qui ont pu venir au Japon y mènent une vie d’étudiant stable, tout en bénéficiant de leur bourse. Mais ceux qui sont passés si près de le faire doivent suivre leurs cours en ligne, en étant confrontés au décalage horaire et à des coûts supplémentaires. Cette structure bancale va continuer pendant quelque temps, même après l’assouplissement des restrictions à l’entrée sur le territoire japonais. On ne peut absolument pas minimiser leur influence.

La rationalité douteuse des trois mois de « fermeture »

La durée de ces mesures de fermeture du territoire japonais, prises après l’apparition du variant Omicron à la fin de l’année dernière, est plus discutable que leur nécessité. Même si l’on estime qu’il était rationnel de réagir à son apparition en restreignant l’accès au territoire japonais, il est permis de douter de la rationalité de la décision de maintenir ces mesures contraignantes pendant trois mois.

Leur maintien jusqu’à la fin du mois de février a été décidé début janvier. Prendre des mesures rationnelles, tout en continuant à appliquer un dispositif contraignant et en anticipant ce qui va se passer plus d’un mois après, est un exercice particulièrement difficile. L’évolution du Covid-19 est en effet caractérisée par des changements extrêmement rapides et violents. Même des personnes liées au gouvernement qui, début janvier, se faisaient fort de contrôler la propagation du variant Omicron grâce à ce genre de restrictions, se sont retrouvées, face à la réalité de l’augmentation rapide du nombre de nouveaux cas, dans une situation dans laquelle elles ne souhaitaient pas discuter de la justesse de ces mesures. À la mi-février déjà, le gouvernement a dû annoncer que ces mesures seraient assouplies à compter du 1er mars.

Évolution des mesures du gouvernement japonais pour empêcher l’arrivée au Japon du variant omicron

27 novembre 2021 L’OMS définit le variant Omicron comme « préoccupant ».
30 novembre Arrêt de principe de l’entrée au Japon de nouveaux arrivants étrangers. (article lié)
1er décembre Le nombre maximum d’étrangers autorisés à entrer au Japon est ramené à 3 500 par jour.
9 janvier 2022 Mise en place des mesures de prévention de la propagation dans les préfectures d’Okinawa, Yamaguchi et Hiroshima
11 janvier Annonce par le gouvernement de nouvelles mesures contre la pandémie.

Prolongation jusqu’à la fin du mois de février de l’arrêt de l’entrée au Japon de nouveaux étrangers. (article lié)
22 janvier Le nombre de nouveaux cas quotidiens dans la préfecture de Tokyo dépasse 10 000 pour la première fois.
27 janvier Extension à 34 préfectures des mesures de prévention de la propagation.
9 février La Chambre de commerce américaine au Japon et d’autres organisations demandent l’assouplissement des restrictions à l’entrée au Japon.
16 février Un porte-parole du Keizai Dôyukai (Association des dirigeants économiques) met en doute la nécessité de la prolongation des mesures destinées à empêcher l’arrivée au Japon du nouveau variant.
17 février Le Premier ministre Kishida Fumio annonce l’assouplissement des restrictions: le nombre maximum d’étrangers admis quotidiennement au Japon sera relevé à 5 000 à partir de mars. (article lié)

Pendant cette période, les autres pays qui avaient au départ imposé de strictes restrictions aux frontières les ont levées l’un après l’autre, et l’attitude du gouvernement japonais qui continuait sa politique de fermeture était de plus en plus remarquée à l’international.

Cette posture du gouvernement pouvait difficilement, et c’est regrettable, être définie comme fondée sur un point de vue scientifique. En tout cas, une fois que la présence du variant Omicron a été constatée au Japon, la rationalité des mesures de fermeture des frontières est devenue remarquablement faible.

Mais les Japonais qui craignaient l’arrivée du nouveau variant ont accueilli favorablement la mise en place très rapide, dès décembre, de ces mesures par le gouvernement Kishida, dont la cote de popularité a grimpé en flèche. Ce succès l’a conduit à repousser au plus tard possible l’assouplissement de ces mesures.

Au fil des jours, les voix demandant que ces restrictions appliquées mécaniquement soient assouplies se sont faites de plus en plus fortes. Elles ne venaient pas seulement des milieux universitaires qui percevaient la réalité des difficultés rencontrées par les étudiants étrangers mais aussi des milieux économiques sérieusement affectés par leur impact. À la mi-février, le gouvernement, acculé, n’a eu d’autre choix que d’annoncer leur allègement à partir de mars. Mais le soutien originel de l’opinion publique à ces mesures est ce qui explique qu’elles aient duré presque trois mois.

La priorité accordée aux personnes âgées avant les personnes actives

La médiane des électeurs se situe dans une génération différente de celle des actifs, tant dans les milieux universitaires qu’économiques. La progression du vieillissement démographique fait que l’électorat est en grande partie formé par des retraités. Leurs intérêts ne sont pas les mêmes que ceux de la population active.

Ce sont les personnes âgées qui sont le plus à risque de souffrir du Covid 19, et c’est la génération des jeunes qui a le plus à perdre de restrictions sociétales excessives. Cette différence entre les intérêts des générations existe sans doute dans tous les pays du monde. Mais on constate au Japon une tendance plus forte des politiques publiques à refléter les intentions des personnes âgées.

La fermeture des frontières pendant une longue période est un exemple typique d’une politique favorisant les seniors. La priorité n’a pas été accordée à l’objectif de préserver les activités de la société. Cette situation qui a vu ces mesures destinées à empêcher l’arrivée du Japon du variant Omicron peut être perçue comme indiquant la stagnation de la puissance nationale d’un pays à fort vieillissement démographique.

Il faut des investissements ambitieux pour renforcer les capacités de la gestion des frontières

Les pays européens et les États-Unis ont sans aucun doute entamé leurs efforts pour vivre avec le Covid-19. Ils sont en train de lever les restrictions liées aux mesures de lutte contre la pandémie, au fur et à mesure qu’il devient clair que le variant Omicron est moins dangereux, et que la troisième dose de vaccin se généralise. Mais au Japon, il n’est pas surprenant de constater que ce genre de mesures prises dans les pays européens et aux États-Unis pour coexister avec la pandémie tarde à se mettre en place.

Si l’on se limite toutefois à rechercher des mesures toujours « plus fortes », on épuisera excessivement la société, et cela aboutira au résultat paradoxal de la placer dans une situation défavorable dans la lutte à long terme contre la pandémie. Il faut toujours poursuivre des politiques rationnelles destinées à continuer de prendre des mesures efficaces contre lui tout en préservant les fonctions de la société.

Le Japon ne doit-il pas consacrer plus d’énergie à améliorer son système de gestion des frontières, avant tout en le rendant plus performant, qu’à allonger la durée de prolongation des restrictions d’accès au territoire national ?

Pendant la durée de ces mesures sévères aux frontières de l’Archipel, le nombre maximum quotidien admis sur le territoire national était limité à 3 500. Depuis le 1er mars, il a été relevé à 5 000. Ce niveau ne peut malheureusement pas être qualifié de souhaitable pour assurer le maintien des fonctions de la société à un haut niveau. Il va probablement falloir beaucoup de temps pour permettre à tous les étudiants étrangers d’entrer au Japon.

Ce maximum quotidien est déterminé par les limites matérielles des contrôles dans les aéroports. Le système actuel se maintient pour le moment, malgré l’affaiblissement de ses installations et sa numérisation relative grâce à une externalisation massive. Si on développe au contraire ses capacités, il sera possible d’accueillir bien plus d’étrangers, tout en appliquant de manière satisfaisante les mesures pour empêcher la propagation de nouveau coronavirus. Un investissement politique ambitieux est souhaitable pour réussir cette amélioration radicale.

(Photo de titre : l’aéroport de Haneda le 18 février 2022. AFP/Jiji)

société étranger immigration touristes étrangers coronavirus