Sport : une réflexion sur la « mécanisation » de l’arbitrage

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L’utilisation d’images de caméras dédiées et d’intelligence artificielle (IA) pour déterminer les positions de hors-jeu durant la Coupe du monde de football 2022 a fait couler de l’encre. La « mécanisation » de l’arbitrage est aujourd’hui une réalité dans de nombreux sports. Un journaliste sportif japonais réfléchit au rôle des arbitres et à la signification de leur présence sur le terrain.

Douze caméras qui suivent les mouvements des joueurs

La technologie du hors-jeu semi-automatique a été utilisée lors de la Coupe de monde de football au Qatar en 2022. Une position de hors-jeu ne durant qu’un instant, il est facile de se tromper à ce sujet. Dans les Coupes du monde du passé, il est souvent arrivé qu’un hors-jeu ait eu un rôle déterminant pour la victoire ou la défaite d’une équipe. Un des cas les plus connus et les plus discutés est par exemple le match Corée du Sud-Italie, en huitième de finale de la Coupe du monde de football tenue en Corée et au Japon en 2002, lorsque le deuxième but italien a été refusé car jugé hors-jeu.

Dans la Coupe de monde 2022, les 12 caméras dédiées qui sont installées sous le toit de chaque stade ont suivi les mouvements des joueurs chacune de leur angle. Les ballons officiels étaient équipés de détecteurs qui repèrent leur position précise, et ces données sont envoyés à l’arbitre assistant vidéo. Toutes ces informations sont combinées, et lorsqu’un joueur touche la balle dans une position de hors-jeu, l’arbitre principal est informé par l’arbitre assistant vidéo grâce aux derniers progrès de l’IA.

L'arbitre assistant vidéo suit le jeu sur un ordinateur dans une pièce spéciale réservée à la FIFA, et transmet les informations à l'arbitre principal (image du site officiel de la FIFA)
L’arbitre assistant vidéo suit le jeu sur un ordinateur dans une pièce spéciale réservée à la FIFA, et transmet les informations à l’arbitre principal. (Image du site officiel de la FIFA)

Au moment des passes, les positions des joueurs du côté de l'attaque et de la défense sont déterminées automatiquement (image du site officiel de la FIFA).
Au moment des passes, les positions des joueurs du côté de l’attaque et de la défense sont déterminées automatiquement. (Image du site officiel de la FIFA)

L’utilisation des derniers progrès technologiques n’est pas une nouveauté pour la Coupe de monde de football. Celle de 2014 au Brésil a fait appel à la technologie sur la ligne de but, dans laquelle les ballons officiels équipés de détecteur permettent de déterminer si un ballon franchit la ligne de but. Dans ce cas, le message « Goal » s’affiche immédiatement sur la montre portée par l’arbitre principal. L’assistance vidéo à l’arbitrage (appelée « VAR »), qui utilise les images vidéo pour permettre à l’arbitre principal de décider des cas difficiles, a fait ses débuts dans la Coupe du monde 2018 en Russie.

Dans les grands événements sportifs suivis dans le monde entier comme la Coupe du monde de football, les images télévisées sont immédiatement diffusées sur internet, et les erreurs d’arbitrage font de plus en plus l’objet d’intenses critiques. L’utilisation de ce genre de technologie dans l’arbitrage est peut-être efficace pour que les matchs soient plus justes.

L’arbitrage vidéo est aussi utilisé dans d’autres sports olympiques, notamment par les juges de ligne pour le tennis ou le badminton, ou pour déterminer le vainqueur en judo ou en lutte.

L’introduction de l'« arbitre robot » en Minor League américaine

Le baseball professionnel japonais a aujourd’hui intégré le système de « request », c’est-à-dire d’appel à l’instant replay. Suivant l’exemple de la Major League Baseball américaine, la vidéo est utilisée depuis 2010 d’abord pour juger des home runs (coups de circuit) douteux, puis pour juger des balles volantes sur la clôture ou des close play sur la première base. 2018 a vu les débuts du système actuel d’appel qui permet à chaque manager d’équipe un challenge pour déterminer les retraits et les saufs sur chaque base.

Un système de challenge semblable est utilisé dans les Ligues majeures de baseball (Major League Baseball) et depuis cette saison, la AAA, une des ligues mineures, en a introduit une version différente, avec l’Automated Ball Strike System (ABS), qui définit la zone où le challenge est possible. On a déjà vu des cas dans lesquels un receveur contestait le jugement sur la balle et obtenait une nouvelle prise immédiatement après l’arbitrage vidéo.

Grâce à l’introduction de l’assistance vidéo à l’arbitrage, les échauffourées sur le terrain sont certainement moins nombreuses qu’autrefois. Mais cette mécanisation de l’arbitrage des prises et des lancers fait naître des doutes sur la nécessité de l’arbitre. Pour revenir au football, si l’arbitrage des buts et des situations de hors-jeu est de fait automatisé, cela ne soulève-t-il pas des questions sur la nécessité de la présence de l’arbitre sur le terrain ?

L’arbitrage vidéo a commencé avec le sumo

Cela peut surprendre, mais au Japon, l’arbitrage vidéo a d’abord été utilisé dans les tournois de sumo. En 1969, au deuxième jour du tournoi de printemps, le combat entre le yokozuna (le rang le plus élevé au sein des lutteurs sumo) Taihô et le lutteur Toda, classé au cinquième rang des lutteurs de première division, a été jugé comme douteux car tout au bord du cercle de combat, le dohyô. L’arbitre principal (gyôji) a déclaré Taihô vainqueur, mais les juges qui en ont ensuite discuté ont estimé que l’arbitre avait fait une erreur et ont attribué la victoire à Toda, qui a ainsi mis fin à la série de 45 victoires consécutives de Taihô.

Mais lorsque le combat fut montré au ralenti par la NHK, la victoire de Taihô ne faisait aucun doute, et cette erreur d’arbitrage a fait beaucoup de bruit. C’est ainsi qu’à partir du tournoi suivant, celui d’été, l’assistance vidéo a été utilisée.

Le gyôji qui a le plus haut rang monte sur le dohyô avec un poignard court à la ceinture, dont la signification est de montrer qu’il est prêt à s’ouvrir le ventre s’il prend une décision erronée. Le sumo est ainsi à la fois un sport très ancien, et le premier à introduire la technologie de pointe.

On aperçoit l'étui du poignard sur cette photo prise le 18 novembre 2015 à Fukuoka (Jiji)
On aperçoit l’étui du poignard sur cette photo prise le 18 novembre 2015 à Fukuoka. (Jiji)

L’introduction de l’assistance vidéo en sumo n’a pas conduit à la disparition du gyôji sur le dohyô : la tradition est préservée. Mais on devrait pouvoir introduire des détecteurs à l’intérieur du ring, ou encore l’équiper de caméras avancées, capables d’analyser les mouvements des lutteurs.

Si cela ne se fait pas, c’est assurément parce que la présence du gyôji est indispensable au sport. Le gyôji porte un costume ancien, avec sur la tête un chapeau appelé eboshi, et tient à la main un éventail qu’il lève vers le vainqueur. Sans sa présence, le sumo perdrait beaucoup de son attrait. L’assistance vidéo dans ce sport n’est précisément qu’une assistance.

L’humanité d’un arbitre

On a beaucoup parlé au printemps 2022 au Japon d’un arbitre de baseball qui a reconnu une erreur d’arbitrage pendant un match du tournoi national de printemps des lycées. Le match a été interrompu pour lui permettre d’annoncer au micro qu’il s’était trompé et en était navré. Les commentaires sur les réseaux sociaux ont été très élogieux. Nombreux ont ceux qui ont trouvé ces excuses magnifiques.

Le micro à la main, l'arbitre de baseball reconnaît son erreur pendant le match de baseball et présente ses excuses, le 20 mars 2022, au stade Kôshien (Jiji).
Le micro à la main, l’arbitre de baseball reconnaît son erreur pendant le match de baseball et présente ses excuses, le 20 mars 2022, au stade Kôshien. (Jiji)

L’erreur est humaine. Tout le monde le comprend. Nombreux sans doute sont ceux qui ont senti l’humanité de cet arbitre qui reconnaissait son erreur sans avoir une attitude autoritaire qui lui aurait fait affirmer que le jugement de l’arbitre est absolu.

Yamaguchi Tomohisa est un arbitre qui exerce dans le baseball amateur. Sa manière d’être avec les joueurs est appréciée de ceux-ci. Entre les manches, il encourage fort les joueurs qui vont défendre, et il est très attentif à eux. On trouve sur des sites spécialisés des vidéos qui le montrent, et l’une d’entre elles a été vue près de trois millions de fois.

Il a déclaré que pour lui, les arbitres de baseball ont un rôle proche de celui d’un chef d’orchestre. Comme dans le sumo, un arbitre n’est pas seulement chargé de juger, et une machine pourrait difficilement le remplacer car elle ne veillerait pas de la même façon au bon déroulement du match.  

Les règles du basket-ball indiquent en toutes lettres la mission de l’arbitre

Le règlement officiel du basket-ball publié par la Fédération japonaise de basket-ball aborde dans sa préface le rôle de l’arbitre.

« Ces règles existent pour que la compétition se déroule avec le plus haut degré de force physique et mentale, dans le respect de l’autre. »

Elles continuent ainsi : « Les joueurs sont ceux qui mettent en œuvre l’esprit de ces règles. L’arbitre régit le jeu dans l’équité et l’harmonie, en veillant à la stricte application de ces règles et en donnant des directives saines. Il doit avoir la confiance de tous. »

Le sport est une activité humaine, une culture qui s’est transmise jusqu’à nous. Les règles existent pour que les compétiteurs jouent avec équité, et la présence des arbitres est indispensable à cette fin. Les règles doivent-elles se risquer à l’annoncer en toutes lettres ?

Dans un livre publié il y a plus de trente ans, en 1991, mais qui garde toute son actualité, La Sociologie du sport, feu Nakamura Toshio (professeur à l’Université de Hiroshima), un des premiers chercheurs dans le domaine des sports, a écrit ceci à propos de la mécanisation de l’arbitrage :

« Il est inévitable que l’arbitre fasse des erreurs, et que les joueurs et les entraîneurs en fassent aussi sur l’arbitrage. Peut-être est-il impossible de faire disparaître les questions et les protestations à l’arbitre qui entraînent parfois des violences et peuvent aller jusqu’à l’annonce qu’une partie quitte le jeu. Mais au lieu d’en déduire qu’il faut remplacer l’arbitre par des machines ou interdire les questions et les protestations, nous devons d’abord essayer de réfléchir à notre choix sur ce que le sport doit être. »

C’est sur ce mot de « choix » que porte, me semble-t-il, les interrogations relatives à notre présent. Nous vivons à une époque où nous nous automatisons en cherchant la commodité qu’apportent les machines non seulement dans le sport mais dans tout, et nous devons évaluer comme il le faut les choix que nous avons à faire dans la société et dans la vie.

(Photo de titre : la technologie de hors-jeu semi-automatique utilisée pendant la Coupe du monde de football 2022 au Qatar. FIFA)

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